Citations de Lidia Yuknavitch (98)
Vous voyez, c'est important de comprendre à quel point les gens esquintés ne savent pas toujours dire oui, ou sauter sur l'occasion de leur vie, même si elle est là, sous leurs yeux. C'est de la honte qu'on porte. La honte de vouloir quelque chose de bien. La honte de ressentir quelque chose de bien. La honte de ne pas croire qu'on mérite d'être dans la même pièce au même titre que tous ceux qu'on admire.
C'est près de la mort que je me sentais la plus vivante de toute façon.
Le langage est une métaphore de l'expérience. Il est aussi arbitraire que la masse des images chaotiques qu'on appelle mémoire, mais on peut le coucher en phrases pour vaincre la peur.
Dans un monde qui avait perdu sa capacité de procréer, il était devenu essentiel de raconter l'amour.
Sa voix était marquée d’une rage plus ancienne que les canyons de la Terre, creusés par l’érosion, la tectonique des plaques et la force de l’eau.
Jusqu’alors, je la considérais comme une héroïne. Jeanne. Je voyais en elle ce que nous a appris à voir dans ce mot, dans cette idée. Une héroïne enfermée dans un récit écrit par des hommes, qui fait la part belle aux hommes. Mais qu’arrive-t-il lorsque le récit émane du corps d’une femme, d’une femme semblable à nulle autre dans l’histoire de l’humanité ? D’un corps lié non pas à Dieu, ni à un idéal intellectuel ou spirituel, mais à la matière et à l’énergie ? A la planète ?
Avoir une histoire c’est être quelqu’un.
Il faut qu’il raconte son histoire. Les histoires peuvent sauver des vies. Elles donnent corps à l’action.
Je suis l’histoire en train de s’écrire elle-même.
En m’observant dans le miroir, j’ai presque l’impression que mon corps est en pulsation. Un corps brûlé vif pour une cause juste : tout le contraire de la mort de Jeanne, en somme. Le feu de ma griphe remplacera ce qui, autrefois, se consumait entre nos cuisses
La Terre est un cimetière. Il n’y a plus rien à dire. Plus rien à dire sur tout ce vide. Aucun éloge funèbre n’a été prononcé. […] Nous l’avons bien mérité. Pour ce que nous nous sommes fait les uns les autres. Pour ce que nous avons fait à ce globe sur lequel nous sommes apparus. Ce lieu merveilleux, maudit, que la vie a occupé l’espace d’un instant.
Cher Monsieur, votre génitrice était une fistule aussi fétide que philistine. Je vous prie par ailleurs de me faire savoir précisément à quelle entité vous faites allusion lorsque vous employez le mot Etat. Je me refuse à croire que vous faites allusion à ce grotesque amas orbital de corps et de machines. Vous n’avez aucune autorité sur moi, baudruche sans cervelle. Retournez vous cacher derrière les replis de vos griphes prétentieuses.
Alors qu’est-ce qu’il croit pouvoir faire, cet imbécile à moitié mort, face à l’union de leurs forces et de leur expérience ? Il sait à qui il a affaire, avec son canif et son corps décharné ? Il débarque d’une autre planète ? Il croit être tombé sur deux bonnes femmes anachroniques qui ne parlent que de popote et de chiards, et non de lance-roquettes et d’explosifs artisanaux ? Elle est censée voir en lui un ennemi ? Jeanne attend.
Historiquement, deux choses ont toujours été capables de transpercer l’hégémonie : l’art et le corps humain. C’est ainsi que l’art est parvenu à survivre dans notre monde. Là où il y avait la pauvreté, il y avait aussi un tableau qui faisait verser des larmes de gratitude à quiconque s’y plongeait. Là où il y avait les génocides, il y avait un chant qui refusait de se taire. Là où une planète entière a été abandonnée, il y a quelqu’un qui raconte une histoire dans un dernier souffle, et quelqu’un d’autre qui porte cette histoire comme un fragment d’ADN ou un débris d’étoile. Comme de la matière noire.
Si à dix-huit ans on n'est pas fichu de se montrer plus malin qu'un psy quinquagénaire, comment on pourrait avancer dans la vie ?
Mais Jeanne, elle, savait quelque chose que nous ignorions: la fin de la guerre signifiait la fin de ceux qui l'ont provoquée. La création et la destruction devaient être unies et non traitées à tort comme des contraintes.
Ce que nous leur avons fait- bon sang, comment peut-on pousser la brutalité et l'abomination jusqu'à rester sourd aux souffrances de la majeure partie de l'humanité en jugeant qu'elles sont nécessaires à la préservation d'une élite d'abrutis- est bien la preuve que nous ne méritons pas d'avoir un futur.
La terre rejoindra-t-elle les rangs des toutes ces planètes qui tourbillonnent dans leur galaxie, sans rien d'autre à sa surface que les atomes qui nous composaient autrefois ? Nous l'avons bien mérité. Pour ce que nous nous sommes fait les uns aux autres. Pour ce que nous avons fait à ce globe sur lequel nous sommes apparus. Ce lieu merveilleux, maudit, que la vie a occupé l'espace d'un instant.
"L'étreinte de la mort est comme la morsure d'un amant, qui blesse et qu'on désire pourtant."
Elle croyait la tuerie légitime. Dans les décombres de ses désirs et de ses projets héroïques, elle voit maintenant qu'il n'est pas de violence légitime. La violence se contente d'exister. Elle nous assassine dès qu'elle affleure notre conscience.