Entretien chez Thinkerview :
Lilian Thuram : Football, racisme et géopolitique
Tous les enfants connaissent les fables de La Fontaine. Il serait bon que les professeurs expliquent le lien entre Esope et La Fontaine, le Noir et le Blanc. Dire aux élèves que l'intelligence n'a pas de couleur, c'est éduquer contre le racisme avec sensibilité, intelligence et humour.
La bibliothèque municipale étant interdite aux Noirs, il faudra la bonne volonté d'un Blanc qui lui prête sa carte de lecteur pour qu'il puisse emprunter des livres à son nom. Il apporte chez lui ces trésors enveloppés dans du papier journal, comme des produits de contrebande.
Et n’oubliez jamais, la couleur de la peau de quelqu’un ne détermine en rien ses qualité et ses défauts.
Lorsque je vais dans les écoles et que demande aux enfants combien il existe de races, ils me répondent invariablement "la blanche, la noire, la jaune et la rouge" et détaillent leurs qualités inhérentes. Cela montre clairement que la déconstruction du racisme n'a jamais été une priorité de l'enseignement.
J'ai remarqué la série d'explications avancées au cours de l'Histoire pour justifier la réussite d'un Noir. D'abord, il est affirmé que " les athlètes noirs sont incapables de ceci ou cela"...Puis, quand ils y arrivent, le réflexe premier est d'invoquer la "chance". [...] Enfin, quand on s'aperçoit que les Noirs continuent à "être capables", et qu'invoquer la chance n'est plus possible, on dit que c'est "naturel pour eux", c'est physique, c'est génétique, c'est morphologique, c'est physiologique, bref, c'est tout ce qu'on veut sauf le résultat de leur intelligence et de leur travail.
Cette ignorance a pu autoriser un président de la République française, Nicolas Sarkozy, à dire : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. » Cette phrase est caractéristique de la façon dont se construit la pensée blanche : elle est prononcée en Afrique par un homme puissant qui défend les intérêts de l’Occident sur le monde et affirme ce sentiment de supériorité que les Blancs doivent avoir à l’égard des Noirs.
Dans La Grande Désillusion, en 2002, Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d'économie, explique comment la politique de la Banque mondiale et surtout celle du Fonds monétaire international (FMI) favorisent l'oppression qui sert les intérêts d'un certain nombre de pays dominants. "Le FMI est toujours dirigé par un Européen, la Banque mondiale par un Américain. Les dirigeants sont choisis à huis clos, et l'on n'a jamais jugé nécessaire de leur demander la moindre expérience préalable du monde en développement." L'un des pires obstacles auxquels se heurtent les pays en voie de développement réside dans les politiques actuelles du FMI .
Une société où certains ont plus de droits que d'autres est-elle une société juste ?
Je pense à cette phrase d'Albert Einstein : "Le monde est dangereux à vivre ! Non pas à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire."
Colère et faim additionnées transforment l'obsession physique en recherche existentielle et bientôt intellectuelle. Car la culture est aussi une nourriture.