Citations de Lina Bengtsdotter (45)
Pourquoi lis-tu autant , ma chérie ?
Charlie répondait qu'elle lisait parce que ça lui plaisait . Point barre. Elle ne s'aventurait jamais à décrire la sensation que lui donnait la lecture , celle de pénétrer d'autres mondes , de se dépouiller de sa réalité , de devenir quelqu'un d'autre , ailleurs . ( p155 )
Annabelle s'était juré qu'elle ne l’appellerait plus jamais. Et pourtant, la voilà, incroyable mais vrai, planquée derrière le gymnase en train de fumer une cigarette tout en composant de sa main libre son putain de numéro. Il répondit à la première sonnerie.
Elle allait prendre contact avec les services sociaux, pensa-t-elle en reprenant le chemin du motel. Elle allait prendre contact avec les services sociaux pour Sara. Mais ça ne changerait sans doute pas grand-chose. S’ils travaillaient encore comme à l’époque où elle-même aurait eu besoin d’eux, ça ne ferait pas vraiment de différence. Tout est quand même resté à peu près pareil, songea Charlie. Le temps a passé, mais rien n’a changé, au fond.
« Pardonne-toi. » C’était mon mantra quand j’étais plus jeune, pour me calmer les nerfs quand j’avais l’impression d’être, comment dire, une mauvaise personne. « Pour tout ce que tu hais chez toi — pardonne-toi. » Je crois que c’est de Jonas Gardell.
(Le Livre de Poche, p.401)
C'était même une pensée agréable. Lâcher prise, restée couchée, ne plus jamais se relever. Car quel sens y avait-il à se relever et à lutter dans un monde [...] où les adolescents devaient s'assommer à coups de drogues pour supporter tout ça, un monde où elle ne pouvait sauver personne ni même sa propre peau ?
Charlie revit le corps menu d' Anabelle quand on l'avait tiré des eaux noires du fleuve: elle vit le petit ami de Betty, Mattias s'enfoncer 20 ans plus tot dans la meme noirceur sans fond, elle vit deux filles tenant entre elles un petit garçon en larmes, bien plus loin dans le temps, longtemps avant sa naissance.
Et malgre tous mes efforts, dit le docteur Molan, Je ne peux faire surgir les événements réels de l oubli. Je ne peux pas remplir les blancs. C'est un processus complexe qui ne se laisse pas maitriser par la volonté. Alors, au lieu de me torturer en essayant de mieux me souvenir, d'après lui, je devrais penser à autre chose. Je devrais juste tout oublier.
Je voudrais dire au docteur Molan que l'oubli est un processus complexe, qui ne se laisse pas maitriser par la volonté.
Elle jeta un coup d’œil aux habitués. Leurs avant-bras étaient salement égratignés.
- C’est l’usine de contreplaqué. La plupart des gens d’ici y travaillent. - Sans protections ?
- Si. Mais il y fait une chaleur d’enfer en été. Ils se blessent en réceptionnant les planches.
- Je croyais qu’il y avait des machines pour ça.
- Sûrement. Mais elles sont peut-être plus chères que les bras humains.
Anders regarda de nouveau vers le comptoir.
- Jamais je ne... Je veux dire, se taillader les bras comme ça en travaillant à l’usine...
- Tout le monde n’a pas les mêmes possibilités.
- Peut-être. Mais on a toujours le choix.
- Ça, c’est ce que disent les gens qui ont eu de la chance au départ.
- Mais quand même, on peut toujours...
- Non, le coupa Charlie. Ça, c’est vraiment des conneries. (p. 102)
- C’est ennuyeux, non ? La plupart des gens que je connais croient au destin sous une forme ou sous une autre.
- C’est parce qu’ils n’arrivent pas à dissocier destin et hasard. Et qu’ils nourrissent en plus un tas d’illusions.
- La plupart des gens veulent que ce qui leur arrive ait un sens, je suppose.
- Oui. C’est bien pour ça qu’ils croient au destin. (p. 28)
- Ah ? C'est un peu désolant, je trouve, de ne pas aimer l'été...
- Qu'est-ce que ça a de désolant ? L'été n'est pas la seule saison, si ? Alors c'est encore plus désolant de ne vivre que pour celle-là. Et si l'on doit être affligé dès qu'il n'y a pas de soleil, combien reste-t-il de jours où l'on peut encore se réjouir, si tant est que ce soit l'objectif ?
Charlie ne put s'empêcher de sourire avant de dire le fond de sa pensée : le physique et le psychique, ça n'avait rien à voir. Échanger quelques fluides corporels, ce n'était pas la même chose que s'ouvrir à quelqu'un.
Elle trouvait cela affreux, que certains hommes soient incapables de pleurer, même dans un cas comme celui-là, incapables de s'autoriser à lâcher le contrôle. Puis elle pensa à la femme psychiquement désintégrée qui se cachait de l'autre côté de la porte. Il fallait bien que l'un des deux tienne le coup.
Pourquoi lis-tu autant ma chérie?
Charlie répondait qu'elle lisait parce que ça lui plaisait. Point barre. Elle ne s'aventurait jamais à décrire la sensation que lui donnait la lecture, celle de pénétrer d'autres mondes, de se dépouiller de sa réalité, de devenir quelqu'un d'autre, ailleurs.
P155
Un Suédois, un Français et un Russe, en mission d'exploration dans la jungle, se font capturer par des cannibales qui les plongent dans une marmite d'eau bouillante. Le Suédois se met à rire.
Qu'est ce qu'il y a ? Demande le Russe. On se fait cuire vivants, et toi, tu rigoles ?
Oui, dit le Suédois, parce que j'ai pissé dans la soupe.
L'un d'eux lui avait même dit ouvertement que le seul contexte où il acceptait d'avoir une femme au-dessus de lui, c'était au lit.
Johan, lui, observait la salle. Il dit que Gullspang était vraiment un endroit particulier. Il n'avait rien vu de tel.
-Regarde autour de toi. Ils sont tous tellement ... Je ne sais pas mais... Comment dire ? Différents.. Directs...
-C'est l’alcool.
John se déclara d'accord. Il n'avait jamais vu autant de gens boire autant.
Le problème, pensa Charlie, c’est que les sentiments sont bien plus forts que ceux que l’on croit. Ils peuvent détruire un être humain de fond en comble. Ils peuvent entraîner les gens dans l’abime de façon irréversible.
- Et alors ? Pourquoi cette pause qui n'est pas une fin ? demanda Greger.
-C'est le Semicolon Project.
- Je suis censé connaître?
- Euh, non. Je crois que ce sont surtout les jeunes qui suivent ce truc-là. L'idée, c'est une phrase qui pourrait s'arrêter. Point final. Au lieu de ça, tu choisis d'écrire un point-virgule et de continuer. La phrase, c'est ta vie. L'auteur, c'est toi. Ça peut paraître simpliste, ajouta-t-elle, consciente de l'aspect précaire de la comparaison.
- J’habitais une petite maison isolée. En réalité, c’était la campagne.
Elle se tut un instant avant de continuer.
- Il y avait des cerisiers. Une cabane à outils. Un lac scintillant.
Jack sourit et dit que ça ressemblait à un livre d’Astrid Lindgren.
- Lyckebo, dit Charlie.
- Quoi?
- Elle s’appelait ainsi. La maison où j’habitais. Lyckebo.
- Quel joli nom. Le nid, la chance, le bonheur… C’était comme ça, alors?
- Oui, dit Charlie. Vraiment.
Elle avait lu quelque part qu’il n’était jamais trop tard pour s’inventer une enfance heureuse. Peut-être était-ce cela qu’il fallait faire. Exagérer ce qui était beau et supprimer ce qui était laid. Mentir et embellir jusqu’à y croire soi même.
Ici, on croit tout savoir sur tout le monde, et puis on découvre qu’on ignore l’essentiel, y compris au sein de sa propre famille.