La littérature n'est pas faite pour les acquittés, elle n'est pas faite pour les élus. Elle est dans le camp des victimes et des sacrifiés, dans le camp des condamnés qui essayent comme moi, de trouver leur salut et qui se cassent les dents.
Lire, écrire, quand on ne se borne pas à réclamer un baume lénitif, c'est accepter de se désabriter, c'est s'exposer à une fission. C'est renoncer au rêve de cohésion et obtenir en contrepartie une révélation. La puissance du verbe réside dans sa défaillance même : il est traître, il s'ingénie à ruiner les espérances.
Quand j'appris la nouvelle, non seulement du suicide mais de la visite de mon frère, à qui avait été concédé le privilège de lui parler avant sa mort, je me mis à haïr Sola. Elle était partie sans une explication, comme si je ne valais pas la peine d'une lettre. Il nefallait pas attendre d'elle un Pardonnez-moi. Elle était trop convaincue de la légitimité du moindre de ses actes. Mais elle aurait pu me dire au revoir, m'assurer qu'elle m'avait aimé, même en ajoutant qu'elle aimait aussi Thomas, de façon différente, avec moins d'ambivalence. Elle s'en était abstenue. Elle avait tiré sa révérence en ma claquant la porte au nez, et moi, glacé d'effroi, j'avais pour tout legs ce silence assourdissant. La tragédie était consommée.
En voyant apparaître "Bébé vautour", j'avais espéré que le souvenir du crime exciterait mes sens, j'avais souhaité que les retrouvailles avec cette jeune complice qui avait, elle aussi, mangé du malheur, me redonnerait l'envie de caresser une peau humaine,"