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Citations de Lionel Naccache (29)


En conclusion de cette analyse de l’intersubjectivité, j’aimerais faire usage de la triple analogie que nous avons établie entre connaissance et sexualité afin d’étendre le concept de pornographie au-delà du champ exclusif du sexuel. Une méta-pornographie que l’on pourrait définir comme l’ensemble des tentatives de faire abstraction d’un autrui pourtant bien réel, lorsque nous vivons en sa présence une expérience de connaissance ou de sexualité. A la prostituée répondrait par exemple le professeur qui délivre son cours magistral de manière automatique et inhabité, tout en simulant de manière plus ou moins convaincante son engagement dans cette relation pédagogique. Au client d’une prostituee se substituerait l’étudiant qui ne vise que l’acquisition avide et égoïste d’informations, sans prêter la moindre attention à la présence subjective de son interlocuteur. Aux images pornographiques répondraient tous les écrits, textes, vidéos, contenus… qui vident le rapport a l’information de ses vecteurs humains et de tout ce que ces informations délivrées doivent à l’intersubjectivité.
Comme par exemple, les mauvais manuels scientifiques qui livrent des informations brutes, sèches et indigestes sans prendre le temps de les introduire par un questionnement et des réflexions dont la présence aménage aussitôt une place pour la subjectivité du lecteur et pour celle de l’auteur.
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(p. 46)

Nous sommes les interprètes du réel et non ses prote-voix, tant le patient souffrant du délire des sosies que chacun d'entre nous dans l'appréhension conscient de ce qui nous arrive.
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(p. 59-60)

Au niveau du microcosme qui est le cerveau humain, les crises d'épilepsie se caractérisent par deux grandes catégories de symptômes que l'on qualifie respectivement de négatifs et de positifs. Les signes négatifs sont de loin les plus délétères pour le patient,, et correspondent à tous les déficits neurologiques qui peuvent être provoqués : suspension du langage, cécité partielle, désorientation dans le temps de dans l'espace, amnésie, altérations motrices et sensorielles diverses, etc. Le plus important d'entre tous ces symptômes négatifs, et celui qui retiendra ici notre attention du fait de sa gravité et de son omniprésence dès lors que la crise d'épilepsie s'étend à de nombreuses régions cérébrales, n'est autre que la perte de conscience. Ainsi, en vertu de notre raisonnement analogique, serions-nous conduits à imaginer que le "voyage immobile" macrocosmique traduirait une perte de conscience épileptique des sociétés humaines contemporaines hyperconnectées et mondialisées ?
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(p. 40)

Lors d'une crise d'épilepsie, la conversation entre régions cérébrales bascule brutalement d'un mode riche, différencié et intégré à un mode pauvre, indifférencié et hyperintégré : tous les neurones concernés par la crise d'épilepsie en question expriment à l'unisson (hyperintégration) un discours identique (indifférencié) et indigent (faible complexité). C'est une discipline scientifique en soi - qui fait notamment appel à la théorie des graphes, à la physique statistique des systèmes complexes et à la neurophysiologie des réseaux de neurones - que de quantifier et d'expliquer cette bascule du fonctionnement neuronal : pourquoi un excès de communication entre neurones conduit-il à une perte de leurs singularités et à un appauvrissement de leur discours ?
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Lionel Naccache
Chaque élément de notre film subjectif nous apparaît immédiatement comme faisant sens à nos propres yeux affublé d’une évidente signification.
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Lionel Naccache
Je est une fiction, et apprendre à vivre avec lui, avec soi, est selon moi l’enjeu fondamental de la culture, voire de toute existence humaine.
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Nous sentir subjectivement l’agent causal de nos gestes, de nos actions et de nos pensées est une condition essentielle de la conscience de soi.
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(95%)

Un psychanalyste qui croit au complexe d’Œdipe comme il croit à l’existence de l’oxygène est à mes yeux aussi affligeant et inutile qu’un professeur de littérature qui croit aux interprétations des textes qu’il enseigne à ses élèves de la même manière qu’il croit à la réalité de la salle de classe dans laquelle il se trouve.
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(47%)

La psychanalyse ne se résume pas à Freud, et j’ignore presque tout des autres courants analytiques qui se revendiquent par une filiation plus ou moins directe, ou par une antifiliation de même valeur absolue, de la pensée de Freud. Je dois toutefois reconnaître que sa pensée m’intéresse au plus haut point, du fait de l’itinéraire intellectuel qui a été le sien : il constitue une énigme pour tout neurologue. Comment comprendre l’évolution de la pensée de cet indiscutable génie des neurosciences qui l’a conduit depuis l’étude minutieuse du ganglion stomatogastrique du homard à celle des fantasmes infantiles des hystériques puis à de nombreuses formulations théoriques toujours argumentées par de riches interprétations cliniques ?

Pour tout neurologue travaillant quotidiennement à la Salpêtrière où Freud a visité Charcot, un sphinx est posé au cœur de l’hôpital qui chaque matin vous renvoie ces questions : pourquoi a-t-il choisi cette voie ? Qu’a-t-il pu comprendre d’essentiel qui permette d’établir un lien direct entre ses premières motivations, son cadre conceptuel qui, sous bien des aspects, reste proche du nôtre, et ses premières théories de la « psychologie des profondeurs » ? Bref, comment en est-il arrivé là ?

Il arrive qu’on se pose ce type de questions pour des « génies à problèmes ». Un génie à problèmes, c’est par exemple le joueur d’échecs Bobby Fischer ou le mathématicien Alexandre Grothendieck. Un être qui produit une œuvre ou une pensée exceptionnelle, puis qui semble entrer en rupture totale avec ce qu’il a été, rupture qui prend souvent la forme d’un processus existentiel complexe nuancé de mysticisme, de parapsychologie ou d’une pathologie psychiatrique délirante.

Le problème avec Freud, c’est qu’il n’appartenait pas à cette catégorie. Freud était un homme posé et équilibré, un homme continûment préoccupé par les mêmes questions qui transparaissent tout au long de sa vie et de son œuvre, avec d’ailleurs un souci constant de noter chacune de ses contributions afin de pouvoir en attester la paternité de manière indiscutable. Si Freud a évolué vers ce qui est couramment décrit comme une rupture entre les neurosciences et la psychanalyse, cette rupture ne remplit pas chez lui une fonction existentielle qui en relativiserait la signification. Cette rupture semble être le fruit d’un parcours intellectuel cohérent, ce qui nous encourage à en rechercher l’origine conceptuelle. Cette rupture s’est effectuée dans le calme et la continuité de sa réflexion, sans processus psychiatrique ni crise mystique manifeste. Sa pensée s’est en effet lentement clivée à partir de ses propres observations minutieuses et réfléchies. Ce processus continu l’a conduit à rompre avec la neurologie, ainsi qu’avec la forme traditionnelle du discours scientifique. Freud a changé de point de vue une fois pour toutes. Il partait pourtant de notre éducation de neurologue et était guidé par la même question, celle de la clé du psychisme humain. Pourquoi a-t-il choisi cette voie ?
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(55%)

Ce principe a été souligné dès 1926 par Graham Wallas qui est l’auteur d’un ouvrage novateur sur la découverte scientifique intitulé The Art of Thought (Wallas, 1926). Utilisant des manuscrits autobiographiques du grand mathématicien français Henri Poincaré, probablement l’un des esprits les plus féconds de la première moitié du XXe siècle, Wallas a proposé un modèle descriptif de la découverte scientifique. Jacques Hadamard, qui fut un autre éminent mathématicien français, a lui aussi décrit le cours de ce processus en des termes assez proches dans son livre Essai sur la psychologie de l’invention dans le domaine mathématique (Hadamard, 1945 ; Hadamard, 1975). Ce que nous enseignent Wallas et Hadamard à propos du processus mental qui conduit à la découverte mathématique géniale, c’est qu’il obéit à un enchaînement précis de quatre périodes de travail intellectuel. La première de ces périodes, qualifiée de « période de préparation », est le socle fondateur de la découverte. Elle consiste à penser consciemment durant de longues heures à la nature du problème qui est posé, à en expliciter l’ensemble des termes de manière extrêmement approfondie en faisant appel à l’ensemble des connaissances déjà connues. Cette période peut être très longue et génère une intense sensation d’effort mental. Bref, la période de préparation correspond à la mise en place consciente du problème et à la formulation des pistes à explorer afin de guider la découverte à venir éventuelle.

À cette première étape du processus succède la période d’incubation, durant laquelle le mathématicien « abandonne » sa pensée consciente à d’autres préoccupations, et laisse pendant plusieurs jours son esprit vagabonder à d’autres choses qu’à la solution de son problème. Ce qui semble donc pertinent durant cette seconde phase de la découverte, c’est l’activité mentale inconsciente telle que nous l’avons déjà décrite : multiple, riche, évanescente, sensible aux influences conscientes. C’est précisément lors de cette période qu’une idée absolument nouvelle va être générée inconsciemment. Aussitôt créée, cette idée va accéder à la conscience du chercheur pour constituer la plus brutale et la plus courte des quatre phases, celle de l’« illumination ». Cette période de l’illumination correspond donc à la prise de conscience du fruit de la période d’incubation. Consciemment représentée dans l’esprit du mathématicien, cette pépite brute et jusqu’alors inconnue va faire l’objet d’un long travail conscient de vérification, d’affinage, à travers la quatrième et dernière période qui est celle de la « finition ». Cette description en quatre périodes semble fidèle au cheminement mental qui a conduit à de multiples découvertes mathématiques.

Elle nous permet de comprendre l’origine du raccourci qui sous-tend cette conception populaire selon laquelle les grands processus artistiques ainsi que les découvertes scientifiques majeures reposeraient sur l’activité de notre « inconscient ». Comme tout raccourci qui se respecte, celui-ci n’est pas totalement inexact, mais il pèche par omission. L’idée géniale est bien le fruit de notre activité mentale inconsciente. Mais cette activité mentale inconsciente serait impuissante à produire cette idée en l’absence des trois autres périodes de travail conscient, et notamment en l’absence de la période de préparation qui la précède. D’où les déboires de notre charcutier bordelais !
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(p.99)

Cette coexistence de nos cinémas intérieurs respectifs est également une voie de tolérance : prendre conscience de la manière dont nous nous percevons et dont nous percevons le monde conduit à comprendre plus facilement que les autres le perçoivent autrement que nous, et se perçoivent autrement que nous les percevons. Nécessairement autrement. Coexister autrement que par l’exercice de la violence, de la duperie ou de la manipulation exige de prendre acte de cette indépassable différence de perception.

Enfin, se familiariser avec le cinéma intérieur devrait aider un certain nombre de nos contemporains à ne plus se conduire comme des gougnafiers. Chacun d’entre nous est, avons-nous posé, le personnage principal de son propre film, mais, pour si précieux que ce film subjectif puisse être, il ne doit pas conduire à oublier que chacun de nos semblables est à son tour le premier rôle de son propre film. Lui, et non pas moi ! Le héros que chacun de nous est dans son propre film peut emprunter à une multitude de registres : héros magnifié et célébré versus antihéros ou héros autodéprécié, héros automéprisé ou ignoré de soi, voire héros qui considère comme un héros la représentation qu’il se fait d’un autre que lui… mais, chaque fois, il s’agit bien du personnage principal du film en question. Chacun est le héros de son cinéma intérieur, et nous ne sommes jamais le héros du film de nos congénères. L’oubli, l’ignorance ou la non-prise en compte agressive et méprisante de ce principe portent plusieurs noms : stupidité, bêtise, égoïsme, arrogance, méchanceté, logique de surhomme et de sous-homme ou d’Untermensch…

Sans même exclure qu’une certaine ontologie du mal puisse en être dérivée.
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(p.91)

Le cinéma intérieur étendu à la mémoire subjective procède bien entendu de mécanismes visuels, mais il ne s’y limite pas. Nos souvenirs sont construits sur plusieurs niveaux de représentation dont certains sont évidemment sensoriels (images, sons, odeurs, goûts), mais dont d’autres relèvent de niveaux plus abstraits (sémantique, catégorisation, analogies formelles ou conceptuelles, valence émotionnelle et affects). À chacun de ces niveaux, la présence des effets de notre cinéma intérieur se fait sentir avec plus ou moins d’intensité et d’évidence. Un peu d’ailleurs comme au cinéma : nous nous souvenons avec force et émotion de quelques scènes d’œuvres cinématographiques qui nous ont particulièrement marqués, tandis que des monceaux de films que nous avons vus n’ont laissé que peu de traces en nous. De la même manière, alors que d’innombrables scènes que nous avons vécues ont sombré dans l’oubli le plus complet, de rares moments de nos existences – les chefs-d’œuvre de notre cinéma intérieur ? – ont imprimé durablement leurs traces dans la mémoire de notre propre vie.
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(p.86)

J’ai consacré un essai intitulé Le Chant du signe à cette psychopathologie de nos interprétations quotidiennes. Je n’en livrerai ici qu’un seul exemple, raconté par Nancy Huston dans L’Espèce fabulatrice, lorsque, ouvrant la porte d’un ascenseur, elle y découvre une femme accroupie qu’elle commence par interpréter comme étant une enfant, puis une femme en train de déféquer ou de sortir d’un trou, avant de converger sur l’interprétation correcte : cette femme accroupie fouille dans son sac à main, certainement à la recherche de son trousseau de clés. L’ensemble de cette séquence mentale dure moins de deux secondes. Cette microscène de son cinéma intérieur illustre le jaillissement d’une première interprétation qui va s’avérer erronée (une enfant), et qui n’est rien d’autre que le fruit de la mécanique interprétative inconsciente, irrépressible et immédiate que nous évoquions plus haut. Ce n’est qu’une fois consciente de cette interprétation que Nancy Huston peut rapidement prendre en compte d’autres informations qui n’ont pas été intégrées à la première analyse inconsciente de la scène. Ces informations supplémentaires, telles que les traits précis d’un visage de femme adulte ou son aspect vestimentaire détaillé incompatible avec celui d’une enfant, la conduisent ainsi à récuser cet élément du scénario de son film intérieur, et à exiger dans l’instant une version corrigée plus satisfaisante. Une seconde interprétation surgit alors sur son écran subjectif (une femme accroupie qui défèque), pour être à son tour discréditée – toujours consciemment – par l’auteure qui mobilise très probablement cette fois en quelques dixièmes de seconde d’autres connaissances sémantiques et sociales qui n’ont pas été prises en considération par l’équipe de scénaristes inconscients fulgurants dont le périmètre de connaissances est fort limité : la plausibilité de découvrir une femme adulte, éduquée et apparemment bien portante en train de déféquer durant le court trajet d’une descente d’ascenseur d’un immeuble de quatre étages semble infime, sinon impossible. Une troisième et dernière tentative, enfin, est couronnée de succès (une femme accroupie qui fouille dans son sac) et emporte la conviction de Nancy Huston qui repart avec cette interprétation subjective de la scène vécue, et qui ne cherche plus à la comprendre différemment.
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La réponse tient en une phrase qui constitue le cœur de ce que nous avons qualifié de grande illusion de notre cinéma intérieur : à chaque instant, nous inventons, à notre insu, de quoi est constitué l’ensemble de ce qui est face à nous sur la base de ce dont nous avons effectivement pris conscience et sur celle de nos connaissances. Nous inventons ce dont nous n’avons pas conscience, nous en prenons conscience et croyons ainsi tout voir.
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Un souvenir est un mélange de passé et de futur, coloré par le présent.
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Il existe probablement des secteurs anatomiques qui ne participent jamais à notre contenu conscient, mais le résultat fondamental tient au fait qu’il n’existe aucune région cérébrale dont l'activité serait exclusivement et nécessairement réservée aux pensées conscientes.
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Etre totalement libre des contraintes inhérentes à notre système de récompense est illusoire. Par contre, PRENDRE CONSCIENCE de sa présence nous autorise à limiter son emprise, et à viser la seule forme de liberté qui est à notre portée. Et qui sait si, à cette idée, vous n'êtes pas déjà en train de devenir un peu plus libre ?
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Plutôt que de lancer un "Dis donc, tu dissones à plein tube, toi !" qui ne serait pas forcément très apprécié, rappelez vous qu'on ne dissone pas pour des prunes ; il en va du maintien de notre cohérence subjective, mais aussi de l'exploration d'une gamme de possibles qui ne s'offrent qu'en prenant le risque de faire quelques fausses notes.
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Ce cortex-écorce superficiel qui s'offre à notre premier regard, cette sorte de papier crépon tout chiffonné, ce papier cadeau tout fripé que nous sommes pressés de déplier afin de chercher le trésor qu'il renferme, cet emballage grisâtre, c'est lui le véritable trésor !
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Dans sa main, le marchand tient l'extrémité de dizaines de fils dont l'autre extrémité est reliée aux précieux ballons. Si les ballons sont les neurones de votre cortex, le vendeur de ballons n'est autre que vos ganglions de la base, et les fils sont les axones de tous ces neurones. Si le vendeur ouvre sa main, les ballons s'envolent, et ne sont plus reliés entre eux. Sans ganglions de la base, les neurones de votre cortex ne sont plus capables de communiquer entre eux de manière normale. S'ensuivent des troubles variés : motricité, fonctions cognitives, éveil sont altérés.
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