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Critiques de Lou Andreas-Salomé (23)
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Correspondance : Friedrich Nietzsche / Paul..

Paul Rée et Lou von Salomé ont joué un rôle important dans la vie et l’oeuvre de F. Nietzsche, même si les relations passionnelles avec Lou auront été au final plutôt brèves, avant la rupture. Ce volume, au nom un peu trompeur, rassemble un certain nombre de documents intimes liés à l’histoire de ces trois personnes, des lettres certes, mais pas uniquement écrites par le trio (nous avons des missives de la sœur de Nietzsche, des parents des deux autres protagonistes, des amis et relations), également des extraits de journal que Lou écrivait pour Paul Rée, un cahier d’aphorismes qu’elle a rédigé, des brouillons de lettres… Les différents textes débutent en 1875, lorsque Paul Rée entre en relation avec Nietzsche, et s’achèvent en 1885, par des textes dans lesquels Nietzsche fait en quelque sorte le bilan des choses, en relativisant les événements, alors qu’une distance suffisante s’est enfin instaurée pour permettre une évaluation plus objective.



Il vaut sans doute mieux connaître un peu la biographie de Nietzsche pour entrer dans le livre, sans cela on risque d’être perdu dans les nombreux personnages, les allusions aux livres et aux éléments de vie des protagonistes, qui ne sont pas toujours explicites, même si des notes nombreuses et fournies sont là pour aider le lecteur. Il ne faut pas non plus s’attendre à un exposé de la philosophie de Nietzsche, à des échanges d’idées éblouissants, à une œuvre qui se construirait sous nos yeux : des problèmes de santé du trio, et spécialement de Nietzsche, rendent l’écriture de longues missives délicat, et les échanges sont davantage centrés sur le quotidien, sur le factuel, plus que sur des débats d’idées ou d’exposés de points de vue philosophiques.



Le livre commence donc en 1875, par la rencontre et la forte amitié qui se noue entre Nietzsche et Paul Rée. Ce dernier, issu d’une famille aisée, se tourne vers la philosophie après des études de droit, et rencontre Nietzsche à qui il voue d’emblée une grande admiration. La relation va s’intensifier lors du fameux voyage à Sorrente, pendant lequel un petit groupe, composé en plus de Nietzsche et Rée, de Malwida von Meysenburg et d’Albert Brenner, va passer quelques temps ensemble, travaillant, lisant, sans oublier les promenades et visites, en particulier aux Wagner, installés dans les environs. L’idée d’un cloître pour « esprits libres » est avancée, censé stimuler et favoriser l’épanouissement de chacun grâce au groupe. Cette idée va resurgir lorsque Rée et plus tard Nietzsche vont rencontrer Lou von Salomé, une jeune Russe, venue en Italie pour des raisons de santé. Rée et Malwida von Meysenburg vont la rencontrer d’abord : Rée sera tellement sous le charme qu’il lui demandera de l’épouser. Lou déclinera, et fera la connaissance de Nietzsche (qui lui aussi lui proposera le mariage) : l’idée d’une vie à trois, dans une communauté qui permettrait à chacun de donner le meilleur de lui-même va faire son apparition. Le projet n’aboutira pas ; après quelques mois d’intenses exaltations, Nietzsche va couper les ponts avec les deux autres membres du trio et replonger dans la solitude et les vagabondages. Le projet de cette vie commune heurtait toutes les convenances de l’époque (il fallait à chaque fois un chaperon lorsque lorsque Lou devait retrouver l’un des deux hommes ou d’ailleurs les deux) et la sœur de Nietzsche n’a rien épargné pour jeter le discrédit sur Lou, et aussi sur Rée dans l’esprit de son frère. La jalousie entre les deux hommes a également presque inévitablement surgie, créant une distance et une suspicion par moments.



Tous les soubresauts de cette aventure apparaissent dans ces lettres et autres textes, l’enchantement des débuts, et les désillusions d’un quotidien forcément décevant, l’impossibilité pour Nietzsche d’arriver à sortir de sa solitude. Les prémices de la folie dans laquelle il va basculer plus tard, les relations familiales pathologiques, en particulier avec sa sœur, dont les lettres, véritables logorrhées remplies de haine et de mesquineries, sont à faire frémir. Après s’être laissé emporté, et avoir condamné sans appel Lou et Rée, il écrira à sa sœur en 1884 :



« Une chose est certaine : parmi toutes les rencontres que j’ai faites, celle avec Mademoiselle Salomé est pour moi la plus précieuse et la plus fructueuse. C’est seulement depuis ces relations que suis mûr pour mon Zarathoustra. C’est à cause de toi que j’ai dû abréger ces relations. Pardonne-moi si cela me touche plus que tu n’es capable de le comprendre.»



Dans un brouillon de lettre il va encore plus loin :



« Depuis des années je me suis défendu contre Lisbeth comme un animal affolé, et elle n’arrête pas de me torturer et de me poursuivre.

Des personnes telles que ma sœur ne peuvent manquer d’être des adversaires irréconciliables de ma façon de penser et de ma philosophie. Voilà qui est dans la nature éternelle des choses ».



La cruelle ironie de l’histoire est que c’est cette sœur, Elisabeth qui va administrer l’oeuvre de Nietzsche après son basculement dans la folie.
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Ma vie

Ce qui étonne, peut être, c'est la construction même de cette biographie. Tout n'est pas dit, pas écrit, beaucoup fut retiré, soustrait ou détruit, et sans aucun doute pensé, analysé, compris, mais l'urgence du travail qu'elle a accompli sur et dans sa vie et celles de beaucoup qu'elle a pu rencontrer et aimer, n'a pas permis que cela nous soit transmis.

Construction d'un essai plus que d'un récit .

C'est par expériences que Lou Andréas Salomé écrit. Par expériences et non d'expérience.

Expérience de Dieu, expérience de l'amour, expérience de l'amitié, expérience de la famille et du couple, expérience de la Russie. expérience de la recherche, et comme on le comprend , expérience avec le poète Rilke, et avec Freud.

Son mode de vie, ses choix, ses passions , ses refus, sa volonté, firent scandale.

Son appétit d'apprendre, de découvrir étaient à la mesure de son intelligence.

Elle embrassait la philosophie, la poésie, la littérature, la psychanalyse avec l'âme d'une chercheuse. Rien ne la choquait. Elle cherchait à comprendre, comprendre le monde, comprendre l'être, comprendre l'Autre, comprendre soi.

Le regard qu'elle portait sur son appartenance au monde est encore aujourd'hui novateur.

Elle ne parlait pas à Dieu car elle considérait le monde comme une entité globale.

Elle mettait le respect en toute chose en première ligne.

Respect pour le vivant, respect pour tout ce qui est, sain ou souffrant, elle ne rejetait rien.

Comme tout se trouve en tout et en chacun, c'est avec aucune crainte, aucun préjugé, aucune barrière morale qu'elle a pu correspondre dans une communauté d'esprit avec des êtres tels que Nietzsche, Rilke, Freund .

Aucune demi mesure, pas d'arrangement, aucun modèle. Aucun conseil. Très tôt, dès son plus jeune âge, la vie, la totalité de la vie l'appelle et elle n'aura de cesse que de se pencher sur chacun de ses mystères.

«  de quelles étoiles sommes-nous tombés pour nous rencontrer ?  » lui demanda dès leur première rencontre Nietzsche. La notion du sur-humain est déjà en gestation.

Oui elle était exceptionnelle, exceptionnelle dans sa clairvoyance, son analyse, et la bonté qui portait ses pas et son regard vers l'autre.

« nous prenons conscience de ce qui nous fait entrer dans la fraternité universelle. Ce qui nous inhibe - et qui nous inhibera de plus en plus au fur et à mesure que nous civilisation deviendra plus consciente – c'est le plus insensé des « préjugés de classe » qui nous fait préférer bâtir des châteaux en Espagne pour faire notre salut, plutôt que partager l'univers originel de toute chose : sur ce point extrêmement délicat , devenu fragile et hypersensible à cause de notre prétention, même une réflexion poussée fort loin ne peu changer ; seule une révolution au niveau de la pensée le peut : connaître, ce sera reconnaître ».

Voilà la portée de toute sa pensée. Voilà ce qui aura porté toute sa vie. Ce qu'elle découvrait au fur et à mesure de ses expériences de vie, était la clé d'un mystère qu'il nous reste encore à découvrir.

On l'a dit sulfureuse, certains l'ont dit même dangereuse. Et en lisant ses écrits c'est un amour fou, une déclaration de vie, un élan, une joie, un geste de vie réfléchie, pesée, passionnée, et une vision qu'elle n'a jamais cessé d'exercer sur toute chose et sur tous les êtres qui surgit sous nos yeux.

Rien n'est à rejeter, tout reste à comprendre. Voilà sa feuille de route.

Comprendre le monde c'est se comprendre, c'est se mettre en capacité d'aimer. Accepter les failles, les reliefs, les fleuves, comprendre la vérité des tempêtes c'est entendre la beauté qu'elles feront naître.

Non elle n'avait pas besoin d'un Dieu au dessus des hommes, sa spiritualité lui était propre, elle en faisait l'expérience chaque jour, le monde était affaire du monde et pour y prendre part, il fallait en faire les expériences sans rien rejeter.

Porter le monde en soi, vivre l'autre en soi, et se voir vivre en l'autre.

Étonnante Lou Andréas Salomé, mais sans jamais avoir été déroutante, ni pour elle même, ni surtout, pour ceux pour lesquels elle sut prendre joie à leur rencontre.

Ma vie, esquisse de quelques souvenirs, fut éditée en 1957, à titre posthume par Ernst Pfeiffer, à qui elle avait confié le soin de ses mémoires.

Qu'il soit ici infiniment remercié pour les respect de cette parole donnée.



Astrid Shriqui Garain





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Correspondance : Rainer Maria Rilke / Lou A..

Mon Dieu que cette correspondance m'a parfois ennuyée ! J'ai cru ne jamais en venir à bout. Elle fourmille pourtant d'informations sur la genèse de l'oeuvre de Rilke, sur son mode de vie et sur le monde intellectuel au début du vingtième siècle. On peut aussi rendre hommage aux liens de l'amitié qui l'ont uni pour la vie à Lou Andreas Salomé après la fin de leur relation amoureuse.



Celle-ci semble l'avoir porté à bout de bras : que de plaintes, de lamentations, de vraies (ou fausses) dévalorisation de soi de la part du grand poète : pas de jour sans une douleur ici ou là sur laquelle il ne s'étende longuement (alors que Lou est alitée pour des problèmes cardiaques) : prémices de la leucémie qui finira par l'emporter ? On peut le penser ; d'éternelles demandes de recommandations, d'avis sur l'opportunité d'un déménagement ou d'une nouvelle habitation, située en un lieu, propice ou non à la santé ou à l'inspiration ; de longues considérations sur l'opportunité de suivre tel ou tel cours ; de plaintes sur la luxuriance tape-à-l'oeil des floraisons en Italie, du sirocco, de la lumière trop violente, de la chaleur, du bruit, de la promiscuité. Car le grand homme se présente comme un loup solitaire mais aime être entouré de gens capables d'apprécier son travail, de le rassurer sur sa valeur, de respecter son besoin d'isolement.



Rilke a aussi des qualités : ami généreux, il envoie à Lou les livres qu'il a aimés, recherche ceux qu'elle lui demande, lui adresse la primeur des ses oeuvres, lit les siennes en priorité, lui dédicace des poèmes, la tient informée de ses rencontres avec les grands hommes (Rodin, Kassner) ; ne se plaint pas des contretemps qu'elle lui inflige, des rendez-vous manqués à l'autre bout d'un pays.



Les correspondances sont un atout précieux pour qui souhaite approfondir une oeuvre ; mais sans doute pas pour qui l'aborde en néophyte ; tout comme pénétrer dans les coulisses ou assister aux répétitions d'un danseur, à ses découragements, à ses luxations pourrait diminuer la magie de la scène pour le spectateur tout neuf.

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Jutta

Freud disait que « « Les poètes et les romanciers sont de précieux alliés [...]. Ils sont, dans la connaissance de l'âme, nos maîtres à tous, hommes vulgaires, car ils s'abreuvent à des sources que nous n'avons pas encore rendues accessibles à la science. ».

Découverte de la « romancière ». de ce roman particulier. Particulièrement introspectif, particulièrement moderne. Roman qui n'en est pas un en fait, puisqu'il s'agit d'un récit.

C'est à travers le regard, les mots, et les sens de Jutta que nous découvrons un peu plus l'intime de Lou Andreas Salomé. La construction du cercle familial et particulièrement la constitution de la fratrie, la place que chacune et chacun développe, subit ou annihile au sein de ce nid.

Jeunesse, adolescence, jeune adulte , Jutta ouvre les yeux, se découvre, s'interroge, s'affronte, s'allège , ouvre son âme à la vie.

Sur ce mystère de Vie que l'auteur n'aura eu de cesse d'embrasser, de cerner, d'approfondir.

«  Si ta tête fourmille d'idées et que ton coeur frémit,

Que veux tu de plus ?

Qui ne connaît plus les égarements de l'amour

est un mort vivant. » Goethe, le meilleur de la vie, extrait.

Rapport familiaux, rapport amoureux, recherche de son identité. Identité sexuelle illustrée aussi bien dans le rapport gémellaire avec l'un de ses frères., qu'avec la complicité et dualité établie avec Stephan le frère aîné, mort de n'avoir pu vivre sa propre identité. Rapport féminin/ masculin qui cohabite, s'entremêle, complète ou distancie, aussi bien en chaque être que dans un couple ou un groupe. Rapport à la maternité, à l'amour maternelle, rapport au désir, à la séduction. Les rapports de place sont dans ce récit largement visités, jusque dans la « territorialité » de chacun au sein de la demeure familiale.

La quête de connaissance est liée à la quête de reconnaissance. Savoir c'est reconnaître écrivait Lou Andréas Salomé. Savoir c'est s'aventurer prendre le risque. Dépasser l'attribut d'identité pour entrer dans un processus identitaire. Apprendre de l'autre pour se reconnaître soi même. Voilà ce qui a toujours motivé son besoin incessant de liberté. Là où certains parleront d'instabilité, ils auront oublié trop vite que la démarche de Lou Andreas Salomé s'est inscrite dans le mouvement.

Pas dévolution sans mouvement. Tout ce qui est vivant est de par nature mouvant. Il est bien reconnu que les éléments les plus instables sont « fabriqués » en laboratoire...donc dans un enfermement.

Mais ce qui fut le plus été reproché , peut être à Lou Andreas Salomé, c'est une notion de narcissisme. Qui selon moi n'est pas le bon terme. Elle cherchait, regardait en l'Autre comme elle l'aurait fait en elle même. Comme dans un miroir. Lucidité et non froideur. Écho et non reflet. Considérant que tout soi se trouve en l'Autre, elle retrouve toujours l'équilibre dans son affect dans le recherche de sa compréhension de l'affect de l'Autre. Si elle est en capacité de souffrir ou d'aimer, elle reconnaît à l'Autre cette même faculté et par la même les mêmes capacités à vivre et à surmonter les désordres qui se présentent en elle. Preuve de respect et non de cruauté. Altérité et non domination. L'altruisme subordonne, l'amour ne peut se concevoir sans liberté.

Récit étonnant donc, où l'on apprend beaucoup sur l'auteure , sur sa vision, l'élaboration de sa pensée et sur son rapport aux autres.

Récit d'une quête identitaire. Un récit d'analyse .

Préface, et traduction de l'allemand par Stéphane Michaud.



Astrid Shriqui Garain

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Ma vie

Solitaire, voyageuse, égérie, muse, psychanalyste, romancière, jeune fille enfant, indépendante libre penseuse...: ces qualitatifs laissent espérer une bio passionnante.



Et en fait une bio discrète ... quant à la vie de l'auteure.

Première impression: l’extrême organisation, laissant peu de place à l'improvisation et au partage: une dizaine de chapitres thématiques (l'expérience de Dieu, de l'amitié, rencontre avec Freud...).

J'ai lu que son roman "Jutta" parlait finalement plus d'elle que cette bio: surement!



Sentiment un peu étrange à l'issue de la lecture de cette femme qui livre si peu d'elle même.

Une illustration? la rencontre avec Gillot qu'il faut comprendre à travers: "chimères et rêveries enfantines furent intégrées à la réalité. Un être en chair et en os prit leur place"'

Ou ce premier abandon (avec Rilke), qu'il faut deviner via: "si je fus ta femme pendant des années, c'est parce que tu fus pour moi la première réalité ou le corps et l'homme sont indiscernables, fait incontestable de la vie même. J'aurais pu te dire mot pour mot ce que tu m'as dit en m'avouant ton amour:" toi seule est réelle"".

A tel point que l'on pourrait presque parler de sécheresse.

Par exemple une seule et unique phrase pour mentionner , à la manière d'un avis administratif le décès de deux de ses compagnons: "Rainer mourut dans les premiers mois de 1926 et mon mari le 4 octobre 1930".



Pour conclure, ajoutons aux qualificatifs du début: énigmatique et secrète!
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Rainer Maria Rilke

« Quand un être exceptionnel aspire à donner forme à son existence, il n'attend pas les déceptions pour se sentir déçu, les contingences de la vie humaine suffisent pour la disqualifier au regard de ses hautes exigences intérieures ». Lorsque Lou Andréas-Salomé rédige ces mots , Rainer Maria Rilke n'est plus là pour les entendre. Mais c'est pour ne pas rompre le lien qui les unissait, pour poursuivre une « fréquentation interrompue du disparu » qu'elle ressent le besoin de les écrire.

A aucun moment , nous le précise Jacques le Rider dans sa postface, l'analyse psychanalytique n'apparaît directement dans ce livre.

Ce n'est pas l'analyste mais l'amie qui prend la parole.

Reprenant les écrits du poète , les extraits de leur correspondance, l'amie nous explique le déchirement, la douleur, l'exigence, la recherche, la quête du poète qui ont modelé, pétri, fracturé, construit, nourri son oeuvre.

« Triompher ne le tente pas.

Croître, pour lui : c'est être

profondément vaincu

par une force toujours plus grande. » le livre d'images. R. M Rilke.

René, Renée, ...Rainer.. Maria...Rilke.

Rainer, le fils, René, la fille. la soeur, l'enfant morte avant sa naissance, le suaire dans lequel la mère enveloppait le jeune Rilke.

Intériorité, extériorité. Dualité. Bisexulaité. Rilke se débat. Aspirant à la beauté, à l'innocence, à la joie, l' esprit est en conflit avec la chair.

«  être à la fois l'être debout et l'être enseveli, sous le même nom ».

Deux forces l'écartèlent. le corps, vers les ténèbres, l'esprit vers la lumière.

Perpétuel exil d'une enfance originelle qui inscrira la feuille de route et guidera l'oeuvre du poète.

Un secours ? Il le cherche en lui même.

Une aide ? Il n'en veut pas. Il sait son mal et sa douleur il sait son but. Quitter son autre, quitter l'enveloppe, retrouver rejoindre l'intégralité, l'unicité. Retrouver peut être Dieu en lui même sous le regard de l'Ange. Dieu n'est qu'en lui-même.

Une mise à vie, une mise à mort incessante.

Et c'est par sa poésie que Rilke tente de se libérer., de soulever le voile.

«  ce voile derrière lequel vit ma vie,

Le sens de ma vie, la loi de ma vie-

et néanmoins : ma mort. »

Peut être tente-t-il le combat avec l'ange. Peut être sait-il que la charge qui l'enveloppe n'est que le tribu, la blessure qu'il doit supporter pour se retrouver, pour trouver le passage, une issue.

Je ne suis pas certaine que Dieu soit si présent que cela dans l'oeuvre de Rilke, ni les ténèbres.

C'est l'origine de l'être qui est en lui que Rilke veut rejoindre.

Son intégrité. Sa totalité. C'est à cela qu'il aspire.

C'est à cette lumière qui l' inspire. C'est ce souffle qui porte son voyage.

Déchiré extérieurement, brûlant intérieurement.

« Je m'écoule, m'écoule

comme du sable qui coule entre mes doigts.

Soudain il m'est donné une multitude

de sens qui tous ont soif de sentir autrement.

A cent endroits je me sens

enfler et souffrir.

Le plus souvent au milieu du coeur.

Je voudrais mourir.Laisse-moi seul.

Je crois que je serai capable

d'avoir assez peur

pour que mon pouls éclate. » R.M Rilke

Un refuge, une patrie, un pays ami. La Russie, Lou, ou le pays des étoiles. Un son, un fruit, un souffle. Il ressent à vif ce Tout qui le conduit.

Accepter d'être à vif c'est accepter être mis à nue.



Le fleuve qui en lui trace les mots d'un Océan, d'un lac d'étoiles.

Rilke est aérien , il n'est pas souterrain. Même si dans les heures sombres il se compare à une taupe qui dans sa nuit ensevelit son propre chemin

Aérien même si il traîne sa force comme « un oiseau malade traîne « le poids de ses ailes. »



« Car il doit en être ainsi, Lou, n'est-ce pas ? Nous voulons être comme un fleuve et non nous canaliser pour irriguer des prairies, n'est-ce pas, nous devons nous rassembler et gronder ? Peut-être aurons-nous le droit un jour, quand nous serons très vieux, tout à la fin, de nous répandre en un delta...Chère Lou ».



Un delta là où toutes les eaux se mélangent pour ne former plus qu'Un.

Ils n'étaient pas vouer à se noyer l'un dans l'autre, il étaient voués à se rejoindre.

Elle s'est par cherchée en Rilke, elle n'a pas tenté de s'y trouver.

Ils se portaient l'un l'autre, se transportaient sans jamais se perdre. L'un ne s'est jamais dissout en l'autre.

Elle n'a pas rêvée Rainer, ni même René, elle n'a pas imaginé Rilke.



Rilke sait le mal dont il souffre. Mais il sait également que tenter d'en guérir signerait la perte de son inspiration poétique. Il préfère les mots au silence.

Perdre la Poésie, ses mots c'est perdre sa route. Et la carte est inscrite dans son chant, aussi impétueusement que le sang qui brûle dans ses veines.

Guérir c'est errer, écrire c'est se retrouver.

Écrire c'est vivre pour la lumière, passer sous le silence serait ce « tout » détruire. Irrémédiablement. Ce serait tuer tout espoir. Et Rilke choisit de vivre quoi qu'il lui en coûte.

Coûte que coûte. Avec passion, avec démesure, intensément.



Alors il refuse l'analyse psychanalytique. Et même si en des moments de douleur extrême il tente de s'en approcher, il n'ira pas jusqu'au bout. Il cachera à Lou cette tentative. Il ne lui avouera jamais ouvertement ce qu'il devait juger être une renoncement, une lâcheté.

Et Lou le comprend. Elle l'a toujours conforté dans cette idée.

«  Sais-tu, écrit-elle à Rainer, il est une autre découverte dont l'approche a compté pour moi ces dernières années, c'est que toute névrose es le signe d'une valeur, qu'elle signifie : ici, quelqu'un a voulu aller jusqu'au bout de lui même- c'est pourquoi il a déraillé plus vite que les autres – et ceux qui ont conservé la santé ont été simplement, par rapport à lui, moins ambitieux. »

Elle sait que soigner Rainer c'est tuer Rilke.

Elle choisit : ce sera Rilke, même si elle doit après sa mort porter dans l'ombre le poids d'une culpabilité qu'elle ressent, elle avait choisit également la lumière.

Elle n'a pas vu, peut être pas su deviner l'abîme dans lequel il tombait. Mais aurait elle pu vraiment l'éviter ?

Elle savait l'assurance de sa demeure. Ailleurs il est en exil, éternellement en mal de soi.

Le paradis de Rainer aurait été l'enfer de Rilke.

« Ma maison était-elle autre chose pour moi qu'un monde étranger pour lequel je devais travailler, et que me sont mes proches, sinon une visite qui ne décide pas à partir ? Comme je me perds moi-même chaque fois que je veux être quelque chose pour eux ; comme je m'éloigne de moi sans parvenir jusqu'à eux, restant entre eux et loi en chemin, et voyageant ainsi au point de ne plus savoir où je suis ni quelle part de moi-même est avec moi, à portée de moi ». RM. Rilke.



Rilke avait la force d'un poète, Rainer avait la douleur de l'enfance.

Aurait-elle pu sauver l'homme ? Non puisqu'elle ne voulait pas condamner le poète.

L'amour ne devient pas fou lorsqu'il est véritable.

Aucun jugement dans les écrits de Lou Andréas-Salome, elle nous le fait découvrir tel qu'il vécu en son paysage.

C'était son choix : pour y vivre il ne devait pas y survivre. Elle le respectait.



Rilke aspire profondément à la réalité, synonyme pour lui de vérité, de beauté.



«  J'ai cru autrefois que, du jour où j'aurai une maison, une femme, un enfant, réalités indéniables, cela irait mieux ; j'ai cru que cela me rendrait plus visible, plus tangible, plus évident. Or regarde : Weserwede existait, existait réellement, car j'ai bâti moi même la maison et tout ce qu'elle contenait. Mais c'était une réalité extérieure à moi, à laquelle je ne pouvais n'y m'intégrer ni 'identifier. Maintenant, depuis cette petite maison avec ses belles chambres tranquilles n'existe plus, et que je sais qu'il est encore un être qui m'appartient et un petit enfant quelque part dont la vie ne connaît rien de plus proche que cet être et moi, sans doute ai-je acquis une certaine assurance et l'expérience, de quelques choses simples et profondes, mais cela ne m'aide pas à m'approprier ce sentiment de réalité ; ni l'égalité de condition à laquelle j'aspire tant ; être une personne réelle au sein de la réalité ». R.M Rilke ( Rome, 1903).



L'angoisse est une vague, et c'est la vague qui vous rejette de l'océan, vous mène à contre courant. Il sait que son tourment crée un déferlement. Son tourment nourrit son oeuvre. Faire cesser le tourment c'est se condamner à flotter en aux mortes.

Mais les vagues de ses angoisses dressent parfois devant lui un mur infranchissable.

Il se sent vaincu, misérable, condamné, le souffle n''est plus présent.

Rilke n'arrive pas à donner corps à ses angoisses alors même que c'est lui seul qui leur donne vie.

Dualité, la lumière se nourrit de la nuit, mais la nuit parfois la dévore.



« Car vois-tu, je suis un étranger et un pauvre. Et je ne fais que passer ; mais il faut que tes mains recueillent tout ce qui aurait pu un jour devenir ma patrie, si j'avais été plus fort. »



« Si j'avais été plus fort » . Aussi fort que Rodin, peut être. Rodin auprès de qui il comptait trouver son école, rencontrer un maître. Apprendre au près de lui comment il devait travailler. Se soustraire de l'angoisse, ne plus être tributaire de ses états d'âme.

Apprendre comment « les choses viennent à l'outil au lieu d'être visitées par l'inspirateur »

Rodin ou l'art de la matière.

Rodin qui « portait tout au fond de lui l'obscurité, le refuge et le calme d'une maison ».

Rodin qui « possédait son art sans se laisser posséder par lui ». Rodin après duquel « l'incompatibilité de domaines de l'art » devinrent évidentes.

Rilke/Rodin : «  l'antithèse de deux types humains ». *

«  c'était un homme trapu, à la nuque robuste, éclatant de sensualité et de spiritualité, un peu comme une force brutale, qui aurait été en même temps habitée par un esprit tout aussi impétueux, comme s'il ne pouvait émaner de lui que de la puissance.

La virilité de Rilke était d'une autre sorte : elle avait besoin, pour entrer en activité, de se rassembler dans sa totalité, de synthétiser les deux sexes pour témoigner de sa force créatrice, toute ressource inutilisée ou mobilisée pour une autre fin apparaissant comme une perte, un amoindrissement, car l'oeuvre revêt ici plus d'importance que l'homme. Bien sûr, toute créativité n'est pour ainsi dire que le nom qu'on donne aux étincelles de la bisexualité en nous mêmes, mais cette dernière connaît de nombreuses nuances, et l'on peut comprendre que la composante masculine soit la plus importante, et même déterminante, pour la création intellectuelle, en raison de sa structure plus souple, qui donne par ailleurs ses droits au corps tandis qu'un grand apport de féminité peut entraîner un déchirement âme/corps comme un inexprimable désir de grossesse. »

Rilke/ Rodin : lien exceptionnel, lien impossible.

Paris, Meudon ne sera pas le refuge de Rilke. Il le sait, l'a compris.

Sans refuge et pourtant il se sent emmuré.

«  je me retrouve pareil à une pierre exclue, si inutile que l'herbe de l'inaction a temps temps de la recouvrir ».

Il n'est pas pas submergé, il lui semble s'ensevelir.

Il rêvait de campagne, il souhaitait devenir médecin. Il recherchait l'harmonie d'une profonde nature dans laquelle il recherchait la sienne . Il tombe amoureux de la Russie, il apprend sa langue. Il écrit des poèmes en langue française.

Il traduit Louise Labbé, Marianna Alcoforado. Il recherche l'union créatrice. Il s'interroge. le destin de Paula Modersohn-Becker illustre pour lui le destin brisé de l'artiste, attise ses réflexions concernant le conflit qu'il établit entre l'art et la vie.

Il s'exclut de lui même, ne trouve le plus souvent en société qu'inconfort.



«  Chère Lou, quand je compte sur les êtres, quand j'ai besoin d'eux, quand je les recherche, c'est que cela va mal » .

Il se verrouille ou s'ouvre brutalement soudainement, totalement.

Il se réfugie, s'enveloppe de la compagnie de vieille famille aristocratique.

Il se déguise, s'y cache, il recherche une protection, un répit. Il se terre.

Il souffre moralement mais également dans sa chair.

Il sait ses vides, ses creux que produisent ses vagues. Il se déchire et se remplit avec avidité aiguillonné par un appétit de connaissance, une passion du savoir hors du commun.

Pour ne pas s'effondrer, pour nourrir son esprit, pour combattre l'anéantissement de sa chair.

Il n'a pas comme Rodin la pierre entre les mains, sa pierre, c'est à lui de la créer lui même.

Il est sa propre matière.

Et puis le miracle se produit. de nouveau. La poésie ressurgit.

L'ouragan délivre le génie. Il jaillit. Lou sait, aussi bien que lui ,que plus fort aurait été le jet de sa créativité et plus la chute, l'effondrement sera éprouvant.

« La loi qui veut que le sommet fasse prendre la mesure du gouffre et que la lumière se vérifie à l'ombre qu'elle porte » , s'appliquera …inévitablement.

Mais monter vers la lumière, pouvoir encore une fois effleurer le monde la beauté,et puis s'y brûler les ailes. Chuter, se relever et tenter, espérer revivre. Encore une fois. Une dernière fois. Prendre le risque d'être hors de soi.

« notre logis le plus intime sur cette terre ne se trouverait il pas dans ce dépassement du sensible, lâché dans l'invisible qui est notre élément familier ».

Ce logis, ce pays, ce cosmos n'est pas le refuge maternel , c'est l' enfance pour l'éternité.

Retrouver l'éternité de cet instant qu'il sait enfoui au plus profond de lui même, ce souvenir ancien, cette réalité qu'il n'a jamais cessé de rechercher , tenté de la faire éclore, de l'exprimer.

L'art n'est une potiche,un cadre doré, un faire valoir de salon , un fait de bonne société bien dressée, l'art n'est pas un objet, un chapelet, il n'est pas un ostensoir, un encensoir, il n'est pas là pour servir nos petites messes. Non. C'est autre chose. Cela se veut dire parce que cela veut dire.

Car l'imagination et l'art son produit, ne sont , nous le rappelle Lou, que des moyens d'expression.

Expression d'une réalité, qui a valeur de passerelle, une feuille de route, un message, et qui permet à tous, quelque soit son niveau de culture, quelque soit son intelligence de se relier, de se comprendre, de s'entraider, de se hisser. .

«  voilà pourquoi l'art lui même n'a pas de lieu à lui ». C'est un trait d'union, un enchevêtrement de racines . Un réseau.

C'est à l'artiste de montrer le chemin, de guider, de baliser les pistes. C'est sa mission, et son intelligence réside dans cette conscience. L'art parle d'envergure. Et Rilke n'a a jamais manqué.



Merveilleux, riche, éclairant et à la fois déchirant récit que cet écrit. Témoignage d'un voyage, d'une traversée, d'une envolée, d'une profonde, authentique et prodigieuse amitié.

Reste leur souffle, reste la présence d'une éternelle correspondance….



« Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d'hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir quel mouvement font les petites fleurs en s'ouvrant le matin. Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l'on voyait longtemps approcher, à des jours d'enfance dont le mystère ne s'est pas encore éclairci, à ses parents qu'il fallait qu'on froissât lorsqu'ils vous apportaient une joie et qu'on ne la comprenait pas ( c'était une joie faite pour un autre ), à des maladies d'enfance qui commençaient si singulièrement, par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans des chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyage qui frémissaient très haut et volaient avec toutes les étoiles – et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela. Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d'amour, dont aucune ne ressemblait à l'autre, de cris de femmes hurlant en mal d'enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient. Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à-coups. Et il ne suffit même pas d'avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d'attendre qu'ils reviennent. Car les souvenirs ne sont pas encore cela. Ce n'est que lorsqu'ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu'ils n'ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n'est qu'alors qu'il peut arriver qu'en une heure très rare, du milieu d'eux, se lève le premier mot d'un vers. » Rainer Maria Rilke ( 1875-1926) Les Cahiers de Malte Laurids Brigge (1910), extrait.



« Dans une seule pensée créatrice revivent mille nuits d'amour oubliées qui l'emplissent de majesté et d'élévation. Et ceux qui dans la nuit s'unissent et s'enlacent dans les bercements de la volupté font oeuvre sérieuse ; ils amassent douceurs, profondeur et force pour le chant de quelque poète à venir qui se lèvera pour dire d'indicibles délices ». Lettres à un jeune poète.extrait. Rainer Maria Rilke.



Astrid Shriqui Garain

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Ma vie

L'évocation des souvenirs épars d'une vie mouvementée et hors du commun. Lou Andreas-Salomé nous fait par de ses "expériences", de ses voyages, mais surtout de ses rencontres avec les grands intellectuels de son temps, qu'elle a connus personnellement et donc a souvent influencé l'ouvrage. A travers ses yeux, on découvre Paul Rée, Nietzsche, mais aussi Rainer Maria Rilke et Freud. A travers elle, on en apprend plus sur ces hommes si particuliers et sur leurs travaux et leur genèse. Elle ouvre une fenêtre sur leur génie, et leurs idées.

Lou A.-S. analyse elle-même dans le détail sa propre vie, ses motivations, ses peurs, ses envies. Plus qu'une autobiographie, elle nous livre une œuvre psychanalytique, pleine de réflexions sur la vie, l'amour, l'amitié, la mort et surtout, le travail intellectuel. C'est un ouvrage qui nous fait réfléchir, tout en nous instruisant et en nous faisant voyager.
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En Russie avec Rilke, 1900

En Russie. 1900. avec Rilke. Carnet d'un voyage. Retour au pays natal. À la source. Aux origines. Deuxième voyage mais premier véritable voyage exploratoire. Elle se rend disponible à recevoir l'inconnue . Ce qui l'attend ? Elle ne le sait pas. Ce qu'elle en attend ? l'issue de ce voyage ? les fruits qu'elle aura pu rapporter sauront il nourrir la fibre créatrice de sa pensée ? Elle pressent ce qui se vit déjà en elle, elle part.



«  Chaque nouvelle installation parle de perte, de regard en arrière, de temps révolus, et suscite la crainte. L'on éprouve sans doute quelque fierté, mais on pressent aussi les nouveautés et les épreuves qu'apportera l'âge adulte, et la signification de la mort pour tant de choses qui ne reviennent plus. Chaque printemps russe ressuscite pour moi quelque chose de cette nostalgie ; je ne sais rien de plus mélancolique ni de plus saisissant que son approche et ces maisons encore à moitié vides ».



Olivier Rolin rappelait dans son livre Baïkal-Amour l'importance du train dans la littérature russe.

Chevaux de fer laissant leur galop dans notre imaginaire. C'est donc en train que ce voyage de Saint-Pétersbourg à Moscou, De Toula à Niejin, de Kiev à Kharkov, de Saratov à Kazan, de Nijni Novgorod à Rostov , se déroulera.

Pourtant ce sont les eaux du fleuve qui injecte en elle le plus de sève nourricière .



«  En train, on fonce à travers le paysage, en bateau on l’accueille ».



Ne cherchez pas Rilke, il est bien dans le train, il est bien là dans l'Isba, il est bien lors de la visite à TolstoÏ, il est bien là sur la Volga. Il est là mais là, mais il n’appairait que très peu car là n'est pas la préoccupation de Lou Andreas Salomé ( L.A.S) .

Leur relation amoureuse prendra bientôt fin , elle laissera la place , quelques années plus tard, après la tempête, à une correspondante féconde, reflet d'une amitié indestructible .

C'est le récit du voyage de L.A.S en Russie dont il s'agit dans ce journal.

Lou Andreas Salomé est née à Saint Saint-Pétersbourg , à l’intérieur d'une communauté d'émigrés germanophones, proche du tsar Alexandre II.

Si l'imprégnation de la Russie est indélébile en elle , elle ne connaît pas profondément la Russie. Mais qui peu prétendre connaître un territoire si grand qu'à l’intérieur de celui ci le terme « pays » prend la taille d'un village ? La taille de cet empire, est à la taille de son histoire et de sa culture.

L'amour que L.A.S éprouve pour la Russie est à la taille de son âme.

Tout l’intéresse, tout l'appelle. La ville, le fleuve, les hommes, les peintres, les sculpteurs, , les écrivains, la terre, la lumière, les sons, sa musique, les odeurs, les arbres, les mythes, l'architecture , les icônes. Elle lit, décrypte.



«  La richesse de la maison russe par rapport aux autres tient par conséquent au nombre de bâtiments , et non pas à la forme particulière que revoterait celle-ci : le niveau de base es le même pour tous les bâtiments, avant que ne s'y ajoutent des extensions neuves et plus riches, comme une cellule s'ajoute à une cellule. De là vient la beauté dans la dissymétrie dont les Russes ne se sont pas départis. La symétrie suppose un plan pour la disposition de l'ensemble ; elle exclut une croissance organique en fonction des besoins. Dans toutes ces manifestations, les Russes sont fondamentalement plus individualistes, et par le fait même, plus communistes ; ils se sentent fraternellement égaux, parce que chacun a lui même une égale valeur, tandis que les Allemands ont besoin du socialisme comme théorie ( ou du patriotisme ou de la vanité du citoyen ) pour les élever au dessus de l'individualisme – doctrines qui font leur lentement et qui leur sert à distinguer les hommes supérieurs des inférieurs ».



Elle pressent.

Russie 1900. L.A.S et Rilke voyagent. La Russie est assise sur une poudrière. Dans 5 ans la première révolution finira dans un bain de sang, dans 17 ans le régime tsariste sera renversé laissant la place au régime des soviets. L.A.S voyage. Regarde, découvre, parle, rencontre.

Ressent elle la tension qui y règne ? Forcément , elle comprend. Elle voit et écoute les intellectuels russes. Elle comprend l’urgence de l'éducation. Elle voit .



«  Le  Russe cultivé est un éclaireur qui s’est avancé trop loin et qui, dès lors, est condamné à devenir réactionnaire ».



Oui, elle pressent, déjà.



«  Le corps ecclésiastique dans son ensemble ne constitue pas seulement une survivance symbolique, apte à garder vif dans le peuple le sens du sublime enfoui dans le quotidien, c'est avant tout une institution vivante, gouvernée et maintenue par des hommes à des fins de pouvoir politiques et humaines, qui détourne une quantité d'énergie financière et psychique de sources nutritives plus essentielles. Ôter cette institution au peuple n'irai peut -être pas sans danger, la lui conserver comporte cependant une part de péril infiniment plus grande. Tout dépend précisément des hommes. »



Elle sait qu'on a pas » à enseigner sa solution au peuple » mais qu'il faut avant tout apprendre du peuple.



«  Le peuple, dans son état actuel, puise sa sève de nombreuses racines intactes et conserve pieusement ( dans ses mains à la fois si sales et si étonnamment élégantes) le trésor dont il gratifiera l'humanité. »



Elle tend, de tout son être à la spiritualité de la Russie. A son âme, à ce qui la matérialise, à ce qui la sacralise, à ce qui l'entraîne.



Elle se ré-imprègne, elle se recharge pour se ressourcer.

« Ma nature m'a toujours portée à vivre chaque événement de la vie au plus profond de moi même ».

Visionnaire, contemplative,, disponible, avec compréhension, avec humilité, avec amour, elle vit une expérience.. L'expérience de la Russie. L'expérience d'un renouvellement. Ce «  suave amuïssement dans le Grand Tout », « cet abandon serein des affects purement subjectifs ».

Elle mue.

«  il n'est rien de plus beau que de vivre le vieillissement dans sa propre chair comme un renouvellement. Pour prendre une image, il n'équivaut pas à la fermeture d'une porte devant soi, mais au contraire à son ouverture insoupçonnée sur une munificence neuve et bouleversante », cet instant merveilleux qui voit «  le mouvement de retour sur soi naître d'une sortie de soi »



«  L'expérience est d'une beauté indicible parce qu'elle ramène tout près de l'enfance ».



«  Je comprends les mots de Tolstoï : devenez aussi simples qu'eux et vous posséderez tout. »



«  Je cherche simplement à entrer en société avec eux respectueusement, oublieuse pour un temps de ma volonté et de mon être ».



Jamais la notion n'a été aussi présente chez L.AS . Le mouvement , l'énergie, l'élan.



«  Aucune période de la vie, pas même la jeunesse, n'est La période, la seule, qui serait le diapason de toutes les autres.Mais toutes les périodes et chacune individuellement entonnent le chant de notre vie, qui est un chant d'amour : cela commence par l'identification inconsciemment amoureuse avec la totalité de la vie, évolue vers l'abandon conscient à celle-ci et le retour vers elle comme une patrie. »



« Toute parcelle de vie constitue un succès gagné au prix de mille possibilités inouïes sur mille périls qui la menaçaient – elle est proprement un coup ce génie.

Et dans la mesure, où nous existons, un tel coup de génie, l'extraordinaire et l’inouï sont à notre portée. »



Un expérience de vie . L'intelligence du voyage.



Rilke vivra également une expérience en lui même. Aucun des deux n'en reviendra indemne.

Éveil personnel, spirituel, artistique.



«  Nous sommes les enfants du bonheur. - et nous ne devrions pas vivre autrement que comme si nous étions à la veille de fêtes, au seuil de splendeurs les plus rares et les plus éclatantes, car la réalité est là et non pas ailleurs, out autre chose n'étant qu'un chemin, une tentative, un essai avant que la vie n'éclate pleinement. »



Pulsions, impulsions, alchimie des forces. Courant intérieur.

Voilà la mécanique de la création. Voilà ce qu'elle a trouvé.



«  le heurt avec l'inconnu, avec l' absolument différent, est en soi fécond. Il n'est pas de noces sans différence entre deux personnes, et toute création est synthèse. La remarque vaut pour l'amour physique comme pour la création,, pour l'action artistique comme pour la connaissance. »



Ce qui fait « la grandeur d'un être, ce n'est pas parce qu'il fait ceci ou cela, il n'est pas grand parce que son action procède de tel ou el mobile, Il n'est grand que dans la mesure précise où il se crée l'espace intérieur nécessaire à une multiplicité d'actions et de sentments ».



Pour trouver sa place, il faut faire son espace. Si rien ne peut entrer rien ne pourra en ressortir, se développer, naître, jaillir.

Assez de place pour vivre , ressentir , aimer, souffrir sans être comprimer dans son enveloppe intérieur. Assez d'espace pour « accueillir le bonheur sans que celui ci ne touche douloureusement à nos frontières et qu'il nous entraîne instinctivement à le fuir ».

Alors se remplir, s'élargir. Des profondeurs aux hauteurs, et du ciel à la terre, puis de nouveau de l'obscurité à la lumière. Comme un cycle naturel.



«  Il va de soi que nous devons produire des branches et des fleurs et faire croître notre tronc, sous peine de nous réduire à une existence muette et latente dans l'obscurité du sol. Mais ce qui se dresse à la lumière n'est qu'une petite par, tributaire de l'immense profondeur qui est en nous. » 



Enveloppe croûte….carcan, corset, cloisonnement, cantonnement...

Germination, croissance, fécondation, floraison, abondance, ...saisons.



«  C'est falsifier de façon cruelle et bornée la vérité que d'empêcher les jeunes gens en révolte contre la tradition et la convention de prendre le chemin droit et personnel qui conduit à la connaissance profonde de la vie. On leur objecte alors que le chemin est nécessairement lent, qu'il passe par les événements de l'histoire et que vouloir l'abandonner est un signe de folie des grandeurs. En vérité, il s'agit là de tout autre chose que de l'opposition entre les progrès de l'histoire et les exigences de l'individu qui en quitte les voies de son propre chef. Il s'agit du rejet de la croûte routinière et de la pétrification que toute époque oppose aux progrès de l'époque précédente pour tenter de les masquer. Cette croûte n'est qu'une enveloppe , et qui en reste volontairement tributaire a tôt fait de perdre a vie à des questions de pure forme. »



Rejet de la sempiternelle routine, mais respect de la rareté de notre quotidien.



Pour L.A.S le surhomme n'existe pas. C'est en s'élevant au dessus du quotidien, sans le rejeter, mais en l'aimant, en considérant ses multiples compositions, en vivant « ses minutes en or » , que l'on s'élève.

Croire en l'existence du surhumain c'est être incapable de gérer son quotidien. C'est un délire. Nous touchons au divin dans le quotidien, parce que sa multiplicité simple et naturelle touche à l'exceptionnel. Laissons si on le souhaite , dimanche aux Dieux, le surhumain au fou, et aimons follement, terriblement, divinement, toutes nos semaines.



«  il a toujours existé deux modes de vie : l'un qui progresse ( on pourrait dire qui monte) l'autre qui descend, fait retour sur soi même, sans crainte des profondeurs où il s'aventure. On ne cesse de considérer à tord le second mode de vie comme la base du premier, comme son fondement plus fruste qui, dans une certaine mesure, le conditionne matériellement : les processus vitaux qui nous sont communs à tous y reposeraient, mais seul le mouvement «  vers l'avant » , «  vers le haut », nous permettrait d'accéder à notre vraie dignité. En fait, les deux directions ont la même dignité, la même valeur, en raison des échanges incessants qu'elles entretiennent. Ce que l'on prend pour une simple base n'est autre que le bassin précieux sans lequel il n'y aurait pas de jet d'eau : sans lui en effet, il ne s'élancerait pas en haute gerbe, et s'il ne cessait d'y retomber, il se disperserait en vaines gouttelettes !

Toute évolution culturelle, comme en général tout ce que le temps conditionne et met en mouvement, est solidaire de cette gerbe qui, non contente de monter des profondeurs, doit encore y faire retour pour rester maître de son jaillissement. C'est pourquoi, contrairement aux plates théories de l'idéalisme usuel, ni les plus hauts sommets de la civilisation, ni l'héritage que nous transmettons à je ne sais quelles lointaines générations ne constituent la plus haute récompense de nos efforts. Celle- ci se trouve dans notre manière personnelle de prendre les détails d'un très petits nombres de faits de la vie, aussi petits soient-ils, car même les plus petits répondent encore à ce mouvement de va-et-vient - les plus importants d'entre eux obéissant à leur tour au schéma éternel, valable pour tous : il est né, s'est nourri, a travaillé, pris du repos, souffert, a connu la joie, l’amour, a donné la vie, est mort.

La grandeur et l’originalité de la vie tiennent exclusivement à la manière dont nous exécutons ces actes, à la hauteur à laquelle monte le jet d'eau, à la plénitude et à la force avec lesquelles il retombe dans le bassin.

Et, dans la mesure où ces quelques actes fondamentaux, sans cesse répétés, sont tout à la fois d'une grande banalité et le support des plus hautes valeurs, les époques primitives, quelque rudimentaire qu'ait été leur civilisation, présentent ici et là des expériences spirituelles d'une élévation inégalable. Pour la même raison, ces mêmes expériences peuvent faire défaut à une civilisation avancée quand le je qu'elle produit s'évanouit en brouillard. Car une civilisation avancée a tôt fait de mépriser les riches profondeurs desquelles elle s'élance, et de commettre le vrai péché culturel : enrôler à son service, si noble soit-il, ce qui appartient à l'éternité de la vie universelle.

Par exemple, mettre le mariage ou la procréation au service de buts qui leur sont étrangers. ( argent, rang social ou tout ce qui n'est pas l'amour). Ou encore tuer ou porter préjudice au nom de la civilisation, mépriser le corps, la sainteté de la nourriture, du repos ou de l'animal, au nom d'une œuvre civilisatrice aveugle.

Bien des péchés de ce genre sont traités à la légère parce qu'ils sont sans conséquence dans la vie civile.

Ce ne sont pas moins des péchés contre lesquels l'instinct proteste, parce qu'ils blessent avec une cruauté particulière la joie qu'il prend à la vie. A mon avis, il existe beaucoup de consciences pures

et de moralistes remarquables chez lesquels de tels péchés ne cessent de se venger sévèrement dans leur vie nerveuse et leur sensibilité secrète.Car ils ont porté atteinte, au fond d'eux-mêmes, à maintes harmonies délicates sans lesquelles le cantique de la vie ne saurait retentir pleinement ».



Tour à tour exploratrice, poète, philosophe, sourcière, botaniste , chercheuse... celle que Freud nommait la «  compreneuse » a effectivement bien compris l'exceptionnelle richesse de son voyage.



Si la Russie est grande, notre vie peut être immense à condition que nous sachions prendre conscience de la profondeur de toute chose pour que nous puissions vaincre toutes nos distances.

De la rivière au sable, du sable à la pluie, de la pluie à la fontaine, de la fontaine vers le ciel , de la première goutte ou de la dernière larme de la terre au courant de l'espoir.





Astrid Shriqui Garain



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La maison

Lou Andreas-Salomé - La maison - 2021 - ( écrit en 1904 )



Lou Andreas-Salomé ( 1861-1937 ) est d’origine russe. Femme de lettres et une des premières femmes psychanalystes, elle est aussi connue pour ses relations passionnées avec Nietzsche et le poète Rainer Maria Rilke. Sa rencontre avec Freud changea le cours de sa vie. J’ai déjà lu d’elle sa correspondance avec Rilke, ce qui m’a incitée à la lire davantage.



Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il s’agit vraiment ici d’un roman psychologique. L’auteure y explore avec précision les pensées et les émotions de ses personnages qui, tous, aspirent à une certaine liberté. Elle s’attarde plus longuement sur la part de la femme dans la relation de couple. Il n’y a pas de drame, pas de suspense, mais une lente évolution de chacun dans sa vie pour ne pas dire dans sa « maison» intérieure. J’ai aimé entrer dans le secret de ces êtres attachants et originaux, mais il faut ici aimer la lenteur avec laquelle les changements les plus importants naissent… La postface est aussi intéressante puisqu’elle nous livre un peu les secrets d’écriture de Lou Andreas-Salomé ainsi que le portrait de ceux qui ont inspiré les différents personnages. Un beau moment méditatif.



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Ma vie

L'autographie remarquable d'une femme remarquable qui fut notamment l'amie de Nietzsche et de Freud et qui a contribué à la naissance de la psychanalyse. Une photographie la montre menant Nietzsche (ainsi que Paul Ree) à la baguette, ce qui m'amuse beaucoup, soit dit en passant.
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Jutta

Touffu, et pourquoi ne pas le dire, un peu décevant.

Peut être du a une lecture un peu hachée de ma part.?



Une géographie difficile à décrypter: une famille dispersée dans différents appartements d'une maison; des scènes situées par leur niveau et leur placement par rapport à l'escalier, et qui doivent laisser deviner les protagonistes/ l'occupant.

Des surnoms (Robert, Stefan) utilisés ou non, parfois spécifiques à un interlocuteur.

Tout ceci joint à des sentiments, des inclinaisons esquissés plus que décrits (propre d'un roman vous me direz) mais dont découvre quelques pages plus tard l'ampleur ou la puissance , inaperçues au départ.



Peut être un ouvrage a relire ... en tant que roman et non semi biographie!
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Lettre ouverte à Freud

En neuf chapitres, Lou Andreas-Salomé aborde les grandes questions de la psychanalyse freudienne : sexualité, rapport homme-femme, religion, processus de création, etc. Je suis malheureusement bien incapable de vous en faire un résumé. Les passages sur la foi et la religion sont, à mes yeux, les plus intéressants. Sur ces points, Lou Andreas-Salomé s’opposait à Sigmund Freud et elle tente ici d’exprimer son point de vue tout en restant cohérente avec la psychanalyse freudienne. Tout un art…

Si ce n’était le Challenge ABC, je n’aurais probablement pas chroniqué ce texte. Toutefois, je ne reste pas indifférente au personnage de Lou Andreas-Salomé, et si je ne peux pas comprendre dans le détail son raisonnement, je reste fascinée par sa très grande liberté.
Lien : http://synchroniciteetserend..
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La maison

Femme de lettres allemande d’origine russe. A 21 ans, elle fait la rencontre de Friedrich Nietzsche avec qui elle vit sa véritable histoire d’amour. Elle rencontre l’ironiste Friedrich Carl Andréas avec qui elle se marie à la condition que le mariage ne soit jamais consommé.

En essayant de vivre de sa plume, elle commence à vivre une vie de bohème. A 36 ans, elle rencontre Rainer Rilke. Ils auront une relation pendant trois ans qui deviendra une amitié. Sa rencontre avec Sigmund Freud, en 1911, durant les années de la naissance de la psychanalyse chez elle.

Elle fut une femme libre, « une femme moderne », mais ne s’est jamais désignée comme féministe. Selon elle, la femme et l’homme sont des partenaires pour avancer dans la vie.



La maison

La maison de Lou Andréas-Salomé vient d’être rééditée par Livre de Poche et qui, jusqu’à présent, avait été occulté, même s’il avait été traduit aux éditions des Femmes en 1997. Ce peu de diffusion montre le manque d’intérêt général pour l’oeuvre de Lou Andréas-Salomé qui est cantonnée à son rôle d’amante et d’amie des poètes et des psychanalystes.

Lou Andréas-Salomé, dans cette oeuvre, souhaite déconstruire les idéaux de la famille parfaite. Elle montre que ce cadre idyllique de la maison n’est qu’une façade. En réalité, elle cache le sacrifice des protagonistes. A la fois de la femme, qui a renoncé à sa carrière de pianiste, de son amie, qui a renoncé à une vie conjugale, à la fille qui a été sacrifiée au mariage. A travers ces portraits de femme, qui sont réalisés avec finesse et une grande connaissance de la psychologie, Lou Andréas-Salomé nous sensibilise à la « question féminine » et à la difficulté qu’a toute femme de s’épanouir.
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Ma vie

Lou Andreas Salomé, proche de Rilke et Nietzsche, reste encore trop méconnue de nos jours.

Pourtant la lecture de ses pensées et sa traversée de la vie nous permettent de mieux comprendre la pensée "féministe" (mot galvaudée que je note ici entre guillemets) car elle l'initie avec beaucoup de talent et de candeur.

Dans cet ouvrage, ma vie, elle raconte sous forme "d'expérience", différentes étapes de sa vie: le mysticisme, l'amour, l'amitié, la famille, la guerre... Pas de théorie à chercher sous sa plume mais un récit de vie comme cas concret d'une vie libre, autonome, opiniâtre, cultivée...



Les souvenirs de cette femme sont écrits et racontés avec beaucoup de liberté et sur un ton pacifié.

Lire cet ouvrage me semble essentiel et complémentaire pour qui s'intéresse à la poésie de Rilke à la philosophie de Nietzsche ou encore à Freud.
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La cape magique

Hélas, la chose la plus vraie que je puisse dire de La cape magique, c'est que je suis totalement passée à côté.

Si elle est une figure fascinante, l'auteur de cette oeuvre n'a pas produit ici un texte dans lequel j'ai réussi à rentrer et seule la préface de Stéphane Michaud a su quelque peu éclairer ma lanterne et me permettre de ne pas refermer ce petit volume trop frustrée par son contenu...

Je ne pense pas cependant que ce soit une oeuvre qui ne puisse apporter beaucoup, seulement destinée à des lecteurs plus doués que moi pour lire entre les lignes et décrypter le sens profond des choses!
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Correspondance : Rainer Maria Rilke / Lou A..

"Un poète, un poète lyrique surtout, ne se traduit pas" écrivait péremptoirement Albert Thibaudet dans ses réflexions. Les perpétuels débats qu’offrent les traductions en général et de poésie en particulier (faut-il davantage respecter le rythme ou l’esprit, le fond ou la forme, etc.) seront toujours sans fin et il n’appartient pas au lecteur de trancher. Ce même lecteur, béotien de la langue originale, éprouvera toujours une frustration à lire de la poésie traduite. D’où la plus grande importance, par rapport au lecteur partageant la langue du poète, que revêtiront pour lui les écrits prosaïques de l’auteur. Dans ce livre, nous avons la traduction par Philippe Jaccottet, lui-même poète et grand connaisseur de la langue allemande, d’une correspondance qu’entretinrent deux esprits remarquables. Ces lettres donnent des clefs supplémentaires et non négligeables pour pénétrer l’œuvre de Rilke. Elles s’étendent sur la majeure partie de sa période de création et en l’occurrence de non-création. Car il est surprenant de lire à quel point la sécheresse poétique (dix ans pour écrire les Elégies de Duino!) mine le moral - et le physique - de Rilke. On se rend compte au fil des lettres, dans lesquelles il s’adresse sans contrainte à une femme qui le connait et le comprend particulièrement bien, que cette angoisse de la page blanche (quasi-légendaire dans l’imaginaire collectif et même caricaturale) n’a peut-être aucune cause particulière et est même inhérente au processus créatif de Rilke. Tout ceci n’a rien à voir avec les nombreuses réjouissances qu’aura le lecteur à parcourir cette correspondance, notamment les descriptions des petites choses simples dont Lou, véritable havre de paix, parsème ses lettres ; ou même, paradoxalement, quand Rilke narre à celle-ci ses tortures morales, comme dans cette magnifique lettre sur son expérience parisienne.
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La maison

Œuvre impressionniste, à la manière de Debussy composant La Mer à la même époque : si l'on accepte de jouer de ses sens en lisant la prose de l'auteure, sans être toujours bien certain de comprendre ses intentions, cela vaut le détour. "Ainsi, songeait-elle à présent, l'hébétude qu'elle avait ressentie au début sur la plage ne pouvait avoir qu'une signification, c'était que toute son âme lui avait échappé pour se jeter dans la mer, et son pauvre corps avait dû la regarder s'en aller de plus en plus loin avec chaque vague. Peu importait, cependant, car c'était comme si la grande mer savait tout ce qui avait jamais vécu en Gitta, comme si elle lui rapportait en plus grand ce que Gitta avait ainsi perdu ; comme si lui revenait, parcelle après parcelle, son âme engloutie dans l'infini (etc.)" [page 302]. À travers un segment de vie de deux femmes, la mère et la fille, la confusion qui déborde de toutes parts les lignes raisonnables d'une existence socialement ordonnée est rendue sans souci des convenances. La mère a sciemment sacrifié ses désirs artistiques pour se consacrer à son couple et donner la vie, mais elle accepte de rompre l'union sacrée pour protéger l'essor de son rejeton, poète écrasé par le réalisme de son père médecin. La fille est au bord de la crise de nerfs en réclamant d'épouser l'homme de ses rêves, et l'est encore fort peu de temps après le mariage pour supplier de ne plus avoir à partager son lit. Le tout étayé de personnages secondaires très typés, du chien Salomon en guise de touche comique, de l'ombre d'un enfant disparu pour l'aspect dramatique, d'élans poétiques qui ne jurent pas avec l'attrait de l'auteure pour la psychanalyse : "Quand l'homme revenait par vent contraire de nord-est, qui le poussait vers le port, il trouvait son repos dans le travail accompli par sa femme, et, dans cette alternance de l'extérieur et de l'intérieur, l'opposition des sexes s'exprimait avec une évidence massive, comme un processus naturel" (page 270). Bref, beaucoup mieux qu'un ouvrage féministe, une vision féminine des mystérieux flux de la vie.
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La maison

Dans cette maison, habitent trois personnages : Anneliese, femme du médecin Brandhardt, Gitta, leur fille et Balduin le fils tourmenté. Anneliese a renoncé à une carrière de pianiste pour sa famille, quand Gitta décide pour sa part de prendre sa vie en main. Balduin erre, telle une âme en peine, portrait saisissant du jeune Rainer Maria Rilke, ami proche de Lou Andréas Salomé.



Cette jeune femme est surtout connue pour avoir été la muse de Freud, Nietzsche et Rilke, mais cette réédition de La Maison permet de comprendre l'étendue de son talent. Dans un texte magnifique, elle prouve sa connaissance profonde de l'âme humaine et son talent pour se glisser dans les interstices des mots afin d'en rendre compte.



"Car on le savait de nouveau de toute son âme - comme un Evangile de la joie annonce à tout ce qui vit - : au fil des jours, dans le quasi-quotidien, dans ce qui se répète, innombrable, ce n'est pas la banalité qui règne en maître, qui est la loi intime de la vie ; non, c'est l'éternellement nouveau, le divinement inépuisable qui fait chaque printemps, chaque dimanche, chaque génie." p 121



" Lou Andréas Salomé définit la femme comme un être qui repose souverainement sur soi-même, et qui possède une beauté harmonieuse, se suffisant à soi-même. (...) L'homme au contraire, (...) ne peut trouver son plein accomplissement qu'en dehors de lui-même et se trouve donc ainsi privé de "soi-même"." Sabina Stretter
Lien : http://www.lecturissime.com/..
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Ma vie

Magnifique!
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Correspondance : Rainer Maria Rilke / Lou A..

Encore plus intéressante que la correspondance avec Freud, cette fois ce sont les échanges de lettres que Lou Andreas-Salomé a eu avec le poète Rilke. Pour mieux comprendre leur relation. Pour ceux qui l'ignore, Lou Andreas Salome, mariée à monsieur Salome a entretenu des relations privilégiées ou intimes avec nombre de personnes illustres, telles Freud, Nietzsche ou Rilke.
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