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Citations de Marcel Proust (3653)


Dans cette vallée trop sociale, aux flancs de laquelle je sentais accrochée, visible ou non, une compagnie d’amis nombreux, le poétique cri du soir n’était plus celui de la chouette ou de la grenouille, mais le «comment va?» de M. de Criquetot ou le «Kairé» de Brichot. L’atmosphère n’y éveillait plus d’angoisses et, chargée d’effluves purement humains, y était aisément respirable, trop calmante même. Le bénéfice que j’en tirais, au moins, était de ne plus voir les choses qu’au point de vue pratique. Le mariage avec Albertine m’apparaissait comme une folie.
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Outre que l’habitude remplit tellement notre temps qu’il ne nous reste plus, au bout de quelques mois, un instant de libre dans une ville où, à l’arrivée, la journée nous offrait la disponibilité de ses douze heures, si une par hasard était devenue vacante, je n’aurais plus eu l’idée de l’employer à voir quelque église pour laquelle j’étais jadis venu à Balbec, ni même à confronter un site peint par Elstir avec l’esquisse que j’en avais vue chez lui, mais à aller faire une partie d’échecs de plus chez M. Féré. C’était, en effet, la dégradante influence, comme le charme aussi, qu’avait eue ce pays de Balbec de devenir pour moi un vrai pays de connaissances; si sa répartition territoriale, son ensemencement extensif, tout le long de la côte, en cultures diverses, donnaient forcément aux visites que je faisais à ces différents amis la forme du voyage, ils restreignaient aussi le voyage à n’avoir plus que l’agrément social d’une suite de visites. Les mêmes noms de lieux, si troublants pour moi jadis que le simple Annuaire des Châteaux, feuilleté au chapitre du département de la Manche, me causait autant d’émotion que l’Indicateur des chemins de fer, m’étaient devenus si familiers que cet indicateur même, j’aurais pu le consulter, à la page Balbec–Douville par Doncières, avec la même heureuse tranquillité qu’un dictionnaire d’adresses.
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Non seulement je n’éprouvais plus la crainte anxieuse d’isolement qui m’avait étreint le premier soir, mais je n’avais plus à craindre qu’elle se réveillât, ni de me sentir dépaysé ou de me trouver seul sur cette terre productive non seulement de châtaigniers et de tamaris, mais d’amitiés qui tout le long du parcours formaient une longue chaîne, interrompue comme celle des collines bleuâtres, cachées parfois dans l’anfractuosité du roc ou derrière les tilleuls de l’avenue, mais déléguant à chaque relais un aimable gentilhomme qui venait, d’une poignée de main cordiale, interrompre ma route, m’empêcher d’en sentir la longueur, m’offrir au besoin de la continuer avec moi. Un autre serait à la gare suivante, si bien que le sifflet du petit tram ne nous faisait quitter un ami que pour nous permettre d’en retrouver d’autres. Entre les châteaux les moins rapprochés et le chemin de fer qui les côtoyait presque au pas d’une personne qui marche vite, la distance était si faible qu’au moment où, sur le quai, devant la salle d’attente, nous interpellaient leurs propriétaires, nous aurions presque pu croire qu’ils le faisaient du seuil de leur porte, de la fenêtre de leur chambre, comme si la petite voie départementale n’avait été qu’une rue de province et la gentilhommière isolée qu’un hôtel citadin; et même aux rares stations où je n’entendais le «bonsoir» de personne, le silence avait une plénitude nourricière et calmante, parce que je le savais formé du sommeil d’amis couchés tôt dans le manoir proche, où mon arrivée eût été saluée avec joie si j’avais eu à les réveiller pour leur demander quelque service d’hospitalité.
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D’autres étaient venus seulement acheter leurs journaux. Et aussi beaucoup faisaient la causette avec nous que j’ai toujours soupçonnés ne s’être trouvés sur le quai, à la station la plus proche de leur petit château, que parce qu’ils n’avaient rien d’autre à faire que de retrouver un moment des gens de connaissance. Un cadre de vie mondaine comme un autre, en somme, que ces arrêts du petit chemin de fer. Lui-même semblait avoir conscience de ce rôle qui lui était dévolu, avait contracté quelque amabilité humaine; patient, d’un caractère docile, il attendait aussi longtemps qu’on voulait les retardataires, et, même une fois parti, s’arrêtait pour recueillir ceux qui lui faisaient signe; ils couraient alors après lui en soufflant, en quoi ils lui ressemblaient, mais différaient de lui en ce qu’ils le rattrapaient à toute vitesse, alors que lui n’usait que d’une sage lenteur. Ainsi Hermenonville, Harambouville, Incarville, ne m’évoquaient même plus les farouches grandeurs de la conquête normande, non contents de s’être entièrement dépouillés de la tristesse inexplicable où je les avais vus baigner jadis dans l’humidité du soir. Doncières! Pour moi, même après l’avoir connu et m’être éveillé de mon rêve, combien il était resté longtemps, dans ce nom, des rues agréablement glaciales, des vitrines éclairées, des succulentes volailles! Doncières! Maintenant ce n’était plus que la station où montait Morel: Égleville (Aquiloevilla), celle où nous attendait généralement la princesse Sherbatoff; Maineville, la station où descendait Albertine les soirs de beau temps, quand, n’étant pas trop fatiguée, elle avait envie de prolonger encore un moment avec moi, n’ayant, par un raidillon, guère plus à marcher que si elle était descendue à Parville (Paterni villa).
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Ce n'est pas qu'il n'eût su, bien qu'il cachât ses débuts comme plongeur, mettre la main à la pâte comme un autre. Il fallut pourtant une circonstance exceptionnelle pour qu'un jour il découpât lui-même les dindonneaux. J'étais sorti mais j'ai su qu'il l'avait fait avec une majesté sacerdotale, entouré, à distance respectueuse du dressoir, d'un cercle de garçons qui cherchaient par là moins à apprendre qu'à se faire bien voir, et avaient un air béat d'admiration. Vus d'ailleurs par le directeur (plongeant d'un geste lent dans le flanc des victimes et n'en détachant pas plus ses yeux pénétrés de sa haute fonction que s'il avait dû y lire quelque augure), ils ne le furent nullement. Le sacrificateur ne s'aperçut même pas de mon absence. Quand il l'apprit, elle le désola. "Comment, vous ne m'avez pas vu découper moi-même les dindonneaux ?" Je lui répondis que n'ayant pu voir jusqu'ici Rome, Venise, Sienne, le Prado, le musée de Dresde, les Indes, Sarah dans Phèdre, je connaissais la résignation et que j'ajouterai son découpage des dindonneaux à ma liste. La comparaison avec l'art dramatique (Sarah dans Phèdre) fut la seule qu'il parut comprendre, car il savait par moi que, les jours de grande représentations, Coquelin aîné avait accepté des rôles de débutant, celui même d'un personnage qui ne dit qu'un mot ou ne dit rien. "C'est égal, je suis désolé pour vous. Quand est-ce que je découperai de nouveau ? Il faudrait un événement, il faudrait une guerre." (Il fallut en effet l'armistice). Depuis ce jour-là le calendrier fut changé, on compta ainsi : "C'est le lendemain du jour où j'ai découpé les dindonneaux." "C'est juste huit jours après que le directeur a découpé lui-même les dindonneaux."Ainsi cette prosectomie donna-t-elle, comme la naissance du Christ ou l'Hégire, le point de départ d'un calendrier différent des autres, mais qui ne prit pas leur extension et n'égala pas leur durée.
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En matière de crime, là où il y a danger pour le coupable, c’est l’intérêt qui dicte les aveux. Pour les fautes sans sanction, c’est l’amour-propre. Soit que, trouvant sans doute bien usé le prétexte des gens qui, pour ne pas laisser interrompre par les chagrins leur vie de plaisirs, vont répétant qu’il leur semble vain de porter extérieurement un deuil qu’ils ont dans le cœur, Mme Verdurin préférât imiter ces coupables intelligents, à qui répugnent les clichés de l’innocence, et dont la défense – demi-aveu sans qu’ils s’en doutent – consiste à dire qu’ils n’auraient vu aucun mal à commettre ce qui leur est reproché et que par hasard, du reste, ils n’ont pas eu l’occasion de faire ; soit qu’ayant adopté, pour expliquer sa conduite, la thèse de l’indifférence, elle trouvât, une fois lancée sur la pente de son mauvais sentiment, qu’il y avait quelque originalité à l’éprouver, une perspicacité rare à avoir su le démêler, et un certain « culot » à le proclamer, ainsi Mme Verdurin tint à insister sur son manque de chagrin, non sans une certaine satisfaction orgueilleuse de psychologue paradoxal et de dramaturge hardi.
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Mais les passions politiques sont comme les autres, elles ne durent pas. De nouvelles générations viennent qui ne les comprennent plus. La génération même qui les a éprouvées change, éprouve des passions politiques qui, n’étant pas exactement calquées sur les précédentes, lui font réhabiliter une partie des exclus, la cause de l’exclusivisme ayant changé. Les monarchistes ne se soucièrent plus, pendant l’affaire Dreyfus, que quelqu’un eût été républicain, voire radical, voire anticlérical, s’il était antisémite et nationaliste. Si jamais il devait survenir une guerre, le patriotisme prendrait une autre forme, et d’un écrivain chauvin on ne s’occuperait même pas s’il avait été ou non dreyfusard.
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Et pourtant, même sous les couches d’expressions différentes, de fards et d’hypocrisie, qui le maquillaient si mal, le visage de M. de Charlus continuait à taire à presque tout le monde le secret qu’il me paraissait crier. J’étais presque gêné par ses yeux où j’avais peur qu’il ne me surprît à le lire à livre ouvert, par sa voix qui me paraissait le répéter sur tous les tons, avec une inlassable indécence. Mais les secrets sont bien gardés par ces êtres, car tous ceux qui les approchent sont sourds et aveugles. Les personnes qui apprenaient la vérité par l’un ou l’autre, par les Verdurin par exemple, la croyaient, mais cependant seulement tant qu’elles ne connaissaient pas M. de Charlus. Son visage, loin de répandre, dissipait les mauvais bruits. Car nous nous faisons de certaines entités une idée si grande que nous ne pourrions l’identifier avec les traits familiers d’une personne de connaissance. Et nous croirons difficilement aux vices, comme nous ne croirons jamais au génie d’une personne avec qui nous sommes encore allés la veille à l’Opéra.
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Si nous n’avions que des membres, comme les jambes et les bras, la vie serait supportable ; malheureusement nous portons en nous ce petit organe que nous appelons cœur, lequel est sujet à certaines maladies au cours desquelles il est infiniment impressionnable pour tout ce qui concerne la vie d’une certaine personne et où un mensonge – cette chose inoffensive et au milieu de laquelle nous vivons si allégrement, qu’il soit fait par nous-même ou par les autres – venu de cette personne, donne à ce petit cœur, qu’on devrait pouvoir nous retirer chirurgicalement, des crises intolérables. Ne parlons pas du cerveau, car notre pensée a beau raisonner sans fin au cours de ces crises, elle ne les modifie pas plus que notre attention une rage de dents.
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Le cas est fréquent des hommes bien posés et snobs, qui, par vanité, brisent toutes leurs relations pour être vus partout avec une maîtresse, demi-mondaine ou dame tarée, qu’on ne reçoit pas, et avec laquelle pourtant il leur semble flatteur d’être lié.
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On n’apprécie jamais personne autant que ceux qui joignent à de grandes vertus celle de les mettre sans compter à la disposition de nos vices.
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Sans doute pour chaque homme la vie de tout autre prolonge, dans l’obscurité, des sentiers qu’on ne soupçonne pas. Le mensonge, pourtant, si souvent trompeur, et dont toutes les conversations sont faites, cache moins parfaitement un sentiment d’inimitié, ou d’intérêt, ou une visite qu’on veut avoir l’air de ne pas avoir faite, ou une escapade avec une maîtresse d’un jour et qu’on veut cacher à sa femme, qu’une bonne réputation ne recouvre – à ne pas les laisser deviner – des mœurs mauvaises.
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La mort de Swann m’avait à l’époque bouleversé. La mort de Swann ! Swann ne joue pas dans cette phrase le rôle d’un simple génitif. J’entends par là la mort particulière, la mort envoyée par le destin au service de Swann. Car nous disons la mort pour simplifier, mais il y en a presque autant que de personnes. Nous ne possédons pas de sens qui nous permette de voir, courant à toute vitesse, dans toutes les directions, les morts, les morts actives dirigées par le destin vers tel ou tel. Souvent ce sont des morts qui ne seront entièrement libérées de leur tâche que deux, trois ans après. Elles courent vite poser un cancer au flanc d’un Swann, puis repartent pour d’autres besognes, ne revenant que quand, l’opération des chirurgiens ayant eu lieu, il faut poser le cancer à nouveau. Puis vient le moment où on lit dans le Gaulois que la santé de Swann a inspiré des inquiétudes, mais que son indisposition est en parfaite voie de guérison. Alors, quelques minutes avant le dernier souffle, la mort, comme une religieuse qui vous aurait soigné au lieu de vous détruire, vient assister à vos derniers instants, couronne d’une auréole suprême l’être à jamais glacé dont le cœur a cessé de battre.
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Dans l'ivresse de se comparer à l'archange, et Morel au fils de Tobie, M. de Charlus ne pensait plus au but de sa phrase qui était de tâter le terrain pour savoir si, comme il le désirait, Morel consentirait à venir avec lui à Paris. Grisé par son amour ou par son amour-propre le baron ne vit pas ou feignit de ne pas voir la moue que fit le violoniste car ayant laissé celui-ci seul dans le café, il me dit avec un orgueilleux sourire : "Avez-vous remarqué, quand je l'ai comparé au fils de Tobie, comme il délirait de joie ? C'est parce que, comme il est très intelligent, il a tout de suite compris que le Père auprès duquel il allait désormais vivre, n'était pas son père selon la chair, qui doit être un affreux valet de chambre à moustaches, mais son père spirituel, c'est à dire Moi. Quel orgueil pour lui ! Comme il redressait fièrement la tête ! Quelle joie il ressentait d'avoir compris ! Je suis sûr qu'il va le redire tous les jours : "Ô Dieu qui avez donné le bienheureux archange Raphaël pour guide à votre serviteur Tobie dans un long voyage, accordez-nous à nous, vos serviteurs, d'être toujours protégés par lui et munis de son secours." Je n'ai même pas eu besoin, ajouta le baron, fort persuadé qu'il siégerait un jour devant le trône de Dieu, de lui dire que j'étais l'envoyé céleste, il l'a compris de lui-même et en était muet de bonheur !" Et M. de Charlus (à qui au contraire le bonheur n'enlevait pas la parole), peu soucieux des quelques passants qui se retournèrent, croyant avoir affaire à un fou, s'écria tout seul et de toute sa force, en levant les mains : "Alleluia !"
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"Ce pauvre de Charlus, dit-il le soir à sa femme, il m'a fait de la peine quand il a dit qu'il était honoré de voyager avec nous. On sent, le pauvre diable, qu'il n'a pas de relations, qu'il s'humilie."
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Mme Cottard, au bout d'un instant, prit un sujet qu'elle trouvait plus personnel au baron : "je ne sais pas si vous êtes de mon avis, monsieur, lui dit-elle au bout d'un instant, mais je suis très large d'idées et selon moi, pourvu qu'on les pratique sincèrement, toutes les religions sont bonnes. Je ne suis pas comme les gens que la vue d'un... protestant rend hydrophobes. - On m'a appris que la mienne était la vraie", répondit M. de Charlus. "C'est un fanatique, pensa Mme Cottard ; Swann, sauf sur la fin, était plus tolérant, il est vrai qu'il était converti."
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"Nous avons tenu absolument à faire toute avec vous, monsieur, et à ne pas vous laisser comme cela seul dans votre petit coin. C'est un grand plaisir pour nous, dit avec bonté Mme Cottard au baron. - Je suis très honoré, récita le baron en s'inclinant d'un air froid. - J'ai été très heureuse d'apprendre que vous aviez définitivement choisi ce pays pour y fixer vos tabern..." Elle allait dire tabernacles, mais ce mot lui sembla hébraïque et désobligeant pour un Juif qui pourrait y voir une allusion. Aussi se reprit-elle pour choisir une autre des expressions qui lui étaient familières, c'est-à-dire une expression solennelle : "pour y fixer, je voulais dire "vos pénates" (il est vrai que ces divinités n'appartiennent pas à la religion chrétienne non plus, mais à une qui est morte depuis si longtemps qu'elle n'a plus d'adeptes qu'on puisse craindre de froisser).
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- Qu'est-ce que tu dit ? demanda Mme Cottard. - Rien. Cela ne te regarde pas. Ce n'est pas pour les femmes", répondit en clignant de l'oeil le docteur, avec une majestueuse satisfaction de lui-même qui tenait le milieu entre l'air pince-sans-rire qu'il gardait devant ses élèves et ses malades et l'inquiétude qui accompagnait jadis ses traits d'esprit chez les Verdurin, et il continua à parler tout bas. Mme Cottard ne distingua que les mots "de la confrérie" et "tapette", et comme dans le langage du docteur le premier désignait la race juive et le second les langues bien pendues, Mme Cottard conclut que M. de Charlus devait être un Israélite bavard. Elle ne comprit pas qu'on tînt le baron à l'écart à cause de cela, trouva de son devoir de doyenne du clan d'exiger qu'on ne le laissât pas seul et nous nous acheminâmes tous vers le compartiment de M. de Charlus, guidés par Cottard toujours perplexe.
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- Qu'alliez-vous me dire ?" interrompit M. de Charlus qui commençait à être rassuré sur ce que voulait signifier M. Verdurin, mais qui préférait qu'il criât moins haut ces paroles à double sens. "Nous vous avons mis seulement à gauche", répondit M. Verdurin. M. de Charlus, avec un sourire compréhensif, bonhomme et insolent, répondit : "Mais voyons ! Cela n'a aucune importance, ici ! Et il eut un petit rire qui lui était spécial - un rire qui lui venait probablement de quelques grand-mère bavaroise ou lorraine, qui le tenait elle-même, tout identique, d'une aïeule, de sorte qu'il sonnait ainsi, inchangé, depuis pas mal de siècles dans de vieilles petites cours de l'Europe, et qu'on goûtait sa qualité précieuse comme celle de certains instruments anciens devenus rarissimes. Il y a des moments où pour peindre complètement quelqu'un il faudrait que l'imitation phonétique se joignît à la description, et celle du personnage que faisait M. de Charlus risque d'être incomplète par le manque de ce petit rire si fin, si léger, comme certaines suites de Bach ne sont jamais rendues exactement parce que les orchestres manquent de ces "petites trompettes" au son si particulier, pour lesquelles l'auteur a écrit telle ou telle partie. "Mais, expliqua M. Verdurin blessé, c'est à dessein. Je n'attache aucune importance aux titres de noblesse", ajouta-t-il avec ce sourire dédaigneux que j'ai vu tant de personnes que j'ai connues, à l'encontre de ma grand-mère et de ma mère, avoir pour toutes les choses qu'ils ne possèdent pas, devant ceux qui ainsi, pensent-ils, ne pourront pas se faire à l'aide d'elles une supériorité sur eux. "Mais enfin puisqu'il y avait justement M. de Cambremer et qu'il est marquis, comme vous n'êtes que baron... - Permettez, répondit M. de Charlus avec un air de hauteur, à M. Verdurin étonné, je suis aussi duc de Brabant, damoiseau de Montargis, prince d'Oléron, de Carency, de Viareggio et des Dunes. D'ailleurs cela ne fait absolument rien. Ne vous tourmentez pa
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Saniette voyait avec joie la conversation prendre un tour si animé. Il pouvait, puisque Brichot parlait tout le temps, garder un silence qui lui éviterait d'être l'objet des brocards de M. et Mme Verdurin. Et devenu plus sensible encore dans sa joie d'être délivré, il avait été attendri d'entendre M. Verdurin, malgré la solennité d'un tel dîner, dire au maître d'hôtel de mettre une carafe d'eau près de M. Saniette qui ne buvait pas autre chose. (Les généraux qui font tuer le plus de soldats tiennent à ce qu'ils soient bien nourris.)
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