Au risque de choquer, je dirais que, pour l'enfant, au début, l'amour est une sorte de forçage. Les parents se croient en effet dans l'obligation d'aimer leurs enfants, ce qui est malgré tout assez nouveau.
Pendant des années, voire des siècles, les enfants, nombreux, n'étaient pas aussi (sur)investis, aussi sacralisés qu'aujourd'hui.
Pour être tout à fait honnête, je pense que les parents aiment l'enfant imaginaire qu'ils projettent sur l'enfant réel; en retour, les enfants aiment leurs parents, mais ce sont souvent des parents imaginaires, meilleurs que ce qu'ils sont en réalité. L'amour est un miroir, une mise en abîme, la rencontre de deux imaginaires, de deux illusions. On le verra à l'adolescence quand les enfants n'auront de cesse de démolir les images parentales idéales qui les ont aidés à grandir et de s'ajuster aux parents réels, pas forcément mauvais mais beaucoup moins bons que ce qu'ils avaient crus.
Dans le fond, l'enfant s'entraîne à aimer, les parents servant de brouillon à l'amour. Entre eux, en effet, l'amour ne va cesser d'évoluer, afin de laisser la place à d'autres objets d'investissement.
Tout commence par le célébrissime "caca boudin" auquel nul n'échappe, vers 2, 3 ans, âge de la phase anale, et qui vient exprimer la fierté ressentie à pouvoir se maîtriser et l'agressivité qui s'y attache. Dire "caca boudin", c'est traduire en mot la fonction d'excrétion, faire sortir symboliquement ce qui était au-dedans de soi, et éprouver, en le prononçant, un plaisir analogue é celui que procure l'excrétion elle-même. Très vite, le "caca boudin" laissera place à des injures crues, que les enfants répètent sans en comprendre le sens.
Ce n'est pas aux parents de leur expliquer ce que signifie "enculé" ou "salope". En revanche, il faut interdire que ce genre d'insulte leur soit directement adressée, car elles induisent un manque de respect. Tant que l'enfant est petit, le gros mot peut paraître amusant à certains parents; il en va tout autrement à l'adolescence où ces abus de langage constituent parfois les préformes de violences physiques à l'égard des parents.
Les gros mots sont tolérables seulement entre pairs.
Georges Duby disait:"La trace d'un rêve vaut la trace d'un pas".
On ne naît pas pédopsychiatre, on le devient et on ne cesse de faire évoluer sa pratique.Mon maître,Michel Soulé,à près de quatre-vingt-dix ans,me disait encore:"Au stade où j'en suis de mes réflexions..."