Marie-Christine Chartier

Ça me semblait insensé. Seulement elle insistait avec ses yeux, sa question vibrait dans ses iris bleus, tandis que mon cœur cognait contre ma cage thoracique. Alors, j’ai ouvert la bouche et les mots sont sortis tout croche, je me suis senti aussi mal que soulagé, et j’ai songé à quel point c’était étrange de vivre simultanément ces deux émotions contradictoires, et que peut-être que ça allait faire court-circuiter mon système ?

On s’est dévisagés quelques secondes, indécis. Finalement, il s’est penché et m’a embrassée sur les lèvres, doucement, longuement, et notre baiser goûtait le sel, parce qu’on pleurait, lui et moi. Je me suis demandé si je devais lui rendre sa bague, celle qu’il m’a offerte quand il était convaincu qu’il allait m’aimer toujours. Puis j’ai décidé de la garder, de m’accrocher à l’espoir qu’on prenait un pas en arrière pour revenir plus forts. Qu’on s’accordait un espace pour réfléchir afin de mieux se retrouver. Le ressac avant la déferlante.

On s’aime depuis trois ans, on est fucking fiancés, on s’enlignait pour s’aimer pour la vie. Il ne s’est sûrement pas réveillé un matin en se disant : « Ouin, je suppose que je pourrais avoir besoin d’espace. » Non, c’était prémédité son affaire, et malgré ça, c’est la ligne qu’il m’a servie pour me l’annoncer. Félix est une des personnes les plus intelligentes que je connaisse… sérieusement, what the fuck ?

Toute la beauté du monde au dessus du berceau de sa laideur.

elle m’a confié qu’elle n’avait pas toujours été comme ça, que plus jeune elle était comme ma mère, calme, réservée, posée. Puis, quand mon grand-père est décédé, elle avait décidé qu’elle en avait assez de marcher constamment sur des œufs pour ne vexer personne. Elle avait compris que, de toute façon, il y avait toujours quelqu’un de vexé.

Avec les années, j’ai appris à transformer ces blocs d’insécurité en un mur blindé, tellement que parfois je me couche épuisé d’avoir maintenu ce mirage toute la journée. C’est éreintant de faire semblant d’être fort tout le temps.

Les jardins les mieux soignés perdurent, même lorsqu'ils sont délaissés.

Le désespoir cause des migraines pires que celles provoquées par l’alcool.

On obsède toutes, je pense, sur les ex de ceux qu’on aime, ou sur les personnes qui pourraient nous les dérober. Sauf que moi, en plus, j’avais déjà vécu l’expérience d’être rejetée, trahie, en quelque sorte.

Il m’avait détaillée sans gêne de la tête aux pieds. J’étais devenue plus rouge que le costume du père Noël de service.

J’ai offert ma virginité à un gars qui s’appelait Zacharie. Je préfère dire « offrir sa virginité » plutôt que « la perdre », parce que c’était un choix.

Je viens d’une famille de gens qui parlent fort, qui déplacent de l’air et qui obtiennent ce qu’ils veulent. Antoine, mon frère, a trois ans de plus que moi, cinq de plus qu’Amélie. Moi, l’enfant du milieu, j’ai toujours été le mouton noir : je suis calme où ils sont intenses, je suis réfléchie où ils sont impulsifs, je suis accommodante où ils sont rigides.

Ce n’était rien, des paroles d’un gars saoul, échappées dans la nuit. Reste que ça a suffi pour que je tombe amoureuse de lui. Samuel n’a pas été mon premier chum, j’ai déjà eu des kicks, et une amourette plus « sérieuse ». Non, Samuel n’a pas été mon premier, mais il a été le premier qui comptait. Le premier que j’ai vraiment aimé. C’était là toute la différence. Ce moment-là a été la petite poussée qui me manquait, celle par laquelle a commencé mon vol plané, ou plutôt cette longue chute qui m’a menée à l’écrasement tout récent. Tout de même, ça a été un beau vol, le temps que ça a duré.

La vérité était que, du haut de mes dix-neuf ans, je n’avais pas encore rencontré un gars qui avait fait battre mon cœur assez fort pour penser qu’il n’y en aurait jamais un autre après lui.

Elles sont toujours à la recherche de gars. Les rares fois que je sortais avec elles, j’avais l’impression d’être le bébé guépard un peu maladroit qui revient bredouille de la chasse avec les grands.

Selon elle, les gens qui se posent des questions sont les plus malheureux. Ignorance is bliss, étaient ses mots exacts. « L’ignorance est le bonheur. »Je n’avais pas pu m’empêcher de penser à Théo, en lui souhaitant que cette merveilleuse assurance ne le quitte jamais.

Lorsque je l’ai rencontré, Samuel était vraiment comme un animal sauvage : méfiant, distant, avare de tendresse, surtout. Je pense qu’il en avait trop donné, par le passé, qu’il avait besoin de temps pour se remplir à nouveau de douceur avant d’être capable d’en offrir à son tour. À cette époque, c’était différent. On ne faisait pas l’amour, mais je sentais malgré tout qu’il me désirait. C’était dans la façon qu’il avait de me regarder, comme si j’étais une tentation à laquelle il devait résister. À bien y songer, ce n’était pas moi le défi. J’étais là, prête, patiente. Non, pour lui, le défi c’était de vaincre ses craintes, d’y aller par étape, au rythme de sa guérison. De ne pas tout gâcher en allant trop vite, pour après prendre peur.

Même si nous sommes jumeaux, on ne se ressemble pas du tout, Théo et moi. Lui, blond aux yeux bleus, me dépasse de près de deux têtes ; moi, je suis plus foncée, d’yeux, de cheveux et de teint. Mais l’apparence, ce n’est pas ce qui importe. L’essentiel, c’est ce lien invisible entre nous, qui fait que l’on se comprend à demi-mot.

Ah, on s’aime, c’est indéniable, mais ce qu’on aime encore plus, c’est s’obstiner. Le cas classique de la chamaille constante entre mère et fille. Du moins c’était comme ça, avant que je parte et mette quelques milliers de kilomètres entre nous.

Manifestement, cette conversation serai comparable à de la calvitie : elle n'irait pas en s'améliorant.