Citations de Marie-Claire Blais (86)
Le bois des arbres, touché par le soleil, criait comme si la glace l'eût enfanté.
Isabelle-Marie se demandait souvent comment un être comme égoïste comme Lanz pouvait porter en lui les germes d'une saine émotion. Lanz pensa: «Mais d'où vient donc ce regard là? De l'intelligence ou de la déception de ne pas en avoir?»
Elle parlait aux bêtes qui ne risquaient pas de l'insulter, comme les humains.
Arrivé au lac, Patrice attendit le repos des eaux. Il se regarda puis se leva, très lentement, ouvrant ses bras magnifiques comme s'il eût désiré jouir de sa beauté, goutte à goutte et jusqu'au fond. Il était admirable et seul, prêt à rebondir dans le coucher du soleil.
Il aimait les femmes faciles et sans esprit. Il adorait se sentir entouré, grisé de conquêtes, irrésistible séducteur. Sans conscience, il jouait à l'amour avec beaucoup de femmes, charmait l'une et puis l'autre, leur inventait des discours sublimes mais nuls, et laissait derrière lui des coeurs sanglants dont il se glorifiait avec effronterie.
« Au moins, disait-il, quelqu'un aura pleuré pour moi. »
Patrice courait... On eût dit qu'il inventait un ballet pour lui-même, rayon de son propre soleil. (...) Il courait sous les arbres; il se perdait dans l'ivresse de se plier, de se tendre de tout son corps, de caresser de ses mains ouvertes la terre grouillante.
L'adolescent éprouvait vis-à-vis de sa soeur une crainte d'esclave sans lucidité. Les miroirs seuls l'abritaient de toute peine. Au plus tragique de ses rêves. Isabelle-Marie lui donnait un miroir et là il souriait à ses dents pures, à sa bouche parfaite. Une fausse paix l'ensorcelait, mais sans le guérir. Patrice se consumait de langueur, comme épris de son propre drame.
Ayant réussi à moitié sa vengeance, elle en perdait le goût.
Un instant, elle repoussa ce nouveau goût de la perversité, puis elle l'accepta. Ah! Surprendre la beauté dans sa lente décomposition! Mais ne serait-ce pas criminel? Lui, le pauvre Patrice, était-il responsable de sa beauté? Le poison bougeait en elle et elle s'étonnait de sa propre puissance: «Et moi, alors, suis-je responsable de ma laideur?»
L'heure du repas était l'heure de nudité. On y tendait la main pour recevoir, on y montrait des doigts nerveux. Les visages se heurtaient en profondeur.
L'étranger, l'ennemi géant qui violait sa mère
chaque nuit, tandis qu'elle se plaignait doucement à voix
basse.
C'est un bien mauvais temps pour naître.
que sa grand-mère mourrait
d'immortalité à un âge avancé et que son jeune frère
Emmanuel [... ] finirait au noviciat, succombant à la
digne maladie dont Jean Le Maigre lui-même avait été
atteint.
son frère Pomme finirait en prison,
le Septième à l'échafaud, et sa soeur Héloïse au bordel.
Il y avait eu tant de funérailles depuis que
Grand-Mère Antoinette régnait sur la maison, de petites
morts noires en hiver, disparitions d'adolescents en
automne, au printemps.
Ah ! les hommes ne comprennent rien à ces
choses-là
l'essentiel, c'est de pouvoir traire les vaches et couper le
bois
Les funérailles, ça dérange tout le monde!
Bien pauvre est le martyre où l'on s'offre sans ardeur.
Grand-Mère Antoinette se laissait bercer par la vague des morts, soudain comblée d'un singulier bonheur.