Citations de Marie Darrieussecq (585)
Solange la reçoit allongée. Elle aimerait que ça fasse pharaonne, mais ça fait probablement pyramide écroulée.
[ Dans le métro] Il faut choper le bras du type et crier « à qui c’est cette main? ». Rita mime, bras levé. Sa main manucurée revendique. Et son beau visage marqué d’une acné ancienne, pas soignée, mal cicatrisée, semble s’ouvrir sur le visage rond, lisse, triste, d’une fillette qui n’a pas crié autrefois.
L’inconvénient du permis en accéléré, c’est qu’on a les bases, mais pas les créneaux.
Parfois Rose aperçoit l’enfant d’en face. Thierry. La mère de Solange le met à sécher. Droit et raide, sous le soleil qui peine à le colorer.
Candanchú vient de s’équiper de canons à neige: le paysage vert semble corrigé au Tipp-Ex.
Rose console Christian, qui préférerait être viril plutôt que consolé.
« Vous êtes une bande de jeune cons », dit Marcos. (….) « Un homme qui couche c’est un don Juan, et une fille qui s’offre, c’est une salope? ». Jamais Rose n’avait entendu ces évidences aussi nettement formulées. Sa mère les lui serine, mais ça ne rend pas le même son.
Tout le village est d’accord que les filles ont besoin de la force des garçons. On pourrait même dire que tout le village est bâti autour de ça.
Solange a cet air d’ennui et de pleine forme de volaille élevée en liberté, heureuse d’être paparazzée pendant sa digestion (…).
Pourtant, du vilain petit canard du village à cette poule hollywoodienne, la métamorphose laisse toujours Rose médusée.
Je suis peut être la pire des mères, mais le père du bébé est amoureux de moi.
La cheffe de ceux qui étudient les crapauds, ici, c'est Annemarie. Elle est herpétologue, c'est un mot rigolo, ça vient du grec "qui rampe". Évidemment, ce n'est pas elle qui rampe, mais ce qu'elle étudie. (p. 9)
Dans le laboratoire qui nous étudie, les chercheuses et les chercheurs partagent plutôt des chouquettes. J'adore observer les scientifiques. Ils sont très bizarres. Par exemple, quand la femelle porte leur petit, elle disparait du laboratoire pendant plusieurs semaines. Je me demande sous quel rocher elle se cache. Et quand elle revient, tout le monde lui parle comme si elle avait perdu la moitié de son cerveau. Il y a même des endroits où il faut qu'elle se fâche pour retrouver sa table de travail. (p. 6)
Elle se demande quand ça commence, l'avenir.
Rose reste avec ceux et celles dont on ne sait pas bien quoi faire : davantage celles que ceux - des filles suicidaires, déprimés, bipolaires, peut-être skizophrenes. Où sont les garçons ? "En prison", lui dit un infirmier.
Le soleil est total sur le grand haricot bleu et les murailles blanc et rouge. Solange est là, les pieds dans l’eau, lunettes noires et bikini fluo, elle parle avec Nastassja Kinski. Solange ! L’enfant gémit toujours, il a peut-être faim ? Regarde, il y a ta maman. Où est son maillot. Où sont les vestiaires. Elle le pose, ouf, par terre. Il se met soudain à avancer façon limule droit vers l’eau. Hé ! Elle le soulève mais il s’est mis sur ON et ses petites jambes cisaillent l’air. Solange ! Rose a l’idée des BN, écrasés dans sa poche, elle lui en fourre un dans la bouche, ça ralentit la marche du lapin Duracell. Ouf. Il a repris sa position debout bras ballants, il mâche en regardant le ciel. Elle lui enlève sa salopette. Erreur. Puanteur. Heureusement qu’on est en plein air. Si elle osait elle le passerait sous la douche, là, à trois mètres, où des naïades en maillot Eres s’aspergent dans les arcs-en-ciel. Elle l’essuie comme elle peut avec la serviette donnée par sa mère, dans laquelle était roulé, elle s’en aperçoit maintenant, son propre maillot La Redoute, joli mais clair, où une traînée brune est apparue. Allez, mets ton maillot. Est-ce qu’elle doit lui mettre une couche sous le maillot. Tout le monde la regarde, il a quoi, quatre ans ce gosse, on peut quand même mettre à poil un gosse de quatre ans, non ? Des serveurs en habit blanc contournent les transats avec des cocktails qui font envie, elle fourre la serviette et le petit slip immondes dans son sac, sa bouteille d’eau glisse, merde, pendant ce temps le mode marche s’est réactivé, le gamin reprend son chemin droit vers la piscine, elle lâche tout et se précipite. Solange, putain.
Comment est-on passé de ce mot des années 1990, "sans-papiers", mot juste, descriptif, à ce mot de "migrant", qui maintient les exilés en l'air, en suspens, au participe présent, quand les émigrés, au participe passé, peuvent enfin se poser ?
-Nouvelle- intitulée " Rencontres différentes avec des voyageurs forcés différents" et publiée dans " SOS MÉDITERRANÉE"- Gallimard 2022- Folio - p101 -
Penchée sur le berceau comme au-dessus d'un ravin.
Quand au père de Rose, il a disparu des radars. C'est-à-dire qu'il n'est pas mort, mais il semble captif de cette zone où se perdent les pères, ce triangle des Bermudes de leur milieu de vie, entre leur boulot, leur meilleur pote, et une ou des femmes quelque part.
La station passe en oscillant. Les sapins noirs, l'herbe verte, les rochers gris, le ciel bleu. Les Vuarnet métallisent les cimes en doré. Oxygène nuancé de gasoil. Un long sentier de traces, lièvre ou renard, suit le télésiège, petits mammifères dopés eux aussi par la chaleur, le bruit, et les miettes de barres énergétiques.
« L’imaginaire est toujours hanté par la vie » .