Citations de Marie Desplechin (438)
Si nous nous ressemblions, j'ai pensé qu'elle saurait tirer un bénéfice des retrouvailles avec ce qui survit des émotions du passé. (p.80)
Ils peuvent digérer des choses que nous ne pouvons même pas avaler. Ils les transforment avec leurs racines, et pour finir les vers les mangent. C'est la raison pour laquelle les arbres vivent plus longtemps que les hommes. (p.117)
D'où vient-elle, cette odeur de jacinthe ? De la mémoire sans doute, que nous gardons des saisons, et de l'envie que nous en avons. L'automne a bien un parfum de pomme, de brume, et de bois mouillé. L'hiver sent la fumée, et l'été la vanille." (p.210)
Mais je me suis tue, ce qui est juste n'est pas toujours opportun. (p.241)
- Qu’est-ce que tu lui as fait, à Mme Arsène ? a demandé Verte avec une pointe d’inquiétude dans la voix.
- Un tas de choses. Des crèmes et des lotions pour la peau et les cheveux, une potion pour la digestion, une autre pour le moral, des abonnements d’un an à des magazines distrayants.
- Il n’y a pas un gramme de sorcellerie dans tout ça, a protesté Verte. C’est à la portée de n’importe quel pharmacien ou de n’importe quel libraire !
- Ksss, ksss, petite ignorante. Je suis mille fois plus mystérieuse et mille fois plus efficace que tous les pharmaciens et tous les libraires du monde. En prime, j’ai envoyé quelques sorts désopilants sur sa maison, si bien que sa vie est devenue pendant quelques semaines une suite ininterrompue de joyeuses surprises, musique brésilienne au réveil, envol d’oiseaux multicolores sous ses fenêtres, escorte d’admirateurs devant sa porte, frigo fournisseur de menus diététiques et tutti quanti.
"franchement, je ne peux pas avoir un avis très positif sur "La pricesse de Clèves" qui est quand même la reine de l'embrouille et du ratage réunis." page 29.
_ Si tu veux, je peux t’apprendre quelques tours. Pour commencer, je peux t’enseigner celui de l’ombre bleue. A moins que tu n’aies une meilleure idée.
_ Justement, j’ai une idée. Voilà ce que je voulais te demander…
_ Pas question de revenir dans le passé, ni d’autres blagues de ce type. Nous sommes des sorcières, pas des écrivains de science-fiction. D’accord ?
_ Qu’est ce que c’est que CA ? A-t-elle fini par demander d’un ton accusateur en tendant le doigt vers un mur.
_ Eh bien, ce sont de petites chauves-souris. On les ouvre en deux et on les met à sécher pour les conserver. N’est-ce pas mignon, ces bestioles éventrées ? On dirait de petits manteaux taillés pour des gnomes.
_ Et ces trucs, là-bas, dans les bocaux posés sur l’étagère ?
_ Hum, ce sont des mandragores dans du formol.
_ Mais c’est dégueulasse, on dirait de monstrueux petits hommes avec des racines.
J’ai toussoté, un peu gênée.
Sorcières : je n’aime pas le mot. Il sent le château fort et le bûcher, le bonnet pointu et le manche à balai, j’en passe et des meilleures. Tout un folklore désuet qui date du Moyen-âge.
Moi, de ma vie, je n’ai jamais porté de chapeau, et encore moins de chapeau pointu. Pointu pour pointu, je préfère les escarpins à très hauts talons. Quant au balai volant, laissez-moi rire. Quand je veux voler, je prends l’avion comme tout le monde.
Les sorcières ne peuvent passer leur pouvoir qu’à l’aînée de leurs filles. Voilà pourquoi la plupart d’entre nous se contentent de donner le jour à une seule gamine. C’est bien assez de souci. Franchement, quand on n’aime pas beaucoup les enfants, pourquoi s’encombrer de toute une tripotée de braillards sans le moindre avenir dans la profession ?
Il faut claquer la porte tant qu’on peut la claquer. Après c’est trop tard, et crois-moi, trop tard c’est très vite. Si tu obéis maintenant, tu obéiras toute ta vie.
J’écoute le silence domestique. Il y a une jubilation de conjuré à confirmer ce que je sais : quand les enfants sont partis, je suis toute seule.
J’ai raccroché le téléphone, ma faiblesse me faisait honte. Plus cette honte était grande, et plus elle était profonde, plus je souhaitais laisser d’autres misérables messages, plus je voulais que l’on me rappelle, pour me rendre de la consistance, je n’existais plus qu’à peine, dilué dans la solitude et l’attente.
Je fus ainsi rappelée à deux vérités. La première, quel qu’ait été mon désir de renvoyer dos à dos victimes et bourreaux sous prétexte d’histoire, ce monde indigne se pensait au présent, et il était proprement scié en deux. Il fallait que je me résigne à savoir de quel côté ranger mon cœur. La seconde, ce n’est pas parce qu’un travail est idiot que ce n’est pas du travail. L’injuste collaborateur du monde indigne ne bosse pas moins que son intègre contempteur. Et même, souvent, il en fait plus. Je pouvais me moquer autant que je voulais, je n’allais pas m’en tirer comme ça.