Le travail nous confronte à nous-même. En travaillant, nous nous travaillons. Pour le meilleur, dans l’espoir d’élargir et d’enrichir notre savoir, nos compétences, notre contact au monde. Dans l’espoir d’être reconnus par les patients, par la hiérarchie, par nos pairs. Dans l’espoir de nous émanciper socialement, de pacifier la souffrance dont nous sommes porteurs et qui, dans le travail, trouve une voie d’expression et une utilité sociale.
Nos petits silences, nos petites cécités, nos petits consentements quotidiens opposent encore de puissantes résistances à la prise de conscience.
Le métier que nous choisissons entre en résonance symbolique avec notre histoire infantile. Il peut nous aider à la subvertir, à en faire un terreau fertile. Il peut aussi nous confronter, dans une rencontre toujours explosive, aux zones aveugles que nous n’avons pas pu travailler.
Celui qui travaille va devoir comprendre la fausse reconnaissance désormais accolée au travail, créée pour mieux le duper. Celui qui travaille n’obtient jamais la réciproque de ce à quoi il consent, de ce qu’il donne corps et âme à son entreprise. Seul le travail le lui rend bien.
Travailler, ce n’est donc pas seulement produire, c’est se
transformer soi-même.
Pour trouver des conditions propices à la reconnaissance de leurs qualités professionnelles, ou le plus souvent par peur de perdre leur poste, de nombreux salariés doivent « faire avec » une organisation du travail banalisant le cynisme ordinaire, et en faisant même preuve de force de caractère, de courage. « Autrefois défini comme vertu ancrée dans l’affectivité, le courage est aujourd’hui conçu comme simple compétence au sein des nouvelles organisations du travail et de la société.
Dans ces temps de solitude, surtout dans les grandes villes, si vous êtes en difficulté au travail, cherchez un appui pour ne pas tomber. Dans l’entreprise, parlez-en au médecin du travail, aux délégués du personnel, aux délégués syndicaux, aux membres du CHSCT, aux ressources humaines, à votre manager. En dehors, aux amis, à la famille, à votre généraliste. Allez consulter, n’essayez pas de tenir à tout prix.
Difficile de ne pas s’interroger sur ces organisations du travail matricielles qui imposent partout la même brutalité et entraînent les mêmes ravages.
Agathe me raconte l'histoire d'une équipe faite de professionnelles soudées autour de valeurs communes et capables de coopération véritable, de solidarité quand le travail devient difficile. Pour travailler ensemble, il ne suffit pas de juxtaposer des tâches, de prévoir les communications entre les postes, d'aligner les personnels les uns à côté des autres. Ce n'est pas ainsi qu'une équipe se fabrique. Pas davantage à coups de stages de team building, où, isolé dans un hôtel de luxe, un groupe de salariés se livre à la pratique passagère d'arts martiaux et au déballage émotionnel de secrets intimes en pseudo-séances de dynamique de groupe. Une équipe se construit non pas dans le partage d'une intimité forcée ou de conceptions théoriques, mais dans le partage des mêmes règles de métier. Cette construction suppose l'existence de discussions, de confrontations des opinions, de manière formelle au cours de réunions instituées, mais le plus souvent dans les espaces informels des pauses café, des repas, des échanges dans les couloirs, où s'ajustent les postures pratiques et les éthiques personnelles.
Au travail se jouent des histoires de domination, de soumission, de servitude, incroyablement volontaires.