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Citations de Marquis de Sade (581)


Le marquis écrit à sa femme qu’il se dispose à partir pour Rome et espère y recevoir du linge et de l’argent. « Ce 22 septembre ».

N’oubliez pas je vous prie, ma chère amie, de faire continuer à travailler à mon trousseau tel qu’il a été décidé avant mon départ. Il est physiquement impossible que je puisse finir mon voyage avec ce que j’ai apporté. Tenez-le tout prêt et, dans ma première lettre de Rome, je vous indiquerai l’adresse à laquelle il faudra me le faire passer. De Marseille, rien ne vous sera plus aisé que de trouver des occasions pour Rome. Surtout recommandez bien qu’on prenne garde à la coupe du col de mes chemises car toutes celles que l’on m’a faites dernièrement à la Coste sont abimées. Je vous supplie aussi (également que M. Gaufridy) d’arranger les choses de manière à ce que je trouve la totalité de mes mille écus en arrivant à Rome ou sans cela vous me mettriez dans un grand embarras. Je vous embrasse tous les deux.
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Le marquis reproche à l’avocat de compromettre son secret en faisant passer ses lettres par Avignon. « Ce 10 septembre 1775 ».

Ce n’est pas la peine, monsieur, de me tant recommander d’être caché lorsque vous-même, par l’inattention la plus impardonnable, compromettez aussi cruellement mon secret en ne vous servant pas de la voie convenue et faisant tout simplement mettre mes lettres à Avignon. En voilà cinq que je reçois ainsi. Croyez-vous que le nom de Mazan ne soit pas très connu à Avignon et pouvez-vous douter que ma famille ne sache pas promptement le fait ? Vous me permettrez de vous dire, monsieur, qu’il valait infiniment mieux refuser de vous charger de nos lettres que de vous en charger ainsi. Votre ami d’Aix a-t-il peur que l’on lui fasse banqueroute des ports ? Voilà ce que c’est que d’être malheureux, tout le monde se méfie de vous ! Eh bien ! monsieur, j’écrirai à madame de Sade de vous remettre entre les mains un diamant de cinquante louis pour lui répondre du port de nos lettres ! C’est sans doute de là, de cette méfiance outrageuse, qu’est venu le charmant conseil d’écrire moins souvent. Dans les circonstances affreuses où je suis, à la veille de tout perdre et de voir qu’on cherche à m’enlever la seule amie qui me reste, vous me permettrez de vous dire qu’un tel conseil est bien extraordinaire. Je me flattais, monsieur, que vous étiez mon ami ; ma bonne foi, ma confiance, mon attachement, tout devait m’assurer un peu de recours, mais je vois qu’il faut tout perdre avec la fortune et que l’amitié n’est qu’un sentiment idéal dont l’égoïsme est la pierre de touche. Au fait, pourquoi me serais-je flatté de mériter quelque chose de vous ? Les malheureux sont comme les enfants, ils croient intéresser par leur propre situation et qu’on ne peut leur refuser les secours dont ils ont besoin. Mais je me détrompe ; l’erreur était trop douce ; il faut y renoncer… comme à tant d’autres ! La reconnaissance est un fardeau dont votre cœur se plaît à dégager le mien, mais vous m’avez mal jugé et vous m’avez privé du plus doux des plaisirs.

Quoi qu’il en soit, monsieur, si nos lettres vous gênent, faites-les passer par un autre canal. Débarrassez-vous d’un poids qui ne devait avoir que la reconnaissance pour prix, mais au moins ne les interrompez pas. Écrire à ma femme, recevoir de ses nouvelles à chaque courrier est ma seule consolation dans l’état où je suis. En me prouvant que je n’ai point d’amis, ne me mettez pas dans le cas de craindre que je n’aie plus de femme. Il serait aussi par trop malheureux de tout perdre à la fois……

Si vous avez encore de l’amitié pour moi, vous vous justifierez et il vous faudra bien peu pour recouvrer vos droits.
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Le marquis est fatigué de la route qu’il a faite et attend un envoi de mille écus. (Sans date).

Madame de Sade a dû sûrement vous dire, mon cher avocat, combien je la presse de m’envoyer mille écus. Je vous demande instamment de tout tenter pour me les faire passer au plus tôt. Par cet arrangement je laisse tout le monde tranquille jusqu’à Pâques et ne reparais plus qu’à cette époque. Mais vous sentez combien il est nécessaire d’avoir mon argent d’avance pour savoir (d’avance aussi) si je peux continuer ma route. Au nom de Dieu, mettez tout en usage pour me faire cette somme et me l’envoyez au plus tôt ! Ne parlez à personne de mon retour ; laissez croire que je ne reparaîtrai pas de fort longtemps et que vous savez positivement que, même mon affaire finie, je ne veux revenir de deux ou trois ans. Cette idée est extrêmement essentielle à répandre…… Nous sommes arrivés aux deux tiers de notre route (dont je vous écris) en assez bonne santé, mais bien fatigués, les chevaux et les hommes rendus et abîmés des montagnes terribles et des excessives chaleurs ; je n’en ai de ma vie ressenti d’aussi fortes. De grâce, démêlez la fusée et tâchez de savoir de qui est l’esclandre dernière ; j’en suis bien inquiet.

Quelques détails aussi sur la route et l’arrivée de Nanon à Arles. Je vous embrasse de tout mon cœur.
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Le marquis a passé en Italie et donne les premiers détails sur son voyage. (10 août 1775).

……Le diable ici est de s’entendre ; pas une âme ne parle français et je suis fort éloigné de parler encore italien. J’y travaille cependant comme un diable ; le chevalier de Donis prétend que je n’en viendrai pas à bout sans une maîtresse italienne et je l’assure (et vous aussi) que c’est un moyen dont je ne me servirai sûrement pas. Mandez-moi bien des nouvelles, bien des détails, écrivez toujours bien gros et aimez-moi toujours un peu car je vous suis et vous serai toute ma vie bien sincèrement attaché……

Recommandez toujours exactement à votre ami d’Aix d’affranchir les lettres qu’il me fait passer. Envoyez-moi je vous prie au plus vite le nom de la fille de M. de Donis mariée à Mazan. Croiriez-vous que j’ai fait la bêtise de l’oublier, ce qui a paru assez singulier ici. Mais telle est ma pauvre tête ; j’oublierai bientôt mon propre nom je crois… Madame de Valette, le voilà qui me revient en cachetant ma lettre !
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M. de Sade redoute les suite de l’affaire de Nanon si la présidente ne la prend en mains. (Sans date).

De tous les partis proposés hier, le meilleur a été d’amadouer jusqu’à ce que vous savez (que je n’explique pas et que vous entendez). On a fait une trêve jusqu’au trente de ce mois, au-delà duquel terme on ne veut pas rester une minute. C’est déjà beaucoup que d’avoir gagné cela. Nous capitulerons après pour le reste. Il est difficile qu’après ce que madame a écrit hier (par un exprès à Orange) cela tarde plus que le quinze de juillet. Nous vous demandons instamment d’écrire samedi pour presser et, pour ne pas nous contrarier, vu que nous avons forcé le tableau pour qu’on se pressât davantage, mettre mot à mot la phrase suivante : « Rien ne presse davantage, madame. J’ai entendu moi-même les horreurs et les impostures que profère cette créature, et, en un mot, la circonstance est telle, par tout ce que madame de Sade vous a mandé dernièrement, qu’il arriverait les plus fâcheux inconvénients si l’ordre n’est pas à Aix ou à Apt du douze au quinze juillet. Peut-être a-t-on été trop vite en besogne, mais le cas l’exigeait et votre envoi nous tire d’affaire. Pressez-le, je vous en conjure ». De grâce mettez cette phrase mot à mot ou, sans cela, nous mettant en contradiction, vous retarderiez l’effet et nous mettriez dans le plus grand embarras. Nous avons écrit que de notre plein droit et autorité, sur un simple simulacre de procédure, nous avions fait mettre le sujet en prison au château ; que nous trouvant dans l’embarras, faute de preuve, il était difficile de faire son procès et qu’il faudrait conséquemment l’élargir dans peu, et qu’alors, si la chose n’était pas arrivée, cela nous mettrait dans un double embarras. La présidente aura le feu sous le ventre en entendant cela et, comme elle le désire vivement et qu’elle y a déjà travaillé, soyez sûr qu’elle ira un train du diable. Il faut donc que vous preniez l’esprit de cette histoire et que vous la souteniez dans votre lettre, d’autant plus que j’ai dit que l’expédient était venu de vous. C’est vous mettre à merveille dans son esprit et elle vous en remerciera car tout ce qu’elle voulait était qu’on pût trouver un moyen de s’assurer de cette créature en attendant qu’elle obtint…… Mais l’objet principal de cette lettre-ci, mon cher avocat, est pour vous prier de me débarrasser décidément de Saint-Louis, et cela sans plus, je vous en conjure, me demander de grâce ni de pardon pour lui. Il a eu une conduite affreuse dans toute cette affaire, n’a cessé d’épauler et de soutenir cette fille, et cela jusqu’à l’impertinence et les mauvais propos, a passé par dessus les murs, s’est soûlé, a juré, pesté, envoyé au diable maître et valets. Il n’est en un mot plus possible d’y tenir……

Je vous prie de lui bien spécifier que je lui défends de rester dans la Coste parce que je ne l’y souffrirai sûrement pas. Je suis en droit d’expulser de ma terre tous gens indomiciliés et sans aveu. Hors de chez moi il tombe dans cette classe et je l’en ferai sûrement déguerpir ; par exemple, sans se compromettre, Blancard peut lui dire qu’il est chargé, de la part de madame, de ne pas l’y souffrir. Ce mot fera le plus grand effet et je supplie instamment Blancard de le lui dire……
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Le marquis pense que les difficultés qu’on lui suscite de toute part sont l’ouvrage de ses proches et ne peut encore quitter la Coste. (Sans date).

……Madame de S. arriva d’Aix hier bien mouillée. Il faudrait six pages pour vous tout dire et je remets cela à notre première conversation. En deux mots : bien des services de la part du prévôt de Marseille, beaucoup de bonne volonté de la part des juges d’Aix (sous le secret au moins), beaucoup de lenteur et d’entortillage de la part de la présidente, et des excès de méchancetés et d’horreurs de la part de tous les autres Sade d’Avignon, refus de passeport pour voyager de la part du vice-légat qui prétend au contraire avoir des ordres pour m’arrêter. D’où cela peut-il partir si ce n’est de mes chers et affectionnés parents ? Mais ces coups-là ne sont pas à craindre ; ils m’effraient peu. L’abbé de Saumane n’a pourtant pas paru à Aix ; c’est à Aiguières qu’ils ont été voir les Sade d’Aiguières. Qu’ont-ils été faire là ? Cela n’aurait-il pas l’air d’une conspiration générale de tout ce qui porte le nom. Au reste, c’est au diable à découvrir tout cela, car cela a bien l’air d’être son ouvrage.

Le procureur du roi de Lyon servit à merveille. C’est de lui que sont les mémoires envoyés à Aix contre moi, qui pourtant n’ont rien produit. Le prévôt a tout calmé et la bonne volonté est la même.

Vos dames d’Apt sont charmantes (j’ai toujours eu lieu de me louer de leur politesse et de leurs bons propos) ; elles ont publié à Avignon que j’étais depuis le matin jusqu’au soir a courir toutes les villes des environs et que j’effrayais tout le monde. Je passe pour le loup-garou ici. Les pauvres petites poulettes avec leurs mots d’effroi ! Mais pourquoi s’en plaindre ? C’est l’usage, on aime à prononcer le sentiment qu’on inspire. Adieu mon cher avocat, je vous quitte car j’ai de l’humeur…… Voilà mon voyage reculé. Je vous embrasse.
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M. de Sade souffle à l’avocat ce qu’il voudrait lui faire dire à la Présidente. (Sans date).

Je voudrais que vous écriviez à madame de Montreuil la phrase suivante :

« Il me semble pourtant, madame, qu’en approfondissant les raisons qui engagent M. et madame de Sade à vous presser, vous y trouveriez plutôt des motifs de joie et consolation que des raisons d’humeur et d’ennui. Leur honneur, celui de leurs enfants, me paraît être le seul véhicule ; il est même impossible qu’il y en ait d’autre. N’est-ce donc pas une véritable satisfaction pour vous, madame, que de voir vos enfants concourir, désirer [?] avec chaleur tout ce qu’inspire un sentiment si noble ; et ce qu’il peut y avoir d’un peu trop pressant dans leurs démarches, vu de ce côté, me paraît mériter plus d’indulgence que de courroux, à d’autant plus juste titre, ce me semble, que, quand ils ne vous auront plus que des obligations, leur cœur, que je sais vous être tout dévoué, désavouera bientôt les mouvements déplacés de leur légitime vivacité.
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Le marquis occupe ses loisirs à lire et à parer sa maison (Sans date).

Je vous renvoie votre histoire de Provence que j’ai toute parcourue et qui, quoique un peu gauloise pour le style, m’a cependant fait grand plaisir. J’ai marqué l’endroit du trait d’histoire de la Coste, qui est assez intéressant. Cet auteur m’indique un livre que je voudrais que vous me fissiez le plaisir de me procurer, et dans lequel je dois trouver encore de plus grands renseignements sur les événements du dit lieu de la Coste. Ce livre a pour titre :

« Histoire de Gaspard de Simiane, seigneur de la Coste, chevalier de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, etc., par le sieur de Ruffi, conseiller du roi en son conseil. 1659. »……

Si cette nouvelle histoire de Provence dont vous m’avez parlé est imprimée, vous m’obligerez aussi beaucoup de me l’acheter……

Le coutil n’est pas assez beau, vous voudrez bien en faire demander deux cannes de celui de trente sols le pan, au plus tôt……

Je vous embrasse……
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Le marquis, rentré à la Coste, dépeint la vie qu’on mène au château (Sans date).

Nous vous attendrons donc mardi, mon cher avocat…… Je vous prie de vouloir bien venir de bonne heure, au moins pour dîner, c’est-à-dire à trois heures ; vous m’obligerez d’observer cette même coutume toutes les fois que vous viendrez nous voir cet hiver. En voici la raison : nous sommes décidés, par mille raisons, à voir très peu de monde cet hiver. Il en résulte que je passe la soirée dans mon cabinet et que madame avec ses femmes s’occupent dans une chambre voisine jusqu’à l’heure du coucher, moyen en quoi, à l’entrée de la nuit, le château se trouve irrémissiblement fermé, feux éteints, plus de cuisine et souvent plus de provisions. Conséquemment c’est vraiment nous déranger que de ne pas arriver pour l’heure du dîner et nous déranger de toute manière. Nous vous connaissons trop honnête pour ne pas vous soumettre à cette petite gêne, que nous chercherons d’autant moins à réformer en votre faveur qu’elle nous fait gagner deux ou trois heures de plus du plaisir d’être avec vous……

Sur ce, je vous embrasse, mon cher avocat, et prie Dieu qu’il vous ait (et moi aussi) en sa sainte et précieuse garde. Le livre ne se retrouve pas et vient d’exciter une altercation carteronique, et conséquemment gothonique, qui vise à de grandes suites car on veut son congé. Votre présence est encore ici nécessaire pour calmer tout cela……


Le marquis fait interdire une représentation scandaleuse à la Coste dans l’intérêt de l’ordre et de la morale. (Sans date).

……Le curé n’a point paru ; mais en revanche il est arrivé en cette ville une troupe de comédiens qui ont mis en tous les coins de la cité les affiches suivantes que j’ai cru devoir vous amuser, et que je vous envoie en raison de ce :

« Messieurs,
Vous êtes avertis que l’on donnera demain chez le sieur Philippe Granier une représentation du « Mari cocu, battu et content », comédie larmoyante en prose et en un acte de la composition des sieurs Malan et Testanière, auteurs modernes.

Les amateurs entreront sans payer, le spectacle sera terminé par « Le goujat corrigé », ballet-pantomime de la composition des mêmes auteurs, dans lequel le second remplira le premier rôle. »

Pour l’intelligence du texte, il faut que vous sachiez, ou vous savez déjà, que le nommé Malan a vigoureusement battu l’autre, pour le nommer : Philippe Granier ; quant au nommé Testanière, je n’ai pas besoin de vous dire comment il s’y prend pour remplir la seconde partie du drame ; c’est une chose assez connue.

De telles affiches m’ont paru scandaleuses, attentatoires aux libertés de l’Église et, en conséquence, j’ai fait défendre la pièce et ordonné que les susdites affiches soient lacérées es mains du valet de ville. Je vous salue.
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Le marquis parle de ses malheurs, du mémoire qu’il a rédigé pour sa défense dans l’affaire de Marseille, et dit ce qu’il attend du voyage de sa femme à Paris. (Sans date).

Vous ne blâmerez pas, j’espère, mon cher monsieur, le conseil que j’ai donné à madame de partir pour Paris. J’imagine que dans les circonstances présentes vous jugerez comme moi sa présence nécessaire à la capitale. Vous voyez que son procureur l’y engage vivement, la réussite prompte des affaires l’exige. Comment poursuivre sans cela ? Vous voyez quelles longueurs ! En quatre mois nous ne savons pas encore seulement si la dame de Montreuil est assignée. Ma situation ne permet pas de tels délais, et il est temps que cette affaire se finisse décidément et d’une façon ou d’une autre. Dieu veuille que se munissant d’un peu plus de courage ce voyage-ci ne soit pas aussi infructueux que l’autre……

Convenez avec nous, monsieur, que la manie de madame de Montreuil de ne rien vouloir terminer est bien extraordinaire. Car enfin que gagne-t-elle à cela ? Perpétuer le déshonneur de cette malheureuse affaire, celui de sa fille et de ses petits-enfants, mettre un épouvantable désordre dans les biens et me faire mener, à moi, la vie la plus triste et la plus malheureuse, car vous croyez bien qu’on n’est jamais bien agréablement dans un pays, quand on est obligé de s’y cacher sans cesse et d’y jouer toutes sortes de rôles pour n’y être pas reconnu. Je vous assure que c’est un genre de supplice qui m’était inconnu, mais que je trouve bien dur et bien désagréable. Encore si l’on entrevoyait une fin à tout cela, mais qui peut la prévoir ? Je regarde la publicité de mon mémoire, quoi qu’en dise monsieur l’abbé, comme une chose essentielle, surtout à Paris dans la famille de madame, car enfin on a beau dire que je m’y fais passer pour plus coupable que l’on ne me croyait ; si cela est, je ne m’en rends que plus véridique et plus intéressant. Mais il me semble que le genre même de faute dont je conviens n’est nullement grave ni fait pour me faire condamner. Punit-on les pensées ? Dieu seul en a le droit parce que lui seul les connaît, mais les lois n’y peuvent rien, surtout lorsque (comme celle dont je conviens dans mon mémoire) elles sont à l’instant regrettées. D’ailleurs il n’y est pas même dit que je l’eus jamais, cette pensée. Il est dit que l’on me donna un mauvais conseil que je ne rejetai pas, mais que je n’adoptai jamais, et l’histoire des cantharides données pour simuler ce que l’on me conseillait, ne me paraît nullement, comme prétend monsieur l’abbé, être un crime si grand. Le parlement au moins ne l’a pas jugé tel. Car, si vous avez eu la procédure, une fois reconnu que ce n’a été que des cantharides, le fait n’est plus entré pour rien dans le jugement ; le désistement des filles le prouve au moins.

De grâce, enhardissez bien madame, donnez-lui de bons conseils, et qu’elle fasse l’impossible pour terminer tout dans les quatre mois que je lui donne encore pour cela. Mais, au nom de Dieu, qu’elle s’arrange pour ne me plus faire mener la vie errante et vagabonde que je mène ! Je sens que je ne suis pas fait pour un aventurier et la nécessité dans laquelle je suis d’en jouer le rôle est un des plus grands supplices de ma situation. Adieu, mon cher monsieur ; n’ayant plus le canal de madame, il est vraisemblable que je ne pourrai plus vous donner des nouvelles de ma situation, au moins jusqu’à son retour. De grâce, ayez bien soin de tout. Conservez-moi un peu d’amitié et croyez-moi pour la vie votre très humble et très obéissant serviteur.

Sade.
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Madame de Sade fait avertir son mari que les cavaliers chargés de l’arrêter sont arrivés à la Coste. (Sans date)*

La maréchaussé de Marceil est ici pour arretter Mr de Sade sur lencienne lettre de cachet, vous savés ou il faut lui écrire marqué lui ce quil arrive et qui se tienne coite et ne repasse pas dens ce pays ci Vené sur le champ ne tardé pas une minute.


Le marquis, sur le point de quitter la Coste, fait hâter l’envoi de la plainte que madame de Sade va déposer contre sa mère. « Ce dimanche ». (Mars 1774).

Madame de Sade vient d’arriver, mon cher monsieur, prête à signer, et jugeant elle-même (qui a vu) nos préliminaires plus importants que jamais. En conséquence, je vous prie de vous rendre à la Coste avec la plainte toute dressée et prête à envoyer le plus tôt possible. Je pars dans la semaine et voudrais bien, avant, mettre tout en train. Faites l’impossible pour venir demain. Recevez, je vous prie les assurances sincères de ma parfaite reconnaissance et des sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être,

Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur.
Sade.
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Fantômes.
Être chimérique et vain dont le nom seul a fait couler plus de sang sur la surface du globe que n’en fera jamais répandre aucune guerre de politique, puisses-tu rentrer dans le néant dont la folle espérance des hommes et leur ridicule frayeur osèrent malheureusement te sortir ! Tu ne parus que pour le supplice du genre humain. Que de crimes épargnés sur la terre, si l’on eût égorgé le premier imbécile qui s’avisa de parler de toi ! Montre-toi donc si tu existes ; ne souffre pas surtout qu’une faible créature ose t’insulter, te braver, te bafouer comme je le fais, qu’elle ose renier tes merveilles et rire de ton existence, vil fabricateur de prétendus miracles ! N’en fais qu’un, pour nous prouver que tu existes ; montre-toi, non dans un buisson de feu, comme on dit que tu apparus au bon Moïse, non sur une montagne, comme tu te montras au vil lépreux qui se disait ton fils, mais auprès de l’astre dont tu te sers pour éclairer les hommes : que ta main à leurs yeux paraisse le guider ; cet acte universel, décisif, ne doit pas te coûter davantage que tous les prestiges occultes que tu opères, dit-on, tous les jours. Ta gloire est intéressée à celui-ci ; ose le faire, ou cesse de t’étonner que tous les bons esprits rejettent ton pouvoir et se soustraient à tes prétendues impulsions, aux fables, en un mot, que publient de toi ceux qui s’engraissent comme des pourceaux à nous prêcher ta fastidieuse existence et qui, semblables à ces prêtres du paganisme nourris des victimes immolées aux autels, n’exaltent leur idole que pour multiplier les holocaustes, — Vous voilà, prêtres du faux dieu que chanta Fénelon ; vous étiez, en ces temps-là, contents d’exciter dans l’ombre les citoyens à la révolte : malgré l’horreur que l’Église a dit avoir pour le sang, à la tête des frénétiques qui versaient celui de vos compatriotes, vous montiez sur des arbres pour diriger vos coups avec moins de danger. Telle était alors la seule façon dont vous prêchiez la doctrine du Christ, dieu de paix ; mais depuis qu’on vous couvre d’or pour le servir, bien aises de n’avoir plus à risquer vos jours pour sa cause, c’est maintenant par des bassesses et des sophismes que vous défendez sa chimère. Ah ! puisse-t-elle s’évanouir avec vous pour jamais, et que jamais les mots de Dieu et de religion ne soient plus prononcés ! Et les hommes paisibles, n’ayant plus à s’occuper que de leur bonheur, sentiront que la morale qui l’établit n’a pas besoin de fables pour l’étayer, et que c’est enfin déshonorer et flétrir toutes les vertus que de les échafauder sur les autels d’un Dieu ridicule et vain, que l’examen le plus léger de la raison pulvérise dès qu’elle l’examine, — Évanouis-toi donc, dégoûtante chimère ! Rentre dans les ténèbres où tu pris naissance ; ne viens plus souiller la mémoire des hommes ; que ton nom exécré ne se prononce plus qu’à côté du blasphème, et qu’il soit livré au dernier supplice, le perfide imposteur qui voudrait à l’avenir te réédifier sur la terre ! Ne fais plus surtout tressaillir d’aise ni crier de joie les évêques charnus à cent mille livres de rentes : ce miracle ne vaudrait pas celui que je te propose, et si tu dois nous en montrer un, qu’il soit au moins digne de ta gloire. Et pourquoi donc te cacher à ceux qui te désirent ? Crains-tu de les effrayer, ou redouterais-tu donc leur vengeance ? Ah ! monstre, comme elle t’est due ! Était-ce en effet la peine de les créer pour les plonger, comme tu le fais, dans un abîme de malheurs ? Sont-ce donc par des atrocités que tu dois signaler ta puissance, et ta main qui les écrase ? Ne doit-elle pas être maudite par eux, exécrable fantôme ? Tu as bien raison de te cacher ! les imprécations pleuvraient sur toi, si jamais ta face hideuse apparaissait aux hommes ; les malheureux, révoltés de l’ouvrage, pulvériseraient bientôt l’ouvrier ! — Faibles et absurdes mortels qu’aveuglent l’erreur et le fanatisme, revenez des dangereuses illusions où vous plonge la superstition tonsurée, réfléchissez au puissant intérêt qu’elle a de vous offrir un Dieu, au crédit puissant que de tels mensonges lui donnent sur vos biens et sur vos esprits, et vous verrez que de tels fripons ne devaient annoncer qu’une chimère, et, réversiblement, qu’un fantôme aussi dégradant ne pouvait être précédé que par des brigands. Si votre cœur a besoin d’un culte, qu’il l’offre aux palpables objets de ses passions : quelque chose de réel vous satisfera du moins dans cet hommage naturel. Mais qu’éprouvez-vous après deux ou trois heures de mysticité déifique ? Un froid néant, un vide abominable qui, n’ayant rien fourni pour vos sens, les laisse nécessairement dans le même état que si vous eussiez adoré des rêves et des ombres !… Et comment en effet nos sens matériels peuvent-ils s’attacher à autre chose qu’à la même essence dont ils sont formés ? Et vos adorateurs de Dieu, avec leur frivole spiritualité que rien ne réalise, ne ressemblent-ils pas tous à Don Quichotte prenant des moulins pour des géants ? — Exécrable avorton, je devrais ici t’abandonner à toi-même, te livrer au mépris que tu inspires seul, et cesser de te combattre de nouveau dans les rêveries de Fénelon. Mais j’ai promis de remplir la tâche ; je tiendrai parole, heureux si mes efforts parviennent à te déraciner du cœur de tes imbéciles sectateurs et peuvent, mettant un peu de raison à la place de tes mensonges, achever d’ébranler tes autels, pour les replonger à jamais dans les abîmes du néant.
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C’est parce que l’esprit de l’homme est fini qu’il ne peut comprendre l’éternité de la matière, et c’est ce défaut de son esprit qui lui fit inventer des dieux. Tout ce que nous voyons a été de tous les temps, mais les bornes de notre esprit nous empêchent de comprendre cette grande vérité, et c’est à cela qu’est nécessairement due la première idée d’un créateur, dans un ouvrage que nous croyons fini comme notre esprit.
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Phrase à placer dans mes Mémoires : Les entractes de ma vie ont été trop longs.
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Jolie épigraphe :

Pour guide aurai, telle soit ma paincture.
Deux livres seuls : mon cœur et la nature.

Poésies de Clothilde de Surville, xve siècle.
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Je fus arrêté le 15 ventôse chez M. Massé, où je me trouvais pour mes affaires des Crimes de l’amour. Je fus témoin de la saisie faite chez lui. Quand elle fut finie, on me signifia un mandat d’amener. Je fus d’abord rue des Trois-Frères pour y prendre les clefs de Saint-Ouen. Je trouvai Madame [Quesnet] fort inquiète et très agitée. Elle me promit de ne pas m’abandonner. Je fus conduit à Saint-Ouen où se firent les perquisitions les plus exactes, qui ne produisirent que la saisie de quelques brochures, celle de mes trois tableaux et la tenture de mon boudoir. On me ramena de là à la Préfecture, où je ne pus obtenir d’aller chez moi avec un gardien, ainsi que je le demandais. On me mit deux nuits et deux jours au secret ; d’ailleurs des égards et des honnêtetés. Le 16, je fus interrogé deux fois par Moutard, le matin, de deux à quatre, le soir, de huit à dix. Je m’en rapportai à la feuille que j’avais préparée là le matin. Moutard m’interrogea une troisième fois le 18 ; on me présenta les manuscrits pris chez Massé : j’en avouai deux et dis sur les deux autres ce que j’avais dit relativement à Justine. Le septième jour, Madame n’avait pas encore pu me voir. Le huitième jour, on me laissa prendre dans mon carton des papiers dont j’avais besoin, et on me dit que le préfet, n’ayant pas voulu prononcer sur mon affaire, l’avait renvoyée au ministre de la Police. Madame parut avec B. L., mais je ne pus les voir. Le 25, on vint et on m’écrivit que mon affaire serait finie le lendemain. Le 27, Madame m’écrivit qu’elle me conseillait de voir un défenseur. Quelle contrariété ! Peut-on agir ainsi avec un homme qui souffre ? Le 28, je vis M. Jaillot, de Versailles, et, le 30, on me fit sortir de la petite chambre pour être avec les autres. Le 5 germinal, je retournai à l’interrogatoire ; on me présenta une lettre que je désavouai. Au retour, j’embrassai Madame en passant. Ainsi, à mon cent vingtième jour, j’eus mon quatrième interrogatoire. Le 11, un des détenus me prévint que j’allais être transféré à Pélagie. Je le fus effectivement le 12. Le 13, je vis Madame pour la première fois au parloir de Pélagie ; elle avait l’air de craindre des cabales de ma famille. Elle avait obtenu la permission de me voir trois fois par décade. Je remarquai dans ses discours beaucoup de contradictions, et je crus comprendre dès lors que le système chiffral s’employait contre moi comme à la Bastille.
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Renvoi de la page XXX du premier volume
des Crimes de l’amour.
L’ingénieux roman de Célestine est la preuve de ce que nous venons de dire. Quel froid fait rejaillir sur les mystérieux événements qui caractérisent cet ouvrage la nécessité où s’est cru l’auteur de les éclaircir au dénouement ! N’eussions-nous pas mieux aimé que tout fût resté sous le voile ? Est-il donc nécessaire de tout dire… surtout quand on se permet de tout faire ? Si vous voulez m’amuser par des revenants, laissez-moi croire aux revenants. Ne craignez pas que j’aille trop loin : ma raison m’en empêche, mais puisque c’est vous qui la troublez, ne cherchez donc point à la guérir. Laissez-moi sentir les douleurs de ma blessure : je m’en suis composé des jouissances. Que de vérité d’ailleurs, que de nature dans cette délicieuse composition ! Comme l’auteur connaît le cœur humain et quel admirable usage il a fait de ses études sur l’homme ! Eh bien, voilà encore un de ces romans où la vertu persécutée par le crime laisse en partie triompher celui-ci ! Quel lecteur osera dire néanmoins qu’avec une telle marche (qui n’est heureusement blâmée que par les sots) ce livre n’ait atteint le dernier but de l’intérêt ? Ah ! vous qui, dénués d’âme et de sensibilité, critiquez froidement les énergiques tableaux de ce genre, vous qui voulez nous ramener à des principes qui jamais ne furent ceux de l’art, eussiez-vous, malgré vos pitoyables réflexions, dites, eussiez-vous versé sur l’adorable héroïne de ce roman les larmes qu’elle vous arrache malgré vous, si la perspective d’un bonheur éternel avec Dormeville vous eût empêché de voir la malheureuse Célestine expirante sur le tombeau de la victime de son délire, les lèvres collées sur la poitrine sanglante de son époux infortuné ?
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Note relative à ma détention
[et à l’ouvrage de Justine],
Je remarquai que la situation dans laquelle on me tenait et les farces qu’on me faisait me contraignaient à confondre les événements véritables avec les événements produits par l’imbécile méchanceté des scélérats qui me conduisaient ; ce qui, en me rendant insensible à ceux qui étaient arrangés, me rendait de même insensible à ceux du sort ou de la nature, en telle sorte que pour l’intérêt de mon propre repos, j’aimais mieux ne plus ajouter foi à rien et me blaser sur tout. D’où il résultait la terrible et dangereuse situation de supposer plutôt que l’on m’avait trompé en m’annonçant la vérité la plus funeste, que de croire à cette vérité dès qu’il m’était avantageux de la mettre au rang des mensonges que l’on multipliait pour contraindre ou faire naître des situations ; et, certes, on peut bien dire qu’il n’était rien au monde de plus funeste et pour mon cœur et pour mon caractère. On dirigeait tout cela contre mon esprit : on avait tort, me connaissant comme on devait me connaître ; on faisait une bêtise, parce qu’on devait bien savoir qu’il avait assez de force et de philosophie pour se mettre au-dessus de ces absurdités. Mais le cœur se gâtait, le caractère s’aigrissait, tous effets aussi pernicieux que nuisibles à produire et qui ne prouvaient que la plus lourde stupidité dans ces bourrelleries bien dignes des lourds automates qui les exécutaient ou les conseillaient. Quels effets funestes ne produisirent pas encore sur moi le refus des bons livres que je demandais et les entraves qu’on mit à me laisser composer de bons ouvrages ! Mais de quoi ne devaient pas être capables des gens qui formant des chiffres et des signaux, avaient, en m’envoyant à Bicêtre, sacrifié mon honneur et ma réputation ?

Ce système de signaux et de chiffres, employé par ces plats gredins tant à la Bastille que dans ma dernière détention, avait encore l’extrême danger de m’accoutumer à tenir aux fantômes favorables à mon espoir et aux hypothèses qui le nourrissaient. Cela avait imprimé à mon esprit ce caractère sophistique que l’on me reproche dans mes ouvrages.

Pour dernière réflexion enfin, comment est-il possible de porter l’inconséquence au point de dire que si j’ai fait Justine, c’est à la Bastille, et de me remettre dans une situation pire encore que celle où j’ai, dit-on, composé cet ouvrage ? Voilà qui démontre d’une manière invincible que tout ce qui m’a concerné n’a été que l’ouvrage du fanatisme des imbéciles dévots et de la grossière imbécillité de leurs séides… Oh ! comme Sophocle avait raison, quand il disait : « Presque toujours un époux trouve sa perte ou dans la femme qu’il prend ou dans la famille à laquelle il s’allie » !

À la suite de ces réflexions, j’ai cru devoir en joindre quelques-unes sur l’ouvrage de Justine, que je soumets aux stupides Ostrogoths qui m’ont fait mettre en prison pour cette cause.

Il ne fallait qu’un peu de bon sens (mais les incarcérateurs en ont-ils ?) pour se convaincre que je ne suis ni ne pouvais être l’auteur de ce livre. Mais, malheureusement, je me trouvais entre les mains d’un troupeau d’imbéciles qui ne mettent jamais que des verrous à la place des réflexions et du bigotisme à la place de la philosophie, et cela par la grande raison qu’il est bien plus facile d’enfermer que de réfléchir et de prier Dieu que d’être utile aux hommes. Il faut quelques vertus pour ce dernier cas : il ne faut que de l’hypocrisie pour l’autre.

Après avoir été soupçonné jadis de quelques dérèglements d’imagination semblables à ceux qui se trouvent dans Justine, je demande s’il était possible de croire que j’allasse révéler dans un ouvrage de ma main des turpitudes qui nécessairement feraient repenser à moi. Je suis coupable ou non de ces turpitudes ; point de milieu. Si j’ai pu les commettre, assurément je les ensevelirai toute ma vie dans les plus épaisses ténèbres ; et si je n’en suis que soupçonné sans en être coupable, quelle apparence que je les divulgue, quand cette extravagance n’aurait pour résultat que de reporter les yeux sur moi ? Ce serait le comble de la bêtise, et je hais trop mes bourreaux pour avoir avec eux cette conformité.

Mais un autre motif, plus puissant encore, convaincra, j’espère, facilement, que je ne puis être l’auteur de ce livre. Qu’on le lise avec attention, et l’on verra que, par une impardonnable maladresse, par un procédé bien fait (comme cela est arrivé) pour brouiller l’auteur avec les sages et avec les fous, avec les bons et avec les méchants, tous les personnages philosophes de ce roman sont gangrenés de scélératesse. Cependant je suis philosophe ; tous ceux qui me connaissent ne doutent pas que j’en fasse gloire et profession… Et peut-on admettre un instant, à moins de me supposer un fou, peut-on, dis-je, supposer une minute que j’aille putréfier d’horreurs et d’exécrations le caractère dont je m’honore le plus ? Que diriez-vous d’un homme qui irait exprès tremper dans la boue l’habit qu’il aimerait le mieux et dont il tirerait le plus de vanité ? Cette ineptie tombe-t-elle sous le sens ? Voit-on de telles choses dans mes autres ouvrages ? Au contraire, tous les scélérats que j’ai peints sont des dévots, parce que tous les dévots sont des scélérats et tous les philosophes des honnêtes gens, parce que la plupart des honnêtes gens sont philosophes. Qu’on me permette une seule citation de ces ouvrages dont je parle. Est-il dans Aline et Valcour une créature plus sage, plus vertueuse, plus attachée à ses devoirs que Léonore ? Et cependant en est-il une plus philosophe ? D’une autre part, est-il au monde un plus grand dévot que mon Portugais ? Et est-il au monde un plus grand scélérat ? Tous mes caractères ont cette teinte ; je ne me suis jamais écarté de ce principe. Cependant, je le répète, tout le contraire se voit dans Justine. Il n’est donc pas vrai que Justine soit de moi. Je dis plus : il est impossible qu’elle en soit. C’est ce que je viens de démontrer.

J’ajouterai ici quelque chose de plus fort : c’est qu’il est très singulier que toute la tourbe dévotieuse, tous les Geoffroy, les Genlis, les Legouvé, les Chateaubriand, les La Harpe, les Luce de Lancival, les Villeterque, que tous ces braves suppôts de la tonsure se soient déchaînés contre Justine, tandis que ce livre leur donnait précisément gain de cause. Ils eussent payé pour avoir un ouvrage aussi bien fait que celui-là pour dénigrer la philosophie, qu’ils ne fussent point parvenus à l’avoir. Et je jure sur tout ce que j’ai de plus sacré au monde que je ne me pardonnerais jamais d’avoir servi des individus si prodigieusement méprisés de moi.

On a donc le plus grand tort du monde de m’attribuer un livre… un livre contre tous mes principes et dont tout prouve que je ne puis être l’auteur, et plus encore, de faire autant de bruit pour un ouvrage qui n’est, à le bien prendre, que le dernier excès d’une imagination corrompue, des délires de laquelle on irrite imbécilement toutes les têtes en l’exaltant comme on le fait.

Piqué de cette inculpation, je viens de faire deux ouvrages en quatre volumes chacun où j’ai culbuté, détruit, renversé de fond en comble les insidieux sophismes de Justine. Mais comme il est écrit là-haut, selon notre ami Jacques le fataliste, que les gens de lettres doivent être perpétuellement les victimes de la bêtise et de la stupidité, on garde mes ouvrages, on en retarde la publication (peut-être même l’empêchera-t-on) pendant qu’on multiplie celle de Justine. Bravo, mes amis ! vous cesseriez d’être conséquents si vous ne vous opposiez au bien et si vous ne favorisiez le mal. Nous avons eu beau nous révolutionner pour le contraire, il était écrit là-haut que les plus violents abus tiendraient toujours à notre France et qu’aussi longtemps que son sol existerait sur le globe, il s’y reconnaîtrait par des abus.
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« Le comble de la douleur, à mon gré, est d’être terrassé par des ennemis absurdes. » (Lettre de Voltaire à Helvétius.)
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Plan d’un roman en lettres.
Clémence, jeune innocente, victime des pièges qu’on lui tend.

Théodorine, femme corrompue et qui coopère à la perte de Clémence.

Delville, homme immoral qui s’entend avec Théodorine pour la séduction de Clémence.

M. de Gocour, homme honnête et sage qui combat les systèmes de Delville et s’oppose tant qu’il peut aux scélératesses de ce jeune homme.

Mme de Roseville, femme raisonnable, vertueuse, s’entend avec M. de Gocour pour le même objet.


Idée de la correspondance de ce roman en lettres.
Clémence se confie à Théodorine qui la trompe, qui affecte de la vertu avec elle et qui, se montrant telle qu’elle est à Delville, son ancien amant, trahit à chaque instant cette jeune personne. M. de Gocour a dévoilé cette funeste intrigue et fait tout ce qu’il peut pour l’entraver. Il s’entend avec Mme de Roseville pour cela. Les événements immoraux s’écriront entre Delville et Théodorine, les conseils et les confidences, tantôt de Clémence à Théodorine, tantôt de Clémence à Mme de Roseville, car elle est la dupe de Théodorine. Le dénouement sera tracé par M. de Gocour à Mme de Roseville, qui se sont connus chez les parents de Clémence, mais qui ont eu peu de relations entre eux pendant l’action. M. de Gocour apprend à Mme de Roseville, à la fin, tous les malheurs dont Clémence sera devenue la victime par les instigations de Delville et de Théodorine. Mais il faut une intrigue à tout cela, et je n’en vois d’autre que de donner un amant à Clémence, que lui ravira Théodorine par méchanceté, pendant que, dans le même principe, Delville cherchera à avoir Clémence, et qu’il l’aura pour la perdre. Maintenant il faut un objet à ces atrocités, et je n’en vois d’autre que de rendre Théodorine parente de Clémence, dont la perte ou la mort l’enrichirait et lui ferait épouser Delville, qui n’aurait joué l’amant de Clémence que pour la perdre et la faire mourir de chagrin.


Costumes des personnages et leur âge.
Clémence, 16 ans, jolie, crédule, naïve, franche, et de l’esprit naturel.

Son amant, 20 ans, etc. (il faut le créer).

Théodorine, 32 ans, beaucoup d’esprit, de méchanceté, style paradoxal, jouant avec toutes les vertus et sachant se parer de toutes au besoin.

Delville, roué, scélérat, 35 ans, un esprit du même genre que celui de Théodorine, qu’il sert par seul esprit de rouerie.

M. de Gocour, philosophe, sensible, éloquent, plein de sagesse, d’excellents principes, 45 ans.

Mme de Roseville, 40 ans, encore belle, d’une grande sévérité de mœurs et de principes.

Clémence doit être orpheline et, pour ainsi dire, confiée aux soins de Théodorine, sa tante, et qui hériterait d’elle si cette jeune personne venait à mourir ; elle est sa tante, sa tutrice, son chaperon, etc., et elle abuse de tout cela pour perdre ce malheureux enfant.
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