La querelle brahmanes-bouddhistes à propos du Soi
Emission Sagesses Bouddhistes du Dimanche 26 juillet 2009
Chant I
Le désarroi d'Arjuna
12. Alors, pour sa plus grande joie, l'ancien des Kuru, l'aïeul illustre, poussa un rugissement de lion et souffla dans sa conque.
13. Aussitôt, conques, tambours, tambourins, cymbales et cors retentirent dans un vacarme assourdissant.
…cependant, à partir du moment où les hommes ont commencé à soupçonner que des tels moments privilégiés ne leur étaient peut-être pas simplement octroyés par les dieux selon leur bon vouloir mais relevaient aussi d’un certain conditionnement mental et physiologique, il était inévitable qu’ils cherchent à développer de véritables techniques d’extase, aux fins de reproduire à volonté ces états aussi exceptionnels qu’ardemment désirés.
Or ce qui, à juste titre, choque les détracteurs des voies chimiques vers l’extase, c’est le nivellement radical qu’elles paraissent impliquer : l’extase devenant, au même titre, par exemple, que le sommeil artificiel de l’anesthésie, le résultat d’une manipulation appropriée du cerveau humain. Ils mettent volontiers en contraste la facilité dégradante de ces voies avec l’immensité des sacrifices exigés dans les voies religieuses traditionnelles, immensité qui serait seule à la mesure du caractère transcendant du but recherché – à savoir, la Vision béatifique.
On oppose ainsi à la séduction fleurie et menteuse, véritablement satanique, des voies chimiques ou techniques en général, l’austérité sublime des voies ascétiques. (pp. 113-114)
Le contenu de l’expérience du brahman ne se laisse pas exprimer par des mots car le langage découpe la réalité non duelle indivise en sujets, objets, actions, qualités, relations, etc. A ce titre, il a partie liée avec la nescience.
Parce qu’il cherche moins à « sauver les phénomènes » qu’à dissoudre le sentiment de la finitude humaine, le Vedanta ne s’est jamais présenté comme une explication rationnelle du monde, une cosmologie. Il n’a jamais -pas plus que le bouddhisme mais à la différence du christianisme- comporté de dogmes relatifs au moment et aux circonstances de la création du monde, à la fixité des espèces vivantes, etc. Par là même, son image contemporaine ne saurait être celle d’une pseudo-science ou d’une vision préscientifique du monde, mais plutôt celle d’une discipline spirituelle jouant le rôle d’un indispensable contrepoids à l’expansion illimitée de la science et de la technique. Enfin, sur un plan plus strictement philosophique, le Vedanta non dualiste se présente comme un intermédiaire entre, d’une part, la tradition de la métaphysique occidentale enracinée en Grèce et, d’autre part, les disciplines spirituelles, délibérément non conceptuelles et rebelles à toute formulation ontologique de l’Extrême-Orient (taoïsme, bouddhisme, zen). Lié organiquement à la langue sanskrite, sœur de la langue grecque, il exprime lui aussi l’être comme substance, action, sujet, etc., mais demeure en même temps ouvert à tout un régime d’expériences spirituelles dans lequel ces catégories ontologiques perdent leur pertinence.
…on a en vue ici, notamment, une certaine ambiguïté qui est au cœur de la métapsychologie freudienne : à un schéma essentiellement symétrique – le grandiose équilibre cosmique d’Éros, la force qui unit, rassemble et édifie, et de Thanatos, la force qui sépare, disperse et détruit – s’oppose un schéma asymétrique – à savoir, le principe selon lequel l’inorganique ou l’inerte est plus « ancien », en tout cas plus stable, plus probable statistiquement, que l’organique, le complexe, le vivant. Or ce second schéma repose sur une intuition fondamentalement matérialiste et réductrice, présente d’un bout à l’autre de l’œuvre freudienne, et qui aboutit, d’une manière aussi logique que paradoxale, à poser que le principe de plaisir lui-même est au service de la pulsion de mort.
Sans chercher, pour l’instant, à porter un jugement sur cette construction, on peut remarquer qu’elle se traduit, à notre échelle tout au moins, par un privilège évident de la destruction sur la construction. Si les conduites humaines les plus inspirées par l’Éros sont en même temps secrètement animées par une nostalgie du repos, de la non-souffrance, de l’anéantissement, cela implique que sadisme et autodestruction gangrènent le désir, tout désir, et que la vraie paix à laquelle nous aspirons est celle des cimetières.
On comprend alors que Freud, comme s’il devait inévitablement reculer devant les conséquences de ses propres découvertes, se soit mis en quête d’antidote, de moyens artificiels de rétablir, dans l’existence sociale, un certain équilibre entre Éros et Thanatos. (pp. 32-33)
Un moine zen, Rinzai, atteignit l’Éveil, et la première chose qu’il dit alors fut: " Ou est mon corps ? Où est passé mon corps ?» Et il commença à chercher. Il appela ses disciples et leur dit : "Mettez-Vous en quête de mon corps ; je l’ai perdu. » C’est qu’il avait atteint le Sans-Forme.
Vous aussi êtes une pure existence, dénuée de toute forme. Mais vous ne vous connaissez qu’a travers le regard d’autrui, jamais directement. Vous vous connaissez au moyen d’un miroir. De temps à autre, en regardant dans le miroir, fermez les yeux et pensez: "S’il n’y avait pas de miroir, comment pourrais-je connaitre mon Visage ‘? » S’il n’y avait pas de miroir, il n’y aurait pas de Visage.
Vous n’avez pas de Visage ; c’est le miroir qui vous en dorme un. Imaginez un monde sans miroirs. Vous y êtes seul. Pas le moindre miroir à l’horizon, pas même celui que constitue le regard d’autrui. Vous êtes seul sur une ile déserte ou rien ne peut refléter votre Visage. Aurez-Vous alors encore un Visage ? Et même un corps ? Vous ne pouvez pas en avoir un.
Nous ne nous connaissons que par l’intermédiaire d’autrui, et autrui ne connait que notre forme extérieure. C’est pourquoi nous nous identifions à elle.
Un autre mystique zen, Hui-Hai, avait coutume de dire à ses disciples: « Si Vous perdez votre tète au cours d’une méditation, venez immédiatement me trouver. Quand Vous commencez a sentir que Vous n’avez plus de tète, n’ayez pas peur et venez aussitôt me Voir. C’est le bon moment, le moment ou il est possible de Vous enseigner quelque chose.
Le moyen de parvenir à la suprême délivrance consiste à la désirer avec passion. A supposer que cette passion soit devenue totale et exclusive, aucun autre moyen n'est requis. Mais là où le désir de délivrance demeure tiède et hésitant tous les moyens du monde sont inefficaces. Le désir passionné s'exprime par la résolution :«Il faut à tout prix que j'y parvienne!». Celui qu'un tel désir anime est déjà virtuellement délivré. Ce n'est plus qu'une affaire de jours, de mois ou d'années. Au pire, la délivrance aura lieu au cours de l'existence suivante, la longueur du délai étant fonction du degré de pureté auquel est parvenu l'esprit de l'adepte. Les défauts qui affectent l'esprit sont multiples et plus pernicieux les uns que les autres. A cause d'eux, les êtres ne cessent d'endurer mille souffrances dans l'enfer de la transmigration. Mais les trois défauts majeurs sont le manque de foi, les traces laissées par les désirs et la lenteur de l'esprit.
Chapitre 18
Servitude et délivrance
(...) De même qu'un miroir, bien qu'unique, semble devenir multiple de par la variété des objets qui se reflète en lui, de même, la conscience pure, bien qu'unique, parait se revêtir de diversité. Considère que dans les rêves, l'esprit assume à lui tout seul les trois aspects de voyant, de vision et de chose vue. De la même façon, la pure conscience se manifeste sous une multiplicité d'aspects. (...)
L'esprit (manas) lui-même n'est pas autre chose que la pure conscience. Dans le rêve l'esprit, considéré en tant qu'instrument servant à produire certains effets, est purement fictif, eh bien, il en va de même dans l'état de veille. (...)
De ce point de vue, l'espace et le Soi conscient se ressemblent, bien que la conscience, à la différence de l'espace, soit à elle-même sa propre lumière. Pour le reste, leurs caractéristiques sont identiques : plénitude, subtilité, pureté immaculée, absence de naissance et de contour propres, infinitude, rôle de support universel, absence d'attaches, présence à l'extérieur et à l'intérieur de toutes choses. La seule différence est que l'espace ne pense pas, autrement il serait parfaitement légitime de l'assimiler à la pure conscience. (...)
La suprême Déesse est la conscience en sa forme universelle. Essentiellement lumineuse, elle se distingue de tout ce qui est matériel. Elle repose en elle-même, forme accomplie du "Je". (...)
L'espace en effet, n'est pas autre chose que la dimension du Soi selon laquelle il se présente (fictivement) comme dépourvu du "je pense". (...)
Accéder à ce qui n'est ni extérieur, ni intérieur, qui ne réside ni en haut ni en bas, ni aux points cardinaux ni dans le ciel, n'est ni quelque chose ni rien, n'est ni matière ni pensée, se trouve partout présent et manifeste en même temps que caché, vide comme le firmament, sans commencement ni fin, sans naissance, c'est là le détachement.
Toute démarche de pensée abolie en lui, affranchi de l'unité comme de la dualité, ayant rompu tous les noeuds du coeur et mis un terme à tous ses questionnements, il devient un délivré-vivant.
Sa vie n'est pas éteinte mais elle brille sans flamme, comme une lampe représentée en peinture. Il est vide à l'intérieur et vide à l'extérieur, semblable à une cruche vide dans le ciel de l'espace.
Mais il est aussi plein à l'intérieur et à l'extérieur, comme une cruche pleine d'eau immergée dans l'océan. En un sens, il a gagné quelque chose, en un autre sens il n'a rien gagné qu'il ne possédât déjà.
D'abord, il y a la joie brute, massive, suffocante, indicible. Pendant un bref instant, l'intellect est mis hors circuit, très vite sans doute, se manifeste le besoin de "respirer", de prendre un peu de distance par rapport à l'événement, de comprendre ce qui vous arrive. C'est alors que le sujet renoue avec son monde familier, retrouve son bagage culturel, ses croyances, ses catégories et qu'il tente, avec "les mots de la tribu", d'y intégrer ce qu'il vient de vivre.