Citations de Michel Sapanet (66)
Les prélèvements placés dans le formol sont imprégnés de ce produit, il n'est donc pas possible de les restituer aux familles ni de les inhumer dans le cercueil du défunt, ils doivent être incinérés.
Le prélèvement d'organes complets comme le cœur et le cerveau est une pratique dont le vécu est très douloureux. Il faut y voir le rôle du symbolisme, du sacré et du religieux. En l'état actuel des connaissances, il n'y a pas d'alternative qui éviterait le prélèvement de l'intégralité de ces deux organes. La seule possibilité de diminuer les souffrances des familles réside dans les explications que l'on peut leur fournir. Les prélèvements deviennent des scellés judiciaires.
Pour une peccadille, le nerveux s'était jeté sur la belle pour la larder comme un gigot. Puis, peut être pris de remords, l'avait emmenée à l’hôpital à tombeau ouvert, ce qui pour une fois, n'était pas une figure de style.
Un portable qui sonne pendant que l'on mange ma tarte Tatin, c'est plus inconvenant qu'un pet en pleine déclaration d'amour.
J'aime faire la cuisine. J'ai certes quelques facilités pour la découpe de la viande froide. Mais j'excelle aussi, en toute modestie, dans d'autres domaines.
Il n'y a que dans les séries télévisées, celle des Experts en particulier, que les morts ont l'air en bonne santé. Chez nous, c'est plutôt la cour des miracles. Entre le boursouflé violet, le bouffé aux asticots qui tire sur le vert et le pourri noirâtre, ça ne sent pas souvent le marché provençal. Tu parles d'une clientèle!
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Autopsie clandestine
Un jour de semaine, comme bien d'autres. Ou presque.
- Vous êtes en retard !
Le ton est péremptoire et ne laisse place à aucune discussion.
Au premier regard à mon entrée dans la pièce, je comprends pourquoi le juge d'instruction a préféré les locaux de la médecine légale à ceux du palais de justice. Tout ce beau monde n'aurait jamais tenu dans son cabinet.
Sophie regarde la pointe de ses chaussures. Elle a son air renfrogné des grands jours, ceux des contrariétés où le téléphone n'arrête pas de sonner, où la gestion des scellés nous prend la tête, où les autopsies s'accumulent. Pourtant, depuis plus de 20 ans qu'elle travaille avec moi, elle en a vu d'autres.
Marie, nommée officiellement praticien hospitalier à temps plein dans le service, est dans un coin de la pièce, près de l'écran où défilent les images d'un scanner de traumatisé, celles d'un beau crâne éclaté. A côté d'elle, Mélanie et Alexia, mes deux psychiatres légistes. Ou légistes psychiatres, cela dépend des jours. Et Cassiopée, notre chef de clinique depuis déjà un an. Il ne manque que Nicole, retenue à son cabinet médical dans le nord-est du département, et Olivier, assistant spécialiste qui partage son temps «prorata temporis» (y compris les gardes) entre l'IML de Tours et celui de Poitiers. Ah, j'oubliais mes deux internes, aujourd'hui elles sont en formation.
L'ensemble de ces personnes forme une équipe fantastique, avec la tête sur les épaules. Une équipe composée presque exclusivement de filles, vous l'aurez remarqué. Toutes belles et intelligentes. Un hasard.
Cette équipe si complète, c'est la nouveauté 2012 pour une médecine légale poitevine qui désormais a étendu sa compétence territoriale sur quatre départements. Quand je pense à mes débuts, tout seul ou presque dans deux petites pièces au onzième étage de la tour du CHU, il y a longtemps...
Donc cette équipe m'est particulièrement précieuse et je la défends bec et ongles dès qu'on l'attaque. Mais aujourd'hui, je suis inquiet.
- Reprenons, et tant qu'à faire, puisque le docteur Sapanet nous fait l'honneur d'être des nôtres, reprenons depuis le début.
J'apprécie l'ironie de la remarque. Il est rare que l'on ait l'honneur de recevoir la visite d'un juge d'instruction. En général c'est plutôt lui qui vous convoque. Je m'assieds dans un coin et j'essaie de me faire oublier. C'est Sophie qui est sur la sellette.
La paroi de son thorax et de son abdomen a disparu, laissant apparaître ses organes. Cuits : le foi, les intestins, le cœur, les poumons... Sur le siège passager, le corps d'une femme dont on distingue parfaitement les clavicules et les deux humérus.
Assister à une séance d'autopsie n'est jamais facile. Personne, même parmi les habitués, n'est jamais à l'abri d'une défaillance. Des enquêteurs pourtant rodés à l'exercice ont tourné de l'œil comme d'exemplaires néophytes, s'écroulant de tout leur long sans crier gare.
J'ai beau lire et relire les courriers protégés des méfaits du temps par des strates de publicités, il n'y a que des avis de virements, entre pension de retraite et prélèvements. Ce sont les avantages de la modernité. Tout est tellement automatique que, pour l'administration, les banques, les fournisseurs d'eau, de gaz et d'électricité, l'ancêtre est toujours vivante. Mais bien silencieuse comme l'attestent les relevés téléphoniques sans aucune trace d'appel.
Mais la belle apparaît saine, sans gros vice manifeste. Même le plaisir est au rendez-vous, comme en témoignent les trois cheminées de la toiture, prévues pour au moins six foyers. De quoi faire disparaître à la Landru toutes les vieilles filles argentées de la ville !
Les sorciers vaudous lisent l'avenir dans les tripes de poulet. Moi, je lis le passé- enfin, j'essaie- dans les entrailles de mes contemporains.
J’ai pour eux une sorte d’immense respect. Parce que ces anonymes allongés sur la table d’inox n’ont pas demandé à y venir. Ils avaient des projets, des livres à lire, des gens à aimer, et les voilà égorgés, battus à mort, tirés comme des lapins, étranglés par des mains criminelles, ou encore victimes d’un accident suspect, d’une électrocution bizarre. A moi de leur infliger l’ultime violence, celle de l’autopsie, afin d’aider les enquêteur à à identifier le ou les auteurs et à les arrêter. Ou pour lever le doute. Nous leur devons au moins ça, à nos pauvres morts mal en point. Leur rendre leur identité lorsqu’ils sont méconnaissables ou abandonnés loin de chez eux, leur rendre leur humanité en retrouvant l’histoire de leurs derniers instants.
Les sorciers vaudoux lisent l’avenir dans les tripes de poulet. Moi, je lis le passé – enfin, j’essaie – dans les tripes de mes contemporains. Je suis médecin légiste. Un vrai. Pas comme ceux des séries américaines, dont je ne loupe pourtant aucun épisode. Je les admire tous, élégants spécialistes en noeud papillon dans des salles dignes de l’aventure spatiale, penchés sur les morts de la veille encore frais et beaux. Je les envie pour leur talent incroyable, capables qu’ils sont de dénicher à tout coup l’écaille de peinture d’un millionième de millimètre cachée sous un repli de la peau derrière l’oreille, et d’en déduire le numéro de la plaque d’immatriculation de la voiture du meurtrier…
Aux vitimes de mon bistouri, et à celles de mon humour.
D'une certaine facon, meme si la victime est morte, raconter sa fin, c'est lui rendre une parcelle de vie.
_ Vous vous demandez pourquoi ces teintes si subtiles?
_ Non, ma question, c'était plutot...
_ Eh bien, le sang a coulé en premier. Une vaste flaque, parce que se faire eventrer ca laisse des traces. Une partie a coagulé, ca donne le noir. Une autre est restee visqueuse, parce que la couche est trop epaisse, elle donne les nuances de rouges. Quant au vert foncé, il vient de la putrefaction. La graisse arrive apres. Un beau jaune soutenu. Alors evidemment, lorsque monsieur s'est agité dans la flaque, il a subtilement melangé les couches... D'ou l'oeuvre d'art que vous avez sous les yeux...
Si le TGV est devenu le principal fournisseur de cadavres eparpillés, les voies classiques de la SNCF ont gardé leurs candidats a l'aller simple sans billet pour l'au-dela. Comme ce pauvre garcon qui a choisi de s'agenouiller, par une nuit sans lune, face a un train de marchandises.
Le metier de legiste s'accorde mal avec la planification. Les cadavres manquent singulierement de savoir-vivre. Ils deboulent dans votre emploi du temps sans prendre rendez-vous. Alors, il faut faire avec.
L'autopsie judiciaire est une épreuve sur le moment, mais elle participe au soulagement des familles en sauvant ce qui reste d'humain dans l'indicible. Eclairer ces instants obscurs de la fin d'une vie est indispensable à tous, pour que la famille sache et comprenne, pour qu'elle puisse, un jour peut-être, trouver l'apaisement.