Le quotidien dun médecin légiste
D'une certaine façon, même si la victime est morte, raconter sa fin, c'est lui rendre une parcelle de vie.
Les sorciers vaudous lisent l'avenir dans les tripes de poulet. Moi,je lis le passé-enfin,j'essaie-dans les entrailles de mes contemporains.Je suis médecin légiste.Un vrai.Pas comme ceux des séries américaines,dont je ne loupe pourtant aucun épisode.Je les admire tous,élégants spécialistes en noeud papillon dans les salles dignes de l'aventure spatiale,penchés sur les morts de la veille encore frais et beaux.
J’ai pour eux une sorte d’immense respect. Parce que ces anonymes allongés sur la table d’inox n’ont pas demandé à y venir. Ils avaient des projets, des livres à lire, des gens à aimer, et les voilà égorgés, battus à mort, tirés comme des lapins, étranglés par des mains criminelles, ou encore victimes d’un accident suspect, d’une électrocution bizarre. A moi de leur infliger l’ultime violence, celle de l’autopsie, afin d’aider les enquêteur à à identifier le ou les auteurs et à les arrêter. Ou pour lever le doute. Nous leur devons au moins ça, à nos pauvres morts mal en point. Leur rendre leur identité lorsqu’ils sont méconnaissables ou abandonnés loin de chez eux, leur rendre leur humanité en retrouvant l’histoire de leurs derniers instants.
On est jamais déçu par le pire... mais il faut l'avoir imaginé avant.
Vous savez pourquoi je suis de mauvaise humeur? (...) Je suis de mauvaise humeur parce que, certains jours, l'humanité me désespère. Quand ce n'est pas à cause de sa violence gratuite, pour le plaisir, c'est à cause de son inconscient ou de son animalité. D'autres fois, c'est sa connerie qui me sidère. Aujourd'hui, c'est sa connerie. Ce qui est dramatique, c'est qu'un fusil chargé soit accessible à des gamins. Ça, c'est une belle connerie.
"L'autopsie est une opération violente qui altère l'intégrité du corps. Une violence ultime, extrême mais nécessaire. Puisque c'est elle qui va rendre une identité à un cadavre inconnu, qui va révéler ce qui a mis fin à son existence, qui va contribuer à démasquer celui qui l'a tué. C'est notre façon à nous, légistes, de lui rendre son humanité."
p.206
-Voilà votre client, docteur.
J'avais deviné. Je ne suis que médecin légiste, mais ma perspicacité légendaire m'incline à penser qu'un type tout habillé qui reste allongé au beau milieu d'une route départementale alors qu'il est entouré de gendarmes n'a plus toutes ses facultés, quand bien même il serait le doyen. (...) Les yeux fermés, le visage détendu, il semble prendre un bain de soleil sur le bitume. Certes, la saison s'y prête. Le gendarme me donne ses premières indications. (...)
- Vous savez qu'on ne vous dérange que pour les cas tordus.
- Oui mais là ce n'est pas le cas.
- Comment cela?
- Il est droit comme un "i".
L'autopsie est une opération violente qui altère l'intégrité du corps. Une violence ultime, extrême mais nécessaire. Puisque c'est elle qui va rendre une identité à un cadavre inconnu, qui va révéler ce qui a mis fin à son existence, qui va contribuer à démasquer celui qui l'a tué. C'est notre façon à nous, légistes, de lui rendre son humanité.

Autopsie clandestine
Un jour de semaine, comme bien d'autres. Ou presque.
- Vous êtes en retard !
Le ton est péremptoire et ne laisse place à aucune discussion.
Au premier regard à mon entrée dans la pièce, je comprends pourquoi le juge d'instruction a préféré les locaux de la médecine légale à ceux du palais de justice. Tout ce beau monde n'aurait jamais tenu dans son cabinet.
Sophie regarde la pointe de ses chaussures. Elle a son air renfrogné des grands jours, ceux des contrariétés où le téléphone n'arrête pas de sonner, où la gestion des scellés nous prend la tête, où les autopsies s'accumulent. Pourtant, depuis plus de 20 ans qu'elle travaille avec moi, elle en a vu d'autres.
Marie, nommée officiellement praticien hospitalier à temps plein dans le service, est dans un coin de la pièce, près de l'écran où défilent les images d'un scanner de traumatisé, celles d'un beau crâne éclaté. A côté d'elle, Mélanie et Alexia, mes deux psychiatres légistes. Ou légistes psychiatres, cela dépend des jours. Et Cassiopée, notre chef de clinique depuis déjà un an. Il ne manque que Nicole, retenue à son cabinet médical dans le nord-est du département, et Olivier, assistant spécialiste qui partage son temps «prorata temporis» (y compris les gardes) entre l'IML de Tours et celui de Poitiers. Ah, j'oubliais mes deux internes, aujourd'hui elles sont en formation.
L'ensemble de ces personnes forme une équipe fantastique, avec la tête sur les épaules. Une équipe composée presque exclusivement de filles, vous l'aurez remarqué. Toutes belles et intelligentes. Un hasard.
Cette équipe si complète, c'est la nouveauté 2012 pour une médecine légale poitevine qui désormais a étendu sa compétence territoriale sur quatre départements. Quand je pense à mes débuts, tout seul ou presque dans deux petites pièces au onzième étage de la tour du CHU, il y a longtemps...
Donc cette équipe m'est particulièrement précieuse et je la défends bec et ongles dès qu'on l'attaque. Mais aujourd'hui, je suis inquiet.
- Reprenons, et tant qu'à faire, puisque le docteur Sapanet nous fait l'honneur d'être des nôtres, reprenons depuis le début.
J'apprécie l'ironie de la remarque. Il est rare que l'on ait l'honneur de recevoir la visite d'un juge d'instruction. En général c'est plutôt lui qui vous convoque. Je m'assieds dans un coin et j'essaie de me faire oublier. C'est Sophie qui est sur la sellette.
Si les maniaques de la gâchette pouvaient régler leurs comptes pendant les heures ouvrables, le légiste ferait des nuits complètes. Mais non, faut que ça défouraille après 19 heures, sans respect pour les acquis sociaux.