Maud et les aventuriers de l'océan 1
Si on abandonnait tout ce qui est difficile à réaliser, l'humanité raclerait encore des peaux de bête avec des silex taillés.
Nous sommes tous perdus, Saralynn. Le jour où la peur cesse de nous étreindre, nous n'avons plus rien d'humain. Mais elle est là, chaque matin au réveil et chaque soir au moment de s'endormir, n'est-ce pas ?
- Il croit qu'on est ensemble, c'est ça ? dis-je finalement.
- Yep.
- Oh. Je dois aller chercher mon manteau et mon sac dans mon laboratoire. Tu m'attends dans le parking ?
James eut un reniflement amusé.
- C'est tout l'effet que ça te fait ?
J'ouvris la porte que Marcus avait refermée derrière lui.
- Quoi ?
James secoua la tête.
- Non, rien. Ton côté handicapée sociale fait partie de ton charme.
- Pourquoi ai-je l'impression que je viens de me faire insulter ?
Oui, ce n'était que le commencement. Aurais-je bientôt ce fardeau de terreur et de haine à porter ? C'était ce que je voyais en lui : Gaspard Flynn avait lui aussi quitté le monde des hommes sans même s'en être aperçu. Quoi que nous fassions, il était trop tard pour nous - l’innocence ne pouvait nous être rendue, à présent que nous savions.
- Vous prenez plutôt bien la situation, je trouve.
- Faire médecine demande des nerfs d'acier... et d'excellentes prédispositions pour le déni. Je paniquerai plus tard.
Quand on est en guerre, il n’y a plus de règles.
Je croisai les bras contre ma poitrine et le regardai partir. Sans savoir pourquoi, voir les gens me tourner le dos me serrait toujours le cœur, comme s’ils m’abandonnaient, moi qu’on finissait toujours par laisser derrière.
- James ?
- Oui ?
- Bonne nouvelle, grinçai-je. Quelque chose de positif.
- Oh !
Il tapota le volant, fronçant les sourcils.
- Le Central m'a rappelé pendant que tu étais dans les vapes : on a attrapé l'éléphant.
Vous ne reculerez pas, et jamais vous ne céderez à la panique. L'affolement est la mort de l'esprit - c'est votre mort et celle des vôtres.

Beaucoup de gens pensent qu'il faut être fasciné par la mort ou avoir subi un traumatisme pour s'intéresser à la médecine légale. En réalité, j'ai choisi cette profession pour des raisons tout à fait banales. Pour commencer, il y a le facteur responsabilité. Quoi que je fasse, je n'aurai jamais de mort sur la conscience. Un médecin dont les patients sont vivants peut les sauver, mais il court aussi le risque permanent d'en tuer un. Au cours d'une opération, mais aussi à cause d'un mauvais diagnostic ou parce qu'il n'a pas décroché son téléphone un jour où il était de garde. C'est un poids avec lequel je ne serais pas capable de vivre.
[...]
Et puis, j'aime travailler dans une morgue. Je sais que c'est étrange, mais il y a une ambiance particulière. J'aime l'odeur, les bruits et le calme. Les patients qui attendent leur tour en silence au lieu de crier parce que je suis en retard et de remettre mes diagnostics en question.
[...]
En réalité, il y avait une troisième raison.
[...]
Moi, je m'étais sentie étrangement proche de ce patient froid et silencieux allongé sur la table. Il n'avait pas de voix. Aucun moyen d'exprimer sa frustration, sa colère, sa douleur ou sa tristesse. Un corps manipulé par d'autres, qui n'aurait plus l'occasion de se tenir sur ses deux jambes pour leur échapper.