Citations de Nadeem Aslam (135)
Un jour, encore enfant, elle avait demandé à l'homme qui s'appelait Massud ce que signifiait le mot "lire". Elle était la fille des domestiques de la maison et on lui avait intimé de rester tranquille dans un coin pendant que ses parents travaillaient. Il avait réfléchi un moment à sa question avant de dire : "J'ai soif." Il prit alors cet outil qu'il nommait un stylo, en posa la pointe brillante sur une feuille de papier où il laissa quelques marques. Lui tendit le papier et lui dit d'aller dans la cuisine le montrer à Nargis. Helen s'exécuta et fut stupéfaite quand Nargis la renvoya à Massud avec un verre d'eau. "Lire, c'est magique", lui avait déclaré l'homme.
Le portique de la Compagnie des Indes orientales dans Leadenhall Street à Londres dépeint Britannia tendant la main à une Inde agenouillée qui lui présente ses trésors. Quand les Britanniques arrivèrent en Inde, le pays renfermait vingt pour cent des richesses mondiales connues. Quand ils en partirent deux cents ans plus tard, en 1947, il n'en possédait plus que trois pour cent...
(...) Qu'est-ce qui expliquait la méfiance d'un peuple à l'égard d'un autre ? Un jour, au cours d'un voyage en avion, Massud et elle avaient bavardé avec un steward tunisien, qui leur avait dit : "Il y a beaucoup de visiteurs italiens dans mon pays." Et quand Nargis lui avait demandé pourquoi, il avait répondu : "Les guerres puniques. Ils n'arrivent pas à partir." Nargis avait alors appris que ces guerres s'étaient déroulées entre 264 et 146 avant Jésus-Christ.
En regardant une image du Christ dans un livre, elle avait cru voir des caractères arabes sur une bande de brocart qui ornait l'épaule droite de sa tunique. Bien des années plus tard, elle tomberait sur la même image dans l'ouvrage du père de Massud, "Pour qu'ils se connaissent mutuellement". C'était un tableau de Giotto, une fresque qui se trouvait dans la chapelle Scrovegni de Padoue, et elle apprit alors que les caractères arabes étaient utilisés à des fins ornementales par Giotto, Fra Angelico, Filippo Lippi, parmi d'autres. Ils apparaissaient, par exemple, sur les manches de la Vierge ou sur les tuniques ou les rubans des anges.
C'était ainsi qu'un continent se déversait dans un autre. Ainsi que quelqu'un pouvait détenir sa vie durant la réponse à une question qu'un autre portait en lui, jusqu'à ce qu'ils finissent par se rencontrer.
Les lamentations étaient aussi anciennes que les poèmes d'amour, elle le savait. Elles étaient elles-mêmes des poèmes d'amour. Dédiés aux disparus que jamais plus on ne reverrait, aux cités incendiées.
Elle aurait aimé que les morts soient dans un endroit précis, mais ils n'étaient nulle part. Effacés, enfouis dans la mémoire.
Au crépuscule lui vinrent les mots de Saint Augustin. " Et j'entre dans les domaines, dans les vastes palais de ma mémoire, où sont renfermés les trésors de ces innombrables images... p 39
Le quartier était connu sous le nom de Badami Bagh. Comme le suggérait cette appellation, il y avait eu ici autrefois un verger d'amandiers, qui avait occupé la périphérie nord de la ville pendant presque deux siecles. En 1857, quelques-uns des chefs de la révolte des cipayes s’étaient cachés au milieu des arbres touffus pour préparer leurs attaques et, plus tard une fois la mutinerie écrasée, les Britanniques les avaient pendus aux branches de ces memes arbres.
Dans les années 1950 - les Anglais à cette date étaient partis, et le Pakistan devenu une nation indépendante - , la ville avait commencé à jeter ses tentacules en direction du verger, dont les propriétaires ne tardèrent pas à comprendre que le terrain sur lequel poussaient les amandiers leur rapporterait beaucoup plus s'il était bâti. L'amanderaie était la propriété d'une seule famille élargie, qui décida de construire les maisons les plus petites qui soient et les louer aux chrétiens travaillant comme domestiques chez les musulmans de Zamana ou comme employés au nettoyage des rues et des égouts de la ville - une communauté connue pour être docile et disciplinée.
Au début du vingt et unième siècle, Badami Bagh était un ghetto, le quartier le plus pauvre de Zamana. La ville avait continué à grandir pour finir par l'encercler et l'engloutir, avant de poursuivre son extension. Entourant l'enclave chrétienne de maisons musulmanes sur les quatre cotés.
Il ne subsistait de l'ancien verger qu'un seul amandier, et il se trouvait dans la cour de la maison de Lily et Helen. De temps à autre, le fantôme d'un mutin pendu descendait de ses branches pour aller errer dans Badami Bagh, demandant aux passants de dénouer la corde qui lui enserrait le cou.
Il y a des moments où un être humain a besoin de compagnie, ne serait-ce que celle d'une flamme.
S'il n'y a pas de Dieu,
Tout n'est pas permis à l'homme.
Il reste le gardien de son frère,
Et il ne lui est point permis de l'attrister,
En lui disant que Dieu n'existe pas.
Czeslaw Milosz
L'amour ne rend pas les amants invulnérables, lit-elle. Mas même si la beauté et l'amour du monde sont au bord de la destruction, c'est toujours du côté de ceux qui s'aiment qu'il convient de se trouver. Que la haine soit victorieuse ne fait pas d'elle autre chose que ce qu'elle est. L'amour vaincu reste l'amour.
La mémoire idéale est celle qui ne retient que les bonnes actions d'autrui, tout en oubliant les siennes propres.
Dans les mois qui suivent les attentats du 11 septembre, deux jeunes gens, Jeo et son frère adoptif Mikal, lun étudiant en médecine, lautre rompu au maniement des armes, quittent leur bourgade du nord pakistanais et se rendent clandestinement en Afghanistan pour porter secours à leurs frères musulmans.
Jeo laisse derrière lui Naheed, la beauté qui est devenue son épouse, et son père Rohan, veuf inconsolable qui perd peu à peu la vue. Seul réconfort : son jardin magnifique.
Fondateur dune école, Rohan en a été chassé par les islamistes qui préparent les élèves au djihad. Mikal, amoureux fou de Naheed - une passion partagée - a préféré séloigner delle par respect pour Jeo.
Mais très vite, Mikal et Jeo sont séparés, engloutis dans la spirale des affrontements qui opposent Américains et talibans et dont profitent les seigneurs de guerre sans scrupules.
Dans Le Jardin de laveugle, Aslam met en scène avec une empathie exceptionnelle ses personnages dans toutes leurs contradictions, des êtres bousculés, malmenés par le destin.
La mort est omniprésente mais la vie aussi, vibrante de couleurs, de parfums et damour. Il ny a quune leçon à retenir, celle de vivre à tout prix.
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Elle se colle contre lui et passe les bras autour de sa taille. Il pousse un gémissement, la plus ancienne manifestation de l'humaine condition et un frisson de chagrin le parcourt, qu'elle absorbe en elle, le plus ancien des échanges.
(...) le Pakistan, cette nation pauvre où il n'y a pas d'eau aux robinets, pas de sucre ni de riz ni de farine dans les magasins, pas de médicaments pour les malades, pas d'essence pour les voitures, ce pays abject où il semble que chacun en veuille à son semblable, un pays de représailles incessantes où le boucher vend de la viande avariée au laitier, lequel à son tour lui vend du lait allongé à l'aide de poudres blanches mortelles, tous deux vendant leur viande et leur lait au médecin qui prescrit des médicaments inutiles dans le seul but d'obtenir des primes des laboratoires pharmaceutiques, où l'usine où sont fabriqués ces mêmes médicaments déverse ses déchets toxiques directement dans le système de distribution des eaux, dans les rivières et les fleuves, tuant, mutilant, aveuglant, lacérant les fils et les filles de l'agent de police qui, lui-même, meurt dans un accident de la circulation alors qu'il est en train d'accepter un pot-de-vin, accident causé par un camion auquel l'homme du contrôle technique a donné le feu vert après avoir été lui aussi soudoyé, un pays rempli de gens dont l'absolue dévotion à leur religion n'est guère plus qu'un attachement indéfectible au malheur et à la mesquinerie (...)
Quand ils l'ont tué, ils ont tué en lui chacun des souvenirs qu'elle en a. Quatre vingt six balle. Une pour chaque souvenir : son sourire ; son froncement de sourcil quand il lisait ; sa main gauche parfois posée sur sa cuisse quand il conduisait ; les larmes qui avaient voilées son regard quand il avait raconté l'histoire de la vieille femme anonyme accrochée au genou de l'inspecteur de police ; sa façon de manger les mangues sans les éplucher : la superbe danse, toute de calme concentration, qu'il exécutait sur le "One o'Clock Jump" de Count Basie ; quand il se moquait de son père, en adoptant l'élocution embarrassée d'un ivrogne : "Il portait la barbe, mais il corrigeait gentiment ceux qui le prenaient à tort pour un religieux : "Ma barbe n'a rien de religieux, c'est une barbe révolutionnaire, inspirée de Castro, du Che et de Marx"" ;.... p.321
Il n’est pas question que je le fasse simplement pour permettre à certains de dormir tranquilles
Et si le monde entier faisait fausse route ? Nous devons continuer à nous battre pour rester purs. Souvenez-vous que les ténèbres qui ont le pouvoir d’engloutir une montagne ne résistent pas à la plus petite des flammes
Ils sont partis, mais ils sont toujours là, dans le cœur de ceux qu'ils ont laissés derrière eux. Cela, la guerre est impuissante à le détruire.
Deux mille ans ont passé depuis que l'homme est devenu le frère de tous les hommes sur terre, et pourtant il reste encore à inventer les mots capables de soulager nos plus grands fardeaux.
"J'aimerais mourir en te contemplant".
Il emerge dans la pureté du matin clair. Le monde n'est que lumière abricot et ombres bleutées
Quand Richard Coeur de Lion fit montre d'une force brutale en brisant une barre de fer avec son épée, Saladin repliqua en coupant en deux un mouchoir de soie d'un coup de son cimeterre au fin tranchant. Ce qui s'est perdu, c'est le désir de croire en la délicatesse de Saladin et de s'enorgueillir.