AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Nathan Wachtel (11)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées
Mémoires marranes : Itinéraires dans le sertão du..

« Une mémoire marrane encore vivante se perpétue obstinément au Brésil, plus de cinq cents ans après la conversion forcée, jusque dans les terres arides du Nordeste, dans le lointain et mythique sertao. »



Comme le souligne l’auteur « Entre mémoire et oubli, la condition marrane s’accompagne au fil du temps de représentations et réactions ambivalentes, tant positives que négatives, à l’égard de l’héritage juif… ». Il s’attarde plus longuement sur les tentatives de dénégation, de refoulement, de falsification, pour ajouter que ce n’en « sont pas moins des procédures mémorielles, elles aussi, quoique en négatif : spectre qui hante tant de familles obsédées par l’impérieuse nécessité de cacher des secrets estimés honteux. »



Dans son introduction, Nathan Wachtel replace historiquement l’arrivée de ces nouveaux-chrétiens au Brésil, avant de nous parler de ces témoignages, ces récits qui feront la seconde partie de l’ouvrage « ils se succèdent en fonction de la musique qu’ils me semblent faire entendre, du système d’échos que l’on perçoit entre les thèmes récurrents d’une expérience singulière à l’autre – en quoi ces récits expriment bien une mémoire véritablement collective. »



La première partie du livre est une analyse du « Contexte ». L’auteur traitera des résurgences marranes au Portugal et au Brésil. Il notera que le mouvement de retour au judaïsme officiel représentait une nouveauté incompatible avec la tradition « à travers la reconversion se perd, précisément, cette composante fondamentale de la religiosité marrane qu’est le secret, le secret en quelque sort ritualisé. » Un chapitre est consacré au sertao, comme milieu naturel, comme objet et lieu de conquête, sans oublier un développement sur la « Guerre des barbares » et « la violence comme fondatrice de la société coloniale des sertoes du Nordeste ». L’auteur présente aussi sur la culture et les coutumes sertanejas, la consolidation du système des très grandes fazendas et les célèbres cangaceiros. Nathan Wachtel conclut cette partie en soulignant « que l’enchaînement des événements historiques induit, paradoxalement, un processus à la fois de conservation et de refoulement d’une mémoire brouillée » et « la conquête glorieuse des immenses espaces de l’intérieur recouvre l’occultation de l’extermination des Indiens, tandis que la mémoire des martyrs judaïsants s’estompe sous le voile de la dénégation (surtout parmi les grandes familles de l’oligarchie) du stigmate de l’impureté du sang. »



La seconde moitié du livre de l’ouvrage est composée de « Récits », de mémoires « dans un milieu géographique, social, culturel qui impose à tous les mêmes contraintes, chaque itinéraire est évidemment singulier, suit une trajectoire originale et compose une figure inédite. Chaque voix que nous allons entendre est unique, chaque expérience irremplaçable. Cette unicité résulte encore du hasard des rencontres, du tempérament personnel, en définitive du libre arbitre de chacun : les récits rassemblés dans cette Deuxième partie relatent des événements qui n’ont eu lieu qu’une fois. »



En lisant attentivement ces différents et passionnants témoignages, j’ai été surpris des contours que pouvait prendre la mémoire, la force de la religiosité de ces différentes femmes et hommes, les fondements de leurs espoirs, les combinaisons entre foi et pratiques religieuses.



Je reste cependant étranger à cette quête de racines, dans un passé en partie fantasmatique et inquiet du manque de recul à l’utilisation du sang comme marqueur de filiation, ou de la notion a-historique de peuple.



Cependant, contre les oublis et les dénégations, ce livre permet de réfléchir sur la transmission/création/invention de la mémoire, ou pour le dire avec l’auteur « faire entendre autant que possible, au moyen de variations sur les mélodies tantôt originales et tantôt répétitives, la musique ineffable qu’engendre le système des échos se répondant d’un témoignage à l’autre ».



Une « suite » à La logique des bûchers (Éditions du Seuil, Paris 2009) et au très beau La foi du souvenir, Labyrinthes marranes ( Éditions du Seuil, Paris 2001).
Commenter  J’apprécie          50
Paradis du Nouveau Monde

La fidélité à l’héritage du passé ne s’accomplit pas sous forme d’une répétition littérale



« Le point de vue de l’historien, défini depuis le lieu et le temps où il se trouve situé, est de fait toujours singulier, subjectif et orienté ». Dans son avant-propos, Nathan Wachtel parle de vérités nécessairement partielles et restreintes, de fragments de réel et de vécu, de traces susceptibles de diverses opérations historiographiques, de pluralité des points de vue.



« Les essais rassemblés dans cet ouvrage portent sur les thèmes fascinants, et inépuisables, des Paradis terrestres et des mouvements indiens dit « messianiques » dans le continent américain (XVIe-XIXe siècles ».



L’auteur fournit des informations sur son livre, entre autres, la localisation du paradis, des phénomènes massifs d’exaltation collective, les révoltes des Indiens Pueblos, le travail de certains auteurs, les Indiens des Grandes Plaines et des Montagnes Rocheuse de l’Amérique du Nord, les innombrables « drames, catastrophes et traumatismes ».



« Les rêves de bonheur ne sont souvent qu’évasions d’un réel insupportable, fuites dans l’imaginaire, et nous savons trop bien que l’histoire est infiniment tragique : c’est pourquoi le titre ici de Paradis peut aussi bien s’entendre par antiphrase, car il recouvre autant d’effroyables enfers »



Il s’agit d’un passionnant livre érudit mais tant par l’écriture que par l’exposition, il est accessible et devrait intéresser les profanes, celles et ceux qui n’ont pas de connaissance particulière dans les domaines traités et celles et ceux qui ne partagent pas les aspirations au sacré ou au religieux.



Fables d’occident



« La découverte d’un monde jusqu’alors insoupçonné suscita en occident d’innombrables hypothèses et fantasmes, qui ne sont toujours des élucubrations dénuées de sens ». Nathan Wachtel, à travers des lectures de certains auteurs, met en évidence, les noyaux « rationnels » des constructions explicatives. L’auteur aborde, entre autres, le rationnel historiquement situé dans le possible des pensées, les sens métaphoriques (messianique ou millénariste), le Paradis et sa localisation américaine, l’érudition et son exubérance baroque, les argumentations rigoureuses et « quasi scientifique », l’hypothèse des « tribus d’Israël », l’inscription du Déluge et du monde postérieur, la place des nouveau-chrétien, les « Singularités du Nouveau Monde », la place des arguments philologique et géographique, la révolution intellectuelle provoquée par l’extraordinaire découverte d’un continent inconnu, la « théorie de l’Indien juif », les tribus perdues d’Israël, une « diaspora silencieuse, évanescente, répandue en des lieux indéterminés », les symboles de l’exil et de la perte, les transpositions de récits indigènes dans un style biblique, la combinaison de l’exégèse biblique et du savoir géographique, les métissages, « un vaste éventail de métissages, à une longue série de pertes et de créations d’identités collectives », le contexte d’effervescence messianique…



L’auteur souligne des changements dans les sciences au XIXe siècle, le positivisme scientifique, les nouveaux critères de « preuve », l’imprégnation de l’idée d’une hiérarchie des races ou des cultures dans le discours scientifique…



Messianismes indiens



« Après l’examen qui précède de certaines représentations occidentales relatives au Nouveau monde, renversons les perspectives et tentons de nous situer du point de vue des Amérindiens ; ce que nous appelons « grandes découvertes » ou « conquêtes » signifie en réalité pour eux défaites, maladies, invasions, désastres ». Nathan Wachtel souligne des analogies entre de diverses quêtes amérindiennes, des dimensions « messianiques » ou « prophétiques », des combinaisons variables de « croyances et pratiques autochtones avec certains apports occidentaux », des mouvements de révolte violente et guerrière, des réactions plus pacifiques (chants, danses, prières, rituels d’ordre religieux) « En fait, au-delà de leur diversité, tous ces phénomènes sont généralement symptômes de situations désespérées, où l’accumulation de drames et de catastrophes conduit les sociétés indiennes à une recherche pathétique de Rédemption »



La terre sans mal



L’auteur explicite le thème constitué par la « Terre sans Mal », aborde, entre autres, les migrations et les rituels des Indiens Tupi-Guarani (XVIe-XVIIe siècle), des représentations cyclique du temps, des cérémonies, la place de chamans ou caraïbes, des phénomènes de diffusion et d’acculturation, « Dès lors, des phénomènes de diffusion et d’acculturation ne peuvent manquer de se produire, et l’on observe effectivement que les Indiens ne tardent pas à absorber certains éléments provenant des croyances et des pratiques européennes, mais en les inscrivant dans la logique de leurs représentations traditionnelles, de sorte qu’ils les retournent contre la domination des envahisseurs. Le mythe de la Terre sans Mal dérive ainsi vers une accentuation de sa dimension guerrière et conduit au déclenchement d’innombrables révoltes contre le système colonial ». L’auteur propose quelques illustrations de ces phénomènes. Il indique : « la Terre sans Mal apparaît comme une catégorie de pensée indigène, certes d’ordre mythique, mais opératoire des points de vue tant historique qu’ethnographique ».



Nathan Wachtel discute du rapport entre enquête de terrain et documentation historique, des lectures d’histoire à rebours (Marc Bloch), des projections d’images figés sur le passé, d’« histoire régressive »…



Le retour de l’Inca. Le messianisme andin (XVIe-XVIIIe siècle)



« « Les temps viendront », « les moments approchent », « le temps est arrivé » : du XVIe au XVIIIe siècle, l’espérance en l’avénement d’une ère nouvelle de justice et de félicité semble constituer, aux divers niveaux de l’échelle sociale, l’horizon d’attente constamment renouvelé des populations andines ». Nathan Wachtel explique qu’il utilise par commodité deux termes d’origine juive ou chrétienne, occidentale : « messianisme » et « millénarisme ». Il aborde, entre autres, la persistance d’une dimension essentielle du monde andin, le renversement de l’espace temps, « Le désastre de la conquête espagnole s’accompagne de la catastrophe inouïe provoquée par les maladies nouvelles (variole, rougeole, grippe, etc.) introduite par les Européens », la chute démographique, le culte des huaca détruites, l’adhésion au Taqui Onqoy, les processus complexes d’intégration d’éléments empruntés à la culture dominante et leur réinsertion « dans l’outillage mental et les catégories de la pensée autochtone », la revitalisation de coutumes indigènes, le retournement contre elle d’éléments de l’institution coloniale…



« La mémoire collective perpétue la figure de l’Inca selon diverses modalités : récits mythiques, représentations du théâtre populaire, écrits d’ordre littéraire, arts plastiques. Ces différents moyens de transmission comportent leurs propres complexités et sont chargés d’une pluralité de significations ». L’auteur propose « une reconstitution géographique et chronologique de l’évolution du cycle mythique d’Inkarri ». Il aborde les « Danses de la conquêtes », le thème de l’incommunicabilité entre Indiens et Espagnols, le monde souterrain comme « lieu de refuge, voire de régénération », les anachronismes, les manifestations publiques sous forme « de défilés, processions et mascarades », les modes de transmission, « la mémoire collective de l’Inca fonde des traditions diversement réinventées, d’où n’inévitables ambiguïtés et multiplicités des langages (qui peuvent néanmoins interférer) : le retour de l’Inca ne signifie pas toujours la même chose pour tous, comme en témoignent bien des épisodes des grandes révoltes du XVIIIe siècle »



Nathan Wachtel discute de grandes révoltes de XVIIIe siècle, « Une dimension messianique et millénariste, plus ou moins souterraine, continue à se perpétuer dans les populations andines, à travers ruptures et changements, comme en témoignent les deux grandes révoltes qui, parmi de nombreux épisodes, se distinguent non seulement par leur ampleur, mais encore par leur immense portée symbolique », Juan Santos Atahualpa, les révoltes des Kataris et de Tupac Amaru, le projet de ce dernier – dont la libération des esclaves d’origine africaine -, le siège de la Paz, Tupac Katari, le syncrétisme pagano-chrétien, « la restauration de la justice et la remise à l’endroit de l’ordre du monde », les modalités de radicalisation, les lieux de la mémoire, « Le cœur de l’inca vit dans la bouche du soleil », les projections dans le futur possible…



La danse des esprits. Le retour des morts



« 1890 : en cette année, aux Etats-unis, le Bureau fédéral du cens proclame officiellement la fin de la « Frontière » tandis que les « guerres indiennes », menées continûment dans le Far West depuis la mi-XIXe siècle, s’achèvent avec le sinistre massacre de Wounded Knee, emblématique des drames de l’expansion européenne ». Nathan Wachtel examine, entre autres, le mouvement de la « Danse des Esprits », les mouvements messianiques ou prophétiques, le dépeuplement par une série d’épidémies et la catastrophe démographique, la légitimation de la colonisation par « la volonté divine », les multiples et tragiques fins du monde, les expropriations des territoires, « Terres spoliées, village démantelés, populations déplacées, autant de monde perdu », la déportation et son souvenir « La « Piste des larmes » », les relations inter-tribales, les novations et les réinterprétations, la notion de « Grand Esprit », les prophète Neolin et Tenskwatawa, la Ghost Dance chez les Cherokees et ses évolutions, les Act et leur non-respect, le thème du retour des morts, « Mais ce qui est nouveau dans la prophétie de Wodziwob annonçant le retour des morts, outre la modernité du train venant de l’est, c’est le caractère collectif de cette résurrection, et l’idée que ces retrouvailles heureuses entre la foule des morts et les vivants marquent une rupture dans le temps de l’histoire », la conscience de l’« identité indienne », les célébrations en présence de délégations tribales, « En conséquence, par un retournement remarquable, l’intensification des relations entre ce qui subsistait des tribus autochtones, au moment du nadir démographique, transformait l’un des facteurs de destruction du monde indigène en moyen de consolidation d’une identité pan-indienne »…



L’auteur poursuit avec la revitalisation de la Ghost Dance dans les années 1890, la combinaison de rituels anciens et d’intégration dans le monde moderne, le thème des retrouvailles avec les morts, les Sioux et Wounded Knee, l’extermination des bisons par les blancs, la décomposition de la riche culture des Indiens Sioux des grandes Plaines, la bataille de Little Big Horn, les interdictions dans les réserves de l’emploi de la langue des Sioux et de la pratique des rites, l’accession au monde des esprits, la memoire historique des indiens, « je sentais que les corps dans leur fosse commune dansaient avec nous », la persistance longue et remarquable de la Ghost Dance…



***



« La terre sans Mal, le mythe d’Inkarri, la Ghost Dance : ces trois cas de « messianisme » indien se produisent parallèlement dans des sociétés et des cultures différentes, situées en des zones géographiques éloignées les unes des autres, sans aucune relation régulière ». En conclusion, Nathan Wachtel souligne la nécessité de « restituer ces pratiques et représentations dans le contexte des mythes et catégories de pensées autochtones », l’adjonction d’éléments de provenance européenne, les réactions de résistance, la fidélité à l’esprit des coutumes des ancêtres, « telle est finalement, à travers l’accumulation des envers subis, l’amère victoire des vaincus »…


Lien : https://entreleslignesentrel..
Commenter  J’apprécie          40
La vision des vaincus

Très bon livre, précurseur dans le sujet étudié. Quelques documents (poèmes, tableaux) sont très intéressants (je les réutilise avec mes élèves). L'ensemble est plutôt clair et pertinent. Petit bémol : quelques cartes et schémas pourraient faciliter la compréhension, rendre l'ensemble plus didactique.
Commenter  J’apprécie          20
La vision des vaincus

L'ouvrage de Nathan Wachtel, réédité depuis à plusieurs reprises, date de 1971. Il se fixait comme objectif, comme son titre l'indique, de donner un autre point de vue que celui de l'historiographie occidentale, centrée sur le regard des conquérants; de s'intéresser à celui de ceux qui ont été "vaincus". Il raconte ce qu'ont vu et vécu les Incas essentiellement (avec quelques excursions chez les Aztèques et quelques autres); ce que l'arrivée des Espagnols a changé dans les sociétés locales. Alors que du côté occidental, il s'agit d'une conquête, d'une phase d'expansion et de grandes découvertes, d'une Renaissance ; pour les Amérindiens, il s'agit d'une destruction, de la fin d'un monde, d'un traumatisme. Les Indiens, eux aussi, ont découvert un autre monde : celui des Européens venus à eux par la mer avec une religion, des valeurs, un mode de vie, des règles sociales, des produits alimentaires, des techniques inconnus...



Les sources restent en partie importante les sources espagnoles, mais aussi des sources locales transmises par la tradition orale et quelques chroniques écrites dans la période immédiatement postérieure à la conquête. L'auteur utilise également comme source les traces de cette période laissées dans le folklore, combinant les méthodes de l'histoire et celle de l'ethnologie.



Le livre est divisé en trois parties. "La conquête" s’intéresse aux traumatismes liés à la violence de la conquête, aux morts humains innombrables et à la "mort des dieux" de l'ancien monde indien. "Les changements sociaux au Pérou" présente les perturbations apportées à l’organisation de la société Inca par les conquérants espagnols. Ceux-ci vont en partie utiliser les structures sociales existantes, fondées sur la réciprocité et la redistribution pour les réinterpréter en leur faveur, la réciprocité étant transformée en levée du tribut au bénéfice des conquérants. "Pour les vaincus, ne survivent que des débris détachés de leur ancien contexte." Les structures ancienne sont toujours là mais vidées de leur sens : le système colonial ne donne pas de sens nouveau et n'est plus qu'une oppression.



La troisième partie est intitulée "la révolte" : Les amérindiens ont tenté plusieurs fois de se révolter contre les conquérants : le nom de Tupac amaru est encore très connu, mais il y eut d'autres révoltes : Manco inca ou la guerre de Mixton au Mexique, les révoltes Chichimèques ou Araucanes (Chili). Ces derniers en particulier réussirent à mettre en échec les Espagnols. L'auteur conclut au maintien, malgré la défaite factuellement incontestable, d'une fidélité aux traditions et une résistance durable à" l'Espagnol."



Commenter  J’apprécie          20
Paradis du Nouveau Monde

A la lumière de sa méthode « régressive », qui part du présent pour appréhender et comprendre le passé, l’américaniste Nathan Wachtel livre une analyse fascinante des utopies amérindiennes défaites.
Lien : https://www.lemonde.fr/livre..
Commenter  J’apprécie          20
La logique des bûchers

« Une mémoire marrane encore vivante se perpétue obstinément au Brésil, plus de cinq cents ans après la conversion forcée, jusque dans les terres arides du Nordeste, dans le lointain et mythique sertao. »



Comme le souligne l’auteur « Entre mémoire et oubli, la condition marrane s’accompagne au fil du temps de représentations et réactions ambivalentes, tant positives que négatives, à l’égard de l’héritage juif… ». Il s’attarde plus longuement sur les tentatives de dénégation, de refoulement, de falsification, pour ajouter que ce n’en « sont pas moins des procédures mémorielles, elles aussi, quoique en négatif : spectre qui hante tant de familles obsédées par l’impérieuse nécessité de cacher des secrets estimés honteux. »



Dans son introduction, Nathan Wachtel replace historiquement l’arrivée de ces nouveaux-chrétiens au Brésil, avant de nous parler de ces témoignages, ces récits qui feront la seconde partie de l’ouvrage « ils se succèdent en fonction de la musique qu’ils me semblent faire entendre, du système d’échos que l’on perçoit entre les thèmes récurrents d’une expérience singulière à l’autre – en quoi ces récits expriment bien une mémoire véritablement collective. »



La première partie du livre est une analyse du « Contexte ». L’auteur traitera des résurgences marranes au Portugal et au Brésil. Il notera que le mouvement de retour au judaïsme officiel représentait une nouveauté incompatible avec la tradition « à travers la reconversion se perd, précisément, cette composante fondamentale de la religiosité marrane qu’est le secret, le secret en quelque sort ritualisé. » Un chapitre est consacré au sertao, comme milieu naturel, comme objet et lieu de conquête, sans oublier un développement sur la « Guerre des barbares » et « la violence comme fondatrice de la société coloniale des sertoes du Nordeste ». L’auteur présente aussi sur la culture et les coutumes sertanejas, la consolidation du système des très grandes fazendas et les célèbres cangaceiros. Nathan Wachtel conclut cette partie en soulignant « que l’enchaînement des événements historiques induit, paradoxalement, un processus à la fois de conservation et de refoulement d’une mémoire brouillée » et « la conquête glorieuse des immenses espaces de l’intérieur recouvre l’occultation de l’extermination des Indiens, tandis que la mémoire des martyrs judaïsants s’estompe sous le voile de la dénégation (surtout parmi les grandes familles de l’oligarchie) du stigmate de l’impureté du sang. »



La seconde moitié du livre de l’ouvrage est composée de « Récits », de mémoires « dans un milieu géographique, social, culturel qui impose à tous les mêmes contraintes, chaque itinéraire est évidemment singulier, suit une trajectoire originale et compose une figure inédite. Chaque voix que nous allons entendre est unique, chaque expérience irremplaçable. Cette unicité résulte encore du hasard des rencontres, du tempérament personnel, en définitive du libre arbitre de chacun : les récits rassemblés dans cette Deuxième partie relatent des événements qui n’ont eu lieu qu’une fois. »



En lisant attentivement ces différents et passionnants témoignages, j’ai été surpris des contours que pouvait prendre la mémoire, la force de la religiosité de ces différentes femmes et hommes, les fondements de leurs espoirs, les combinaisons entre foi et pratiques religieuses.



Je reste cependant étranger à cette quête de racines, dans un passé en partie fantasmatique et inquiet du manque de recul à l’utilisation du sang comme marqueur de filiation, ou de la notion a-historique de peuple.



Cependant, contre les oublis et les dénégations, ce livre permet de réfléchir sur la transmission/création/invention de la mémoire, ou pour le dire avec l’auteur « faire entendre autant que possible, au moyen de variations sur les mélodies tantôt originales et tantôt répétitives, la musique ineffable qu’engendre le système des échos se répondant d’un témoignage à l’autre ».



Une « suite » à La logique des bûchers (Éditions du Seuil, Paris 2009) et au très beau La foi du souvenir, Labyrinthes marranes ( Éditions du Seuil, Paris 2001).
Commenter  J’apprécie          10
La vision des vaincus

Dans notre mémoire collective, l'aventure des Conquistadores évoque des images de triomphe, de richesse, de gloire et fait figure d'épopée. L'historiographie occidentale associe la découverte de l'Amérique aux notions de Renaissance, voire de Temps modernes, pour ce continent.

Pour les Indiens vaincus la conquête signifie une fin (alors qu'en Europe elle fait figure d'ère nouvelle) c''est la ruine de leur civilisation (Mexique, Pérou...) et ces traumatismes ont laissé des traces dans le folklore qui se perpétuent depuis le XVIe siècle jusqu'à nos jours.
Commenter  J’apprécie          00
Paradis du Nouveau Monde

Spécialiste de l’Amérique latine, Nathan Wachtel décrit les formes de messianisme nées de la conquête des terres indiennes.
Lien : https://next.liberation.fr/l..
Commenter  J’apprécie          00
Des archives aux Terrains - Essais d Anthro..

Les structures ne peuvent expliquer les événements que si elles les contiennent déjà comme des possibles



Dans sa présentation « Itinéraire : des Indiens aux Marranes », Nathan Wachtel parle de son itinéraire, des études andines, des études marranes, d’anthropologie historique, de renversement de perspectives, des « vaincus », d’histoire… Comment l’hier est travaillé/pensé au présent ? « Le folklore actuel conserve en effet le souvenir du traumatisme de la Conquête, tout en imprimant aux faits historiques des déformations qui s’insèrent elles-mêmes dans un système d’oppositions et de transformations, y compris sous la forme imaginaire d’une revanche et d’une supériorité indienne (résistance victorieuse aux envahisseurs, châtiment de Pizarro, etc.) » L’auteur parle des logiques propres, des significations, des surimpositions, des transformations ou des permutations dans les processus de transmission ou de construction/réappropriation de l’histoire.



Il souligne les apports de la méthode de l’étude régressive, « commençant par le présent pour remonter dans le temps », recommande l’association de l’histoire et de l’ethnologie, parle d’unification du champ conceptuel…



Une invitation à (re)penser les histoires indiennes dans leur complexité, les constructions mémorielles dans leur diversité, prendre pleinement en compte les visions des vaincu-e-s.



L’auteur parle aussi des « mémoires juives », du déracinement, des migrations, des exils, des adaptations aux pays d’accueil, d’exils au second degré, de « l’exil dans l’exil », des études marranes…



Partir du point de vue des vaincu-e-s, sans ignorer l’histoire écrite par les dominants, faire des allers et retours entre les deux perspectives, aller vers une « histoire totale ». L’auteur parle aussi d’empathie, sans « effusion débordante, manifestation exubérante des sentiments », d’assumer la dimension subjective de ses travaux, de retour réflexif sur les conditions de production des études… Souvenirs et commémoration, exercice de la raison, examen de l’enchainement complexe des événements, contingences et régularités…



De ce livre érudit, mais de lecture abordable, je ne traite que certains points.



Nathan Wachtel souligne, entre autres, le caractère « éminemment composite des sociétés méso-et sud-américaines ». il parle des métissages, des processus d’acculturation, des syncrétismes, des mémoires collectives, des rapports entre identité et altérité, des sociétés créoles… J’ai notamment été intéressé par les différents phénomènes – leur non linéarité – d’acculturation. « L’acculturation ne se réduit pas, en effet, à un cheminement unique, au simple passage de la culture indigène à la culture occidentale ; il existe un processus inverse, par lequel la culture indigène intègre les éléments européens sans perdre ses caractères originaux ». Les cultures ne sont jamais homogènes, fermées sur elles-mêmes, mais des constructions historiques ouvertes et perméables, traversée de contradictions. L’invention des traditions et leur sur-valorisation est une forme d’assignation essentialiste, déniant souvent l’historicité des phénomènes sociaux.



L’auteur souligne la diversité des sociétés « indigènes », leur hétérogénéité, avant et après la colonisation. Il insiste sur les processus, les différentes temporalités, sur les différentes formes de domination…



En regrettant le silence sur les travaux de féministes, je souligne le chapitre « Anthropologie historique », la défense des dimensions historiques et de vécus, de l’« histoire régressive », des mémoires refoulées « celle des groupes pourchassés, celle des minorités religieuses, celle des milieux dominés qui n’avait pas accès à l’écrit», de la convergence épistémologique entre histoire et anthropologie.



Une partie de l’ouvrage est consacrée aux « Etudes andines ». Nathan Wachtel revient sur les visions des vaincu-e-s, l’intégration de la conquête espagnol dans le folklore indigène, les décalages et les significations nouvelles dans les reconstructions. L’auteur interroge les comment « la Conquête revit dans le folklore indigène », les traductions parfois divergentes. Il détaille particulièrement trois thèmes : « la description des Espagnols par les Indiens », « la non-compréhension entre les adversaires », « la portée cosmique de la mort d’Atahuallpa ». Sur les phénomènes d’acculturation, il compare les « récits » de l’Inca Garcilaso de la Vega et de Felipe Guaman Poma de Ayala, en insistant sur les représentations de l’espace et du temps, leur refus partagé de la situation coloniale.



Dans la dernière partie, Nathan Wachtel parle de « Mémoires juives et marranes », des modalités de transmission, des livres du souvenir, du deuil impossible, des théologies marranes… Je regrette le manque d’interrogation sur l’historicité de la notion de peuple.



Contre les histoires écrites par les vainqueurs, les raccourcis essentialistes, une volonté de comprendre la complexité des perceptions, des memoires et des histoires.
Lien : https://entreleslignesentrel..
Commenter  J’apprécie          00
Entre Moïse et Jésus, Etudes marranes, XVe-XXIe..

Un recueil d’études qui met en évidence les différents aspects du marranisme à travers l’histoire et les différentes disciplines – et qui questionne les conditions d’une actualisation de ce concept.
Lien : http://www.nonfiction.fr/art..
Commenter  J’apprécie          00
La logique des bûchers

Critique de Alexis Lacroix pour le Magazine Littéraire



L'Inquisition fut-elle la matrice de l'État total du XXe siècle ? C'est l'hypothèse de l'anthropologue Nathan Wachtel dans son nouveau livre. Avec l'invention d'une police rigoureuse et de pratiques fondées sur l'administration logique de la preuve, les tribunaux des Inquisitions ibériques ont hâté, estime le professeur au Collège de France, l'émergence de la modernité en Occident. Contre une tradition progressiste jusqu'ici hégémonique, qui insiste exclusivement sur les aspects obscurantistes de l'Inquisition, Wachtel nous aide à penser l'insertion du dispositif inquisitorial dans la modernité et sa logique de contrôle des âmes et des corps. Dépouillant les archives des tribunaux de l'Inquisition du xvie au xviiie siècle, il analyse leurs techniques d'investigation et d'interrogatoire. Son diagnostic est sans appel : la modernité à laquelle contribuèrent les Inquisitions porte en germe celle des systèmes totalitaires.
Commenter  J’apprécie          00


Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Listes avec des livres de cet auteur
Lecteurs de Nathan Wachtel (67)Voir plus

Quiz Voir plus

Les prénoms des personnages de Harry Potter (+ noms dans la version originale)

Quel est le prénom de Hagrid ?

Hagrid est son prénom
Rubeus
Filius
Severus

17 questions
6052 lecteurs ont répondu
Thème : Harry Potter, tome 1 : Harry Potter à l'école des sorciers de J. K. RowlingCréer un quiz sur cet auteur

{* *}