Les structures ne peuvent expliquer les événements que si elles les contiennent déjà comme des possibles
Dans sa présentation « Itinéraire : des Indiens aux Marranes »,
Nathan Wachtel parle de son itinéraire, des études andines, des études marranes, d'anthropologie historique, de renversement de perspectives, des « vaincus », d'histoire… Comment l'hier est travaillé/pensé au présent ? « le folklore actuel conserve en effet le souvenir du traumatisme de la Conquête, tout en imprimant aux faits historiques des déformations qui s'insèrent elles-mêmes dans un système d'oppositions et de transformations, y compris sous la forme imaginaire d'une revanche et d'une supériorité indienne (résistance victorieuse aux envahisseurs, châtiment de Pizarro, etc.) » L'auteur parle des logiques propres, des significations, des surimpositions, des transformations ou des permutations dans les processus de transmission ou de construction/réappropriation de l'histoire.
Il souligne les apports de la méthode de l'étude régressive, « commençant par le présent pour remonter dans le temps », recommande l'association de l'histoire et de l'ethnologie, parle d'unification du champ conceptuel…
Une invitation à (re)penser les histoires indiennes dans leur complexité, les constructions mémorielles dans leur diversité, prendre pleinement en compte les visions des vaincu-e-s.
L'auteur parle aussi des « mémoires juives », du déracinement, des migrations, des exils, des adaptations aux pays d'accueil, d'exils au second degré, de « l'exil dans l'exil », des études marranes…
Partir du point de vue des vaincu-e-s, sans ignorer l'histoire écrite par les dominants, faire des allers et retours entre les deux perspectives, aller vers une « histoire totale ». L'auteur parle aussi d'empathie, sans « effusion débordante, manifestation exubérante des sentiments », d'assumer la dimension subjective de ses travaux, de retour réflexif sur les conditions de production des études… Souvenirs et commémoration, exercice de la raison, examen de l'enchainement complexe des événements, contingences et régularités…
De ce livre érudit, mais de lecture abordable, je ne traite que certains points.
Nathan Wachtel souligne, entre autres, le caractère « éminemment composite des sociétés méso-et sud-américaines ». il parle des métissages, des processus d'acculturation, des syncrétismes, des mémoires collectives, des rapports entre identité et altérité, des sociétés créoles… J'ai notamment été intéressé par les différents phénomènes – leur non linéarité – d'acculturation. « L'acculturation ne se réduit pas, en effet, à un cheminement unique, au simple passage de la culture indigène à la culture occidentale ; il existe un processus inverse, par lequel la culture indigène intègre les éléments européens sans perdre ses caractères originaux ». Les cultures ne sont jamais homogènes, fermées sur elles-mêmes, mais des constructions historiques ouvertes et perméables, traversée de contradictions. L'invention des traditions et leur sur-valorisation est une forme d'assignation essentialiste, déniant souvent l'historicité des phénomènes sociaux.
L'auteur souligne la diversité des sociétés « indigènes », leur hétérogénéité, avant et après la colonisation. Il insiste sur les processus, les différentes temporalités, sur les différentes formes de domination…
En regrettant le silence sur les travaux de féministes, je souligne le chapitre « Anthropologie historique », la défense des dimensions historiques et de vécus, de l'« histoire régressive », des mémoires refoulées « celle des groupes pourchassés, celle des minorités religieuses, celle des milieux dominés qui n'avait pas accès à l'écrit», de la convergence épistémologique entre histoire et anthropologie.
Une partie de l'ouvrage est consacrée aux « Etudes andines ».
Nathan Wachtel revient sur les visions des vaincu-e-s, l'intégration de la conquête espagnol dans le folklore indigène, les décalages et les significations nouvelles dans les reconstructions. L'auteur interroge les comment « la Conquête revit dans le folklore indigène », les traductions parfois divergentes. Il détaille particulièrement trois thèmes : « la description des Espagnols par les Indiens », « la non-compréhension entre les adversaires », « la portée cosmique de la mort d'Atahuallpa ». Sur les phénomènes d'acculturation, il compare les « récits » de l'
Inca Garcilaso de la Vega et de Felipe Guaman Poma de Ayala, en insistant sur les représentations de l'espace et du temps, leur refus partagé de la situation coloniale.
Dans la dernière partie,
Nathan Wachtel parle de « Mémoires juives et marranes », des modalités de transmission, des livres du souvenir, du deuil impossible, des théologies marranes… Je regrette le manque d'interrogation sur l'historicité de la notion de peuple.
Contre les histoires écrites par les vainqueurs, les raccourcis essentialistes, une volonté de comprendre la complexité des perceptions, des memoires et des histoires.
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