AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Nicolas Bouvier (737)


Visiter l'Afghanistan est encore un privilège. Il n'y a pas si longtemps, c'était un exploit. Faute de pouvoir tenir solidement le pays, l'armée anglaise des Indes bloquait hermétiquement les accès par l'est et par le sud. Pour leur part, les Afghans s'étaient engagés à interdire leur territoire à tout Européen. Ils ont presque tenu parole et s'en sont fort bien trouvés. De 1800 à 1922, c'est à peine si une douzaine de risque-tout (déserteurs des régiments du Bengale, illuminés, agents du Tsar ou espions de la Reine déguisés en pèlerins) sont parvenus à forcer la consigne et à parcourir le pays. Les savants étaient moins heureux. Faute de pouvoir franchir le Khyber Pass, l'indianiste Darmesteter, spécialiste du folklore pathan, en fut réduit à chercher ses informateurs dans les prisons d'Attok ou de Peshawar. L'archéologue Aurel Stein attendit vingt et an ans son visa pour Kaboul, et le reçut juste à temps pour aller u mourir.
Commenter  J’apprécie          10
Mais il y a des platanes comme on n'en voit qu'en songe, immenses, chacun capable d'abriter plusieurs petits cafés où l'on passerait bien sa vie. Et surtout il y a le bleu. Il faut venir jusqu'ici pour découvrir le bleu. Dans les Balkans déjà, l'œil s'y prépare ; en Grèce, il domine mais il fait l'important : un bleu agressif, remuant comme la mer, qui laisse encore percer l'affirmation, les projets, une sorte d'intransigeance. Tandis qu'ici ! Les portes des boutiques, les licous des chevaux, les bijoux de quatre sous : partout cet inimitable bleu persan qui allège le cœur, qui tient l'Iran à bout de bras, qui s'est éclairé et patiné avec le temps comme s'éclaire la palette d'un grand peintre. Les yeux de lapis des statues akkadiennes, le bleu royal des palais parthes, l'émail plus clair de la poterie seldjoukide, celui des mosquées séfévides, et maintenant, ce bleu qui chante et qui s'envole, à l'aise avec les ocres du sable, avec le doux vert poussiéreux des feuillages, avec la neige, avec la nuit...
Commenter  J’apprécie          20
La cuisine turque est la plus substantielle du monde ; l'iranienne, d'une subtile simplicité ; l'Arménistan, inégalable dans le conflit de l'aigre-doux ; nous, nous mangions surtout du pain. Un pain merveilleux. Au point du jour, l'odeur des fours venait à travers la neige nous flatter les narines ; celle des miches arméniennes au sésame, chaudes comme des tisons ; celle du pain sandjak qui fait tourner la tête ; celle du pain lavash en fines feuilles semées de brûlures. Il n'y a vraiment qu'un pays très ancien pour placer ainsi son luxe dans les choses les plus quotidiennes ; on sentait bien trente générations et quelques dynasties alignées derrière ce pain-là. Avec ce pain, du thé des oignons, du fromage de brebis, une poignée de cigarettes iraniennes, et les longs loisirs de l'hiver, nous étions du bon côté de la vie.
Commenter  J’apprécie          20
Le peuple d'Iran est le plus poète du monde, et les mendiants de Tabriz savent par centaines ces vers de Hafiz ou de Nizhami qui parlent d'amour, de vin mystique, du soleil de mai dans les saules. Selon l'humeur, ils les scandaient, les hurlaient ou les fredonnaient ; quand le froid pinçait trop fort, ils les murmuraient. Un récitant relayait l'autre ; ainsi jusqu'au lever du jour.
Commenter  J’apprécie          10
Finalement, ce qui constitue l'ossature de l'existence, ce n'est ni la famille, ni la carrière, ni ce que d'autres diront ou penseront de vous, mais quelques instants de cette nature, soulevés par une lévitation plus sereine encore que celle de l'amour, et que le vie nous distribue avec une parcimonie à la mesure de notre faible cœur.
Commenter  J’apprécie          20
Au bout de la rue qui donnait sur la mer, de grosses bombonnes de vin ambré, de citronnade, filtrait une lumière chargée d'orage. Les glycines sentaient fort et s'effeuillaient. De la fenêtre de la chambre, on voyait des pêcheurs aux jambes torses traverser et retraverser la place en bavardant et en se tenant par le petit doigt. De forts matous dormaient sur le pavé au milieu des arêtes et des déchets de poisson. Des rats couleur de muraille filaient le long du caniveau. C'était un monde complet.
Commenter  J’apprécie          30
...cette fois, le monde à changé d'échelle, c'est bien l'Asie qui commence !
Parfois on distingue la tache beige plus pâle d'un troupeau contre le flanc d'une colline, ou la fumée d'un vol d'étourneaux entre le route et le ciel vert. Le plus souvent, on ne voit rien... mais on entend - il faudrait pouvoir "bruiter" l'Anatolie - on entend un lent gémissement inexplicable, qui part d'une note suraiguë, descend d'un quarte, remonte avec beaucoup de mal, et insiste. Un son lancinant, bien fait pour traverser ces étendues couleur de cuir, triste à donner la chair de poule, et qui vous pénètre malgré le bruit rassurant du moteur. On écarquille les yeux, on se pince, mais rien ! Puis on aperçoit un point noir, et cette espèce de musique augmente intolérablement. Bien plus tard, on rattrape une paire de bœufs, et leur conducteur qui dort la casquette sur le nez, perché sur une lourde charrette à roues pleines dont les essieux forcent et grincent à chaque tour. Et on le dépasse, sachant qu'au train où on chemine, sa maudite chanson d'âme en peine va vous poursuivre jusqu'au fond de la nuit. Quant aux camions, on a affaire à leurs phares une heure au moins avant de les croiser. On les perd, les retrouve, les oublie. Brusquement ils sont là, et pendant quelques secondes nous éclairons ces énormes carcasses peintes en rose ou en vert pomme, décorées de fleurs en semis, et qui s'éloignent en tanguant sur la terre nue, comme de monstrueux bouquets.
Commenter  J’apprécie          20
Lorsqu'on quitte la Yougoslavie pour la Grèce, le bleu - la couleur des Balkans - vous suit, mais il change de nature ; on passe d'un bleu nuit un peu sourd à un bleu marin d'une intense gaieté, qui agit sur les nerfs comme de la caféine. Et c'est heureux, parce que le rythme des conversations et des échanges s'est beaucoup précipité. On avait pris l'habitude d'expliquer lentement - et plutôt deux fois qu'une - en s'attardant sur les mots le temps que la compréhension chemine. Dès la frontière c'est superflu : l'interlocuteur vous interrompt au milieu des phrases d'un geste d'impatient - il est au fait - et vous parlez encore, qu'il est déjà lancé dans l'espèce de pantomime emportée qui contient sa réponse.
Commenter  J’apprécie          20
Le voyage fournit des occasions de s'ébrouer mais pas - comme on le croyait - la liberté. Il fait plutôt éprouver une sorte de réduction ; privé de son cadre habituel, dépouillé de ses habitudes comme d'un volumineux emballage, le voyageur se trouve ramené à de plus humbles proportions. Plus ouvert aussi à la curiosité, à l'intuition, au coup de foudre.
Commenter  J’apprécie          10
Les Serbes sont non seulement d'une générosité merveilleuse, mais ils ont encore conservé le sens antique du banquet : une réjouissance doublé d'un exorcisme. Quand la vie est légère : un banquet. Est-elle trop lourde ? un autre banquet. Loin de "dépouiller le vieil homme" comme nous y engage l'Écriture, on le réconforte par de formidables rasades, on l'entoure de chaleur, on le gorge de musique admirable.
Commenter  J’apprécie          20
Trop de gens attendent tout du voyage sans s’être jamais souciés de ce que le voyage attend d’eux. Ils souhaitent que le dépaysement les guérisse d’insuffisances qui ne sont pas nationales, mais humaines, et l’ivresse des premières semaines où, tout étant nouveau, vous avez l’impression de l’être vous-même, leur donne l’impression passagère qu’ils ont été exaucés. Puis quand le moi dont ils voulaient discrètement se défaire dans la gare de départ ou dans le premier port les retrouve au détour d’un paysage étranger, ce moi morose et solitaire auquel on pensait avoir réglé son compte, ils en rendent responsable le pays où ils ont choisi de vivre.
Le voyage ne vous apprendra rien si vous ne lui laissez pas aussi le droit de vous détruire. C’est une règle vieille comme le monde. Un voyage est comme un naufrage, et ceux dont le bateau n’a pas coulé ne sauront jamais rien de la mer. Le reste, c’est du patinage ou du tourisme.
Commenter  J’apprécie          30
La santé est comme la richesse, il faut l'avoir dépensée pour l' apercevoir .
Commenter  J’apprécie          30
Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait.
Commenter  J’apprécie          10
Nous avions vingt quatre ans devant nous, et de l'argent pour quatre mois. Le programme était vague, mais dans de pareilles affaires, l'essentiel est de partir
Commenter  J’apprécie          30
Le temps appartient à Dieu seul, et les Afghans ne font pas volontiers de ces promesses qui taillent dans le futur
Commenter  J’apprécie          60
Soixante kilomètres au nord de Kaboul s’étend le massif de l’Hindou-Kouch. À quatre mille mètres d’altitude moyenne il traverse l’Afghanistan d’est en ouest, soulève à six mille les glaciers du Nouristan et sépare deux mondes. Versant sud : un plateau brûlé, coupé de vallées-jardins, qui s’étale jusqu’aux montagnes de la frontière baloutch. Le soleil est fort, les barbes noires, les nez en bec. On parle et on pense pashtoun (la langue des Pathans) ou persan. Versant nord : une lumière filtrée par les brouillards de la steppe, les faces rondes, les regards bleus, les manteaux ouatinés des cavaliers uzbek au trot vers leurs villages de yourtes. Des sangliers, des outardes, des cours d’eau éphémères sillonnent cette plaine à joncs qui s’incline en pente douce vers l’Oxus et la mer d’Aral. On est taciturne. On parle sobrement les dialectes türk d’Asie centrale. Ce sont plutôt les chevaux qui pensent.
Commenter  J’apprécie          00
Le temps passe en thés brûlants, en propos rares, en cigarettes, puis l’aube se lève, s’étend, les cailles et les perdrix s’en mêlent… et on s’empresse de couler cet instant souverain comme un corps mort au fond de sa mémoire, où on ira le rechercher un jour. – p.112
Commenter  J’apprécie          60
A mon retour, il s’est trouvé beaucoup de gens qui n’étaient pas partis, pour me dire qu’avec un peu de fantaisie et de concentration ils voyageaient tout aussi bien sans lever le cul de leur chaise. Je les crois volontiers. Ce sont des forts. Pas moi. J’ai trop besoin de cet appoint concret qu’est le déplacement dans l’espace. Heureusement d’ailleurs que le monde s’étend pour les faibles et les supporte, et quand le monde, comme certains soir sur la route de Macédoine, c’est la lune à main gauche, les flots argentés de la Morava à main droite, et la perspective d’aller chercher derrière l’horizon un village où vivre les trois prochaines semaines, je suis bien aise de ne pouvoir m’en passer. – p.53
Commenter  J’apprécie          10
Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. – p.10
Commenter  J’apprécie          20
La vertu d'un voyage, c'est de purger la vie avant de la garnir.
Commenter  J’apprécie          10



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Nicolas Bouvier Voir plus

Quiz Voir plus

L'usage du monde - Nicolas Bouvier

En juin 1953 débute l’aventure. Nicolas et Thierry partent-ils à pied, en voiture ou à dos d’âne ?

à pied
en voiture
à dos d’âne

10 questions
155 lecteurs ont répondu
Thème : L'usage du monde de Nicolas BouvierCréer un quiz sur cet auteur

{* *}