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Citations de Nicolas Bouvier (737)


Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui même. On croit qu'on va faire un voyage mais bientôt c'est le voyage qui vous fait ou vous défait.
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Ce jour-là, j'ai bien cru tenir quelque chose et que ma vie s'en trouverait changée.
Mais rien de cette nature n'est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce d'insuffisance centre de l'âme qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr.
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Cheminé neuf kilomètres sans rencontrer d’autres signes de vie que quelques foulques et petits échassiers immobiles sur l’eau sombre. Traversé la baie de Manister dont les bords vaseux brillaient encore d’un vert presque noir. Au dessus de ma tête, des corneilles mantelées – celles du manuscrit de Celse- lâchaient sur la route gelée les moules ou bigorneaux trouvés dans les rochers pour briser leur coquille. Bruit de grêlons sur le sol, coquillages tombés du ciel, confusion des règnes, miracle médiéval ! Mais elles se livraient à ce manège sans les craillements, les brusques piqués, la quérulente excitation qui d’ordinaire l’accompagnent. Tout ce bestiaire semblait saisi dans la même névrose atlantique. Le vent qui prend l’île en tenaille derrière le front des falaises m’arrivait tantôt de dos, tantôt de front, pas trop fort, assez froid pour éponger ma fièvre, charriant sa véhémente odeur d’algues, d’iode, de roseaux pourrissants.

Nuit noire, cadence de mes pas sur la route qui sonne comme porcelaine, froissement furtif dans les joncs (loir ? ou justement courlis?), autour de moi c’était bien ce « rien » qu’on m’avais promis. Plutôt un « peu », une frugalité qui me rappelait les friches les friches désolées du Nord-Japon, les brefs poèmes, à la frontière du silence, dans lesquels au XVIIe siècle, le moine itinérant Bashô les avait décrites Dans ces paysages faits de peu je me sens chez moi, et marcher seul, au chaud sous la laine sur une route d’hiver est un exercice salubre et litanique qui donne à ce peu – en nous ou au dehors – sa chance d’être perçu, pesé juste, exactement timbré dans une partition plus vaste, toujours présente mais dont notre surdité au monde nous prive trop souvent.
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J’aurai longtemps vécu sans savoir grand-chose de la haine. Aujourd’hui j’ai la haine des mouches. Y penser seulement me met les larmes aux yeux. Une vie entièrement consacrée à leur nuire m’apparaîtrait comme un très beau destin. Aux mouches d’Asie s’entend, car, qui n’a pas quitté l’Europe n’a pas voix au chapitre. La mouche d’Europe s’en tient aux vitres, au sirop, à l’ombre des corridors. Parfois même elle s’égare sur une fleur. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, exorcisée, autant dire innocente. Celle d’Asie, gâtée par l’abondance de ce qui meurt et l’abandon de ce qui vit, est d’une impudence sinistre. Endurante, acharnée, escarbille d’un affreux matériau, elle se lève matines et le monde est à elle. Le jour venu, plus de sommeil possible. Au moindre instant de repos, elle vous prend pour un cheval crevé, elle attaque ses morceaux favoris : commissures des lèvres, conjonctives, tympan. Vous trouve-t-elle endormi? elle s’aventure, s’affole et va finir par exploser d’une manière bien à elle dans les muqueuses les plus sensibles des naseaux, vous jetant sur vos pieds au bord de la nausée. Mais s’il y a plaie, ulcère, boutonnière de chair mal fermée, peut-être pourrez-vous tout de même vous assoupir un peu, car elle ira là, au plus pressé, et il faut voir quelle immobilité grisée remplace son odieuse agitation. On peut alors l’observer à son aise : aucune allure évidemment, mal carénée, et mieux vaut passer sous silence son vol rompu, erratique, absurde, bien fait pour tourmenter les nerfs – le moustique, dont on se passerait volontiers, est un artiste en comparaison.

Cafards, rats, corbeaux, vautours de quinze kilos qui n’auraient pas le cran de tuer une caille; il existe un entre-monde charognard, tout dans les gris, les bruns mâchés, besogneux au couleurs minables, aux livrées subalternes, toujours prêts à aider au passage. Ces domestiques ont pourtant leurs points faibles – le rat craint la lumière, le cafard est timoré, le vautour ne tiendrait pas dans le creux de la main – et c’est sans peine que la mouche en remontre à cette piétaille. Rien ne l’arrête, et je suis persuadé qu’en passant l’Ether au tamis on y trouverait encore quelques mouches.

Partout où la vie cède, reflue, la voilà qui s’affaire en orbes mesquines, prêchant le Moins – finissons-en…renonçons à ces palpitations dérisoires, laissons faire le gros soleil – avec son dévouement d’infirmière et ses maudites toilettes de pattes.

L’homme est trop exigeant: il rêve d’une mort élue, achevée, personnelle, profil complémentaire du profil de sa vie. Il y a travaille et parfois il l’obtient. La mouche d’Asie n’entre pas dans ces distinctions-là. Pour cette salope, mort ou vivant c’est bien pareil et il suffit de voir le sommeil des enfants du Bazar (sommeil de massacrés sous les essaims noirs et tranquilles) pour comprendre qu’elle confond tout à plaisir, en parfaite servante de l’informe.

Les anciens, qui y voyaient clair, l’ont toujours considérée comme engendrée par le Malin. Elle en a tous les attributs : la trompeuse insignifiance, l’ubiquité, la prolifération foudraoyante, et plus de fidélité qu’un dogue (beaucoup vous auront lâché qu’elle sera encore là).

Les mouches avaient leurs dieux : Baal-Zeboub (Belzébuth) en Syrie, Melkart en Phénicie, Zeus Apomyios d’Elide, auxquels on sacrifiait, en les priant bien fort d’aller paître plus loin leurs infects troupeaux. Le Moyen-Age les croyait nées de la crotte, ressuscitées de la cendre, et les voyait sortir de la bouche du pécheur. Du haut de sa chaire, saint Bernard de Clairvaux les foudroyait par grappes avant de célébrer l’office. Luther lui-même assure, dans une de ses lettres, que le Diable lui envoie ses mouches qui “ "conchient son papier” ".

Aux grandes époques de l’empire chinois, on a légiféré contre les mouches, et je suis bien certain que tous les Etats vigoureux se sont, d’une manière et de l’autre, occupés de cet ennemi. On se moque à bon droit – et aussi parce que c’est la mode – de l’hygiène maladive des Américains. N’empêche que, le jour où avec une esquadrille lestée de bombes DDT ils ont occis d’un seul coup les mouches de la ville d’Athènes, leurs avions naviguaient exactement dans les sillage de saint Georges.
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Si l'on ne peut plus guère progresser aujourd'hui dans l'art de se détruire, il y a encore du chemin à faire dans l'art de se comprendre.
(P 113)
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Finalement, ce qui constitue l'ossature de l'existence, ce n'est ni la famille, ni la carrière, ni ce que d'autres diront ou penseront de vous, mais quelques instants de cette nature, soulevés par une lévitation plus sereine encore que celle de l'amour, et que la vie nous distribue avec une parcimonie à la mesure de notre faible cœur.
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Mais c'est le propre des longs voyages que d'en ramener tout autre chose que ce que l'on allait y chercher.
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Depuis la toute petite enfance, j'ai une fringale de connaissances disparates et un peu tsiganes. Je chéris ce qu'on appelle la culture générale et je bricole de petits morceaux de savoir comme on ramasserait les morceaux épars d'une mosaïque détruite, partout où je peux, sans esprit de système. Et je vois ces choses se mettre en place, d'une façon mystérieuse, comme à l'intérieur d'une sphère où tout conspirerait à achever une sorte d'ensemble harmonique, polyphonique. Encore maintenant, à chaque fois que je peux glaner un petit truc, à gauche ou à droite, je suis content comme un gamin qui va marauder des œufs dans des nids de passereaux. La seule chose qui me fasse accepter l'idée de vieillir, c'est de compléter cette mosaïque encore lacunaire. (p. 55)
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INFINIE LITANIE DES ÎLES

Île tranchée comme un cou du corps du monde
Île comme un rond de fumée dans l’air du large
Île finie dont on fait
infiniment le tour
Île au goût de goutte solidifiée
Île niveau de terre en mer
Île dont le pluriel est archipel
le synonyme bulle et bateau l’antonyme
île sinueux trait fermé, île paume ouverte
Île en fin de course et de compte
Île en escale sur une ligne de vie
Île oasis, île ghetto, île carrefour,
Île prison aux barreaux de noyade
Île assassinée par un pont
Île endormie qui se réveille lagune
Île née pour porter un seul arbre
Île perdue par distraction
Île en allée en îlots sous la pression du feu
Île évaporée qui renaît dans les larmes
Île comme un lit, île sous la paupière
Île enfantine à dessin
il n’y a dans l’île qu’un trésor c’est l’île.

CONSTANTIN KAÏTERIS, terres séparées
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Pour les vagabonds de l'écriture, voyager, c'est retrouver par déracinement, disponibilité, risques, dénuement, l'accès à ces lieux privilégiés où les choses les plus humbles retrouvent leur existence plénière et souveraine.
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Lorsque le désir résiste aux premières atteintes du bon sens, on lui cherche des raisons. Et on en trouve qui ne valent rien. La vérité, c’est qu’on ne sait comment nommer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon.
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La nuit était presque tombée, le ciel s’était couvert. Comme je me levais pour voir par la fenêtre si l’averse menaçait, le vieux M…, qui a poussé très loin l’art de vivre tranquille, me retint gentiment par la manche… « s’il pleut, le chat rentrera. »
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En route, le mieux c'est de se perdre. Lorsqu'on s'égare, les projets font place aux surprises et c'est alors, mais alors seulement que le voyage commence.
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On ne voyage pas pour se garnir d'exotisme et d'anecdotes comme un sapin de Noël, mais pour que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces serviettes élimées par les lessives qu'on vous tend avec un éclat de savon dans les bordels.
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Ici les pierres ont des racines
Profondes et salées
Et poussent vers le ciel leur ramure grise.
Ici le vent sculpte l’arbre comme une pierre
Offerte à son ciseau de vent
Et coiffe l’arbre à la diable.
Et la racine de l’arbre est l’arbre
Et l’arbre est la pierre du vent.


MICHEL HARDY, Inishmore
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Et surtout il y a le bleu. Il faut venir jusqu'ici pour découvrir le bleu. Dans les Balkans déjà, l’œil s'y prépare; en Grèce, il domine mais il fait l'important : un bleu agressif, remuant comme la mer, qui laisse encore percer l'affirmation, les projets, une sorte d'intransigeance. Tandis qu'ici ! Les portes des boutiques, les licous des chevaux, les bijoux de quatre sous : partout cet inimitable bleu persan qui allège le cœur, qui tient l'Iran à bout de bras, qui s'est éclairé et patiné avec le temps comme s'éclaire la palette d'un grand peintre. Les yeux de lapis des statues akkadiennes, le bleu royal des palais parthes, l'émail plus clair de la poterie seldjoukide, celui des mosquées séfévides, et maintenant, ce bleu qui chante et qui s'envole, à l'aise avec les ocres du sable, avec le doux vert poussiéreux des feuillages, avec la neige, avec la nuit...
Ecrire dans un bistrot dont les poules fientent entre vos pieds tandis que cinquante curieux se pressent contre la table, n'est pas propre à vous détendre ... Exposer sa peinture - après bien des démarches - et ne pas vendre une toile, non plus.On se lasse aussi de courir la ville d'échec en échec, un fort soleil sur les épaules. Mais quand le courage manque, on peut toujours aller voir la vaisselle bleue de Kachan au musée ethnographique : des plats, des bols, des aiguières qui sont l'apaisement même et auxquels la lumière de l'après-midi imprime une très lente pulsation qui envahit bientôt l'esprit du spectateur. Peu de contrariétés résistent à ce traitement là.
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"[...] quand tu savais vivre de peu
ta vie t'accompagnait comme un essaim d'abeilles
et tu payais sans marchander
le prix exorbitant de la beauté"

(extrait du poème "Ulysse")
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C'est la contemplation silencieuse des atlas, à plat ventre sur le tapis, entre dix et treize ans, qui donne ainsi l'envie de tout planter là. Songez régions comme le Banat, la Caspienne, le Cachemire, aux musiques qui y résonnent, aux regards qu'on y croise, aux idées qui vous y attendent... Lorsque le désir résiste aux premières atteintes du bon sens, on lui cherche des raisons. Et on en trouve qui ne valent rien. La vérité, c'est qu'on ne sais comment nommer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu'au jour où, pas trop sûr de soi, on s'en va pour de bon.
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Poème vert

Nous avions grandi ensemble
marronnier
aujourd'hui silencieux souverain
qui portes ombre propice et n'en as pas souci
qui ne racontes pas ta vie
dis-moi ce qu'il faut faire
quand le soleil a disparu
dis-le-moi lentement avec des feuilles neuves
que je puisse t'entendre
du fond de mes campagnes en friches

Et vous autres derrière la haie
peupliers, acacias, tilleuls
cèdre en forme de ciboire
alignés sur la portée du pré
comme les notes d'un kyrie
silencieuse oraison de feuilles
latin murmurant de ramures et d'aiguilles pédagogues des champs
si discrets dans vos propos salubres
verts acolytes et patients funambules
un mot, juste un seul mot
sur la paix qui me manque
ou même un simple bruissement
avant que la nuit vous reprenne
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Nicolas Bouvier
Nous, nous mangions surtout du pain. Un pain merveilleux. Au point du jour, l'odeur des fours venait à travers la neige nous flatter les narines; celle des miches arméniennes au sésame, chaudes comme des tisons; celle du pain sandjak qui fait tourner la tête; celle du pain lavash en fines feuilles semées de brûlures. Il n'y a vraiment qu'un pays très ancien pour placer ainsi tout son luxe dans les choses les plus quotidiennes; on sentait bien trente générations et quelques dynasties alignées derrière ce pain la
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