Citations de Nicolas Rodier (46)
" Alors, quand on souffre, soit on est dans le rejet, soit on s'attache à ce qui nous est le plus accessible, à ce qu'on nous a inculqué. Et parfois, on reste entre les deux."
Je me dis que tout, ici, est fait pour médicaliser les choses, pour les rendre plus appréciables et contrôlables. Il faut croire à sa maladie, pour espérer un traitement.
Le conflit est une addiction.
Je lui demande si je souffre d’un trouble de la personnalité borderline. Dans quelques jours, je pars à Rome avec Maud. Je veux savoir si je souffre d’une maladie avant de la demander en mariage.
Mon psy est dubitatif, son front se plisse, il m’explique qu’il ne croit pas, à proprement parler, aux troubles de la personnalité, que ce sont juste des catégories pour que les psychiatres se comprennent entre eux, notamment au niveau international.
Je m’interroge : y a-t-il une catégorie de personnes à qui nous devrions interdire d’aimer ? Fais-je partie de ces gens-là ?
J’ai les larmes aux yeux mais ma mère ne veut pas céder. Chaque fois que je refuse d’avaler une bouchée ou que je recrache mes carottes râpées, elle me gifle. Une fois sur deux, elle me hurle dessus. Une gifle avec les cris, une gifle sans les cris. Au bout d’une demi-heure, elle me tire par les cheveux et m’écrase la tête dans mon assiette.
Quand on nait dans cette famille, il faut suivre les rails tracés, sinon....
Prendre les gens qu'on aime dans les bras lorsqu'ils en ont besoin, est-ce un signe de soumission ?Qu'est ce que je risque si je la console ?
L'assaut est immédiat. C'est incontrôlable. Je me sens amputé de tout attrait de séduction. Mon sang bouillonne. Je suis castré. J'ai peur de ma réaction. Je remets mon manteau et quitte l'appartement.
La famille est un mot d'ordre, quelque chose qui s'impose à nous.
Il y a une épaisseur dans la pièce, une électricité, quelque chose qui peut dérailler...cette gueule de bois infinie, dans les yeux de chacun, qui percute les murs. C'est l'heure de la descente. Chacun doit prendre ses médicaments. Ma gorge se serre.
Et souvent, en repensant à l'état dans lequel j'étais sous l'emprise de l'angoisse, je me dis que j'aurais dû rester dans le rang, que j'ai été beaucoup trop prétentieux, que c'était une hérésie, une illusion. Nous n'avons pas tous les mêmes capacités de nous affranchir du passé et de choisir notre vie.
Dans l'ascenseur, je songe à ma mère, à son changement progressif, à cette nouvelle forme de bienveillance et d'effacement- comme si c'était mon père désormais qui avais pris le relais, débordé, effrayé, après tant d'années d'absences, par ce qu'il a contribué à engendrer.
Je lui confie certains soirs que je n'ai plus la sensation d'être moi et que ma douleur est immense depuis la rentrée mais je ne suis pas pourquoi.
Tout semble m'asphysier, la moindre foule, la moindre situation où je me sens enfermé, dans les ascenseurs, les magasins.
Un silence s'installe. Il ajoute, tourmenté : " Il y a un tel écart entre nos principes et nos comportements".
Il reproche cette situation à ma mère : il lui dit qu'elle a été trop sévère avec moi, avec nous, que tout ça, c'est à cause d'elle, à cause de ses problèmes psychologiques.
Je me sens ficelé, ciselé. Je hais notre société de confort. Le positivisme et la bonne humeur. J'ai été façonné autrement. Dressé. Névrosé comme un chien. Le bonheur des autres, leur bien-être, m'écoeurent. Je n'arrive pas à tenir mes émotions à distance - je suis même prêt à me laisser entièrement dominer par elles.
De retour sur l'avenue de Flandres, je me dis qu'à force de s'accuser d'une charge qui ne nous appartient pas, on finit par créer les conditions de son enfermement.
J'ai envie d'écraser quelque chose, de rabaisser le monde, de le mettre au niveau de l'estime que je me porte présentement, à savoir le mépris le plus total.
Je me sens offensé d'être rabaissé au rang de malade. Je refuse.