Dans le premier immeuble, il y a un balcon pulvérisé par un projectile perdu! Imaginez, comment un projectile pourrait se perdre...
— Comment pourrais-je quitter ma maison, m'éloigner de mon bureau ? ai-je dit.
— Et tout cela pour quoi, ? ai-je dit après avoir avalé ma salive. Est-ce pour sauver uniquement mon corps ? Tu sais que derrière moi, dans ce bureau, ce ne sont pas des livres, des bibelots et des photographies que je laisserais, mais mon âme.
— Le corps pourrait-il survivre sans âme ? ai-je poursuivi. C'est pour cela que je ne partirai pas de chez moi, car il n'y a pas de valise assez grande pour contenir mon âme.
Cela m'a contrarié, pourtant je me suis endormi de nouveau, et après un temps que j'ai imaginé plus long, j'ai soulevé ma tête de l'oreiller avec le sentiment que le jour était bien là où qu'il fallait qu'il le fût. Mais l'obscurité était totale, à part une petite tache au plafond, qui ressemblait à un trou d'où jaillissait une lumière aveuglante. Et puis, j'ai entendu des voix et des mouvements autour de moi, et au-dessus aussi !
Cela m'a étonné, puis j'ai découvert peu à peu qu'il y avait des gens qui essayaient de déblayer des décombres et des choses de ce genre. Mais je n'ai pas su s'ils les déblayaient pour me dégager moi, ou d'autres comme moi.
— La plupart des connaissances et amis se sont dispersés, ce sont désormais des expatriés, des bannis, des migrants, des exilés. Et puis il y a ceux qui sont morts de toutes les manières possibles.
— Et toi ? a-t-il questionné après un long silence.
Pour toute réponse, je lui ai lancé un regard moribond.
Prix Lorientales 2016. Les mots du jury:
L’écriture en de courts paragraphe est comme « découpée » par la guerre, comme interrompue par les attaques, les bombardements, les coupures de courant…
Ecrit comme un carnet de voyage, un journal de résistance, Niroz Malek est la voix d’Alep...
Des images de guerre mais jamais d’image d’horreur. Comme un poème hors du temps où les personnages volent dans les airs comme dans un tableau de Chagall...
Témoignage poignant tout en retenue, toujours au dessus de la haine...
Superbe, magnifique, passionné et passionnant...
— Un, deux, trois.
Et avec le mot trois, je lui ai crié :
— Saute avec moi, vers le ciel !
Nous venions à peine de sauter qu'il nous a poussé à chacun une paire d'ailes. Nous avons plané dans le firmament et flâné comme les héros de Chagall dans l'azur.