Citations de Oliver Sacks (345)
La presse a rendu compte de toutes les allocutions, mais elle n'en a pas moins négligé un élément essentiel. Elle n'a pas su dépeindre cette richesse et cette couleur, cette immense joie de vivre des sourds qui échappe à tout regard "médical". D enouveau, pendant que je déambule parmi cette multitude de signeurs conversant autour de sandwichs et de sodas, il me revient à l'esprit les paroles d'un étudiant sourd de la California School for the Deaf, qui avait dit 'en signes à la télévision :Nous sommes un peuple unique, avec sa propre culture et sa propre mangue - l'American Sign Language, qui vient d'être reconnu comme une langue à part entière et nous distingue du monde entendant.
Padden et Humphries insistent sur ce point : "Historiquement parlant, le vocable "handicapé" n'a jamais été utilisé par les Sourds. Il suggère des autoreprésentations et des objectifs politiques communs à un groupe. Quand les Sourds discutent de leur surdité, ils emploient des termes intimement liés à leur langage, leur passé et leur communauté. Leurs préoccupations les plus constantes ont été la préservation de leur langue, les politiques d'éducation concernant les enfants sourds et le maintien de leurs organisations sociales et politiques. Des expressions modernes du type "accès à l'indépendance" ou "droits civiques" ne leur sont pas familières : les leaders Sourds ne les ont adoptées que parce que le public comprend mieux ces concepts que ceux qui sont spécifiques à la communauté Sourde".
Les sourds, aussi bien que ceux qui les étudiaient, entreprirent de fouiller leur passé - ils découvrirent (ou créèrent) une histoire sourde, une mythologie sourde, un héritage sourd.
... on comprit que les sourds étaient un "peuple", et pas seulement un ramassis d'individus isolés, anormaux ou handicapés ; la vision médicale ou pathologique de la surdité fut progressivement remplacée par une vision anthropologique, sociologique ou ethnique.
... il n'est guère possible de signer en ASL tout en parlant, car les Signes diffèrent radicalement du langage oral : on ne pourrait pas davantage parler anglais et écrire le chinois en même temps - c'est neurologiquement impossible.
Dans leurs échanges courants, toutefois, rares sont les sourds qui parlent un ASL pur - la plupart lui intègrent des expressions, des signes et des néologismes issus de l'anglas signé et choisis en fonction des besoins de la conversation. ême s, en termes linguistiques et neurologiques, l'AS et l'anglais signé sont totalement distincts, il existe donc, dans la pratique, un continuum entre les tournures de l'anglais signé et l'ASL pur ou "profond", diverses formes d'anglais signé "pidgin" (PSE) venant s'insérer entre ces deux extrêmes.
Louie Fant écrit :
Comme la plupart des enfants nés de parents sourds, je grandis en ignorant que l'ASL était une langue. Ce malentendu ne fut dissipé qu'après ma trente-cinquième année. Et ceux qui m'éclairèrent n'étaient pas des signeurs natifs - ils avaient abordé la surdité sans idées préconçues, en n'ayant pas de point de vue arrêté sur les sourds et leur langage. Ils regardaient le langage gestuel des sourds avec des yeux neufs.
... pour des esprits originaux, tout sujet semble inédit.
Il demeura cependant un domaine où les langues des signes continuèrent à être utilisées dans toutes les régions du monde en dépit des nouvelles habitudes et des interdits des éducateurs : celui des services religieux destinés aux sourds. Les prêtres ou les pasteurs n'oublièrent pas les âmes de leurs paroissiens sourds : beaucoup apprirent les Signes [...].
... il existera toujours des sourds prélinguaux dont la première éducation et l'accès initial à la culture seront mieux assurés en internat, et ceux-là devront avoir au moins la latitude potentielle de préférer la fréquentation de tels établissements à l 'intégration forcée.
... les sourds '(en tout cas les sourds profonds dont la surdité s'est déclarée avant l'acquisition du langage et pour qui les Signes sont une langue native commune) constituent un groupe très spécial dont le plus jeunes représentants ne peuvent être comparés ) aucune autre population scolaire ou estudiantine : car ils ne se définissent pas eux-mêmes comme des handicapés, mais considèrent seulement qu'ils appartiennent à une minorité linguistique et culturelle dont les jeunes membres ont besoin (et son en droit) de fréquenter des établissements scolaires particuliers où ils puissent côtoyer leurs semblables tout en apprenant une langue qui leur soit accessible.
L'intégration - c'est-à-dire la scolarisation des enfant sourds dans les classes où ils sont mélangés aux entendants - présente l'avantage d'ouvrir le sourd au monde "extérieur" (ou, du moins, on le suppose) ; mais elle peut aussi favoriser une isolation spécifique - et couper le sourd de son langage et de sa culture.
Contrairement à ce qu'on croit, les sourds ne sont pas toujours silencieux ni ne vivent toujours dans un monde de silence. Ils peuvent hurler très fort pour attirer l'attention d'autrui. Quand ils parlent, leur voix - du fait de leur incapacité de la contrôler auditivement - est souvent très sonore et faiblement modulée. Enfin, il leur arrive aussi d'émettre inconsciemment des vocalisations très énergiques de divers types - de mettre involontairement en mouvement leurs organes phonatoires à la suite d'efforts violents ou sous le coup de vives émotions.
Par-delà la position généralement désavantageuse om ils sont placés (position qui découle de nos attitudes discriminatoires en tant que telles bien plus que de leur handicap), les sourds affrontent en outre toutes sortes de difficultés qui sont spécifiquement liées à l'emploi d'une langue de signes (mais ne qui ne deviennent problématiques qu'à partir du moment où nous les transformons en un problème). [...] ... si un sour a besoin d'injections intraveineuses, notamment, il est capital de ne lui immobiliser qu'un seul bras, car lui entraver les deux bras revient ) lui interdire de parler ; or trop d'infirmiers l'ignorent, exactement comme, dans un autre domaine, trop peu de policiers comprennent que passer des menottes à un signeur sourd équivaut à la bâillonner.
"Il faut bien voir que l'ASL est le seul bien qui n'appartient qu'aux sourds. C'est le seul fruit qu'ait jamais produit la communauté sourde. Peut-être avons-nous peur de partager notre langue avec les entendants. Si les entendants apprenaient un jour l'ASL, peut-être notre identité de groupe disparaît-elle" (Kannapell [...]).
L'ASL est souvent traité comme une possession intime et hautement personnelle, devant être protégée des regards étrangers ou indiscrets. Barbara Kannapell est allée jusqu'à suggérer que, si nous apprenions tous les Signes, le monde sourd pourrait être irrémédiablement détruit - elle écrit : "L'ASL a une fonction unificatrice, car les sourds sont unis par leur commune.
... quiconque a vue sur une salle où plusieurs centaines de conversations en Signes ont lieu en même temps doit veiller enfin à ne pas se montrer indiscret en regardant ce qu'il n'est pas destiné à voir.
On peut être très proche (ou faire activement partie) de la communauté sourde sans être atteint de surdité. La condition la plus importante, par-delà la connaissance et l'amour des sourds, est la maîtrise des Signes : les seuls bien-entendants à être unanimement tenus pour des membres à part entière de la communauté sourde sont peut-être les enfants entendants issus de parents sourds pour qui les Signes ont constitué une langue native. C'est le cas du Dr Henry Klopping, directeur bien-aimé de la California School fort de Deaf de Fremont - un de ses anciens élèves inscrits aujourd'hui à Gallaudet m'a dit de lui dans le langage des singes) : "Il entend correctement, mais c'est un vrai sourd !"
Car c'est dans la langue d'un peuple, comme l'observe Herder, que "résident toute sa pensée, sa tradition, on histoire, sa religion et sa façon d'appréhender la vie, tout son coeur et toute son âme". C'est particulièrement vrai des Signes, car ils sont biologiquement et irrépressiblement la voix des sourds.
La beauté du langage, et des Signes en particulier, ressemble donc à la beauté de la théorie : ici comme là, le concret conduit au général, mais c'est à travers le général qu'on retrouve le concret, intensifié, transfiguré. Cette reconquête et ce renouvellement du concret, grâce au pouvoir de l'abstraction , sont patents dans un langage partiellement iconique tels que les Signes.