Oliver Sacks

J’ai estimé nécessaire de porter sur la migraine un regard qui repose sur une sorte de continuelle diplopie – qui, autrement dit, l’envisage simultanément comme une structure dont les formes seraient implicites dans le répertoire du système nerveux, et comme une stratégie qui pourrait être employée à des fins émotionnelles ou même biologiques.

En ce qui me concerne, je n’ai pas souvenance d’avoir appris à nager ; j’appris les mouvements de base, je pense, en nageant aux côtés de mon père – même si sa brasse lente mais effi cace (il avalait les kilomètres avec une régularité d’horloge) n’était guère adaptée au petit garçon que j’étais.

Avec le temps, l’isolement de Martha’s Vineyard et les mariages consanguins dans la petite communauté, la majorité des descendants se trouvèrent porteurs de ce gène. Vers le milieu du XIXe siècle, dans certains villages des hauteurs de l’île, un quart ou plus des habitants étaient totalement sourds de naissance.

Mais les Signes ont aussi un "caractère" intrinsèquement biologique, car ils s'enracinent dans une gestualité, une iconicité, une visualité radicales qui les différencient de toutes les langues parlées. Le langage procède - biologiquement - du tréfonds de notre être en tant qu'il découle du besoin irrésistible de penser de communiquer qu'éprouve le sujet humain. Mais il naît également et il es transmis - culturellement - dans les régions les plus élevées, en cela qu'il concrétise notre historie, nos visions du monde, nos images et nos passions.

... le second émerveillement de [la vie de Bellugi], en tant que linguiste, fut de découvrir que cette prodigieuse structure organique - l'embryon complexe de la grammaire - pouvait exister sous une forme purement visuelle, comme cela appert dans le cas des Signes.

Rien ne me montra plus clairement comment le monde perceptuel peut se muer en un monde conceptuel : pour que cette mutation soit possible, il faut d'abord qu'un dialogue complexe soit mené avec les parents, puis que ce dialogue soit intériorisé par l'enfant sous la forme d'un "monologue", ou d'une pensée.

Pour Vygotsky, le développement du langage et des capacités intellectuelles ne procédait pas d'un apprentissage au sens usuel du terme ni n'émergeait épigénétiquement mais avec un caractère éminemment social et médiat : il découlait de l'interaction de l'adulte et de l'enfant et, en intériorisant cet instrument culturel qu'est la langue, le mettait à la disposition des processus mentaux.

Il est clair que des potentialités grammaticales sont présentes ans tout cerveau d'enfant et qu'elles exploseront et s'actualiseront à la moindre occasion. C'est évident chez les enfants sourds qui finissent par être exposés aux Signes après avoir été initialement isolés.

... Il est évident que le langage, au sens le plus étroit du terme, n'est pas l'unique véhicule ou outil de la pensée. Peut-être devrions-nous donc élargir notre conception du "langage" pour lui faire englober les mathématiques, la musique, le jeu théâtral et l'art... chaque forme possible de système de représentation.

"J'insiste pour dire que les mots sont totalement absents de mon esprit quand je pense réellement.. en ce sens que, même après avoir lu ou entendu une question, tout mot disparaît au moment précis où je commence à y réfléchir... et je suis pleinement d'accord avec Schopenhauer quand il écrit : "Les pensées meurent au moment où elles s'incarnent dans des mots".[Hadamard]

Sans langage, les êtres humains ne sont pas forcément inintelligents ou mentalement déficients, mais leur univers mental n'en est pas moins limité à une appréhension du monde étroite et immédiate.

Il est clair que la pensée et le langage ont des origines (biologiques) tout  ait distinctes, que le monde est examiné, cartographié et pris en compte  bien avant l'avènement du langage, qu'il existe toutes sortes de pensées - chez les animaux ou les enfants - longtemps avant l'émergence du langage.

... ce qu'il faut voir, c'est que les sourds profonds ne manifestent pas, d'eux-mêmes, une prédisposition à la parole : c'est une pratique qui doit leur être inculquée au prix de longues années de travail.

On imagine souvent que les langues de signes sont de l'anglais ou du français, alors qu'elles ne sont rien de tout cela  elles ne sont que Signes.

Nous sommes tous « éxilés »de notre passé ...c est pourquoi nous avons besoin de le ressaisir .
Esther Salaman

... le détail, si l'on y est soi-même assez attentif, est aussi un chemin - une route donnée par la nature, si l'on veut qui mène à la réalité et à la vérité.

Je demande presque toujours à mes patients d'écrire et de dessiner, d'une part pour avoir une idée générale de leurs diverses compétences, mais aussi pour leur donner l'occasion d'exprimer leur "caractère" ou leur "style".

La science classique n'a rien à dire sur le concret, quant à la neurologie et à la psychiatrie, elles le tiennent pour banal ou insignifiant. Il faudrait une science "romantique" pour lui rendre justice - pour en apprécier à la fois les pouvoirs extraordinaires... et les dangers : avec les simples d'esprit, nous entrons de plain-pied dans ce concret, le concret pur et simple, dans son intensité sans réserve.

Notre réponse sera claire, et même passionnée : Non ! Les représentations informatiques - même celles, d'une exquise sophistication, envisagées par Marr et Bernstein (les deux plus grands pionniers et penseurs en ce domaine) - ne pourront jamais en elles-mêmes constituer des représentations "iconiques", celles-là mêmes qui sont la trame et la texture de la vie.

Paradoxalement, Ray, tout en étant privé de santé physiologique, animale, naturelle, a trouvé une nouvelle santé, une nouvelle liberté, à travers les vicissitudes auxquelles il est soumis. Il est parvenu à ce que Nietzsche aimait à qualifié de "Grande Santé" - à savoir un humour rare, une vaillance et une souplesse de l'esprit : et ce malgré ou à cause du syndrome de Tourette dont il se trouve affligé.