Séance douverture de lEconomie aux rendez-vous de lhistoire
lévolution créa la femme : de la division des tâches à la discrimination économique
Pascal Picq est paléoanthropologue et maître de conférences au Collège de France. Ses recherches sintéressent à lévolution de nos sociétés actuelles et des entreprises dans le cadre de lanthropologie évolutionniste.Il est lauteur de nombreux livres,dont La Marche. Retrouver le Nomade qui est en nous quil présenta dans la conférence inaugurale du Salon du Livre dhistoire en 2016.
L'arrogance stupide et la soumission béate n'ont jamais été des preuves d'intelligence.
On peut être dans le concret sans se départir d'un idéal, mais épouser un idéal ne doit pas nous écarter du devoir d'être dans le concret et d'agir.
Les grands édifices de pierre, dont d’étonnantes colonnes géométriques en forme de T, témoignent de nouvelles croyances s’élevant vers le ciel, annonçant le temps des mégalithes avant celui, plus tardif, des pyramides (puis les cathédrales pour le christianisme et les buildings pour le capitalisme.)

Toutes les autres ont disparu, les unes disqualifiées par la sélection naturelle, d'autres passant le relais au fil des étapes avant qu'il n'en reste plus qu'une. Ainsi s'achève la longue marche du genre Homo.
Pourquoi s'achève ? Parce que, par-delà les promesses utopiques et parfois effrayantes du transhumanisme, l'effondrement de la marche dans nos sociétés brutalement sédentaires et obèses risque d'avoir raison de l'humanité. Il faut se remettre en marche au risque d'être frappé parce que j'appelle le ''syndrome de la Planète des singes''. La nouvelle de Pierre Bouille, publiée en 1963, deviendrait alors prémonitoire.
Savez-vous pourquoi les grands singes prennent le pouvoir (les films ne l'indiquent pas) ? Tout simplement parce que les humains ont cessé de marcher et de penser. Quelle ironie quand on persiste à dire bêtement que l'homme descend du singe. Certains considèrent que l'évolution, les singes et la marche importent peu et que les nouvelles technologies effaceront tous nos maux. C'est la prochaine métamorphose, sortir l'homme de son état de chrysalide simiesque pour qu'il prenne son envol de papillon transhumain.
Ce n'est pas le temps qui passe mais nous qui passons !
Dans un premier temps, on avait clamé que l’homme descendait du singe, mais en ignorant ce qu’ils étaient et en cultivant cette ignorance. Puis on s’est rapproché de quelques modèles campés par des hominidés actuels, sans trop les connaître non plus.
Dans l'entreprise, domine bien sûr une hiérarchie du pouvoir et de la décision ; en revanche, l'humanité ne peut faire l'objet d'aucune gradation. C'est là encore le principe d'égalité propre à la République et que trop de patrons, infatués, mégalomanes, narcissiques, négligent. Or un patron n'est rien, il n'existe même pas sans la somme des collaborations que crée son entreprise.

Les Homo sapiens n'ont jamais été aussi nombreux sur la Terre, mais ils n'ont jamais si peu marché. Les personnes sédentarisées marchent à peine entre un et trois kilomètres par jour, ce qui vaut pour les milieux urbains, mais la situation est pire dans les banlieues et les campagnes où la voiture se trouve au bas de l'escalier ou de l'autre côté de la porte (pour les podologues, une personne inactive fait moins de 2 000 pas par jour; les personnes un peu actives et assez actives, entre 5 000 et
10 000 pas par jour et les personnes actives plus de 10 000 pas par jour.)
Ascenseur, escalators, trottoirs roulants, bicyclettes et gyropodes... à croire qu'une partie des évolutions technologiques est dédiée à l'élimination de la marche. C'est même devenu une revendication et un mode de vie assumé dans de nombreuses associations américaines. Des personnes parfaitement bipèdes, mais de moins en moins valides, refusent la station debout ou la marche et se déplacent en fauteuils roulants. les handicapés moteurs sont obligés de s e déplacer en fauteuil tandis que des dégénérés mentaux - il n'y a pas d'autre expression - s'en donnent l'obligation. Cela s'appelle marcher sur la tête.
En effet, c'est bien la marche qui fait de nous des humains. C'est elle qui entraîne les corps et les pensées dans tous les domaines qui édifient la condition humaine : philosophe, religion, histoire, politique et, aussi, science. Nous pouvons ainsi rappeler que tous les grands protagonistes des théories de l'évolution des espèces et de la diversité anthropologique comme ceux, plus tard, de la paléoanthropologie, étaient de grands voyageurs à pied, à cheval et en bateau. Tous se sont confrontés aux pensées immobiles assises sur les trônes, les chaires et autres sièges; atrophie des fessiers et des lobes cérébraux ! Il en est ainsi depuis la nuit des temps si on en croit Roy Lewis dans Pourquoi j'ai mangé mon père.

Depuis les inventions de la préhistoire et de l'enthnologie à la fin XIXe siècle, depuis l'édification d'une histoire universelle et évolutionniste de l'humanité selon les canons de l'Occident - ce qu'on appelle l'évolutionnisme culturel - les grandes ontologies évoquées s'ordonnent selon une progression qui commence par le totémisme (les sauvages) passe par l'animisme (les barbares) et aboutit au dualisme (les civilisés); l'analogisme a échappé à ces reconstitutions, bien qu'il soit conforme au schéma scaliste. Dont toutes les ontologies participent à ce grand édifice évolutionniste que Teilhard de Chardin nomme hominisation. Cette représentation se revendique d'une telle puissance universelle qu'on la retrouve dans les stades de maturation mentale ou psychologique de l'enfant, notamment chez Piaget ou Freud. L'histoire des religions se conçoit aussi comme cela, des mondes obscurs des forêts tropicales aux grottes préhistoriques habitées par les esprits anciens jusqu'à la clairière et la lumière de Heidegger.