Deuxième partie de notre rencontre avec Pascale Leroy pour la sortie de son roman "cancer et boule de gomme" (Robert Laffont)
Tu détestes les photos, tu prétends qu’elles volent un peu d’âme à ceux qui se laissent prendre. Si tu aperçois un objectif, tu te caches ou tu te fâches, menaçant de quitter la pièce séance tenante. Tu es tellement convaincante que certains renoncent - d’autres rusent, « Non non tu n’es pas dans le cadre », mais ils réussissent à voler une image de toi. Ton attitude ne relève ni du caprice ni de la coquetterie, ton regard effaré montrant qu’il s’agit de tout autre chose : une phobie de toi-même.
Ne redoute ni le changement ni la nouveauté. Ne laisse jamais la peur te dicter ta conduite. Quoi qu’il arrive, va de l’avant.
Incapable de me concentrer, ça va à toute vitesse dans ma tête. Quelle histoire, c'est à peine croyable! Si nous racontions ça à nos voisins, ils nous prendraient pour des fous. Ces Zigues ne m'ont pas fait un si mauvais effet. ils sont:
-moins effrayants que ce que nous imaginions;
-moins agressifs aussi;
-moins laids que dans mon souvenir (et ce Jorg a même beaucoup de charme).
Mais pas question de s'emballer parce qu'ils sont aussi:
-peu aimables (enfin, pas tous);
-peu chaleureux;
-peux curieux;
-très (séduisants) différents physiquement;
-totalement incompréhensibles.
Aurions-nous dû:
-les inviter à nous rendre visite (sans les Ziguettes) ?
-les inciter à nous suivre pour leur montrer notre grotte ?
-nous baigner avec eux pour créer des liens ?
-les escorter jusqu'à chez eux ?
Aurais-je dû :
-(lécher l'oreille de Jorg);
-(caresser son torse);
-me présenter à ces Zigues ?
NUIT DE REVE.
Ai encore rêvé du grand et beau Zigue. J'étais près de la cascade, seule. C'était la belle saison et je me séchais nue sur les pierres, frissonnant parfois sous les caresses du vent un peu frais. Je n'entendais rien à part le bruit de l'eau et je savourais ce trop rare moment e solitude. il m'a semblé entendre des pas, mais je n'ai pas ouvert les yeux, et pas davantage quand j'ai senti un corps s'allonger contre le mien, une peau nue frôler ma peau nue. La peau exhalait une odeur de sous-bois, de fumée et de sueur - une odeur de mâle comme je les aime.
La vie nous a conduits jusqu'ici vingt-cinq ans plus tôt. Ignorants de ce qui nous attendait, nous lui avons emboîté le pas à contrecœur mais non sans un certain allant, sûrs ne notre capacité de résistance. Et voilà que sans ménagement, la vie nous reprend par la main pour nous ramener au même endroit et cette fois, je n'ai plus envie de la laisser faire, je traîne les pieds, rechigne, me raidis et me cabre, je sais trop ce qui nous attend, tout mon être refuse d'y retourner, mais la vie se moque de ma tentative de rébellion.
Hier soir, Papy Ping et Blanche avaient cru malin de cuisiner un bon repas pour nous changer les idées, mais la plupart d’entre nous n’arrivions pas à avaler. Entre la galette et le cuissot, le Ténébreux s’est soudain déplié, renversant au passage un godet plein de bouillon brûlant qui est allé se répandre aux pieds de Brandon. Debout au milieu de nous tous, comme encombré de son large corps et gêné de se faire remarquer, il est resté quelques instants à se dandiner avant de prendre une grande inspiration.
- On ne peut plus rester sans réagir, sinon les Zigues vont se croire tout permis. Même si ça ne nous plait pas, nous devons nous manifester. Montrer qui nous sommes, Marquer notre territoire.
- Qu’est-ce que ça veut dire ? Tu veux qu’on plante des pieux dans le sol, et puis après ? On se retrouvera comme des mammouths ou des bisons, pris au piège, enfermés entre nos quatre pieux.
C’est tout de même fou cette propension que nous avons à changer de sujet dès que ça nous dérange. J’ai volé au secours du Ténébreux insistant sur l’urgence de nous remuer.
Brune est l’une des plus anciennes ; elle a bien trente bonnes saisons, « peut-être plus, peut-être moins, quelle importance, dit-elle toujours, de toute façon c’est beaucoup trop ». C’est aussi celle qui a le plus d’enfants : quatre, dont Jim, l’aîné, sont encore en vie, ce qui est assez exceptionnel – et je ne sais même plus combien sont morts. Tout ça fait qu’elle est l’une des plus écoutées du clan et ça tombe bien parce qu’elle n’est pas avare de ses paroles : conseils, souvenirs, histoires des anciens, contes, elle connaît tout ou presque. Une vraie mémoire vivante.
On a beau leur répéter de ne manger que les cuites, ils n’écoutent rien. Il va falloir leur interdire d’entrer dans le garde-manger si on veut dormir tranquilles. Là, on a passé la nuit à se relayer pour leur faire des cataplasmes et à ranimer le feu parce qu’ils grelottaient malgré une double épaisseur de peau de bison et de fourrure de loup.
Normal, ce n’est pas un programme ! Moi, je veux être une Néandertalienne qui vit avec son temps et qui s’adapte aux changements. Pour une fois qu’il se passe quelque chose, on ne va pas partir sans voir d’un peu plus près ce que ça peut donner.
Nous ne sommes pourtant pas nés du dernier caprice de la Nature, et depuis le temps que nous sommes installés dans la région, nous connaissons toutes les espèces, mais pas d’ennemis. Il y a bien quelques prédateurs dont nous nous passerions volontiers, mais nous avons appris à les maintenir à distance et si nous ne sommes jamais à l’abri d’un de leurs mauvais coups, nous réussissons à éviter les gros drames. Pour le reste, nous n’avons pas à nous plaindre. Nous cohabitons en bonne intelligence avec tous, quels qu’ils soient.