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Critiques de Patrick Carré (15)
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Le Palais des nuages

La lecture des 640 pages du "Palais des Nuages" n'est pas une mince affaire. C'est un grand, vrai et très beau roman, qui nous transporte dans la Chine des Song du Nord, au XII°s (et non, comme je l'ai lu, à l'époque antique Qin des guerriers d'argile) et dans l'âme du narrateur, prince du sang, puis empereur, le dernier de cette dynastie qui succomba sous les coups des barbares nordiques Jürchen. Le nom de règne du narrateur et héros est Song Huizong (selon le code de chinois normalisé que le romancier ne suit pas), il vécut de 1082 à 1135.





Toutefois, ce n'est pas un véritable roman historique, mais l'histoire merveilleuse d'un jeune enfant, d'un garçon privilégié, né enfermé dans la Cité Interdite de Kaifeng, la capitale, et allant de découverte en découverte sous la férule de maîtres extraordinaires (ayant vraiment existé, comme le grand poète Su Dongpo). Il devient calligraphe, poète inspiré, enthousiasmé, profondément marqué par la magie subversive du taoïsme, et son récit est la meilleure manière de faire entrer le lecteur dans cette culture étrange et déroutante, où la calligraphie et l'escrime, la poésie et la politique, l'autorité et l'anarchie, se donnent la main. La première partie, jeunesse et formation du héros, est une merveille.





Quand brusquement ce jeune homme se retrouve empereur, un champ immense de possibilités s'ouvre à lui : il pourra réaliser ses rêves, édifier son palais des nuages, modeler le réel à son idée. Comme nous suivons ses extases et délires d'un point de vue interne, il nous est impossible de mesurer les affreux dégâts que ce roi fou, dévoyé par des courtisans profiteurs, fait subir au réel, sauf à l'extrême fin, quand le réel vient frapper à sa porte et lui imposer sa loi. Le choix narratif de l'auteur nous contraint à partager les rêves, les folies, les ignorances mêmes de son héros, qui ne comprend rien à ce qui se passe et interpose entre le réel et lui la magnifique calligraphie de ses désirs. Cette seconde moitié du roman semble rythmée par le compte à rebours de l'Histoire (avec sa grande Hache, disait Perec).





Mais la catastrophe n'a pas le dernier mot, que je m'abstiendrai de dévoiler. On a voulu comparer ce roman aux Mémoires d'Hadrien, de Marguerite Yourcenar, puisqu'il s'agit dans les deux cas de l'autobiographie fictive d'un empereur. Superficielle analogie : Yourcenar est une sage romancière, qui ne s'écarte jamais de la voie gréco-latine de la raison et de la tempérance, jusque dans les excès de son empereur (qui meurt, apaisé, dans son lit, et non détrôné et vaincu par ses ennemis). Song Huizong est l'empereur de toutes les folies, il explore la divinité en lui-même jusqu'au bout, quitte à perdre le lecteur en chemin. Yourcenar s'en tient à l'humain, en bonne héritière de l'humanisme européen. Il y a autant de ressemblance entre ces deux romans qu'entre un "vieux lapin confucéen" trop raisonnable et un mystique exalté du Tao. C'est justement ce qui fait de la lecture de ce livre une expérience exaltante, mais aussi épuisante, car on n'entre pas sans risque dans l'âme d'un fou génial. On se référera plutôt au "Fils du Ciel" de Victor Segalen, autre histoire d'empereur de Chine et d'échec historique.





Pareil roman n'aurait pu venir sous la plume d'un sinologue occidental comme Patrick Carré, sans l'expérience maoïste à laquelle, je crois, il est fait allusion par moments. Mais si "l'idéologie", cette volonté d'incarner les idées dans le réel, est à l'oeuvre chez Song Huizong (tyran romanesque) comme chez Mao Zedong (réel meurtrier de masse), au moins dans ce roman, a-t-elle la supériorité de la poésie et de la beauté, sur la laideur et le ressentiment égalitaires de cet autre tyran chinois du XX°s.
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Le Palais des nuages

Au crépuscule de sa vie, un vieil empereur se retourne sur son passé et revient sur une existence vouée aux affaires politiques, mais également à l'amour, à l'art, à la philosophie... Non, il ne s'agit pas du résumé des "Mémoires d'Hadrien" : l'empereur dont il est question ici se nomme Huizong de la dynastie des Song et régna sur la Chine au douzième siècle. Pourtant le parallèle avec le chef-d'oeuvre de Marguerite Yourcenar est loin d'être incongru. Outre la proximité de leur sujet et de leur mode de narration, ils ont en commun leur ambition littéraire et intellectuelle. "Le Palais des Nuages" n'est, en effet, pas une lecture facile. Il faut s'accrocher pour venir à bout de ces six cents et quelques pages, très denses, au style très travaillé, souvent poétique — quoi de plus normal s'agissant des mémoires d'un homme qui, comme d'autres souverains chinois, fut peintre et poète ! Mais quel destin passionnant, et quelles belles pages nous sont offertes par ce narrateur qui, après son abdication, n'est plus rien, après avoir été le Fils du Ciel !



À aucun moment l'empereur n'apparaît comme un personnage antipathique. Il n'a rien d'un individu cruel ou violent, bien au contraire. Il n'a pas cherché à se hisser au plus haut rang et aurait préféré mener une existence modeste consacrée à l'art de la calligraphie, ou une vie d'ermite dans ces montagnes du Sud qu'il aime tant. Une fois monté sur le trône, il ne rêve ni de puissance ni de conquêtes militaires : toute sa politique tend vers la recherche de la beauté sous toutes ses formes, une quête symbolisée par un Palais des Nuages fantasmagorique... Pourtant il agit bel et bien en despote, menant son pays à la ruine sans en avoir conscience, avec toute l'innocence d'un dirigeant condamné de par sa fonction à ne jamais quitter l'enceinte de son palais. Le roman s'ouvre fort judicieusement sur une citation du philosophe Alain : "Le pouvoir rend fou, le pouvoir absolu rend absolument fou". Le glissement vers la folie se fait de manière quasi imperceptible, tant pour le lecteur que pour le narrateur lui-même. Il faudra l'irruption de la laideur dans la capitale impériale, sous la forme d'une invasion des barbares du Nord, pour dessiller ses yeux et le mettre face à ses terribles erreurs de jugement.



S'ils sont tous deux des romans historiques ayant pour cadre la Chine ancienne, ce "Palais des Nuages" a, dans le fond comme dans la forme, tout de l'antithèse du laborieux "Disque de Jade" de José Frèches que j'avais lu quelques semaines plus tôt. Je ne doute pas que la grande majorité des lecteurs préférera ce dernier, bien plus accessible. Mais si vous vous êtes régalé à la lecture des "Mémoires d'Hadrien" et si la Chine ne vous est pas tout à fait étrangère, alors il est possible que vous trouviez à votre goût ces mémoires imaginaires de l'empereur Huizong, tyran et artiste.
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Les petits chaos de l'étudiant Liu

Je ne suis pas certain d'avoir tout compris à ce roman torrentiel, picaresque et érudit, où les mystiques, médiévale européenne, tibétaine, chinoise, se mêlent aux visions hallucinées d'un dealeur charmant au nom tiré de Cendrars, d'un jeune linguiste chinois et d'une informaticienne amoureuse. Ces trois héros, à grand renfort de rock'n roll, de jeux sublimes de guitares, et de jeux luxueux de lumières et de Lumière divine et incréée, contribuent à une heureuse destruction anarchiste du monde, dont on ne sait si elle a vraiment lieu dans l'espace fictif du roman ou dans leur imagination. Le texte est drôle, la jouissance verbale du narrateur y est sensible à chaque ligne, ce qui rapprocherait ce livre de ceux de Céline ou de Rabelais, et l'éloignerait des codes classiques du roman. La science qui s'y déploie est prodigieuse : certains ont pensé que Patrick Carré est de la stature d'un Umberto Eco. Il est à mon sens supérieur à Eco, car il n'a (presque) aucun souci de prêcher la bien-pensance officielle dans ses textes. Mais on reste perplexe (ce qui n'est jamais le cas chez Eco, qui adhère toujours à l'idéologie du moment) et il n'est pas sûr que ce roman vaille la peine d'être relu.
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Le Palais des nuages

Ce roman d'un sinologue est saturé d'images colorées comme de disputes philosophiques (« Je verrai à la longue que la première manie des grands Song était — comment le dire précisément ? – le délire verbal », p 125). On y trouve la description minutieuse des lieux et des hommes, surchargée de noms propres et de nobles qualificatifs, dans un exotisme baroque, superlatif, sans doute historiquement vrai — les Chinois affectionnent les « Palais des Splendides Esprits » et autres « Torrents du Dragon Resplendissant ». Au-delà de l'onomastique chinoise, Pi Kan, Tcheou Sin, Kouo T'ien.sin, etc., qui met la mémoire à l'épreuve, Carré use de mots rares (filandre, eulogie, égrotant, dulcimer, rauquer, etc.), et pratique un style riche : « Nous longeâmes d'abord les rizières phosphorescentes ; effrayés, les canards détalaient entre les jeunes épis. Puis nous entrâmes dans le sourire vers sombre de la forêt. Les criquets s'étaient tus ; la pénombre soudain émit d'autres cris, plus furtifs. La lumière ricocha sur une cloque de sève au genou d'un pin, puis sur une bulle de bave dans la mousse, puis sur tous les miroirs aux dix mille facettes de ce qui grouille et vit dans les sous-bois » (p 206, voir aussi la visite à Mi Fou p 212).



Tchao Ki est le troisième fils de l'empereur et n'est pas destiné à régner. Il apprend la calligraphie et la poésie bien avant les rites, les armes, les femmes et la politique. Les trois ou quatre cents premières pages décrivent sa formation, ses goûts, ses rêves et ses craintes : l'Ailleurs, la Femme Pure, le Barbare. La mort ou le handicap de ses aînés le mettent sur le trône et l'impératrice douairière le salue comme « futur Ancêtre Parfait des Grands Song », une annonce qui conforte le prince dans son destin et fixe le lecteur sur sa dynastie (p 289). Carré saute la cérémonie d'intronisation, mais non sa visite au Lettré de la montagne ni sa première rencontre avec une femme, bien avant qu'on lui attribue une épouse et 81 épouses-assistantes. Il règne selon la coutume, puis donne le pouvoir à une académie, et enfin à sa fantaisie : « Tout à coup je me levai, très ivre et très frais ; les deux hommes aussi, puis Belle, mollement. — le secret qui nous concerne, messeigneurs, est celui-ci : l'empire est notre jouet, amusons-nous ! mais si possible avec art… » (p 440). Suit le récit touffu d'une décadence où l'on se perd : les excès, l'ami intéressé, la conversion en moine taoïste, la continence et le jeûne pimentés de drogues qui font apparaître la vision du « Palais des nuages » (p 467), les désillusions, la guerre, les complicités, les trahisons, les révoltes, les supplices, l'invasion, la défaite.



Après les ultimes humiliations et la mort violente de ses femmes, l'empereur est emmené en esclavage, puis affranchi et confié à un serviteur dont le nom est Chien. Chien lui apprend à vivre, comme l'instructeur maoïste à la fin du Dernier empereur de Bertolucci : « Chien, mon frère, ta bonté est vaste comme la forêt, mais le vieux sorcier que tu héberges est guéri de tout : de la vie, et de toutes ces délicatesses qui sont l'ornement dangereux, l'ornement fascinant de la vie (...). L'ivresse m'a quitté, et ses vertiges. Je puis enfin m'asseoir au bord du gouffre des nuages » (p 643).

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Les petits chaos de l'étudiant Liu

Une couverture moche (en livre de poche), un titre pour le moins pas attirant, si ce n'avait été un livre de Patrick Carré, je ne l'aurais pas acheté.

Ajoutez à cela, un début de livre, trés difficile, à la limite de l'hermétique, il faut un sacré courage pour continuer.

Et pourtant, on est peu à peu happé par la magie presque incantatoire du livre. De la Chine, au Tibet, un voyage hallucinogène et déjanté, une rencontre improbable, des trips inouïs, le tout dans une langue poétique et imagée.

La course à la clef des langues, à l'infini, à l'incompréhensible, émaillée de courts textes sur Roger Bacon en prison au 13° siècle et sur son maître, Robert Grosseteste.

En fait le livre est magique, quelquefois, il faut relire pour comprendre (et on ne comprend quand même pas tout).

Reste un final grand-guignol en guise d'explications, qui à mon avis gâche l'aspect magique du livre.

Un livre en tous cas que je range dans les livres à relire un jour.
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Le Palais des nuages

De sa naissance à sa mort, la vie du dernier empereur de la dynastie des Song du Nord. Une autobiographie fictive qui plonge le lecteur au coeur de la Chine impériale. L'art, l'amour, la calligraphie, la guerre et les philosophes. Tout un monde dans un roman qui est à la civilisation chinoise ce que les 'Mémoires d' Hadrien' sont à la culture classique.
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Poésie chinoise de l'éveil : A l'infini du ciel

Chevaucher le vent, voir d'un oeil neuf le monde. Voilà l'entreprise de l'excellent Patrick Carré, cette fois collaborant avec Zéno Bianu. On se promène en compagnie de fins lettrés, voire de mystiques taoïstes, par les montagnes les sources et les brumes de la Chine. A boire sans modération.
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Le Palais des nuages

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Le Palais des nuages

Alléché par une quatrième de couverture exotique, j'ai finalement été déçu par le contenu sous forme d'autobiographie même si j'admets que certains passages historiques sont intéressants.
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Nostalgie de la vacuité

Un livre qui apporte une autre vision du monde et de la vacuité, un grand bouleversement.
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Le Livre de la Cour jaune

Un des classiques du Taoisme. Un trés bon livre, à lire et réciter comme une bonne poésie, l'immortel ami.
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Le Tch'an (zen) : Racines et floraisons

Ce livre devrait être votre 2ième lecture Bouddhisme/Zen pour la compréhension de la Voie, mais seulement quelques pages sont très importantes (75) et dans un ordre bien précis...
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Poésie chinoise de l'éveil : A l'infini du ciel

Ce livre se présente un espèce d'itinéraire initiatique par de court texte qui recèle une forme de profondeur dont la révélation progressive conduit à une vision du monde riche d’enseignements.
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Les entretiens de Houang-po

Ce livre serait la 3ième lecture Bouddhisme/Zen recommandé pour une nette compréhension de la Voie. Il en donne la méthode.
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Le Palais des nuages

Un roman historique sur le fameux empereur chinois qui fis entrer dans sa tombe les soldats d'argile.
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