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Critiques de Patrick Pécherot (243)
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Pour tout bagage

°°° Rentrée littéraire 2022 # 17 °°°



« Léo Ferré, on s'en farcissait la caboche. (…) La Mutualité explosive, les galas de soutien. Ferré et Zoo, Ferré et Glenmor au vent fou d'une Bretagne rebelle. Et ses mots, définitifs, comme des coups de feu. Les armes et les mots c'est pareil … Des phrases bien sombres et belles comme une nuit émeutière. A vous laquer le coeur et vous en mettre plein la vue. On est trop sérieux quand on a dix-sept ans. On s'enflamme à la moindre étincelle. On est amadou, buisson propice. Léo avait craqué l'allumette. »



Ils étaient cinq lycéens, dix-sept ans en 1974. Un soir, grisés par des idéaux d'extrême-gauche, enivrés aux exploits mortifères des GARI ( Groupes d'action révolution révolutionnaires internationales, d'obédience anarchiste ), saoulés à se lancer des mots en l'air, ils ont tué un homme qui passait au mauvais endroit au mauvais moment, une balle perdue. Ils n'ont jamais été pris mais quarante-cinq ans après, l'un d'eux reçoit un texte anonyme qui raconte ce qui s'est passé ce jour-là, remontant du passé des événements que chacun voudrait tu à jamais.



Dans ce roman noir très réussi, le suspense à proprement parler est bien présent mais presque relégué au deuxième plan : qui a pressé la détente pour tuer ? qui a écrit le texte menaçant de tout révéler ? Une double réponse totalement satisfaisante est donnée à la fin, le récit oscillant entre passé et présent avec la quête du narrateur, un des cinq anciens lycéens, à retrouver ces anciens camarades. Mais ce n'est pas cela qui intéresse le plus Patrick Pécherot.



Le roman prend le pouls de toute l'effervescence politique au mitan des années 1970, le temps des dictatures voisines ( Franco en Espagne, les colonels en Grèce ), des tensions politiques extrêmes ( les années de plomb en Italie ). En 1974, est enlevé à Paris le directeur espagnol de la Banque de Bilbao dans un contexte de très dure répression contre la MIL ( Mouvement ibérique de libération ) et la CNT anarchiste qui a repris la lutte armée. En France, les attentats à l'explosif contre les intérêts économiques espagnols, commis par les GARI, se multiplient. Autant de feuilletons qui passionnent les cinq lycéens jusqu'à les obséder, ils veulent eux aussi changer le monde, « pétards prêts à servir » dans ce temps aux plaies à vif.



Pour tout bagage ( citation de la chanson de Léo Ferré «  Vingt ans » ) est un roman qui questionne la mémoire. le narrateur, rongé par la culpabilité, s'adresse à celui qu'ils ont tué. Dans cette adresse, il pioche dans la boîte à souvenances, animant des kodakchromes, avec la nostalgie sépia d'un sexagénaire qui se souvient de sa jeunesse passée. Avec une finesse psychologique poignante, c'est toute la bande des cinq lycéens qui revit à travers de magnifiques descriptions : Paul, le leader au bagou anticapitaliste ; Antoine qui remonte sa mèche d'un geste piqué à Jean-Pierre Léaud ; Yvon, taciturne et fragile ; Arthur, le narrateur, suiveur ; et Sylvie qui filme tout ce qu'elle voit et ne craint personne dans ses tenues hippies sur son ciao orange, sa petite-soeur Chloé n'en perd pas une miette.



Lorsque le passé ressurgit, se pose l'impérieuse question du devenir des idéaux de la jeunesse, quarante-cinq après. Patrick Péchérot y répond dans une réflexion impressionniste qui enveloppe le lecteur d'une ouate mélancolique avec ses fantômes du passé et les secrets des vivants, révélant une très belle plume, très élaborée derrière ses mots gouailleurs qui laissent deviner les grains des personnages comme leurs ambiguïtés d'individus brisés dans un mécanisme collectif qui les dépasse.



« Reprendre le chemin de l'école, c'est la grande illusion. Jamais ne reviennent le goût des Malabar, l'odeur de la cour et celle des marronniers. On renifle des parfums de synthèse en faisant semblant de rien mais ils sont bien pourris. »



Un roman à la fois tranchant et tendre, mélancolique et âpre, doux-amer au final, d'un auteur qui sait faire revivre l'Histoire à hauteur d'hommes et de femmes en restituant la justesse des voix d'adultes qui ont rêvé trop grand pour eux lorsqu'ils étaient adolescents.

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Hével

“La nature humaine, c'est de l'ombre maquillée. A la regarder de près on voit la grimace, le démon sous le brave homme.”



En quelques phrases, une ambiance est créée, en quelques pages le décor est planté, le contexte esquissé : celui de la guerre d'Algérie, de la tension qui monte entre les communautés, d'un racisme exacerbé par les attentats du FNL et qui se transforme en haine. Une haine décomplexée, revendiquée et violente envers ceux qui furent peut-être jusqu'alors des étrangers plus ou moins tolérés mais ne sont désormais plus que des “Arabes”, de potentielles menaces et des cibles à abattre.



C'est dans ce contexte de haine apeurée et réciproque, de provocations mutuelles et de rixes sanglantes où, de part et d'autre, le goût du sang peut servir d'exutoire à la médiocrité intellectuelle, à la petitesse des âmes, aux raccourcis faciles et aux simplifications excessives que se situe le récit, tandis qu'au fil des pages passe et s'installe une ombre furtive et clandestine, presque un fantôme, un homme en fuite, “homme lisière, à l'écart du ciel (à qui il) faut la futaie, l'abri des branchages, le haut couvert des arbres.”



Le rythme soutenu, les chapitres courts, l'écriture rapide, nerveuse, délibérément “prolétaire” mais en réalité extrêmement élaborée, émaillée de petits détails qui ressuscitent avec une crédible authenticité la France populaire et besogneuse des années cinquante, tissent une intrigue faite d'histoires imbriquées que viennent nourrir les lambeaux du passé en un récit plein de suspense, de mystère et de choses tues - car “les mots, il en est qui vous écorchent la bouche, trop grands qu'ils sont. On les ravale.”



L'analyse psychologique, les descriptions et le sens du détail donnent un relief particulièrement convaincant à des personnages aux aspirations ordinaires, aux plaisirs simples, ne demandant a priori rien d'autre que le droit de gagner leur vie difficile et précaire sans faire de tort à quiconque et sans qu'on leur en fasse, des “homme fourbus (qui) savent le petit bonheur d'un café ordinaire, de la chaleur d'une soupe.” Mais dans le monde obscur des hommes, tout est apparence, illusion, “hével”, et les atrocités de la guerre d'Algérie, le bourbier des circonstances et les brumes toxiques du passé arrachent les masques, dénudent la vérité des coeurs et font basculer les destinées.



Une très belle plume, une reconstitution historique minutieuse, un récit complexe, profond et passionnant… Bien au-delà du “simple” roman noir, Patrick Pécherot signe ici, avec "Hével", une belle page de littérature. Et j'ai vraiment beaucoup aimé.



[Challenge Multi-Défis 2020]

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Tranchecaille

Le soldat Jonas n'aurait pas dû se rebeller face au lieutenant Landry, non, il n'aurait pas dû.

Son supérieur retrouvé assassiné, le voilà désormais emprisonné et accusé d'une bien vilaine forfaiture.

Son seul espoir réside alors en la perspicacité et la vélocité d'esprit du capitaine Duparc chargé de le défendre.



Un énième bouquin sur la grande guerre me direz-vous.

Nein !

Un contexte guerrier formidablement étayé, certes, mais avant tout le déroulé d'une enquête précise au suspense haletant.

A l'instar d'un bon vieux Columbo des familles, la sentence nous est balancée dès la toute première page mais peu n'importe, l'intérêt est ailleurs Scully.



Le dossier Jonas est lourd et complexe.

Balourd notoire ou simulateur de génie, la question se posera tout du long pour un lecteur abonné au cul entre deux chaises. Je préconise donc un long échauffement des petits, moyens et grands adducteurs avant d'entamer Tranchecaille, pensez-y.



Pécherot nous balade avec intelligence et sobriété tout en s'appuyant sur des faits historiques dantesques.

La condition des poilus en ces années de conflit nous donne une idée assez précise de l'enfer sur terre.



En construisant son récit comme un journal de bord compilant témoignages, courriers et interrogatoires, Pécherot nous plonge au coeur même de l'enquête tout en la rendant formidablement vivante.



Tranchecaille est assurément un grand bouquin noir à l'écriture hyper réaliste.

Vous savez ce qu'il vous reste à faire.



Et un, j'inspire et je fléchis, et deux, je garde le dos bien droit tout en maintenant les genoux à un angle approximatif de 90° perpendiculaire au méridien de Greenwich avant d'expirer, sans postillonner, durant la remontée.

Pas d'impasse sur l'échauffement, au risque de me répéter...
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Bandits & brigands

Rien ne me laissait présager une telle lecture, malgré une très belle et originale réalisation éditoriale. C’était sans compter avec la présence, parmi les 8 auteurs, de Linda Lê, dont j’ai décidé de ne rater aucun texte.



Ici, elle consacre une petite vingtaine de pages à la figure de Phoolan Devi, découverte par moi, dans un livre lu grâce à ma fille, Culottées 2, de Pénélope Bagieu. Phoolan Devi, dont la vie fut marquée par une extrême violence, est une des deux seules femmes du livre (avec Maria Bonita et les si héroïques cangaceiros, des bandits de la région du Nordeste, au Brésil).



La plume de Linda Lê, m’a encore séduite. Usant, sans abuser, de la formule « Il faut imaginer », Linda Lê tisse « un conte cruel et une épopée impressionnante ».



Après cette lecture âpre, mais sublimée par le style inimitable de Linda Lê, j’ai poursuivi la lecture dans le désordre, j’avoue.



J’y ai donc appris essentiellement que : « Le concept de banditisme social fut crée par Eric Hobsbawn pour différencier ce banditisme du vol ordinaire, ou de la criminalité organisé comme la mafia ou les gangs. Bien évidemment, la frontière entre ces catégories est plus floue dans la pratique. »



Ce livre appartient à la collection Lampe-tempête des éditions L’échappée, dirigée par Jacques Baujard : « Par un travail de redécouverte de textes de fiction méconnus ou oubliés, augmentés de commentaires critiques et politiques, cette collection entend donc montrer que la littérature peut être instrument de prospection, à la recherche des possibles, les meilleurs comme les pires, ceux qui gisent dans le passé comme ceux que nous réserve l’avenir. »



Bien entendu que Panaït Istrati est cité dans la préface, car sa contribution est indiscutable : « […] la dimension littéraire apportée par l’auteur de Kyra Kyralina aux récits des bandits sociaux balkaniques a permis de faire découvrir à un large public la vie tragique de ces révoltés ». En effet, ce livre s’inscrit bien dans cette lignée. Des pages qui s’apparentent à des vrais récits d’aventures.



Les 8 figures téméraires de ces justiciers sont brièvement présentées pp. 14-16 et leur liste reprise par la quatrième de couverture.
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Pour tout bagage

Pour tout bagage... on a vingt ans chantait Léo Ferré. Poète présent tout le long de l’ouvrage. Dans le bagage de Patrick Pécherot ça fourmille de l’actualité des années 70, des références musicales et autres, comme les objets disparus. Mais comment se rappelle-t-il tout ça ? 1974 : Ils étaient cinq ados à vouloir changer le monde, à vouloir faire comme la bande d’anarchistes. Mais leur coup à foiré et un homme est mort. Quarante-cinq ans plus tard, un fait les ramène sur leurs jeunesses insouciantes. On pourrait presque dire qu’ont-ils fait de leurs illusions ? Je suis impressionnée par la verve, l’écriture flamboyante et visuelle ainsi que les connaissances multiples de l’auteur (Je m’en étais déjà régalé avec Les brouillards de la butte) même si parfois il n’est pas facile d’être toujours dans son tourbillon. Un grand merci à Masse Critique et aux éditions Gallimard.

Pour tout bagage on a vingt ans

On a une rose au bout des dents

Qui vit l'espace d'un soupir

Et qui vous pique avant d'mourir
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Tranchecaille

En quelques lignes, le résumé de la 4e de couverture situe parfaitement l'ouvrage et permet d'entamer une lecture au cœur du sujet, en son point le plus vif puisqu'il s'ouvre sur l'exécution du soldat Jonas. Ainsi connaît-on d'emblée le verdict du tribunal de guerre.

Mais la question qui sera le fil conducteur du roman est de savoir si celui que l'on surnomme « tranchecaille » ou encore « paire-de-braies » est coupable d'avoir tué son supérieur, le lieutenant Landry, ou innocent. Est-il seulement naïf, roi de la poisse et des hasards malheureux ? Ou est-il bien plus futé qu'il n'y paraît, un comédien hors pair pour se faire dédouaner de ses actes ?



Entre le moment où il est mis aux arrêts et celui de sa comparution, l'intervalle est de quelques jours durant lesquels le capitaine Duparc, assigné à sa défense, se démènera pour dénouer les fils de cette histoire et se forger une opinion sur les faits et sur le personnage afin d'assurer la meilleure défense possible à ce soldat.



Les chapitres sont courts, ils alternent entre les différents témoignages lesquels brossent petit à petit le portrait du soldat Jonas, un soldat ordinaire qui se trouve les pieds englués dans la boue des tranchées à devoir avancer dans cette guerre au milieu de tant d'autres hommes comme lui. L'auteur parvient à nous faire ressentir cette forme d'absurdité que peut revêtir cette guerre, les conditions de vie dans les tranchées, sa dureté, les troubles de personnalité consécutifs aux horreurs vécues, les hôpitaux de campagne qui procèdent aux amputations à tour de bras, le caractère expéditif des tribunaux, et plus encore...



Mais si le sujet de l'ouvrage est particulièrement intéressant pour sa valeur historique entre les faits rapportés et le langage des poilus, je ne me suis pas passionnée pour sa lecture. La narration est pertinente avec des chapitres alternant les dépositions, assemblant les pièces du dossier au fur et à mesure tout en déroulant l'Histoire. Cela change du schéma classique de récit de guerre. Mais certains chapitres sont venus s'intercaler comme des cheveux dans la soupe, par exemple la correspondance de Duparc avec sa bien-aimée qui, si elle lui permet d'évoquer ses états d'âme, n'apportent pas vraiment de plus-value au roman. Ou encore les chapitres relatifs aux hôpitaux de campagne que j'ai ressentis plutôt comme des digressions. Cela m'a laissé le sentiment que le sujet n'était pas creusé correctement, que ces éloignements venaient diluer l'intensité et l'intérêt du développement.



Le récit est très souvent en langage parlé, dans le vocabulaire des poilus, ce qui le rend très vivant. Mais son usage m'a paru excessif, beaucoup de jargon en peu de pages.



En raison de ces petits bémols, ma lecture a perdu de son intérêt à mesure des pages tournées, c'est dommage. Cela reste néanmoins un ouvrage qui nous emmène sur le sentier de la guerre et de la mémoire, qui se lit rapidement. Alors quelle sera votre intime conviction ? Coupable ou innocent ?
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Une plaie ouverte

Dans un fulgurant mélange de poésie et d'argot, Pécherot nous fait vivre des scènes du Paris de 1871, comme il commenterait une toile de Courbet, de Corot ou des vers de Verlaine, quelques mois d'un communisme gentil au début avec ses décrets abolissant l'orthographe.



J'ai malheureusement regretté que Pécherot attache plus d'importance à l'esthétique de son gambergement qu'à nous apprendre quelque chose.



Mais enfin, où est passé Dana?




Lien : https://www.repro-tableaux.c..
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Hével

Gus et André à bord d’un camion Citroën à bout de souffle, sur les routes enneigées du Jura chargent et déchargent des cageots de villes en villes.



Nous sommes en 1958, dans les relais routiers entre une saucisse purée et un ballon de rouge la radio donne des nouvelles de nos valeureux soldats partis remettre de l’ordre en Algérie.



Sur les route verglacées, ces « évènements », pourtant lointains, vont percuter de plein fouet la vie des deux routiers. La mort d’un chibani dans la cité dortoir d’une ville ouvrière perdue en Franche-Comté, ça n’intéresse personne.



Mais alors pourquoi ce gros développement de la police nationale dans les environs de Morez ? Et puis soixante ans plus tard il y a il y a la confession de Gus.



Nous sommes dans la France morne et grise des années 50, la France de l’OAS, de l’ORTF, de l’ennui et de la voix de son maitre.



La langue c’est de l’argot, du pur, du brutal, un vrai vocable des trois-huit, de la sueur et du zinc. Devoir de mémoire obligatoire pour rayer à jamais le scandaleux euphémisme « évènement » par le mot vrai « guerre d’Algérie », Patrick Pècherot écrit un roman triste, une série blême sur des laissés pour compte qui ne serons jamais des héros. Un grand « Noir » de chez Gallimard qui mériterait la « Blanche ».
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Tranchecaille

Je vais être franche : je n'avais pas vraiment envie de lire ce roman de suite... Néanmoins, il allait peut-être faire partie du prochain club des lecteurs et il fallait que je prenne un peu d'avance dans ce genre de lectures... Finalement ? BOUM ! Une grosse claque ! J'ai adoré ! Ce mélange de "La peur" de Gabriel Chevallier et d'un roman policier m'a bouleversée. L'action se déroule en 1917, dans l'Aisne avec, évidemment, cette abominable bataille du Chemin des Dames. L'horreur de la guerre est très bien retranscrite que ce soit au niveau du front, des permissions, des scènes à l'infirmerie ou du quotidien des poilus. La Guerre vue sous tous les angles...



Cette enquête est menée d'une main de maître à travers divers chapitres qui sont en fait des lettres, des témoignages, des interrogatoires, des discussions ou des scènes rapportées. J'ai trouvé cela original. Ce ne sont pas de simples chapitres où la narration passe d'un personnage à un autre, mais bien des rapports, des échanges verbaux, des pièces qui constitueront le dossier de son enquête. Tout le monde donne son avis sur le soldat Jonas, alias "Tranchecaille". Un fainéant ? Un âne ? Un comédien qui joue le benêt ? Un homme mystérieux ? Un gosse au pantalon trop grand ? De la chair à canon parmi tant d'autres ? Un soldat au regard étrange ? Un assassin ? Chacun met son grain de sel. Hélas, le tribunal bientôt doit se réunir sur cette affaire afin de le déclarer ou non coupable Jonas. A-t-il tué son lieutenant ? Quelles vérités éclateront de cette sinistre affaire ? Le capitaine Duparc tente de démêler ce sac de nœuds. Malheureusement, tandis que Jonas plaide son innocence, tout l'accuse... Le jeune homme se montre également violent voire menteur... La menace du peloton d'exécution plane. Il ne reste plus beaucoup de temps...



On n'est pas au bout de nos surprises. Les pistes, jetées de-ci de-là, ne laissent rien deviner. Je suis tombée de haut plusieurs fois. J'ai douté. J'ai cru comprendre et détenir des réponses... Au fil des témoignages, on se rend compte qu'il y a une véritable intrigue et qu'elle est assez compliquée à résoudre. J'aime énormément les ouvrages où l'auteur balade son lecteur d'un coupable à un autre. Patrick Pécherot y est parvenu avec brio. Tout au long des pages, j'étais remplie de doutes et de questions. Mais la vérité ou la justice a-t-elle finalement son importance dans un tel univers où tout peut basculer du jour au lendemain sous les tirs ennemis ?



Je ne pensais pas que "Tranchecaille" me plairait autant, surtout avec une telle idée de récit. Mélanger le genre polar avec la Grande Guerre, il fallait oser ! Mais Patrick Pécherot s'en est sorti haut la main. Je m'en vais de suite conseiller cet ouvrage à quelques proches qui, je l'espère, apprécieront cette œuvre même si le sujet n'est pas joyeux... Quant à vous, potentiels lecteurs, je ne peux que vous recommander ce livre "historico-policier" passionnant !


Lien : https://lespagesquitournent...
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À cheval sur le vent

Et voila que ça recommence… Un titre, une couverture et je fonce tête baissée.

Pourtant j’ai bien vu que l’auteur est Patrick Pécherot, que c’est un « roman tendre et pudique » et blablabla et on peut me dire tout ce qu’on veut, j’ai encore bloqué sur la couverture et cette photo de Xavier Grall. J’ai encore fait l’histoire avant d’avoir le livre avec ce titre mi « Le cheval couché » mi « Les vents m’ont dit ». Encore une fois je sais que j’ai demandé un livre de Patrick Pécherot à « Masse critique » mais j’attends de l’inédit de Xavier Grall… Incurable je suis !!!



Forcément, vous vous doutez bien qu’à réception du bouquin… la déception est grande. Dès les premières pages, je fais déjà un billet à charge. Du Grall, y en a mais bon… Je ne vois que quelques banalités dans des dialogues insipides entre Xavier et Françoise, sa femme, du genre « passe moi le sel ». « Un roman tendre et pudique », ça va être long la lecture. On m’a « vendu » des témoignages sur les atrocités commises par la france pendant la guerre d’Algérie et je me retrouve à la table des Grall à humer la bonne odeur de crêpes en compagnie de toute la famille et à parler de la pluie et du beau temps. La digestion va être difficile…

Finalement, je vais digérer ma bêtise et peu à peu me mettre dans le bouquin. Revenir en arrière avec un regard dépollué de tout a priori négatif.



Oui du Grall y en a dans « A cheval sur le vent » et du bon dans les citations qui accompagnent ce roman. Malgré tout en fin de lecture il me reste un goût de je ne sais quoi.

Bien sur Patrick Pécherot donne quelques clés pour comprendre Grall. Peut être que sa soumission à l’armée dans sa jeunesse est mère de son insoumission à « Paris ». Sa culpabilité de n’avoir pas eu le cran de dire non le ronge au point de faire un livre qui témoigne des horreurs faites par son pays, la France, en donnant la parole à des anonymes revenus d’Algérie qui racontent leur guerre.

Ces témoignages sont en fait les réponses à une enquête de « La vie catholique », journal pour lequel travaille Grall et donneront naissance à « La génération du Djebel » publié en 1962.



J’ai tardé à faire ce billet car toujours ce goût de trop peu, ce goût d’inachevé. Les choses sont dites, l’essentiel est là dans « A cheval sur le vent » mais je reste avec cette impression de tiède, de trop « propre ».



Merci à Babelio et aux Editions Bruno Doucey pour l’envoi de ce titre pour « Masse critique ».

Si quelqu’un veut se faire une idée et un billet sur ce titre (car le mien n’est pas très vendeur), une adresse en mp et « A cheval sur le vent » viendra se fondre dans votre pal.

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Petit éloge des coins de rue

J'ai un petit faible pour cette collection d'inédits des Petits éloges à 2€ chez Folio. Certes tous ne se valent pas mais l'on tombe aussi sur des pépites.



C'est le cas avec ce Petit éloge des coins de rue de Patrick Pécherot. Ça commence dès la couverture avec ce chat aux yeux intrigants. Et ça se poursuit avec une voix qui m'a enchantée tout au long de ces 120 pages. Une voix, oui car j'ai vraiment eu l'impression d'écouter ce livre plutôt que de le lire. Patrick Pécherot use ici d'un style taillé pour l'oralité. Enfant des années 1950, il fait revivre dans ces pages un Puteaux qui n'existe plus, des métiers disparus (remmailleuse de bas par exemple), des bruits et un jargon qui renvoie vers Audiard. Ça sent bon l'argot et le pavé parisien.



Point de "nostalgisme" (désolée pour ce néologisme) à outrance, ni de "c'était mieux avant". Patrick Pécherot ne nous entraîne pas seulement dans une balade spatiale. Les rues remontent et défient le temps sous sa plume. On y rencontre aussi bien un verdurier d'antan qu'un jeune danseur de hip-hop.

De même, figures illustres et illustres inconnus s'y croisent. Il y a Cahuzac, pas celui de l'Affaire, mais un boucher à Puteaux, et Arletty, Abdallah et sa femme et Céline (à contre-coeur) et Fréhel.



Ce livre peut se déguster d'un trait, de façon linéaire, ou en piochant un passage ou deux. C'est un régal d'instantanés de ces coins de rue, même les plus droites. Jours des encombrants, rupture du jeûne du Ramadan, les tableaux de Jürg Kreienbuhl (une découverte complète, lui), etc. Dans chaque partie, l'auteur y célèbre l'humanité dans toutes ses facettes. Un soupçon de nostalgie, une pincée d'humour et une pointe d'amertume, telle est la recette de ce merveilleux opuscule à promener avec soi. Même si l'on n'est pas de Paris ou de Courbevoie.
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Pour tout bagage

C’est une histoire qui commence en 1974 avec cinq copains (quatre garçons «dans le vent» et une fille), 17 ans, fans de Léo Ferré et des GARI, groupes d’action non violents (relativement, car ils commettent tout de même des enlèvements) antifranquistes. Les GARI sont arrêtés et la bande des 5 se met en tête d’intimider celui qui, forcément, a dû les balancer, en tirant tous les jours à côté de lui. Edmond croise leur chemin et se prend une balle qui ne lui était pas destinée. Après cet acte stupide la bande s’est séparée et chacun a fait sa vie de son côté, jamais inquiétée. Près d’un demi-siècle plus tard un anonyme menace l’un des garçons de tout révéler dans un livre. Un des garçons, Arthur, le narrateur, mène l’enquête, et d’abord recherche les autres membres de la bande.

Le style est d’entrée de jeu très particulier, c’est sec, plutôt brut, efficace. Entre les chapitres ostensiblement narratifs, il y a les adresses à Edmont, le mort, dont Arthur ne s’est pas pardonné la mort, et puis les Kodachromes où le passé est évoqué par les fragments de vie révélés et réveillés par ces vieilles photos. Cette structuration du récit est très vivante et très efficace. Le style, travaillé à la façon des dialogues de film d’époque, contribue à plonger le lecteur dans cette période de la fin des Trente glorieuses. Mais c’est d’une lecture peu agréable et assez fatigante. Peut-être qu’en livre audio cela passerait mieux. L’auteur a remarquablement réussi à faire revivre l’époque, en particulier dans les Kodachromes, par petites touches, avec une marque de boisson, un véhicules, les chansons de l’époque, avec des petits riens bien choisis qui fleurent bon les années 70. Pour la période contemporaine, c’est pareil, quand il décrit ce qu’est devenue une banlieue (Le Val Fourré à Mantes). L’auteur a visiblement le goût pour les détails qui font l’air du temps. C’est nostalgique mais pas du tout béat devant le passé. Le narrateur s’interroge aussi sur les luttes contemporaines (les ZAD, les Gilets jaunes), « On pigeait tout. Nucléaire non merci ! Let the sunshine in et vive le vent, vive le vent, vive le vent dit vert. Aujourd'hui, quatre éoliennes dans le décor déclenchent une émeute. Sus aux méchantes bêtes, inutiles et nuisibles ! Je ne pige plus trop. » Pas vraiment un roman policier, ce joli exercice de style réussi est un roman difficilement classable, une petite madeleine de Proust.
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Tranchecaille

Méfions-nous des homophones. Contrairement à Jonasz, le chanteur, Jonas, le désenchanté, est du genre à aller au bordel, amer. Drôle de zig, un brin Destouches, une touche Brindavoine, Jonas, le poilu, se voit suspecté de meurtres. Roman policier ? Chronique judiciaire ? Oui, bien sûr. Or, dès les premières pages, le sort de Jonas est connu. Alors, ce livre est surtout un prétexte à se plonger dans la Première Guerre Mondiale. De courts chapitres mettent en scène de nombreux personnages, archétypes de quelques acteurs de ce conflit tragique, scènes au front, scènes à l’arrière. Simples soldats, gradés, infirmières, médecins, marraines de guerres tentent de donner un sens à l’absurdité ou bien sombrent. Les conséquences psychologiques et physiques de la guerre sont abordées par un récit rythmé, qui est retranscrit avec l’emploi judicieux de l’argot d’alors, les dialogues claquent comme la mitraille, les images se succèdent, une poétique du sang et de la fureur s’esquisse parfois. Pécherot possède une large culture sur la Der des Der mais son érudition ne nuit nullement à la dimension littéraire de cet ouvrage qui se laisse lire très facilement bien que la succession des tableaux puisse paraître foutraque. Cela dit, cette guerre c’était sans doute un peu foutraque.

Pour ceux que cette page sombre de l’histoire passionne « Tranchecaille », même si il n’a pas la prétention de figurer dans le Top 10 des livres sur 14/18, mérite largement le détour. Pour les autres, mon opinion sera moins… tranchée !
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Tranchecaille

Ce polar historique, qui aura pour cadre les tranchées de la Première Guerre Mondiale, commence un peu à la Columbo…



Dès les premières lignes, nous assistons à l’exécution d’un soldat accusé d’avoir planté, non pas le bâton, mais la baïonnette dans le dos de son lieutenant.



Tout ça pour un uniforme trop grand… Tout ça pour une prise de bec qui a eu lieu entre lui et le nouveau lieutenant ? Purée, ça fait cher le tissu en trop et le froc qui descend lorsque l’on charge les tranchées des casques à pointes.



Ce polar historique ne commence pas comme un autre, n’a pas un terrain d’enquête habituel et sa manière de nous narrer l’enquête du capitaine Duparc n’est pas commune du tout.



En effet, la narration de l’enquête, les faits et gestes du capitaine Duparc, du soldat Jonas (l’accusé), ainsi que des autres protagonistes de l’histoire (témoins, gradés, soldats de l’unité et j’en passe) est racontée au travers de chapitres assez courts qui sont en fait des témoignages en direct ou rapportés, des interrogatoires menés par le capitaine (ou son greffier), des discussions qui ont lieu sur place ou ailleurs, a moyen de lettres, de scènes rapportées….



Déstabilisant au départ, ce récit, monté comme un journal de bord. Pourtant, une fois dans le bain, on se sent très vite à l’aise, même si nous sommes dans un endroit où je n’aurais pas aimé traîner à cette époque.



D’ailleurs, l’auteur ne se contente pas de nous conter l’enquête, dans les chapitres, il y a aussi des scènes de la vie quotidienne dans les tranchées, notamment les milliers de morts, pour quelques mètres de pris et dont les quotidiens titreront que c’était une percée importante.



Si je ne me suis attachée à aucun personnage, cela n’a pas entamé mon plaisir de lecture, puisque les 300 pages ont été avalées en une seule journée (sorry, ma Bianca).



Cela était sans doute dû au fait que l’on ne sait jamais vraiment qui est le soldat Jonas, l’accusé : un vrai benêt ou un type intelligent qui jouait au con ? Un vrai traumatisé par ce qu’il a vécu durant les 3 années, ou un comédien ? Un soldat qui est réellement crétin ou un qui se moque des gradés ? Un débile, un âne ? Ou un simulateur de génie ? Cet homme est une énigme à lui tout seul.



En tout cas, c’est addictif, cette enquête et elle n’a rien de banal.



Un polar historique sur fond de Première Guerre Mondiale, sous le régime de la censure, celui de la langue de bois, celui où la justice était arbitraire et inique puisque, pour un galonné assassiné, on veut exécuter un soldat, mais qu’on n’exécutera pas de galonné pour tous les soldats qu’ils ont envoyés à la boucherie.



Une LC avec Bianca réussie et que je ne regrette pas d’avoir faite, ce roman traînait depuis trop longtemps dans mes étagères et il ne méritait pas ça !


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Une plaie ouverte

Marqué par l’expérience de la Commune en 1871, période de deux mois où le peuple de Paris a défié le gouvernement, Marceau trente ans plus tard est à la recherche de son compagnon Dana. Les souvenirs le poursuivent, les personnages célèbres ou moins qui ont vécu cette époque. On y croise Louise Michel, le peintre Gustave Courbet, Jules Vallès et son journal Le Cri du peuple, Verlaine, Rimbaud, le caricaturiste André Gill… Mais aussi cette fameuse journée ou après une répression sanglante signant leur défaire, les communards ont exécuté une cinquantaine d’otages dans un jardin public. Un certain Amédée qui passait par là, a été tué parmi eux. Par qui, pourquoi ?



Le personnage de Dana reste assez mystérieux, sa silhouette apparaissant dans un des premiers films de l’industrie cinématique américaine, un détective est sur ses traces… Mais Dana n’est qu’un souvenir un peu flou, des mains jouant aux cartes dans un vieux court métrage, des mains enlaçant Manon, une femme chère à Marceau. Est-ce lui l’assassin ? Et que cache la folie de Marceau shooté au laudanum, cette obsession, ce passé mal digéré ?



Sur fond historique de la guerre de 70, puis de l’apparition du cinéma avec Charles Pathé, l’arrivée du Wild West Show en France en 1905, quelques anecdotes sur Calamity Jane, on se perd un peu dans ce roman de Patrick Pécherot mais son style nous rattrape et nous entraine dans les méandres d’un esprit qu’un traumatisme a anéanti au point de nier la réalité et qui devra rassembler le puzzle de son existence et admettre sa culpabilité pour se reconstruire…Et on se laisse prendre.

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Dernier été

Décidément, je vais de surprise en surprise et j'ai l'impression que cela n'est pas terminé car il me reste encore ouvrages publiés par le journal Le Monde à découvrir...Ici, je ne qualifierais certainement pas cet ouvrage en tant que polar (malgré l'intitulé de la collection) mais tout simplement de drame.



En effet, l'histoire se déroule durant la guerre entre la France et la Prusse qui eut lieu à la fin du XIXe siècle. Nous sommes en 1870 et le narrateur a fait la promesse de ramener à son père la chevalière que son feu lieutenant, Frédéric Bazille, lui a confié juste avant de mourir. Et si vous êtes quelqu'un d'honneur, vous saurez parfaitement que la promesse que l'on fait a un mourant est sacrée. Du moins, c'est ainsi que l'entend notre narrateur. Lui qui n'était que simple fantassin dans la campagne d'Afrique, c'est a lui que le lieutenant a fait confiance en lui remettant cette bague et le voici donc, une fois la guerre terminée, en partance pour la France, dans la région de Montpellier d'où son supérieur était originaire. Il va ainsi découvrir que ce dernier était un féru d'art et qu'i peignait d'ailleurs lui-même ses propres toiles.Bien que le narrateur ne soit pas un expert en la matière, un tableau va cependant attirer son attention car dessus, l'on peut y voir, la famille du lieutenant au grand complet, lui y compris mais quelque chose le dérange dans cette vision...et soudain, les dernières paroles que Frédéric prononça avant de mourir lui revinrent en mémoire : "Famille...connerie..." et si un drame s'était déroulé lors de cette fameuse réunion familiale ? Probablement, car les personnages ont tous l'air d'être attirés par quelque chose mais par quoi ? Comment cette chose aurait-elle pu être pire que la guerre dans laquelle Frédéric Bazille, bien que fils de sénateur, s'est engagé volontairement?



Ce que j'ai trouvé d'extraordinaire dans ce petit ouvrage, c'est que le narrateur, tout au long de son récit, emploie systématiquement le pronom "vous". A qui s'adresse-t-il exactement ? Au lecteur ? Ce dernier se rendra rapidement compte que non. Alors à qui ? A l'homme de lettres, au journaliste ou encore au père du défunt lieutenant ? Et si ces trois appellations n'étaient en réalité qu'une seule et même personne et que vous la connaissiez ?

Je vous recommande vivement la lecture de ce petit ouvrage qui est vraiment très bien écrit, avec un soupçon de poésie, d'interrogations sur le sens de la vie et sur ce que les relations familiales peuvent parfois faire comme dégâts si elles ne sont pas entretenues avec le plus grand respect auxquelles elles ont droit !
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Bandits & brigands

Huit figures du « banditisme social » racontées par huit auteurs. Classique ou contemporain, solitaire ou en bande, sur tous les continents, chacun-e à sa manière s’est érigé-e en justicier-ère.



Émilien Bernard brosse le portrait du « célèbre Ned Kelly, le roi du bush, le Robin des Bois version kangourous », depuis la destruction des registres de prêts hypothécaires jusqu’à sa fin qu’il voulu épique et qui deviendra légendaire.



Rob Roy, brigand des Highlands, est évoqué par Thomas Giraud avec beaucoup de sensibilité et dans une prose d’une inégalable élégance. Convoyant des troupeaux, ce voleur écossais en prélève dans la plus grande discrétion une infime partie. « Ces moutons et ces brebis dérobés, il les redistribue, il égalise. » Puis, un jour, c’est le troupeau tout entier. « Avant Adam Smith et un peu différemment, il se trouve des airs de main invisible dans cette capacité désarmante, et désarmée, à ôter autant avec si peu. » Pourtant, « il ne se sent pas voleur, ce n’est pas ainsi qu’il se nommerait, enfin pas vraiment, pas complètement. Il a une explication là-dessus, solide, définitive et efficace. La voici. Qu’est-ce qu’être un voleur ? D’une, les définitions des livres, des recueils de droit et de jurisprudence n’aident pas, elles confondent la cause et la conséquence. De deux, il a noté que le voleur est toujours celui que les puissants désignent comme tel en identifiant de manière bien opportune des intérêts, des biens qui ne peuvent passer entre d’autres mains sans l’accord préalable des possédants. Celui qui prend de la nourriture pour survivre, juste ce qu’il faut, une pomme pour un repas, un peu de farine pour un pain, est-ce un voleur ? Et celui qui fait un travail et, dans le cadre de celui-ci, prélève un peu plus afin de redistribuer une partie de ce supplément à d’autres, à d’autres qui ont peu, ou beaucoup moins, qui ne mangent pas toujours à leur faim, qui n’ont ni noms, ni couteaux, ni terre ? Est-ce vraiment un voleur ? » Le récit de son errance pour échapper à ses poursuivants est tout simplement sublime.



L’enfance de Hend U Merri, l’insoumis kabyle, est racontée par Sarah Haidar, sa rencontre précoce avec la faim, avec l’injustice. Il devient rapidement dangereux et passe à l’attaque, car ne demandait pas « l’amélioration d’un monde mais son abolition ».



La vie de Phoolan Devi est d’une rare violence : « Je suis née moins qu’un chien, mais je suis devenue une reine » explique son autobiographie. Indienne, issue de la plus basse des castes, mariée à 11 ans, violée, rejetée, elle rejoindra les dacoïts et deviendra leur cheffe, pour répandre la vengeance, avant d’être assassinée, en 2001. La postérité s’empare alors de sa légende, des statuettes à son effigie vendues sur les marchés jusqu’à ce récit poignant, imaginé par Linda Lê.



Plutôt que de proposer une classique reconstitution épique et linéaire, chacun des auteurs s’efforce d’utiliser une forme narrative appropriée, relevant bien souvent plutôt de l’évocation. Ainsi Patrick Pécherot glane autant aux sources historiques qu’à la mémoire populaire pour restituer la personnalité de Cartouche, lui donnant tantôt le visage de Jean-Paul Belmondo dans le film éponyme, que celui que lui prête une gravure dénichée sur les quais, dans le bac d’un bouquiniste.



Serge Quadruppani restitue un Sante Notarnicola plus vrai que nature, en partie à l’aide de ses écrits autobiographiques, partant de sa remise en semi-liberté après vingt années passées en prison, remontant à son arrestation, à son procès, à son enfance à Bari, son premier coup avec sa bande, les émeutes de juillet 1962, piazza Statuto à Turin.



Sébastien Rutés s’échine à brosser le portrait de Joaquim Murieta, bandit californien, ou mexicain, ou chilien, grâce à un récit polyphonique dans lequel s’expriment autant Octavio Paz et Pablo Neruda que toutes sortes de personnages imprégnés de sa légende.



Enfin Jean-Luc Sahagian s’intéresse aux célèbres hors-la-loi du Nordeste brésilien, Maria Bonita, Lampião et leur bande de Cangaceiros, selon un procédé assez voisin, rapportant comme des documents d’enquête : témoignages d’un compagnon de route, description d’images collectées dans la presse populaire ou au musée anthropologique de Salvador de Bahia, carnets d’un cinéaste assassiné alors qu’il préparait un film sur eux, article de la Revue de l’institut des sciences sociales de São Paulo qui explique : « Ils sont déjà pure image et cela sera encore renforcé par leur disparition tragique. En effet, leur exécution est pensée avant tout dans l’idée de briser cette image, montrer leur faiblesse, souiller le glamour, en exposant leurs têtes et en diffusant largement les photos de ces atrocités. Mais, paradoxalement, cela jouera en leur faveur, comme pour le Che qui acquiert ainsi, post-mortem, une aura christique. En surexposant leur mort, en tentant de salir, l’État brésilien de Getúlio Vargas ne fait qu’affirmer la part infâme de la répression et l’héroïsme des hors-la-loi. Ils sont même sanctifiés par la manière ignoble dont on a disposé de leurs corps (exposant leurs crânes dans un musée) et, comme des saints, ils deviennent ainsi des corps souffrants mais triomphants, triomphants car souffrants ! »



Une belle collection de hors-la-loi défiant l’ordre économique, social et politique. En espérant que d’autres volumes suivront.



Article à retrouver sur le blog :
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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Tranchecaille

Je continue mon tour d'horizon des polars ayant pour cadre la Grande Guerre, avec ce Tranchecaille de Patrick Pécherot. Autant le dire tout de suite, à côté du triste La cote 512 de Thierry Bourcy, celui-ci m'a fait l'effet d'un petit bonbon sucré. Déjà, Pécherot a du style, il s'est donné la peine de chiader un peu son intrigue, et il s'est, lui, un minimum documenté sur son sujet, sans pour autant en faire des caisses comme le faisait Bourcy avec sa bibliographie à la fin de son roman, tout en collectionnant les anachronismes grossiers.

Le début m'a enthousiasmé. Ce choix d'adopter le point de vue des témoins de l'affaire, des amis, connaissances et supérieurs hiérarchiques du suspect, interrogés par l'avocat de la défense et son greffier, m'a paru très prometteur, d'autant que chacun d'entre eux y allait de son tempérament et de sa gouaille.

J'ai commencé à me poser un peu plus de questions quand ces chapitres très enlevés se sont mis à alterner avec des chapitres de description de scènes de tranchées dont on ne connaissait pas les protagonistes, et dont on ne voyait pas bien le rapport avec l'intrigue. Pourquoi Pécherot m'éloignait-il du sujet ? Voulait-il sombrer dans le document sur la grande guerre, que d'autres ont forcément fait bien mieux que lui ?

J'ai ensuite trouvé qu'il y allait parfois un peu fort sur l'argot du soldat sans l'expliquer, et pourtant je me targue d'en connaitre pas mal, mais il a réussi à ce que je ne comprenne pas certains passages quand même.

Et je n'ai pas adhéré à certains choix, comme cette narration à la deuxième personne du pluriel qui arrive d'un seul coup, comme un cheveu sur la soupe.

De même, fallait-il d'emblée briser tout suspense en démarrant le livre par l'exécution du suspect ?

Même si tout ce fatras s'éclaire petit à petit à la fin (logique, c'est un polar), notamment à la faveur de cette histoire de marraine de guerre qui est une belle trouvaille de l'auteur, et même si ce Tranchecaille est un personnage attachant et suffisamment complexe pour être intéressant, ces embûches m'auront empêché à tout jamais de retrouver le bel élan acquis à la suite des quelques premiers chapitres, ce qui fait que ce sera pour moi un avis mitigé.
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Das Feuer

Le texte est grave, fait de phrases courtes remplies d'adjectifs soulignant le sordide, le fangieux de la guerre. le graphisme et réalisé au crayon, gris, hachuré, sombre. le texte est inspiré du roman d'Henri Barbusse ”Le feu”, Prix Goncourt 1916, mais insiste surtout sur l'aspect dégueulasse. L'action se réduit à une seule fuite devant l'ennemi à travers le terrain défoncé rempli de cadavres. Les auteurs ont choisi le camp allemand, contrairement au roman d'Henri Barbusse, cela accentue le point de vue sur l'universalité de l'horreur et l'ineptie de la guerre car c'est sur ce dernier point que Patrick Pécherot et Joe Pinelli cherchent à insister. le résultat est fort, prégnant et le constat n'en est que plus amer et la démonstration radicale : “Il ne faut plus qu'il y ait de guerres
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Les brouillards de la Butte

Un livre bien sympathique, même pour moi qui ne suis pas fan de polars historiques. Si j'ai bien compris, il s'agit de la première aventure policière de Nestor Burma - sans le dire, bien sûr, parce qu'il doit y avoir des droits moraux, des droits à l'image, des droits d'auteur et que sais-je encore ? mais pour qui veut bien lire entre les lignes, ce jeune poète arrivé de sa province (Montpellier), qui devient, un peu par hasard, détective privé et qui se fait faire un faux passeport au nom de...Burma, me semble avoir quelques similitudes avec notre héros. L'affaire, peu convaincante mais drôle : des cambrioleurs trouvent un cadavre dans le coffre qu'ils convoitent (houps ! un bien gros coffre alors... Bon, ça passe quand même) l'affaire, donc se passe dans le Paris des années trente, dans des milieux purotins :petits délinquants, anarchistes, poètes faméliques et même poètes surréalistes. Et est narré, découvert par nos traine-savates, le scandale du bassin industriel allemand, préservé pendant la guerre et racheté pour une bouchée de pains par les industriels français. (Assez véridique). Tous ces morts pour rien toute cette horreur... le livre est tout imprégné encore de cette ambiance post 14-18, blessés, gueules cassées et profiteurs de guerre. C'est sans doute ce qui le rend sympa, livre d'ambiance, dans les brouillards et la neige d'un Montmartre aujourd'hui disparu.
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