Citations de Paul B. Preciado (156)
Faire une transition revient à comprendre que les codes culturels de la masculinité et la féminité sont anecdotiques comparés à l'infinie variation des modalités de l'existence.
Le migrant a perdu l’État-nation. Le réfugié a perdu sa maison. La personne trans perd son corps. Ils traversent tous la frontière. Les frontière les constitue et les traverse. Les destitue et les renverse.
Le monstre est celui qui vit en transition. Celui dont le visage, le corps et les pratiques ne peuvent encore être considérés comme vrais dans un régime de savoir et de pouvoir déterminés.
Je ne suis pas du tout ce que vous imaginez. Je ne sais même pas ce que je suis. Il n'est pas plus facile de savoir ce que chacun est que de déterminer la position exacte d'un électron dans un accélérateur de particules.
La liberté de genre et sexuelle ne peut être en aucun cas une répartition plus équitable de la violence, ni une acceptation plus pop de l'oppression. La liberté est un tunnel qui se creuse avec les mains. La liberté est une porte de sortie. La liberté (...), ça se fabrique.
Et ma porte de sortie fut, entre autres choses, la testostérone. Dans ce processus, l'hormone n'est en aucun cas une fin en soi : elle est une alliée dans la tâche de s'inventer un ailleurs. Ainsi ai-je progressivement abandonné le cadre de la différence sexuelle.
Le sexe de V.D. parle le langage de la révolution.
Au sein de ce régime, la masculinité se définit nécropolitiquement (par le droit des hommes à donner la mort) tandis que la féminité se définit biopolitiquement (par l'obligation des femmes à donner la vie). On pourrait dire de l'hétérosexualité nécropolitique qu'elle est quelque chose comme l'utopie de l'érotisation de l'accouplement entre Robocop et Alien, en se disant qu'avec un peu de chance, l'un des deux prendra son pied...
L'homosexualité et l'hétérosexualité, l'intersexualité et la transsexualité n'existent pas en dehors d'une épistémolgie coloniale et capitaliste, qui privilégie les pratiques sexuelles de reproduction comme stratégie de gestion de la population, de reproduction de la main-d'oeuvre, mais aussi de reproduction de la population qui consomme. C'est le capital et non la vie qui se reproduit.
La persécution des sorcières peut donc être interprétée comme une guerre des savoirs experts contre les savoirs populaires et non professionnalisés, une guerre des savoirs patriarcaux contre les savoirs narco-sexuels, traditionnellement exercés par les femmes et les sorciers non autorisés.
Impossible d'imaginer l'essor du capitalisme sans l'institutionnalisation du dispositif hétérosexuel comme mode de transformation en plus-value des services sexuels, de gestation, de prise en charge réalisés historiquement par les femmes, et non rémunérés. Nous pourrions évoquer une dette du travail sexuel non payé que les hommes hétérosexuels auraient contractée historiquement vis-à-vis des femmes de la même façon que les pays riches se permettent de parler de la dette extérieure des pays pauvres. Si la dette pour services sexuels était soumise à intérêts, toutes les femmes de la planète recevraient une rente à vie qui leur permettrait de passer le restant de leurs jours sans travailler.
Nos sociétés contemporaines sont des laboratoires sexopolitiques gigantesques où sont produits les genres. Le corps, les corps de tous et de chacun d'entre nous, sont les enclaves précieuses où s'effectuent sans cesse des transactions de pouvoir. Mon corps = le corps de la multitude. Ce que nous appelons sexe, aussi bien que genre, masculinité, féminité, sexualité, sont des " techniques du corps ", extensions biotechnologiques propres au système sexopolitique dont l'objectif est la production, la reproduction et l'expansion coloniale de la vie hétérosexuelle humaine sur la planète.
Pendant qu'on baise, je sens que toute mon histoire politique, toutes mes années de féminisme avancent directement vers le centre de son corps pour s'y déverser, comme si elles trouvaient sur sa peau leur unique, leur véritable plage. Quand je jouis, Wittig et Davis, Woolf et Solanas, la Pasionaria et Kate Bornstein, bouillonnent avec moi. Elle est couverte de mon féminisme comme d'une éjaculation fine, un océan de paillettes politiques.
La testostérone est une des rares drogues qui se diffuse par la sueur, de peau à peau, de corps à corps.
Le nouveau sujet hégémonique est un corps (souvent codifié comme masculin, blanc et hétérosexuel) pharmacopornographiquement supplémenté (au Viagra, à la coke, à la pornographie, etc.), consommateur de services sexuels paupérisés (souvent exercés par des corps codifiés comme féminins, enfantins, racialisés)
Que faire de toutes les années où je me suis définie comme féministe ? Quel genre de féministe suis-je aujourd'hui, une féministe accro à la testostérone, ou un transgenre accro au féminisme ?
[...] sont peut être moins spectaculaires que celles du cirque et du zoo, mais pas moins efficaces. Je ne pense pas que la comparaison soit excessive, non seulement parce qu'en tant qu'homosexuels, transsexuels, travailleurs du sexe, corps racisés ou travestis, nous avons été aussi altérisés et animalisés, mais encore parce que ce que la médecine, la psychiatrie et la psychanalyse ont fait avec les minorités sexuelles au cours des deux derniers siècles est un processus comparable d'extermination institutionnelle et politique.
Contrairement à ce que pense la psychanalyse, je ne crois pas que l'hétérosexualité soit une pratique sexuelle ou une identité sexuelle, mais, comme Monique Wittig, un régime politique qui réduit la totalité du corps humain vivant et son énergie psychique à son potentiel reproducteur, une position de pouvoir discursive et institutionnelle.
Je vous demande encore quelques minutes d'attention, si toutefois vous pouvez écouter un corps non-binaire et lui accorder un potentiel de raison et de vérité.
[...] lorsque la différence sexuelle et les formes d'amour hétérosexuel et homosexuel que vous considérez plus ou moins normales ou pathologiques sont reconnues pour ce qu'elles sont: de grands artefacts de fiction que nous avons construits collectivement et que, s'ils furent un jour, qui sait, nécessaires à la survie d'un certain groupe d'animaux humains, ne sont plus aujourd'hui qu'une armure encombrante ne produisant plus rien d'autre que de la mort et de l'oppression. Des artefacts inventés et légitimés politiquement, des conventions historiques, des institutions culturelles qui ont pris la forme de nos propres corps au point que nous nous identifions à elles.
Le corps trans est à l'anatomie normative ce que l'Afrique était à l'Europe: un territoire à découper et à distribuer au plus offrant.