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Citations de Paul Gadenne (110)


Il comprit alors que la perte, ou plutôt la disparition de Marcelle avait transformé sa vie; en même temps que cet événement le désespérait, il lui inspirait une sorte d'énergie à rebours. Il ne serait jamais le mari de Marcelle, peut-être même jamais son amant d'une heure, il ne luttait plus pour cela. Il luttait avec un terrible entêtement, avec l'énergie du naufragé, pour une heure de paix avec elle. Une grande patience, une patience implacable lui était venue. Il ne se disait pas qu'il aurait dû avoir honte. La honte disparaissait sous la poussée d'un sentiment plus fort. Les autres l'ignoraient, le piétinaient; il était sous leurs mains, comme un insecte. Seul, au fond de son cœur, il savait ce que, sous l'apparence de gestes démesurés, il demandait réellement à cette femme; c'était une chose dont personne n'aurait pu avoir le courage de rire. Mais ici, les mots ne suffisaient plus. Et déjà dans son grand désir, dans sa lutte contre ce monde fermé, au fond de la plus amère privation, il trouvait ce qu'il n'avait jamais trouvé, ce que Marcelle elle-même n'aurait pu lui donner à ce degré la sensation d'une mystérieuse présence. Et il lui semblait par moments qu'il la volait, et qu'à son insu même il lui retirait un peu de sa vie, pour lui en donner une autre que ni elle ni lui n'avaient voulue.
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Est-ce que je n'étais pas en train de me disqualifier? Je me le demandais parfois avec désespoir craignant de trouver un jour devant moi quelque juge à la face terrible, connaissant l'emploi que j'avais fait des minutes de mon existence depuis trois ans. Qu'aurais-je pu répondre ? J'avais commencé un livre pour me justifier et ne l'avais pas terminé. J'avais tendu mes efforts, mes espoirs vers Marcelle, c'est-à-dire vers cette minute de paix que je cherchais parmi les détours de son caractère et du mien, à travers un labyrinthe d'événements obscurs. J'avais cherché Marcelle à tous les carrefours, dans tous les cafés, sur toutes les avenues; j'étais prêt à la chercher dans toutes les villes, afin d'obtenir d'elle, fût-ce par la violence, cet instant d'harmonie qui devait être le signe, le point de départ pour moi d'une vie nouvelle. Oui, je savais maintenant ce que je cherchais sur la terre; je cherchais la Réconciliation. Ces hommes qui jouaient à la belote ne savaient pas pourquoi ils étaient sur la terre. Il fallait que je fusse bien déprimé pour avoir eu un instant l'idée de me comparer à eux. Les voyant, je me sentais relevé vis-à-vis de moi-même. Je le sentais d'abord à la colère que me faisait éprouver leur vue. Ces hommes étaient morts, moi je vivais. Je n'avais pas besoin de chercher comme eux à « tuer le temps». Ah, non! mais c'était le temps qui me tuait, et cela me faisait sentir ma vie davantage. Je vivais. J'avais une vie misérable, mais je vivais. Mon cœur à l'intérieur de moi était tout rouge. Quoi qu'il pût advenir, j'aurais goûté la vie, j'aurais humé sur mes lèvres cette saveur de vase et de sang; même au plus fort de mon dégoût, j'aurais connu les ivresses de la conscience. J'étais conscient même de mes hontes. Je sentais une gêne en moi du côté de Marcelle. Je voulais supprimer cette gêne, et c'était par là que je sentais ma dépendance. Rien ne pouvait faire que je comme fusse si cela, cette gêne, ce souci, comme si Marcelle n'avaient pas été. Je pouvais bien (si les choses impossibles sont de notre ressort) décider, par un décret de ma volonté, l'inexistence, la suppression de Marcelle. Ma conscience me disait que Marcelle existait, qu'on ne supprimait pas Marcelle. J'avais beau me dire que Marcelle n'était pas le véritable objet de ma poursuite, que Marcelle n'était là qu'à la place d'une autre, qui n'était là elle-même que pour autre chose, cela ne la supprimait pas. Décider, par un effort de ma volonté, que Marcelle n'existait pas, c'était me condamner à penser à Marcelle, c'était entériner son existence. Il n'y avait qu'un moyen de supprimer Marcelle, c'était de la faire exister plus fort, de lui donner ma vie. Ou si elle ne voulait pas de ma vie, c'était de vivre une heure, une minute parfaite avec elle; c'était de me rapprocher d'elle, ne fût-ce que pour une heure, une minute, mais assez fort pour qu'il n'y eût plus aucun vide à combler entre nous. C'était cela que je voulais. Il fallait abolir, pendant une heure, tout ce qui nous avait séparés, éloigner de nous toutes les pensées qui ne nous étaient pas communes, afin de réaliser une union sans défaut, d'offrir une fois au monde, avant son engloutissement, un exemple lumineux, de quoi le faire rougir de sa folie : comme si sa folie et la nôtre n'étaient pas la même folie, ne procédaient pas du même foyer allumé à l'aube des temps... Tels étaient l'image, le désir, qui m'avaient guidé jusqu'à Cette ville, qui m'avaient conduit de la rue Boulard à ces rues tristes et inconnues où j'attendais Marcelle. Une heure de ce bonheur, mettons une journée (qu'est-ce qu'une journée ?) mettons une nuit et je tenais Marcelle quitte pour toujours. J'étais sincère, affreusement sincère et affreusement décidé décidé à obtenir, par tous les moyens, cette heure parfaite, qui devait faire de moi un homme libre. J'imaginais la chambre lointaine et sans attache avec la terre où, au plus profond de la nuit, je tiendrais pour une fois le corps et l'âme de Marcelle entre mes bras où je tiendrais pour une fois les yeux de Marcelle sous mes yeux. Je m'en irais content avec cela, j'étais prêt à le jurer; après cela l'univers pourrait se remettre à exister sans Marcelle.
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N’insistez pas, je vous en prie, mes soirées sont prises. J’ai rendez-vous avec quantité de façades déchues, de cafés déserts, de fenêtres closes, de canaux obscurs et de ruelles insipides où personne ne m’attend, mais où je suis pressé d’aller, pressé d’attendre, pressé d’écouter le temps qui passe.
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À présent j’habite un pays où les branches noircissent rapidement, se dessèchent ; une immensité de poussière s’élève et perpétuellement retombe. On essaye de se taire, mais il est trop tard. Voici déjà une charrette prise au tournant ; puis c’est un couple d’amants encore tout frais. "Jure-moi …" disait-elle. Mais il n’eut pas le temps d’étendre la main. Nous sommes un peuple trop vieux pour les serments. Et nos enfants naissent soucieux. Eux aussi sont guettés par la poussière
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Certes, le plus grand plaisir que je pourrais avoir en ce moment, ce serait de me promener avec elle, de la reconduire quand elle vient, d'aller au Bois avec elle. J'ose à peine imaginer ce plaisir, qui serait si simple à obtenir si je pouvais mar- cher. Tant que l'impossibilité où je suis de marcher ne s'est pas trouvée en présence d'une possibilité de plaisir semblable, j'ai pu me résigner à ma réclusion sans trop souffrir. Mais depuis quelques jours ma souffrance morale est devenue telle que je me demande par quels crimes, par quelle dérogation épouvantable aux lois divines et humaines elle est justifiée - s'il est vrai qu'il faille attribuer à une volonté consciente les maux que nous subissons et interpréter le mal comme un châtiment. Oui, mon Dieu! qu'ai-je fait dont je sois responsable? Depuis longtemps je cherche les mots d'une prière, je cherche la formule d'un acte de foi assez solennel pour vous atteindre et je ne trouve rien qui soit digne de votre audience. Je ne sais pas quels mots il faut prononcer pour que vous daigniez vous pencher sur nos larmes et je ne suis pas sûr d'être entendu. Y a-t-il des termes particulièrement élus qui aient accès auprès de votre souveraine bienveillance ou l'élan du cœur suffit-il un geste pour toucher votre attention et déclencher de vous qui pouvez tout? Y a-t-il pour vous interroger des voies plus directes, des formules plus décisives que les balbutiements où notre faible intelligence s'égare?... Est-ce seulement cela que je voulais vous dire? Dès que je m'approche de vous, il me semble que je perds la conscience de moi-même, que je ne trouve plus ces mots, ces mots qui me mettraient comme de plain-pied avec vous. Mais si vous avez jamais été attentif à une imploration pardonnez ce que la mienne a d'imprécis et ne voyez, je vous en supplie, que sa sincérité et son élan. Ayez la bonté de m'éclairer et de ne pas faire de moi une chose affreuse, condamnée à l'immobilité perpétuelle et prête à recevoir toutes les noires suggestions du découragement et de l'ombre, au moment même où pour la première fois je commençais à trouver si intéressante la vie que vous m'avez donnée...
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...Tout s'était aboli. Tout s'était aboli, comme s'il pouvait exister au monde quelque chose de plus important que ses sourires, quelque chose de meilleur pour l'âme ou de plus urgent que de contempler sa grâce, cette grâce si changeante et si périssable qu'on ne contemple jamais deux fois et qu'à ce titre seul on devrait aimer par-dessus tant de choses.

Qu'est-ce que tout cela qui n'est pas éternel? Car cette contemplation-là, plus que beaucoup d'autres soucis, nous rapproche de l'éternel et nous fait entrer un peu plus avant dans le mystère du monde, perçu à travers des apparences qui ne sont pas vaines. Précipité dans le courant de la vie qui propose à notre vénération tant de fausses idoles et tant de grandeurs frelatées, j'oubliais ce qui m'avait si longtemps charmé. A peine surnageait-il dans mon souvenir quelque blonde mèche fouettée au vent mais à peine visible quoique plongeant ses faibles et charmantes racines au plas profond, au plus vif de mon être. Tout le reste semblait arraché, avait reculé devant la vie, une vie avare, qui nous retire ses biens à mesure qu'elle nous les donne, ayant roulé dans les froids abîmes de l'oubli, avait sombré dans une mort fragmentaire, provisoire mais réelle. Ni la fleur cueillie dans les dunes, ni les cartes qui de temps en temps m'apportaient des baisers sommaires et sans parfum, n'avaient pu maintenir à la surface un visage si familier jadis et si charmant. Il n'était plus dans mon imagination, il n'était plus associé aux meil leures de mes joies, ni même de mes peines, je ne le sentais plus vivre...
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Il avait pu être soldat, prisonnier, s'évader, et le reste, - cela faisait de ces années un temps plus ou moins bourré d'événements au cours desquels il avait fait cent fois l'expérience de sa mort, il avait eu cent fois la sensation de couler à pic, en sentant que le monde, très injustement, continuerait à vivre, mais un monde décidément frappé de suspicion et d'invalidité, un monde où il ne serait plus. Il était probable que l'histoire en jugerait tout autrement, qu'elle jugerait autrement que par sa vie et par sa mort, et même autrement que par la mort de Miraud (Jean), sergent de ville, tombé à l'âge de vingt-quatre ans sous les balles de l'ennemi, en faisant le coup de feu à l'entrée de la rue Bonaparte, pour en défendre les vitrines fragiles et jamais essuyées. Et il se demandait, tout en inspectant nonchalamment avec Irène l'intérieur de ces cartons répugnants de vieillesse - mais était-ce encore lui qui était là? - si Miraud (Jean) avait eu en tombant ce sentiment que lui-même avait eu tant de fois, et particulièrement le jour de sa blessure à l'épaule, qu'il emportait la vérité du monde avec lui, la réalité et le bien-fondé de ce monde, et n'en laissait derrière lui, à l'usage des autres, qu'une frêle contrefaçon, un reflet sans valeur, à peine utilisable pour des ombres. Ce Miraud n'avait-il pas eu le sentiment, tout à fait indé- pendant de son sacrifice, que c'était bien les autres, et avec eux ce monde qu'il abandonnait, qui devenaient ombres, et non pas lui, lui qui quittait ce monde en pleine lucidité et dans le feu de l'action? Il y avait là un enchaînement de pensées difficile à suivre, et peut-être Guillaume ne désirait-il pas trop le suivre jusqu'au bout.
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Beauté de la chair humaine, douceur d'un épiderme, secrets du corps, si bien gardés pendant le jour, si naïfs, si désarmants la nuit.
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Ils s'étaient connus autrefois parmi des paysages dont il aimait penser qu'ils avaient longtemps continué, de loin, à commander leurs vies séparées, et dont ils s'étaient plu, un temps, à chercher les échos chez certains maîtres.Sans doute, en peignant cette Plage de Scheve ningen, Ruysdael n'avait-il pas songé, à renouveler l'art de peindre; mais ils avaient trouvé là, à un moment de leur vie-comme ils étaient jeunes! -une nourriture pour leur imagination.
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De sorte qu'un homme aurait beau avoir toutes les femmes, il n'en aura jamais qu'une seule , et le nombre de ses expériences donne seulement la mesure de son échec…
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Si Jésus Christ était jugé aujourd'hui, pensait-il, il n'y aurait pas, grâce aux reportages radiophoniques, de coin du monde où l'on ne puisse applaudir au cri stupide réclamant Barabbas ! …
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Elster était resté très calme.
- On ne saurait avancer nulle part en terrain sûr sans avoir déblayé le chemin, dit-il. L'intelligence nous conseille d'attendre.
- Mais la vie nous ordonne d'avancer !
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Nous fîmes lentement le tour de la merveille. Elle pesait sur la plage de tout son poids, comme si elle ne travaillait plus qu'à disparaître, comme si elle avait décidé d'appartenir dorénavant à la terre − ainsi que lui appartenaient ces rochers bas et anguleux, ces maigres plantes, si raides, qui derrière nous étaient plaquées sur le schiste, et que la brise ne faisait même pas frissonner. Mais les rochers étaient bruns : elle était blanche, d'un blanc fade, comme le blanc du lait épanché. Ce blanc-là était bien à elle. C'était un blanc sans lumière, un blanc gelé, entièrement refermé sur lui-même, tournant le dos à toute gloire, avec une résignation à peine pathétique, vraiment le blanc d'une baleine qui ne faisait pas d'histoires, qui fuyait l'éloquence et défiait terriblement les mots ; une baleine d'un naturel très simple, en somme, très proche de nous − une de ces baleines qui font penser : "Dire que nous aurions pu faire une si bonne paire d'amis !..."
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Il savait tout ce qui l'avait fui, mais rien n’émerveille comme ce qui demeure.

Chapitre XXV
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Ce qui est en train de mourir, mon petit, c’est la neutralité. Un homme qui reste neutre, c’est un homme qui pourrit.

Chapitre XIV
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Le silence n’existe que par les mots qui sont autour.

Chapitre IX
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Ce qu'il n'arrivait pas du tout à comprendre, c'était qu'on puisse placer un homme en pleine santé devant sa mort, l'abandonner seul avec cette unique attente, puis l'amener un matin, avec ou sans cérémonie, dans un lieu choisi, toujours sordide, pour lui trouer le corps minutieusement.

Chapitre XII
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Il y avait des gens qui vivaient ainsi, qui […] passaient leur vie derrière ces guichets, et qui même avaient dû attendre pour y admis, avaient dû donner des garanties, écrire des lettres, solliciter, faire des études, - et cela était sans doute nécessaire à la marche du monde. Quand on était content d’eux, on leur donnait cette place derrière un grillage ; ils vivaient et mourraient là, ponctuels, guerre ou pas guerre ; quand ils mourraient on les remplaçait par d’autres, bien contents de l’aubaine, car eux aussi avaient attendu très longtemps leur tour…

Chapitre V
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Il se trouvait un peu gêné, sans trop savoir pourquoi, d’entendre parler d’Armande devant la jeune inconnue qui, assise sur son pouf, était prodigieusement occupée à maintenir une tasse bleue en équilibre sur soucoupe rose. Tous les services aujourd’hui étaient dépareillés, affirmait Mme Barsac, oubliant qu’il en avait toujours été ainsi chez elle, et que c’était plutôt pour elle une heureuse conséquence de la guerre que le monde fût mis à l’unisson de son élégant désordre.

(Chapitre III)
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En aucun temps la vie ne constitue une justification. Ce qui est extraordinaire, en tout temps, […] ce n’est pas de mourir, c’est d’être en vie.

(Chapitre I)
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