Citations de Paul Nougé (53)
Watteau peut-être
Blanche, longue
une main, arbre fleur fruit
exténuée
TYLDA
Je suis assise sur ta bouche
sur tes regards sur tes mains
je suis l’envers de ton destin
si tout entière tu me touches
1. On conquiert le monde, on le domine, on l'utilise; ainsi, tranquille et fier, un beau poisson tourne dans ce bocal.
2. On conquiert le mot, il vous domine, on s'utilise; ainsi, tranquille et fier....
["Réponse à une enquête sur le modernisme", Correspondance, 22 novembre 1924]
Quelque autre musique jetait Éric, roi de Danemark, dans un tel paroxysme d’énervement qu’il tuait aussitôt ses meilleurs serviteurs.
…Il n’est pas difficile de retrouver les circonstances de cette expérience admirable. A cette époque, Albukerke souhaitait de perfectionner une foreuse à métaux et, bien mise au point, il se plut longtemps à en considérer la marche parfaite. La mèche pénétrait l’acier avec un sifflement élevé mais très doux. Il se prit ensuite à observer le travail des rouages. Les mouvements complexes du plus petit d’entre eux le retint longtemps. Cette machine qu’il avait conçue avec tant de soin, il était devant elle comme devant une chose étrangère, une sorte de mystère qu’il goûtait curieusement. Il prit une pincée de sable qu’il lança au milieu des pièces mobiles et la machine éclata. Il chercha longtemps, dans les débris, le plus petit des rouages. Il quitta son atelier. Il ne dit à personne ce qui s’était passé. Il réussit même à ne pas s’en entretenir.
Il nous est impossible de tenir l’activité littéraire pour une activité digne de remplir à elle seule notre vie, ou plus exactement, elle nous paraît être un moyen insuffisant pour épuiser à lui seul cette somme de possibilités que nous espérons mettre en jeu avant de disparaître.
Perdues
Perdues
les armes déclinantes,
les grandes femmes vêtues de leur corps
et qui vers vous jamais ne tournent
leur visage
perdu
gagné
l’on retombe dans sa tête.
Le perroquet de ma voisine
Le perroquet de ma voisine
mange une branche de persil
et le phono de mon voisin
vient écraser la queue du chien ;
le malheur pleut sur notre ville.
Les quatre demoiselles
La perfide et la rouée
la précieuse et la pâmée
- les jeux menés par la raison
s’abattent au gré des saisons
Non plus de quelque architecture aérienne et trop pure
Non plus de quelque architecture aérienne et trop pure,
quelque complexe et subtil jeu de lignes à travers quoi
pour l’éternité joue le vide.
Il s’agit de descendre. Plus bas. Encore plus bas.
Nous sommes au niveau de la terre noire,
au niveau des odeurs humides, de la fraîcheur obscure,
au niveau de la naissance des pensées verdoyantes.
Nous sommes chez nous.
Il y aura peut-être quelque part
Il y aura peut-être quelque part
un poêle qui brûle
un repas
un lit
un sourire
Il croit distinguer un fin réseau de veine.
Il croit distinguer un fin réseau de veine.
Il se prend à désirer de toucher cet éventail presque impalpable.
Et le bras qui soutiennent cette fine ramure bleue.
Et le corps dont vivent les bras et le visage qu’il distingue mal
à cause de la lumière ou de sa honte.
Et voilà qu’il regarde sa main s’avancer vers la main de la femme.
Il va la toucher.
Elle retire la main.
Présence
Le jardin appuie à la fenêtre son épaisseur de fumée.
La nuit vient doucement s’appuyer au jardin.
Marie (elle est assise à la fenêtre) entrouvre un peu sa robe,
ses épaules se découvrent.
Elle attend au tournant de la nuit.
Elle attend. Passe un doigt lentement sur ses lèvres.
Son doigt sur ses lèvres fait le signe du silence.
Elle attend. Passe les doigts à peine sur ses cheveux,
sur ses bras qui sont nus.
Garde les yeux ouverts sur le cœur de la nuit.
Et le jardin recule à peine,
quitte la fenêtre, comme la nuit tendrement se sépare du jardin.
C’est qu’un peu d’aurore rougit le mur, la fenêtre,
toute la femme appuyée au matin.
Attente incertaine de la pluie
Attente incertaine de la pluie
puis l’outre noire épanche
ses larmes violentes.
Angle des toits
et les rues enfuies et tournantes
les rues, encore,
ville née d’un éclair et morte avec lui.
C’est une lueur tournante
C’est une lueur tournante qui s’engage dans les ruelles au crépuscule.
On ne pourrait dire si un visage habite cette clarté étrange,
ou bien des mains monstrueusement pâles qui frappent aux vitres
obscures, qui regardent.
Au fond des chambres sans lumière,
les visages se cachent au fond des mains.
Puis un vent bleu de nuit possède la rue déserte.
Allumette
Allumette, le feu qui dort,
le miroir est l’eau qui dort,
qui rêve ton image, si tu te regardes.
Il y a dans une chambre obscure
Il y a dans une chambre obscure un homme assis devant
une table,
accoudé, la tête entre les mains.
Tu peux distinguer entre le col et las cheveux
les moindres lignes de sa peau.
Il n’existe entre lui et nous
qu’une grande épaisseur de silence.
La liberté
La liberté
le silence
l’espace d’une allumette
Je t’attends
Je t’attends
je t’attends
depuis si longtemps
La tête embarrassée de projets
La tête embarrassée
de projets
de craintes
et de songes.
Le jour se lève.