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Citations de Paul Verlaine (930)


Scène VIII
la terrasse du café de suède à cinq heures du soir
garçons de café, courant en tous sens.
— Un bitter pavillon ! — Baoumm ! — Versez frontière !
— Le Hanneton ? Il est en mains.

premier échotier
Une portière…

premier joueur de dominos
As partout.

deuxième joueur de dominos
As et six.

premier joueur de dominos
Je boude.

deuxième joueur de dominos
Double six !

deuxième échotier
Ah ! mon mot de la fin est coupé par Francis
Magnard ; mais, pour ne pas me faire de réclame,
Il a soin de ne pas citer mon nom, l’infâme
Coupeur, qui n’a pas fait le Dernier Mohican.

gustave aimard
Présent !


alphonse duchesne
La loi Tinguy n’est pas bonne…

premier échotier
Un cancan…

un dîneur
Comment faire ce soir pour me garnir la panse ?

une dîneuse, qui en est à sa troisième consommation.
Hélas ! et nul crevé pour payer la dépense !

un jeune homme, à un de ses amis.
Colcassé se battit hier avec Vestoncourt
Au premier sang pour Cou-de-Marbre…

premier échotier
Le bruit court…

premier vaudevilliste
J’ai le titre : Le Gendre aux Nénuphars. La scène
Est à Bondy…

m. clairville
Présent !

deuxième vaudevilliste
Oui, pas mal. C’est obscène.
Parlons-en à Koning… — Et rien pour les genoux
De l’orchestre ?

premier vaudevilliste
On verra… Delval… — La faisons-nous ?

le chœur
Tiens ! Le Guillois !


le guillois
Je fonde un journal : l’Écrevisse
Dans la tourte.

le chœur
Excellent !

un homme de lettres
A-t-il assez de vice ?

le guillois
Charges par Penoutet. — C’est pour demain matin.

quelqu'un
La prime ?

le guillois
Une noisette à surprise.

premier échotier
Un potin…

(Le décor change.)

Scène IX
à l’arène athlétique
le régisseur, annonçant.
Monsieur Polyte, dit la Colonne impollue
Contre Larfaillou, l’Homme à l’aisselle velue.

(Les deux lutteurs s’empoignent.)
une dame sérieuse
Ce torse me rappelle un homme que j’aimais,


Ce torse tatoué d’un tendre emblème ! — Mais,
Si forts qu’ils soient tous deux, j’en sais un qui les tombe.

un naïf
Tiens, ce caleçon porte écrit : Gare la bombe !

(Les lutteurs redoublent d’efforts.)
une dame moins sérieuse que la précédente
S’ils portaient aussi bien que Dumaine le frac,
Ce serait un bonheur inexprimable…

un caleçon, se déchirant
Crac !!!
(La toile tombe avec un louable à-propos).

Scène X
l’antre d’un critique
M. Francisque Sarcey, vêtu de pantoufles et d’un coin de feu, et assis devant un harmonium Alexandre et Cie, laisse errer ses doigts sur cet instrument et improvise l’élégie suivante.)
Puisque dans le théâtre
Le plus français
Got n’est plus idolâtre
Du Dieu succès,



Qu’il va jouer le drame
À l’Ambigu,
Ce qui cause à mon âme
Un mal aigu ;

Puisque, malgré son zèle
Et ses appas,
La pauvre demoiselle
Royer n’est pas

Assez portée aux nues
Tous les lundis,
Puisque des femmes nues
Que je maudis

Au sein du ministère
Vont bafouer
Cette sociétaire
Qu’il faut louer ;

Puisque Augier s’exile,
Puisque Hernani,
Ce bandit imbécile,
N’a pas fini

De souffler, pitre obscène,
Dans son vieux cor
Sur la première scène
Qui soit encor ;



Puisque l’Alsace ingrate
N’a pas porté
About, ce démocrate,
Pour député,

Semblable aux fleurs vermeilles
Qu’on voit pâlir,
Je vais dans mes oreilles
M’ensevelir !

(Il s’y ensevelit en effet).
(Le décor change).

Scène XI
l'administration du chemin de fer de méry-sur-oise
(Le bureau des convois à la gare. — Un employé en casquette galonnée de larmes et de sabliers d’argent cause avec un monsieur en grand deuil).
l’employé faisant l’article
Nous avons pour conduire aux sépultures neuves
Un grand choix de wagons : — violets pour les veuves
Qui suivent leur maris — et blancs pour ceux qu’abat
La mégère Atropos pendant le célibat ;
— Puis, entre nous, car il se peut qu’on en médise,
Pour les pauvres, nos vieux haquets de marchandise.


Mais chez nous il n’est pas une chose qu’on n’ait
En payant bien ; et s’il s’agît d’un gros bonnet
Et qui sera suivi par d’illustres ganaches,
Nous avons des wagons superbes, à panaches,
Commodes, ventilés et ne manquant de rien,
Avec des boules d’eau chaude, où l’on est fort bien
Quand on veut jouir des beautés du paysage.
— Voici les règlements et les tarifs d’usage.
Voyez ; il sera fait selon votre désir.

le monsieur
Veuf d’aujourd’hui…

l’employé, obséquieux.
Monsieur veut un train de plaisir ?

(Le décor change).


ÉPILOGUE

(Le Paris de 1868 dans une apothéose a l’éclairage électrique. — Boulevards immenses et rayonnant en tous sens. — Casernes superbes. — Arbres emmaillottés à faux-cols de zinc. — Innombrables établissements de photographie).

les sergents de ville
De l’ordre gardiens taciturnes
Non moins que des chaises Tronchons,
Dans le sein du bloc nous fichons
Les tapageurs nocturnes.


les financiers
Aux lieux qu’il faut qu’on sous-entende
Notre papier fait ce qu’il sied
Tandis que nous levons le pied
Avec le dividende.

les petits crevés et les petites crevettes
Nos vestons courts jusques aux nuques
Nous donnent un galbe parfait.
Et nos chignons font leur effet
Même sur les eunuques.

les boulevardiers
Forts de notre mission sainte,
Nous sommes amis de Carjat,
Et Pelloquet plus que l’orgeat
Trempe dans notre absinthe.

les aïssaouas
Les tas d’ordures, les sentines
N’ont rien qui nous puisse écœurer,
Mais nous ne saurions digérer,
Ô Veuillot, tes tartines.

tous
Hanneton, vole, vole, vole,
Et va dans un rapide élan
Souhaiter bonjour et bon an
Au lecteur bénévole.

(Le Hanneton obtempérant prend son essor et envoie des baisers à droite et à gauche. — Feux de Bengale. — La toile tombe.)
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QUI VEUT DES MERVEILLES…

REVUE DE L’ANNÉE 1867
PAR PAUL VERLAINE ET FRANÇOIS COPPÉE

QUI VEUT DES MERVEILLES

REVUE DE L’ANNÉE 1867
par paul verlaine et françois coppée

PROLOGUE

Le HANNETON dans un vague paysage

Précieux abonnés, aimables acheteurs,
Au numéro, deux très-spirituels auteurs
Vous offrent le fruit de leurs veilles,
S’étant promis, afin de vous voir égayés,
D’imiter ces fusils récemment essayés
Et de faire aussi des merveilles.

Donc, sans ordre et donnant au diable les vieux us,
Ils vont vous faire avec ces rimes de Crésus
Dont maint Legouvé s’exaspère,
Le tableau de l’an mil huit cent soixante-sept,
Sans marcheuses offrant la fleur de leur corset,
Sans trucs vieillis et sans compère.

Au rideau ! Voici les trois coups du régisseur.
Ne demandez pas des nouvelles de leur sœur
À leurs scènes sans buts ni suites.
Les auteurs sont émus ; car c’est leur premier pas.
Mesdames et messieurs, ne les accablez pas
D’un déluge de pommes cuites.


Scène I
l’intérieur d’un wagon de train
de plaisir lancé a toute vapeur
le commis-voyageur à un père de famille
Vous venez à Paris pour voir le Champ-de-Mars ?

le père de famille
…De Condé-sur-Noireau, Monsieur.

le commis-voyageur
Les cauchemars
Causés par les courriers que signe Biéville
Sont moins affreux que les dangers de la grand’ville,
— Le saviez-vous ?

le père de famille
Mon bon monsieur, éclairez-nous,
Regardez. Ma famille embrasse vos genoux.

le commis-voyageur
Homme des champs ! il faut tout d’abord que je sache
Quels roubles, quels louis, quels écus à la vache,

Quel ventre de cagnotte ancienne, quel trésor
D’émigré qui dans sa paillasse mit son or,
Quels dollars d’Amérique et quels doublons d’Espagne,
Vous avez pris avant de vous mettre en campagne ?

le père de famille
Nous avons cinq cents francs pour quatre.

le commis-voyageur
Homme des champs,
Votre famille et vous, vous êtes très-touchans,
Et, rien qu’en prévoyant votre sort, je sanglote.
Universel, cosmopolite et polyglotte,
Paris est maintenant lin nouveau paradis
Où se paye un louis la botte de radis.
Votre gousset, chez les gargotiers où l’on dîne,
Sera nettoyé dès la première sardine.
Quant aux chambres d’hôtel, on ne peut y songer
Qu’en s’ornant le patron d’un ruban étranger.
Les nouveaux omnibus prennent trois francs la course,
Honte ! et les strapontins sont cotés à la Bourse.
Croyez-moi. Retournez vers les bords plus cléments
Du Noireau.

le père de famille
Renoncer aux embellissements
De Paris, aux splendeurs des époques modernes !
Nous mendierons la soupe aux portes des casernes.
Monsieur, et nous irons coucher dans les platras.

la mère de famille
Mais…

le père de famille
Pas un mot de plus, ma femme.

(La locomotive qui saute).
Patatras !!!

(Accident de chemin de fer. — Horribles détails.)
quelques voyageurs en compote
— Mon pied ! — Mon cubitus ! — Mon oreille ! — Mon né !
— Ma cuisse ! — Mon tendon d’Achille !

le père de famille
Heureux qui né
Dans un humble hameau n’en quitte point l’asile !

une jeune personne
Ah ! maman ! j’ai mal à la…

la maman
Taisez-vous, Lucile !

La fumée des wagons incendiés voile cette scène d’horreur, et le machiniste du Hanneton profite de la circonstance pour changer le décor.)

Scène II
(Une petite dame poursuit un fiacre et supplie le cocher qui fouette ses chevaux en sifflant l’air : Comme des perles, les étoiles…)
la petite dame
Cocher, cocher, cocher !

le cocher
Mon œil !

la petite dame
Joli cocher,
Cent sous pour vous !

le cocher
Du flan !

la petite dame
Ne peut-on vous toucher ?
N’avez-vous pas de cœur ?

le cocher très-spirituel
Non. J’ai la quinte à trèfles.

la petite dame
Puisque je ne vais pas au Champ-de-Mars !

le cocher
Des nèfles !
la petite dame
Cocher ! gros chien chéri ! vers toi je tends les bras,
Et je te donnerai tout ce que tu voudras.
Arrête ! gracieux cocher ! — Pas de réponse !
Je ne serai jamais à l’heure chez Alphonse.
— Arrête ! et si je pus te déplaire, pardon !
Hélas ! ayez pitié ! mon bel automédon !
Car je suis à vos pieds. — Je ne suis qu’une femme,
Mais je puis te donner mon amour et mon âme !
Conduis-moi seulement, et demain viens me voir
Chez moi, dans la journée ; et pour te recevoir,
Mon ami, je mettrai des peignoirs de batiste
Et tu seras traité, vois-tu, comme un artiste.

Aujourd’hui, conduis-moi, j’ai beaucoup de chemin
À faire. Conduis-moi ! tu m’aimeras demain.

le cocher descendu de son siège
Allons ! Je le veux bien ! Mais puisque tu m’adores,
Montons dans le sapin ; j’en vais baisser les stores.

(À cette mise en demeure, la petite dame tombe inanimée sur le macadam. — Changement de décor).

Scène III
la nacelle du ballon captif de l'exposition
premier prudhomme
Ah ! que l’homme est petit alors qu’on le contemple
De si haut !

second prudhomme
Et lui-même est-il petit, ce temple
Qui sert de rendez-vous à mainte nation !

Ici le câble du ballon se casse. L’aérostat disparaît dans les airs. Il faudrait Henri Monnier pour dépeindre l’effroi des deux Prudhommes ci-dessus : c’est pourquoi nous y renonçons, bien qu’avec peine.)
(Le décor change.)

Scène IV
l’exposition proprement dite
un anglais
Aoh ! yes, je venais voir l’Exhibition
Et je voulais savoir comment on s’y comporte
Pour n’être pas flanqué dans le sein de la porte.

gavroche
Si ce n’est que cela qui vous gêne, je puis
Dire à la Vérité de sortir de son puits.

(Il déclame sur un rhythme de Ronsard.)

Cherchons d’abord un mètre,
Pour dire, ô Gazomètre,
L’étonnante splendeur
De ta hideur.

Où trouver des fanfares
Pour vanter tes deux phares
Éclairant sur les quais
Les tourniquets

Quels fifres, quels trombonnes
Diront combien sont bonnes
Les œuvres d’art en zinc
Du groupe cinq,

Et combien est utile,
À l’humain projectile,
L’inodore décent
Du groupe cent ?

(Il continuerait probablement très-longtemps sur ce ton ultra-lyrique, si l’Anglais, moins curieux de la poésie française que des choses pratiques, ne l’interrompait à la quatrième strophe pour lui dire :)
Je n’aimais pas du tout ce bizarre façonne
D’exprimer vous ; parlez un langage plus bonne,
Et dites-moi d’abord ce que c’étaient que ces
Créatioures, et comme on les nomme en français.

gavroche
Biches, à votre choix, mylord, crevettes, grues,
Trumeaux, cocottes ou cocodettes. Les rues
Savent leur âge et les omnibus ont avec
Elles plus d’un rapport. — Total : cent sous. — Prix sec.

l’anglais, rougissant.
(Se ravisant :) Aôh schoking ! —
Je voulais rigoler avec cette

Petite cocodette ou cocotte ou crevette
Ou grue ou biche qui porte des suivez-moi
Jeune homme si longs.

(Gavroche lui fait dans le tuyau de l’oreille des révélations énormes, touchant la personne en question.)
l’anglais, ponceau
Aôh ! alors je tiens moi coi !

(Gavroche, qui tient à placer son rhythme de Ronsard, profite de la surprise douloureuse de l'insulaire pour s’écrier :)
Mais Sallot nous réclame,
Qui d’un revers de lame
Guérit les maux de dents
Les plus ardents.

Vers les lieux qu’il habite
Vole et se précipite
Un amas furieux
De curieux,

Dont l’Anglican profite,
Glissant au néophyte
Doucement dans la main
Son parchemin !…

(Un peu soulagé, Gavroche s’arrête et regarde le fils d’Albion qui paraît en proie à d’étranges pensers. Il jette autour de lui des regards anxieux, son corps, par une expressive pantomime, a bientôt révélé à l’esprit subtil de Gavroche ses inexprimables besoins).
gavroche
Ma vieille ! j’ai compris — là-bas, sous la verdure,
Sont deux dames dont l’une est jeune et l’autre mûre ;
Gardiennes d’un noir dépôt, qui voudront bien,
Moyennant des égards nombreux, ô mon gros chien,

Et deux ou trois louis t’ouvris de sombres portes
Et t’offrir du papier, couleur des feuilles mortes.
Et quant aux appareils, je déclare immortels
Leurs inventeurs, car ils sont merveilleux, et tels —
Je ne t’en ferai pas plus longtemps un mystère —
Qu’ils n’en ont pas, qu’ils n’en ont pas dans l’Angleterre !

(L’Anglais file vers les lieux désignés. Gavroche va ouvrir quelques portières. — Le décor change.)

Scène V
au théâtre-français. — la première d'hernani
tous les spectateurs, moins un
Bravo ! bravo ! bravo ! bravo ! bravo ! bravo !

un vieux refroidi (qui voudrait bien tirer sa clef de sa poche, mais n’ose, de crainte qu’on ne la lui fasse avaler.)
De mon temps on faisait des fables. — Ce nouveau
Public n’a pas le sens délicat. — Monsieur Luce
De Lancival, le seul poète que je lusse
Et que lussent les gens doctes d’alors, était
Un fier esprit que son époque reflétait.
Belle époque ! L’abbé Delille, un romantique
Pourtant déjà, tenait la grande lyre antique

Et Parny célébrait les belles et les ris !
Le bon goût régentait la province et Paris ;
L’Odéon jouait ma Suite à la Thébaïde
De Racine !… ô le temps passé ! —

delaunay, sur la scène.
Vieillard stupide !

(Le décor change).

Scène VI
chez mademoiselle hortensia, actrice de genre célèbre
Un très riche appartement : portraits d’hommes aux types aussi accentués que dissemblables, en costumes éclatants ; deux immenses cornes de bœuf, dorées du reste, se dressent des deux côtés de la cheminée qui fait face au spectateur — symboles d’hymens successivement nombreux en même temps que préservatifs efficaces contre quelque jettatura ambiante ; sur une table de marqueterie est entr’ouvert un coffret plein de bijoux).
judas gugenheim, revendeur, continuant une conversation commencée
Pas un maravédis de plus, en vérité !

hortensia, somptueux déshabillé.
Pourtant…

gungenheim, sordide.
Pas un de plus, j’ai dit.

hortensia
Quel entêté
Vous faites ! Des bijoux exotiques…

gungenheim
Quand même
Ils seraient Kurdes j’ai donné mon prix suprême.
Oui. Non. Réfléchissez, il en est temps encor.
(Désignant les bijoux d’un doigt méprisant.)
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louis xvii

Eh bien ! Et moi ?
(Se cramponnant aux barreaux de sa fenêtre, et à tue-tête :)
Vive le roi ! Vive le roi ! Vive le roi !


DEUXIÈME TABLEAU
Un champ de bataille en Vendée, au soleil couchant. Canonnade. Mousqueterie.


des voix, dans du bruit de fer qu’on manie.
Vive le roi !
d’autres voix, dans du bruit de fer manié aussi.
Vive la nation !
(Les combattants paraissent à travers la fumée : les Chouans et les Bleus presque en haillons. Dans tout l’acte, on ne voit point de drapeaux : c’est sous-entendu.)
À bas
La nation ! Vive le roi !
un bleu, sur la scène, blessé.

On n’en meurt pas.
Mais presque…

ordre à la cantonnade

Égayez-vous, messieurs les maîtres !
un officier bleu, à ses hommes.
« Maîtres ! »
Ils appellent ainsi leurs hommes.
un bleu, un peu saoul.
Mort aux prêtres !
voix, à la cantonade
Les prêtres, c’est Messieurs les Recteurs. Feu, garçons !
(Fusillade. Riposte.)
voix, à la cantonade.
Vive le roi !
bleus, en scène.

Vive la nation, cochons !
voix, au loin.
Égayez-vous ! Demain ils verront si nous sommes
Non seulement des cochons comme eux, mais des hommes !
le chef bleu
Or, les brigands nous ont débarrassés un peu !
Mais ces gens sont têtus : garde à vous, nom de Dieu !
Entendez-les qui nous gaussent… et qui se taisent,
Respirant…
un bleu

Quelques-uns ronflent…
le chef bleu

Chut, ils s’apaisent,

Ils sont partis, ils nous écoutaient. Quels soldats !
Qui diable peut les faire tels ? Ils n’ont mandats
Que du roi, qui n’est plus.

voix, au lointain et fusillade.

Vive le roi !
le chef bleu

Feu !
un officier bleu, au chef bleu.

Mince
Ressource, les mandats de leur roi mort !
le chef bleu

Du prince
Charles, ombre, captif, spectre ?
voix, à la cantonade et fusillade.

Vive le roi !
le chef bleu
Feu !
un bleu

N’en parlez plus, ça porte malheur.
le chef bleu

Ma foi,
N’en parlons plus. Montons la garde mieux en ordre,
Ils n’ont pourtant pas même d’assignats à mordre
Que ceux timbrés du Temple ou des Pitts et Cobourgs,
Blagues ! — Mettons que c’est des braves à rebours.
un bleu
À rebours ? Comprends mal. Ce semble de fiers mâles…
le bleu
J’entends braves à tort.
29 octobre 1895.
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LES SOTS

Extrait d’un manuscrit de la Bibliothèque de M. Henry Houssaye, remis au père de celui-ci, Arsène Houssaye, par Paul Verlaine pour être publié avec deux pièces de Mémoires d’un veuf, Jeux d’enfants et Corbillard, dans l’Artiste sous le titre Spectres et Fantoches.


La bonne journée que j’ai passée aujourd’hui ! Mon Dieu, la bonne journée.

J’avais justement feuilleté hier soir, pour la centième fois peut-être, un livre extrêmement spirituel de la fin du XVIIIe siècle anglais, et je m’étais endormi du sommeil inquiet, nerveux, que procurent d’ordinaire ces sortes de lectures. À mon réveil, pénible s’il en fut, une façon de Frontin-Jocrisse, qui est censé me servir de valet de chambre, m’avertit que quelqu’un désirait me parler. M’étant enquis, touchant le fâcheux, de son sexe et son nom, et obtenant du drôle des renseignements qui m’agréèrent, j’ordonnai qu’il fit entrer. Une demi-seconde après mes deux mains accueillaient d’une étreinte longue, affectueuse et sincère au possible, les deux mains gantées de chevreau-puce du plus ineffable imbécile que je connaisse.

Cet excellent ami croit à l’infinitésimalité de la Science, est fort lancé dans les théâtres, professe pour tout ce qui n’est pas positif un mépris indicible, et, à ses moments perdus, s’occupe de la direction des aérostats. Par-dessus cela, bavard intarissable et confus. Vous ne devinerez jamais avec quelle joie je l’invitai à mon frugal déjeuner qu’il accepta, médis en sa compagnie de plusieurs personnages à qui nous devions, lui et moi, quelque reconnaissance, compliquée de quelque argent, et finalement l’accompagnai jusqu’à un rendez-vous très lointain qu’il avait. Non ! ma félicité ne fut égalée que par mon attention hilare à lire sur les tables d’un cabaret du boulevard, dans lequel j’entrai un peu plus tard, quelques revues littéraires, artistiques et bimensuelles, bimensuelles surtout ! Ce dont il y était question, je ne m’en souviens que très vaguement ; au surplus, vous n’avez qu’à parcourir les revues bimensuelles littéraires et artistiques de ces deux prochains mois, et nos arrière-petits-neveux qu’à parcourir les revues analogues du siècle prochain, et nos arrière-petits-neveux, et vous serez tout aussi bien que moi au courant des opinions artistiques, littéraires et bimensuelles de Messieurs les rédacteurs des dites publications. Si ma mémoire est bonne, ces critiques éternellement actuels injuriaient le génie, le talent et l’esprit au nom de théories dont, par exemple, je n’ai gardé aucune remembrance, sinon qu’elles provenaient d’une certaine ignorance renforcée d’une mauvaise foi plus certaine encore. Et puis, comme il faut que le plaisant succède au sévère, le grave au doux, et la poésie consolatrice à cette grondeuse, la logique, ces proses graves étaient suivies de jolis vers librement rimes où les bêtes à bon Dieu grimpaient et cabriolaient sur le cou, duveté comme une prune, de maintes mignonnes cousines à une foule de chers petits nononcles. Le tout, proses et vers, mis en œuvre par une si impayable niaiserie que j’y faillis mourir d’aise, comme je viens d’avoir l’honneur de vous le dire.

Dans ce même cabaret je pris une absinthe, puis une autre, puis une troisième, ce qui me donna l’appétit nécessaire pour aller dîner chez un petit journaliste pauvre de mes intimes, qui avait convié quelques-uns de ses confrères les plus éminents, et en même temps tout l’hébétement convenable pour hausser ma folle du logis au niveau de la conversation qui suivit cette agape de l’intelligence. Je rentrai chez moi vers minuit, las, mais non rassasié de bêtise et, pour couronner une journée si bien remplie, n’allai-je pas rêver que toutes les héroïnes d’un théâtre célèbre par ses colonels m’épousaient à tour de rôle ?…
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MÉMOIRES D’UN VEUF
(Feuillets retrouvés.)


I
Manque de formes.

La Victime, ruinée, couvre l’avoué roux d’un tas de coups de revolver, n’ayant pas d’autre arme sous sa main.

Envoi des clercs. On interroge ce client.

— Ça et ça ?

— Ça et ça.

— Alors pourquoi n’avoir pas tué votre femme, cause de tout, au lieu de M. Untel qui ne fut que son agent ?

— Parce qu’on ne fusille pas de la m....

Par un de ces hasards qui arrivent rarement, la Victime s’est évadée du Dépôt des Condamnés et a tué sa femme je ne sais pas avec quoi.

Comme on lui rappelle son dernier propos touchant son avant-dernier crime, propos qui infirmait d’avance toute apologie du crime récent :

— Je me trompais alors, dit-il en tendant ses poings aux menottes. J’ai réfléchi depuis. Il faut que tout le monde meure.


Décembre 1885.
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Mon cher Deschamps

En lisant dans votre dernier numéro le si éloquent article de Cladel, je me suis remémorè une visite à la tombe de Baudelaire que je fis, il y a cinq ans, en Compagnie de Charles Morice. J’étais allé au cimetière Montparnasse pour porter une couronne à une personne qui me fut quelque chose comme Maria Clemns fut à Edgar Poe. Ce devoir presque filial accompli, mon cher Morice et moi, nous nous enquîmes de la tombe de Baudelaire ; mais, comme je savais que le grand poète était inhumé dans la sépulture du général Aupick, nous n’eûmes pas à nous heurter à toutes les navrantes (et honteuses pour un pays) ignorances constatées par l’auteur d’Ompdrailles, et nous pûmes bientôt mélancholier et ratiociner devant la stèle mesquine sous quoi dort tant de gloire littéraire — et par surcroît, si l’on veut, militaire… et diplomatique !!

Bien des années auparavant, j’avais accompagné, moi tout jeune et tout rêveur, le cercueil de Baudelaire, depuis la maison de santé jusqu’à la nécropole, en passant par la toute petite église où fut dit un tout petit service d’après-midi. L’éditeur Lemerre et moi marchions les premiers derrière le corbillard que suivaient, parmi bien peu de gens, Louis Veuillot, Arsène Houssaye, Charles Asselineau et Théodore de Banville. Ces deux derniers prononcèrent quelques paroles d’adieu. Au moment où on descendait le cercueil dans le caveau, le ciel, qui avait menacé toute la journée, tonna, et une pluie diluvienne s’ensuivit. On remarqua beaucoup l’absence, à ces tristes obsèques, de Théophile Gautier, que le Maître avait tant aimé, et de M. Leconte de Lisle qui faisait profession d’être son ami, en dépit des relations, un peu ironiques de la part de Baudelaire, qui avaient existé entre le défunt et le barde créole. J’ai cru de quelque intérêt de vous envoyer ces notes qui ne me rajeunissent guère, bien que, je le répète, je fusse fort jeune à l’époque dont je parle. Faites de ma communication ce que vous voudrez, et vale.


Paris, 19 octobre 1890.
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OBSÈQUES DE CH. BAUDELAIRE
Lundi, 2 septembre 1867.

Nous sortons à l’instant du cimetière Montparnasse, où quelques amis et quelques admirateurs étaient allés conduire à sa dernière demeure Charles Baudelaire qui a succombé avant-hier à l’horrible paralysie dont il était frappé depuis bientôt deux ans. Cette mort, qui n’a surpris personne, a douloureusement impressionné tous ceux qui ont encore au cœur l’amour de la haute littérature et de la grande poésie. Car c’était un écrivain éminent et un grand poète, on ne saurait trop l’affirmer, que le traducteur des Histoires extraordinaires et l’auteur des Fleurs du mal. La merveilleuse pureté de son style, son vers brillant, solide et souple, sa puissante et subtile imagination, et par dessus tout peut-être la sensibilité toujours exquise, profonde souvent, et parfois cruelle dont témoignent ses moindres œuvres, assurent à Charles Baudelaire une place parmi les plus pures gloires littéraires de ce temps — Balzac et Hugo mis à part, bien entendu. Ces idées, qui seront bientôt celles de tout le monde à force d’être vraies, ont été admirablement exprimées dans un discours attendri de Théodore de Banville, le maître exquis, si digne de louer Baudelaire. M. Charles Asselineau, ami de l’illustre mort, en quelques paroles éloquentes entrecoupées de sanglots, a rappelé les qualités de l’homme, les courages, les dévouements, les délicatesses de ce « grand cœur qui fut aussi un bon cœur ; » puis, retraçant brièvement ses derniers moments, a défendu sa chère mémoire des calomnies dont ne manqueront pas de l’assaillir la Sottise et la Vulgarité, tenues en respect et fustigées par les dédains ironiques et le sang-froid déconcertant du poète.

Un groupe assez restreint, avons-nous dit, se pressait autour du cercueil, et c’est sans amertume que nous le constatons, car chacun des assistants — sans compter les jeunes, Ernest d’Hervilly, Armand Gouzien, Eugène Vermersch, entre autres — était une illustration littéraire ou artistique, et quelle foule vaudrait cette élite : Théodore de Banville, Charles Asselineau, Champfleury, Arsène Houssaye, Bracquemond, le docteur Piogey, d’autres encore ! — surtout aux obsèques d’un homme qui, toute sa vie, eut horreur des manifestations tumultueuses et de la gloire populacière ?

Il est regrettable que l’absence d’un personnage célèbre ait été remarquée et qualifiée d’inconvenante. Il est plus regrettable encore que cette appréciation soit juste.
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CHEZ SOI À L’HÔPITAL
Encore une fois j’ai perdu mon pari. Doublement et triplement.

Je m’étais promis de n’aller plus à l’hôpital ou tout au moins de ne plus connaître l’hôpital qu’at home.

Et voici que le mal me chasse à l’hôpital dehors.

Tout le dévouement, toute la gentillesse possibles, la petite aisance, bien précaire, mais si industrieusement employée, rien n’y fait. Le docteur lui-même et la nature de ce mal qui n’est pas dangereux, mais indéracinable aux soins sédentaires, me forcent d’y retourner, pour la quantième fois, bon Dieu du ciel ?

Du moins, tant qu’il me restera quelque extrême, quelque suprême ressource pécuniaire, eh bien, je serai chez moi à l’hôpital.

Et m’y voici.

C’est le plus grand hôpital de Paris, le plus vieux aussi, et de fait, en ce temps de mots médiévistes, ça pourrait s’appeler une maladrerie. Pittoresque dans plusieurs parties. Des morceaux Henry IV très remarquables. D’assez nombreux arbres, restes de bocages qui virent des nymphes et de l’histoire.

J’y jouis, dans un pavillon galamment baptisé, d’une chambre où j’ai surtout ceci d’être seul avec des livres — et des visites tant que j’en veux.

Le traitement consiste principalement en pansements. C’est ennuyeux, avec des distractions dont la principale consiste à constater de visu des améliorations dont le médecin connaît plus circonspectement en général. Voici d’ailleurs venu le temps où je dois y mettre du mien : il me faut essayer de marcher. C’est la troisième fois depuis ce maudit mal (neuf ans déjà) que je renouvelle ces tentatives dont je sors jusqu’à présent un peu plus boiteux chaque fois, capable, si on peut appeler y a ainsi, d’aller et de venir dans une crainte perpétuelle des moindres heurts, maudissant les pauvres bons chiens qui vont à leurs affaires, exaspéré contre les jeux des enfants dans la rue, et inattentif aux seules voitures, bicyclettes et autres contingences trop multipliées et périculeuses pour ne m’en fier plus là-dessus qu’à une Providence toute particulière. Ah ! le joli bébé que je fais avec ma canne et ma main se raccrochant à tous les angles de tous les objets. Parfois aussi j’ai recours à leur surface, et c’est en butant de bric et de broc autour de ma chambre, empoignant une chaise ici, là m’appuyant de tout le poids de ma paume restée libre, que je reprends mes habitudes de marcheur hésitant, qui, pour un peu, irait à quatre pattes.

Des camarades « s’amènent ». Alors, selon les gens, c’est la joie pure ou une médiocre distraction, du haut de mon lit, toro ab alto, j’écoute les nouvelles, je les commente, j’énonce des projets, beaucoup, j’en forme surplace beaucoup aussi. Quelque mal essaie de se dire sur les absents ou à propos d’eux. Je passe outre ou j’excuse du mieux que je puis, mais c’est si difficile ! Et pourtant un des traits de mon caractère consiste à ne me pas montrer méchant d’ordinaire, je crois.

Mais voilà mon amie. Elle, c’est la vie. Sans elle, quoi ? Elle me gâte, m’apporte des douceurs, trop parfois. Elle doit se priver. Ça, je ne le veux pas, mais allons donc ! et les friandises s’accumulent. Et les fleurs donc ! Elle m’a fait aimer les fleurs, les fleurs sur la fenêtre les fleurs qu’on met dans un verre, les fleurs apprivoisées, discrètes, familières, qu’on croirait toujours les mêmes, qui vous parlent tout bas, dirait-on, et à qui on parle presque… « Et quelles nouvelles des oiseaux, combien d’œufs ? Un nouveau-né. Bah ! Et le poisson rouge ? — Mort — Non ? » Tous ces détails puérils, les seuls dignes vraiment d’intérêt en de telles entrevues, quand tout est dit, quand l’accord est parfait, allez donc les étaler devant des gens, même simples, dans une salle commune, et vive d’être à l’hôpital chez soi !

J’ai dit tout à l’heure que j’avais des livres. C’est vrai. Des livres de toutes sortes. Je profite habituellement des trop nombreux loisirs que me donnent ou plutôt que me laissent mes, au fond, laborieuses journées de maladie ou de convalescence, pour lire ou relire ; car j’ai tant et si mal lu tel bouquin autrefois, et toujours poursuivi par mon paresseux éclectisme, mon éclectisme plutôt décousu, soyons juste et précis une fois, fût-ce envers nous-mêmes. Un de mes retardataires ou de mes retardés, comme vous voudrez, du moment, aura été ce précieux Volupté de Sainte-Beuve, que j’ai su par morceaux, jadis, presque par cœur. Et il n’y a pas que moi, même parmi les Jeunes d’à présent, croyez-le. Ce livre est même peut-être mieux compris de nos jours que de son temps. Dire que j’ai entendu M. Leconte de Lisle affirmer très sérieusement, — non toutefois sans ce « sourire affreux » que nous lui attribuions, moi et quelques-uns de mes complices du Parnasse Contemporain, ses, d’ailleurs, profonds et restés fidèles admirateurs, — que Volupté n’était qu’un traité de… masturbation !! J’ai un peu connu Sainte-Beuve, qui disait tout, s’il n’écrivait pas tout. Et je puis vous affirmer qu’il gardait même vis-à-vis de cette œuvre de sa juste prédilection un respect, comme une révérence, des mieux significatifs. Aussi bien, il suffit de lire consciencieusement pour ne découvrir ici qu’intention pure et talent prodigieux. Ces pages auxquelles le catholique le plus difficile ne saurait tout au plus reprocher qu’un peu de jansénisme de surface, et encore ! ne pouvaient guère plaire au foncièrement voltairien auteur du Discours de réception à l’Académie et tout voltairien ne manquera jamais, en présence de quoi que ce soit de chrétien et surtout de catholique, de chercher, sans la trouver les trois quarts du temps, la petite et même la vilaine bête. Et puis ? Et puis, ah tiens, j’ai relu Horace. Et je m’étonne de le lire presque sans dictionnaire ni traduction. Sa « Sagesse » n’est guère la mienne, mais quel latin qui serait le premier sans Virgile, que je relis aussi ! Et alors, quelle toute-jouissance, en dépit de Hüysmans et de son fâcheux des Esseintes, bien que celui-ci aime, paraît-il, mon faire « un peu moisi » ! Il est vrai que tous deux méprisent Virgile. Excusez du peu !

Et puis ? Ah ! Le Monde Illustré, gracieusement prêté par la Bibliothèque de l’établissement, toute la collection depuis la fondation de ce périodique, 1857 !

Ô les images sans nombre, tous ces rébus, mes délices faciles… pas toujours ! Les modes et leur si logique, si satisfaisant manque de transitions, l’histoire en gravure, heureuse, facile, cette guerre, par exemple, du Mexique, où je vois bien l’entrée, sous un dais, dans « sa » capitale en fleurs, du triomphateur Maximilien, Premier du nom, mais dont le fossé de Queretaro et le rembarquement de Bazaine sont soigneusement exclus par une toute paternelle et providentielle censure, ô Sancta Anastasia ! Le baptême en 1861 d’un petit garçon qui sera Guillaume II, empereur d’Allemagne. Napoléon III en général de division, en chapeau Louis XV, en patineur, coiffé de tubes invraisemblables et d’ineffables melons. La tragique Impératrice, belle malgré le bavolet, et gracieuse nonobstant la crinoline. La tribune aux harangues rétablie, avec M. Glais-Bizoin dedans, déjà M. Garnier-Pagès (pas « l’autre ! » ), son faux-col et ses cheveux à l’ange — et un Émile Olivier vu de face, en lunettes, sans yeux, qui fait frémir on ne sait pourquoi.

Il y a aussi de l’anecdote. C’est drôle, les nouvelles à la main sont les mêmes qu’à présent. Les comptes-rendus des théâtres, presque les mêmes aussi, mais par Monselet.

J’y relis en 1866, nos débuts, à Coppée et à moi (je les croyais de 1867), constatés par Charles Yriarte qui m’y taquine un peu sur certains


… bouts de fumée en forme de cinq,


dont j’étais pourtant bien fier alors.

C’est vertigineux. Il y a des moments où je m’imagine continuer à feuilleter, à feuilleter. Les années passent, je suis célèbre, me voici pourtraituré à mon tour, au lendemain d’une première très sifïlée, j’assiste à mon enterrement d’après des instantanés, je lis les discours : « L’homme illustre à qui… le grand poète que… Adieu, ami, adieu, poète… nous… »

— Monsieur Verlaine, c’est aujourd’hui jour de bibliothèque. Donnez-moi votre pancarte si vous voulez que j’aille changer votre Monde illustré. Quelle année voulez-vous, cette fois-ci ?

— La bonne, mon ami, accompagnée de beaucoup d’autres.
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MON 18 MARS 1871

I
Ah ! ce 18 mars ! Ce jour-là nous, toute la littérature ou peu s’en faut d’alors, tout l’art, nous suivions le corbillard de Charles Hugo, son père en tête, bien accablé. Le cortège attendait à la gare d’Orléans, très nombreux et très mêlé aussi. Après que, pour ma part entre tant d’autres, j’eus eu présenté mes hommages de condoléance au bon vieux Maître qui, je m’en souviendrai toujours, me baisa de sa barbe déjà blanche et si douce ! nous nous mîmes en marche par un temps bis, mais en somme beau et qui avait été superbe dès l’aube.

J’étais, quant à ce qui me concerne, à côté d’Edmond de Goncourt, encore tout meurtri de la mort de son frère, mais littéraire, en outre, en diable. Témoin ce dialogue entre lui et moi qui admirais les belles barricades se dressant et d’où sortaient de naïfs gardes nationaux tambours battant, clairons sonnant, d’ailleurs, que peu militairement ! mais enfin !

Moi. — Ne trouvez-vous pas gentil ce peuple énervé par ce siège prussien, qui, ne comprenant rien à la poésie de Victor Hugo, mais le croyant peut-être, avec raison, son ami, fait à son fils de touchantes funérailles ?

Lui. — M. Thiers est un bien mauvais écrivain, bien mauvais, bien mauvais ; mais je doute fort que ces gens-là travaillent mieux que lui dans ce genre, — et du moins il représente l’ordre.

Le respect pour l’âge et le talent m’interdisaient de rétorquer l’argument, aussi bien, juste, mais mal sentimental. Donc je grommelai un peu, puis me tus.

Le cortège arriva péniblement, grâce à l’empressement gentiment indiscret de ces braves ouvriers déguisés en soldats bourgeois qui escortaient le mort à la façon qu’il eût fallu, mais enfin arriva au Père-Lachaise, où des discours — trop ! — furent prononcés, à travers les peurs des purs républicains déplorant la mort des deux « généraux » dans la rue des Rosiers, et la victoire définitive de la « Réaction ».

Une scène affreuse se passa. Le caveau patrimonial était trop étroit d’entrée pour le cercueil du pénultième descendant, et voici que les pioches et autres instruments procédèrent, avec un bruit retentissant aux cœurs de tous non sans pitié pour le grand poète, à quelque élargissement. Cela dura quelques minutes, trop, beaucoup trop longtemps ! Le corps, enfin, mis sur le corps des ancêtres, devant le père en larmes et presque en nerfs, on s’égailla…

Mais la scène, en dehors, s’était foncée, comme froncée en une vague colère et, en somme, quelque injustice. On en voulait surtout à ces malheureux « curés », — aussi à ces infortunés « capitulards » de généraux, victimes encore plutôt que coupables d’une organisation militaire fantaisiste et confiante à l’excès, sous l’égide d’un « tyran » presque regrettable aujourd’hui. Aussi, que de cris de : « Vive la République communaliste ! » furent proférés en ce premier jour de la Commune sur lequel je vais revenir.

II
Dès le matin, les affiches blanches, s’il vous plaît, du « Comité Central de la Garde Nationale » avaient averti la population parisienne de cette nouvelle victoire de la « vraie démocratie » : proclamations vraiment pas trop mal tournées, et signées — enfin ! — de noms absolument nouveaux, tels que Camélinat, etc. On y lisait des choses véritablement raisonnables à côté d’insanités presque réjouissantes. Pour mon compte, je fus emballé, tout jeune que j’étais pour ainsi dire encore et frais émoulu, entre des poèmes parnassiens, oh ! qu’impossibles ! des réunions publiques, si naïves d’ailleurs, des temps tout proches de l’Empire. Et puis c’était franc, nullement logomachique et d’une langue très suffisante’ dans l’espèce. Bref, j’approuvai, du fond de mes lectures révolutionnaires plutôt hébertistes et proudhoniennes, cette révolution tenant de Chaumette et de Babœuf et de Blanqui. Et puis, quelle réhabilitation de la Garde Nationale enfin sérieuse et redoutable après Daumier et tant de vaudevilles Louis-Philippe et faux-toupet !

C’est au moment où nous enterrions le pauvre Charles Hugo qu’avait lieu le drame de la rue des Rosiers. La triste nouvelle tintait déjà dans l’air assombri. En même temps, les barricades ébauchées le matin devenaient formidables, s’armaient de canons, de mitrailleuses, se hérissaient de baïonnettes au bout de fusils chargés. Les passants chuchotaient des paroles d’alarme et filaient vite. Les boutiques se fermaient et maints cafés n’étaient qu’entre-bâillés. Ça sentait la poudre et ça fleurait le sang. En même temps, des incidents comiques se produisaient. Pour ma part, j’assistais, non pas certes à la frousse, mais à l’indignation un peu puérile d’un de mes bons amis, poète du plus grand mérite. À propos du meurtre, évidemment déplorable (je le reconnais aujourd’hui), du général Lecomte et de Clément Thomas, ce ne fut pas une fois ni deux, mais cinquante, mais cent fois qu’il me répéta, alors que moi je trouvais tout ça, même la fusillade de Montmartre (horresco referens), très bien : « Mais c’est affreux ! mais c’est l’affaire Bréa ! mais, mais… »

Sans compter les grotesqueries de costume, les disparates d’uniformes et les commandements à rebours et les manœuvres à l’envers de cette garde nationale à peine dégrossie de l’atelier et du troquet. Et quelle emphase, du reste, gentille au fond, dans le langage de ces braves imbus de leurs bêtes et méchants journaux, mal digérés en sus !

La nuit tombe sur la ville haletante. On entend des crosses de fusil tombant sur le pavé… Parisiens, dormez !
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LA MÈRE SOURIS

Qui ne la connaît dans nos parts ? Paradoxalement petite, un visage d’homme — chanoine ambitieux ou cabot à la recherche d’un engagement, au nez plus qu’aquilin que surplombe un binocle donnant aux yeux tout l’aspect de ceux d’une chouette en quête, d’où peut-être, par antinomie, cet étrange surnom de mère Souris. Femme d’affaires, si j’ose parler ainsi : la Providence, paraît-il, des escholiers non galetteux fin courant. Quels sont ses us et procédés pour leur venir en aide ?

J’en ignore, n’étant plus étudiant depuis quelque peu. J’ai pourtant eu, ou du moins crois avoir eu avec elle des rapports… d’adversaire, mais pardonnez et passons…

Je viens de dire que je crois avoir eu avec elle certaines accointances plus ou moins contentieuses et pourtant le hasard nous eût plutôt disposés à de l’entente, sinon à de la complicité, dont Dieu me garde ! Écoutez l’histoire que voici :

Un matin d’hiver, je somnolais encore, les rideaux rouges de la fenêtre bien tirés et jetant dans ma relativement belle chambre de l’hôtel*** rue D… cette chaude obscurité qui vous oblige à la paresse matutinale, quand trois coups assez violents furent frappés à ma porte, toujours pourvue d’une clef au dehors.

— Entrez, fis-je.

Et, dans l’ombre sang de bœuf, s’avança une forme bizarre. Un fichu de tricot couvrait comme d’une capuce une tête… dantesque où étincelaient deux verres de lorgnon comme deux feux-follets sur un charnier. — S’avança ou plutôt bondit, sauta, se précipita, tel un léopard de poche, telle encore une miniature de panthère et une voix plutôt masculine me hurla sous le nez :

— Ah ! vous voilà, vous, ce n’est pas malheureux !

Passablement stupéfait, j’allais commencer une phrase d’apologie, à la manière du bonhomme d’Edgar Poe dans son Corbeau : « Lady or gentleman ?? » madame ou monsieur ?… quand :

— Tenez, lisez ceci, dit-elle ; vous ne me ferez pas aller comme cela, mon petit père… Ah, vous n’y voyez pas clair… Je vais tirer les rideaux.

Et, sans attendre mon assentiment, la falote créature écarta les lourdes draperies… Un flot modéré de lumière décembrale me rendit possible, moyennant mes quatre-z-yeux (car moi aussi, je porte binocle), de lire une lettre où… je ne compris absolument rien : il s’y agissait de vastes tripotages, voilà tout ce que je pus déchiffrer dans ce grimoire d’ailleurs médiocrement orthographié.

Alors elle : — Hein, ce n’est pas mal pour un Italien ?

— … ? …

Et je me mis à relire en toute bonne foi (car tout arrive) la mystérieuse missive sans y voir plus clair dans la teneur.

Pendant ce temps, je sentais fixés sur moi, plongés plutôt, plantés, ces terribles verres de lorgnon, — et subito, l’étrange personnage :

— Tiens, vous avez donc laissé pousser votre barbe ?

Moi : — Mais voilà plus de trente au s que je la porte ainsi…

— Oh, oh, oh, oh ! Il y a erreur, ce n’est pas vous alors ?

— Vraisemblablement.

— Mille pardon, cher Monsieur… Verlaine, n’est-ce pas ? car je reconnais votre… portrait. L’individu pour qui je vous prenais est un agent d’affaires avec qui je collabore (!) quelquefois… et qui habitait cette chambre, il n’y a pas encore longtemps.

— Je crois que ce Monsieur habite encore ici. mais au n°…

— Merci, j’y monte. Et mille pardons, cher Maître !…
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AU QUARTIER
Souvenirs des dernières années.


introduction

J’entreprends une série de notes autobiographiques à propos d’un assez long séjour au quartier dit Latin, alternant, il est vrai, avec une vie plus calme dont on trouvera le détail, intéressant, j’espère, dans un livre intitulé Mes hôpitaux, sous presse et dont des fragments parurent.

Ma jeunesse s’était passée aux Balignolles, chez mes parents, et rue Chaptal, dans une pension dont les pions nous conduisaient deux fois par jour, sauf bien entendu, jeudis et dimanches, au lycée alors Bonaparte, puis Condorcet, puis Fontanes, et de nouveau et définitivement peut-être, mais le sait-on ? Condorcet, où je fis d’assez médiocres études couronnées d’ailleurs par un diplôme de bachelier ès lettres.

Comme ma présence dans les dites Batignolles était le résultat de jours de congé, j’ai toujours gardé un cher souvenir de ces régions de bonne bourgeoisie.

Même je me souviens avec une sorte d’émotion de la toute petite rue Hélène où j’appris à lire à sept ans, je l’avoue à ma grande confusion.

Plus tard, quand je fus un grand flandrin de rhétoricien, d’autres études des moins classiques m’attirèrent vers un naturalisme pratique, vers des rues de ces parages, que Mossieur Prudhomme appellerait mal fréquentées… et j’y passe encore, non sans un certain attendrissement sui generis.

Sous prétexte d’étudier la jurisprudence, je pris une inscription à l’École de la place du Panthéon, où j’assistai à quelques séances plus ou moins soporifiques de droit français et de droit romain sans oublier d’autres séances ès caboulots de la rue Soufflot (le caboulot était comme qui dirait l’embryon de la brasserie de femmes contemporaines), si bien que l’étude des « lois et coutumes » fut tôt abandonnée par votre serviteur. Celui-ci, fort d’une aisance relative et de l’indulgence de parents parfaits quoiqu’un peu faibles parfois, passa d’abord quelque six mois à ne rien faire que la noce ; puis il entra comme expéditionnaire dans une compagnie d’assurances, ce qui lui permit de plus fréquentes visites au divin Quartier.

En ce temps-là, je me liai avec des « célébrités » telles que ce beau garçon d’André Gill, ce bon garçon de Vermersch, morts tous deux si lamentablement ; le déjà félibre Paul Arène, bien vivant, lui, et tant mieux pour les lettres ! les trois Cros, dont l’un, hélas !… Cabaner et Valade, hélas aussi ! Mérat, à qui je suis heureux de serrer la main tous les lundis soir au café Voltaire ; et tutti quanti avec quels j’ai beaucoup fréquenté depuis.

Disons encore qu’en ma qualité de rive-droitier j’opérais mes excursions rives-gauchères en compagnie, le plus souvent, de François Coppée, du regretté Philippe Burty et de mes vieux amis Louis-Xavier de Ricard et Edmond Lepelletier, habitants de ce Montmartre et de ces Batignolles.

On se réunissait presque toujours dans un petit café de la rue de Fleurus, proche le théâtre « Bobino », et ce qu’on y causait art et littérature, ce n’est rien que de le dire ! Quelquefois un grand et gros garçon à peine sorti de la prime adolescence, tumultueux et souvent présomptueux, participait à nos agapes de bière et de rhum-à-l’eau : j’ai désigné Victor Noir.
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CROQUIS DE BELGIQUE

I
« Bouillon en entonnoir ; » la Semoy, noire sur son lit de cailloux bavards, ses truites qualifiables vraiment de surnaturelles et son « château », son burg plutôt, taillé en plein granit parmi des bois sans fin, croirait-on ; ses rampes rapides où dégringolaient, versant parfois, les malles-poste venant de Sedan, prises chez Opsore sur la place Turenne où il y avait un marchand de tabac ayant, pour enseigne, un tableau, représentant un priseur, Louis XV, avec ces vers du Festin de pierre de Thomas Corneille :


Quoiqu’en dise Aristotc et sa docte cabale,
Le tabac est divin, il n’est rien qui l’égale ;


son collège en contre-bas, (ce passé le pont unique), un peu sur mie colline, sa caserne aux soldats jaunes et verts, actuellement, je pense, école de sous-offîciers, enfin l’Hôtel de la Poste, tenu à cette époque de mon enfance jusqu’après la guerre de 1870 par le père Cheydron, qui eut le destin de recevoir dans sa salle à manger et dans ses chambres l’empereur Napoléon III conduit prisonnier en Allemagne et son état-major des deux nations…

« — L’Empereur, me confiait le brave aubergiste, lors d’un voyage que je fis en Belgique, fin 70, était pâle comme un mort. Tout le temps du dîner, il ne dit pas un mot. Il tint la tête de la table, découpa et servit en maître de maison et avec un parfait sang-froid ; le tout en silence ; puis il monta directement se coucher. »

Dès les premières fois que j’allais en Belgique et j’y allais tous les ans à l’époque des vacances, avec mes parents, voir une tante paternelle, ce qui me frappait, c’était, d’abord, le très beau paysage, en haut du village de La Chapelle-Frontière, consistant surtout en d’admirables prairies naturelles dans de littéraux bois de chênes et de hêtres, aussi des étangs d’eau clapotant, sombres d’être clairs, mais si profonds… Puis la Douane belge, très exigeante en ce temps-là, m’apparaissait sous la forme un peu terrible (« Avez-vous quelque chose de neuf à déclarer ? C’est de Paris que ça vient ? Ça a-t-il été porté sérieusement ? ») qu’elle ne fait plus que d’affecter de nos jours. Elle me semblait aussi très bien vêtue, cuivres dorés et drap foncé, en comparaison de l’éternel vert et bleu de nos « gabelous ».

Et c’était Bouillon, d’un vert de toutes nuances, en entonnoir avec un horizon comme céleste de sapins, de chênes, de hêtres, de frênes et de tous arbres de ces contrées ; sur les pentes proches de la toute petite ville, une galopade de jardins paradoxalement poussés là et cultivés, fort bien, ma foi, et fort coquettement, comment !

Je me rappelle, comme si j’y étais, sous le château féodal ou plutôt barbare, — tout poternes, murs de trois mètres d’épaisseur, oubliettes redevenues des gouffres sans but, et les ruines de l’espèce de prison pour dettes où se rhumatisaient les officiers frappés d’opposition de Sa Majesté le roi des Pays-Bas, avant la révolution belge de 1830, — la jolie église neuve et son fin clocher d’ardoises où j’entendis une fois un si divin mois de Marie…


« Reine des Cieux,
Vous nous rendez tous heureux ».


Bien vieux et bien doux cantique, où des amateurs d’origines ont voulu voir l’œuf de la ' Marseillaise… Un œuf de colombe d’où sort un aigle.

Le curé, depuis, je crois, grand vicaire de Namur, avait un bien beau verger où d’innombrables fruits, poires, pommes, noix, raisins et, en été, fraises, cerises, prunes, abricots (au vent, je vous en réponds) étaient très bons… et très courus.

Mais les truites de la Semoy !

Les truites ! que la révérence m’empêchera, cette fois, de qualifier de divines, mais qu’un respect attendri non moins que rétrospectif et qu’une reconnaissance un peu profane, peut-être, dans le cas, ne m’empêchera, mordieu pas ! de magnifier de cléricales, les truites de la Semoy, dignifiables même de saumonées, consommées en toute dilection, en compagnie des bons collègues de ce bon curé, oies truites de la Semoy !…

Je m’en souviens d’autant plus et, pour en revenir au sérieux dû, d’autant mieux que quelque chose de cordial se mêle à ces fumets gastronomiques. Quelque chose de cordial, d’intellectuel aussi, et de mieux peut-être encore…

Le frère décédé du curé en question, curé lui-même à Paliseul, m’avait pris en affection et, pendant les vacances, me donnait des répétitions de latin, puis de grec. Il était fort ami de ma famille et, lors de nos passages annuels à Bouillon, nous manquions rarement de nous arrêter au presbytère. À cette occasion, le vénérable prêtre invitait quelques-uns de ses confrères, tous bons convives et saintes gens toutes simples… Parfois il nous menait, dans son modeste char à bancs, à quelques kilomètres de là, au « château de Carlsbourg, » qui avait appartenu à ma tante de Paliseul et que celle-ci, dès veuve, avait vendu, comme infiniment trop grand pour elle et son train forcément restreint, à la Congrégation des Ecoles chrétiennes, dits Frères Ignoratins, braves gens, modestes et infatigables instituteurs des pauvres et qui remplissent à présent plus que jamais le monde entier de leurs bienfaits. Ce château, actuellement utilisé comme collège, est un très important bâtiment, le classique château à deux tourelles, symétriquement disposées, en poivrière, aux deux extrémités de la principale construction. D’immenses jardins dont une partie, convertie en cours des récréations, entoure cette seigneuriale demeure dont j’eusse pu, si l’avaient voulu les destinées, me voir le châtelain… Au château de « Calcebourg », comme on prononce dans le pays, nous attendait une hospitalité, sinon princière, du moins large et de tout cœur. La gaieté, une gaieté sans fiel, quelque malice, ô l’innocente malice, toute spirituelle et naïve tant ! assaisonnaient agréablement les mets plaisants et les vins gais…

Le Frère Supérieur était une figure remarquable entre toutes ces têtes intelligentes et fines dans leur réelle bonhomie d’ecclésiastiques, jeunes pour la plupart, ou d’une encore verte maturité. Lui, pouvait avoir la trentaine ; il était bel homme et sa large face, toujours rasée de frais, souriait d’aise et de bonne conscience. Il avait fait faire, pour approprier le château à son actuelle destination scolaire, de grands travaux intérieurs. L’aspect majestueux du dehors avait été scrupuleusement respecté par cet homme de goût, au fond ; et il trouvait, pour s’excuser de ce qui néanmoins lui apparaissait un peu comme un crime de lèse-architecture, cette excuse non maladroite : « J’ai dû faire mon petit Haussmann. » D’ailleurs, très lettré, cet « ignorantin », néanmoins trop attaché à notre grande littérature classique, au point, par exemple, de préférer Buffon à Chateaubriand.

Moi qui commençais — je pouvais alors être âgé de 15 à 17 ans — à préférer Hugo à Chateaubriand, et, en secret, à ne pas préférer, mais, dans un coin de mon cerveau, subordonner, pour certains cas, le premier à Baudelaire, je pestais un peu contre le cher Frère, et ne l’approuvai que d’une inclinaison, perlée mais mal sincère, de la tête, quand il me recommandait, en fait de bon et sérieux latin, les Commentaires de César, en place de Virgile. (Or, méchant gamin, je traduisais Catulle et Juvénal, voire Pétrone, en cachette, plus volontiers).

N’importe, ce Frère Supérieur m’a laissé un bon et sain souvenir, de sérénité, de ferme bienveillance, de merveilleuse activité toute au bien sinon toute au beau et sa haute taille, son port allègre, ses yeux de bonté et son franc sourire me restent, dans mes pensers fatigués et blasés de ce maussade et fade aujourd’hui, comme un rafraîchissant et encourageant exemple de vertu brave et simple et de cette foi pratique qui faisait sa force et son calme…

Il est bon, n’est-ce pas ? d’avoir de tels héros d’humanité, toute ronde et comme naïve, dans notre pauvre tête harassée de paradoxes, aux jours de providentielles réminiscences…

Bouillon est horriblement pavé dans ses endroits pavés. On dirait, ma parole, des galets, bien qu’on soit ici à je ne sais combien de lieues de la mer. Petites maisons en pierres d’ardoise inégales, couvertes d’ardoises aussi, rues où conduire une voiture, au plus, avec prudence, où une rencontre de voitures est tout de suite un encombrement, à moins, pour l’un des véhicules, de monter sur le trottoir, très bas, il est vrai. Rien de remarquable, en outre, que l’extrême politesse des gens et le commencement de l’accent, non encore du patois, wallon, lui-même mâtiné du langage ardennais français, joli dès Charleville après s’être ressenti du traînement presque parisien de la Marne, ensuite de Reims. Cet accent wallon, je le dis wallon, faute de mieux, cet accent encore tout ardennais-français, sautillant, bref et un peu court, où de l’esprit a ses aises et qui ne fatigue pas l’oreille le moins du monde, où les voyelles s’escamotent volontiers et où certaines consonnes, les T, les D, se prononcent sur les dents, à l’anglaise…

L’endroit où demeurait ma tante est, à trois lieues de Bouillon, un tout petit chef-lieu de canton, Paliseul, dont le nom appartient également à la guerre de 1870, par l’hospitalité toute « compatriotique » qu’y reçurent les malheureux vaincus des 1, 2 et 3 septembre.

Un joli site haut perché, plein de jardins qui corrigent l’âpreté un peu des toits trop uniformément en ardoises… Bon Dieu ! que j’y ai joué, dans le clos de matante, et couru, et gambadé, et lutté, principalement avec un gamin de mon âge, un futur séminariste, aujourd’hui curé dans les environs, un fin lettré, un digne homme, que je regrette bien que la vie, bête et dure, ne me permette de revoir peut-être jamais.
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UN TOUR A LONDRES

Je suis gourmand et j’avouerai que ma principale surprise, en lunchant pour la première fois depuis vingt et depuis dix ans à Londres, fut d’y trouver certains grands restaurants, jadis et naguère tout à fait britanniques, presque (car tout est relatif) francisés. Pain quasiment émis de la rue Vivienne, et rien de cette pâte excellente pour les tartines du breakfast et du five-o’clock mais assez médiocre en maintes autres occurrences. Pommes-paille, même un peu exagérées, — le café, presque classique, dorénavant.

J’aime la lumière, myope que je suis le soir après avoir été presbyte tout le jour, et, à la place de l’affreux luminaire qui eût pu faire croire vers 1872, à une grève des gaziers, j’assistai à l’illumination électrique dans les grands quartiers, à de l’éclairage archiparisien dans les faubourgs.

J’adore la toilette des femmes, qui les idéalise, et, au lieu de ces affreux contrastes de vert cru et de ce rouge « saignement de nez », dont parlait si justement Jules Vallès un peu après la Commune, j’admirai, en novembre dernier, le gris-perle et le rose-thé nuançant tant de distinction jadis un peu roide, qui embellissaient encore les teints délicats et les traits angéliques des femmes de là-bas.

Je suis parisien et je m’attendais aux réserves de jadis et de naguère — et ne voilà-t-il pas qu’une camaraderie tout à fait boulevardière me rappela mes beaux jours d’il y a malheureusement longtemps et heureusement de tout à l’heure, au Riche, à l’Anglais et chez Tortoni. Même le Quartier Latin a maintenant son écho un peu partout où l’on est jeune, et il n’est pas jusqu’à telles belles personnes qui ne puissent rappeler à tout Français novice encore telles autres amies dont on connaît entre le quai Saint-Michel et l’Observatoire.

Enfin, je ne suis point partisan de trop de pédantisme, et que le Diable m’emporte si l’on peut trouver aujourd’hui en Albion ces gens en us et ès, farcis de Johnson et truffés d’Addison, qui florissaient du temps où j’avais trente et peu d’années, à moins que de plonger dans d’invraisemblables catacombes académiques et parlementaires qui nous feraient encore nous souvenir de notre toujours chère, mais parfois un peu lourde et gourde Patrie ès-lettres, sciences et beaux-arts du bout du Pont.

Et, définitivement, je suis un poète. Je n’en suis pas plus riche ni moins fier pour ça. Et figurez-vous que non seulement la poésie anglaise, la rivale pittoresque et rêveuse de notre poésie précise et psychologique, s’est réconciliée avec celle-ci, mais que les poètes, génies pourtant irritables, accueillent, aiment leurs confrères de ce côté-ci de l’eau et que je crois bien qu’on le leur rendrait ici, le cas échéant, moi, chétif, en tête.

Bref, Londres est gallophile comme Paris est anglomane. J’ai passé quelques jours là-bas et j’en ai rapporté l’amour profond, l’estime sans borne et la sympathie haletante et toujours prête pour ces braves gens et ces bonnes gens cordiaux sous leur air froid et — défaut national ! — excentriques jusqu’à vouloir bien, lors de leur concentration dans leur, à bon droit, aimée mère patrie, rapporter de longs voyages de mer et de terre, — et de lectures, — le goût des bonnes lettres continentales et la leçon bien appropriée par eux, chez eux, des us et coutumes de leurs voisins, avec une nuance, plaisante et si flatteuse, de préférence pour nous autres, french ladies and gentlemen.

Je ne raffole plus du théâtre, mais si je n’étais devenu un peu forcément — maladie, etc. — ce solitaire et ce sauvage, je continuerais d’idolâtrer les cafés concerts, anglià : MusicHalls. Or, j’eusse pu, j’eusse même dû aller m’… amuser aux grands spectacles à grands orchestres wagnériens et autres, aux psychologies intenses des meilleures scènes, etc,. Eh bien non, j’ai là-bas cédé à ma vieille passion pour la chanson comique, pour les tours de force et oh, pour les ballets nombreux et malicieux et, d’un goût, d’une variété, sans doute indignes des planches classiques, mais si gentils, si amusants en vérité que je ne sais guère si Paris en fournirait de meilleurs. Et Dieu sait si ces lieux de véritables délices foisonnent aujourd’hui dans le sombre London d’il y a vingt et même dix ans, aujourd’hui un Londres international et surtout français, dans son développement néanmoins anglais et traditionnel entre tous autres phénomènes sociaux de notre temps bon et mauvais, mauvais surtout, bon plutôt !
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METZ
Fragment

L’Esplanade, sa musique du 2e génie, valses de Strauss, polkas de Musard (l’aîné), mozaïques et fantaisies sur des opéras d’Auber et de déjà Ambroise Thomas, ou ma mémoire me trahirait singulièrement, soli, duos, tutti; le tour de l’estrade ; les beaux officiers en plastrons de velours noir, en belles franches et françaises épaulettes d’or, au lieu de ces torsades équivoques prises, hélas ! non, empruntées aux Prussiens, les dames en schalls de cachemire de l’Inde, en écharpes de crêpe de Chine, en volants gorge-de-pigeon, caca-dauphin, et toutes nuances comme il faut, soie, satin, moire, et toutes étoffes cossues, aux capotes panachées de plumes rares et dont le bavolet, grâce à de savantes inclinations, — le Tout-Metz ! — ne cachait pas autant la nuque et les frisons d’or clair ou rouge, d’ébène noir ou mordoré, qu’on eût pu le redouter, — ô remembrances enfantines de quand, insoucieux moutard, je poussais et tapais mon cerceau novice entre les pantalons à bandes rouges, à lisérés noirs, des militaires, de nankin ou de Casimir ou de coutil des citadins fumeurs de cigarilles.

L’Esplanade, « les fois » de musique ! Bon Dieu, que j’y aspirais ! Et comme je hâtais le pas, aux jours tant souhaités, tirant ma mère par la manche !…
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Paul Verlaine
La montre brisée

Dans notre vie un peu fantasque
Il n'est, je crois, rien arrivé
De plus masque et tambour de basque
Et mi-carême et mardi gras

Que cette colère, venue
De quel donc prétexte vraiment?
Qui, dès grosse erreur reconnue.
Nous rentrés de mauvaise humeur,

Me fit, sans que rien pût là contre,
D'un pied fantochement vainqueur. Écraser cette pauvre montre
Que tu venais de m'acheter.

Je piétinais comme un beau diable,
Comme un polichinell' rageur,
L'horloginette lamentable
Qui tôt ne fut qu'un triste tas

De cuivre et d'argent et de verre
Dès lors se relevant en... « bosse »,
Et maintenant, à moi sévère.
Après coup, je compris trop tard

Que j'ai fait mal et me lamente
A propos du bijou perdu
Et de l'heure à jamais absente-
Mais quelque chose de dedans

Moi-même me dit : « C'est carême
Aujourd'hui, mais rassure-toi, -
L'heure n'en va pas moins quand même.
Heureuse ou non… »

Baste ! aimons-nous.

(1896)
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Le nom déjà porte sa musique propre : Verlaine : ces syllabes froissent de discrets violons, alarment doucement l'oreille intérieure, lui suggèrent de retenir une chanson qui s'éloigne. On peut se référer à ce diapason avant d'ouvrir ce livre où, précisement, un orage d'une violence inouïe se dissipe en échos déchirants.

Antoine Blondin, préface.
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[Cellulairement]

[...] Le Maître est décoré comme une
Châsse, et n'a pas encore digéré la Commune ;
Tous sont toqués, et moi, qui chantais aux temps chauds,
Je gémis sur la paille humide des cachots.
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Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux.

J'arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée
Rêve des chers instants qui la délasseront.

Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encor de vos derniers baisers ;
Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête.
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.

(Green)
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Délicat et non exclusif,
Il sera du jour où nous sommes :
Son cœur, plutôt contemplatif,
Pourtant saura l’œuvre des hommes.
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Et puis surtout ne va pas t’oublier toi-même
Traînassant ta faiblesse et ta simplicité
Partout où l’on bataille et partout où l’on aime,
D’une façon si triste et folle, en vérité !
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