The City of Your Final Destination (2009) - Trailer
J'aimerais qu'on me sorte de moi-même. Et qu'on me range quelque part dans un tiroir. Un tiroir qu'on ouvre dans un rêve où on fait précipitamment ses bagages à la fin du monde.
Ah, ce rêve-là ! s'exclama la femme. Ce tiroir-là ! Eh bien, je ne peux que vous sortir de vous-même. À vous de voir où vous allez ensuite.
Pour le moment, je vais aller me coucher, dit l'homme. (p. 45)
Il scruta son reflet dans le miroir mural derrière les régiments de bouteilles alignées sur les rayons, au-delà du comptoir, qui le fixait en retour avec une intensité qu'il jugea plus forte que la sienne, si bien que, pendant une seconde, il perdit sa propre perception physique et se demanda de quel côté du miroir il se trouvait réellement. Pour s'efforcer de réintégrer son enveloppe corporelle, il tapota du bout des doigts le cuivre du comptoir et le contact du métal frais sous ses phalanges remit subitement le monde dans le bon sens, mais le barman, interprétant ce geste comme un appel, déploya son corps affalé contre le mur, s'approcha et posa une serviette en papier devant l'homme à l'endroit précis que ses doigts avaient touché, comme s'il mettait un pansement sur une plaie. (p.33)
Je veux dire ses mots, ses pensées, ses idées. Si on ne les exprime pas, à quoi servent-ils ? Ils meurent avec nous. Alors que quand on exprime quelque chose, c'est mis au monde. Qui sait ce qu'il advient des sons? On pense qu'ils disparaissent, mais il est tout aussi vraisemblable qu'ils continuent à vibrer et naviguent dans l'univers, et peut-être quelqu'un ou quelque chose perecevra-t-il cette vibration dans cent millions d'années et peut-être qu'il ou elle entendra exactement ce que je suis en train de vous dire en ce moment. (P.313)
L'homme descendit sur le quai, piétinant la perfection de la couche de neige. Il se fit l'effet d'un barbare. Mais une fois ce sacrilège perpétré, il comprit qu'il devait continuer, car on s'afflige davantage de voir une fine craquelure sur une belle porcelaine que cette même porcelaine par terre en miettes. Il décrivit donc en courant des cercles de plus en plus grands, soulevant la neige à grandes enjambées brouillonnes, et arriva assez près du bâtiment qui bordait le quai pour voir, tel un souvenir de peinture fanée, le nom de la ville qui était leur destination. Il se sentit soudain ridicule et cessa ses cavalcades. A la faveur de l'immobilité qui s'ensuivit, il perçut une sorte d'ébranlement monstrueux dans l'obscurité derrière lui. Le train. Il se retourna et le vit avancer lentement, si lentement que l'espace d'un instant il pensa que ce devait être l'obscurité qui se déplaçait à l'arrière-plan, mais il comprit que c'était le train car il voyait sa femme, penchée en avant, regarder par la portière restée ouverte, son visage blanc empreint d'une stupeur muette et, pendant une seconde, il eut une impression de mort, comme lorsqu'on doit laisser l'être aimé quitter ce monde, s'éloigner en silence, les traits défaits, et sombrer dans les ténèbres enneigées. (p. 16-17)
Oh, je voudrais des tas de choses.
[...]
Eh bien, j'aimerais une pêche mûre à point, une orchidée, un peu d'encens au sapin baumier et un petit chat. Je crois que je pourrais être vraiment heureuse si j'avais tout ça. Avec moi dans la baignoire. Enfin, peut-être pas le petit chat.
Donc tu m'envoies faire une chasse au trésor. Est-ce qu'il faut aussi que je te rapporte une poule aux œufs d'or ?
Ça me ferait très plaisir, dit-elle. Tu imagines comme ce serait bien ? Des œufs en or. Tout chauds. Je ne les vendrais pas. Non, je les mettrais à l'intérieur de moi, en moi, là où c'est vide en ce moment. (P.177)
J'aimerais qu'on me sorte de moi-même. Et qu'on me range quelque part dans un tiroir. Un tiroir qu'on ouvre dans un rêve où on fait précipitamment ses bagages à la fin du monde.
Ah, ce rêve-là! s'exclama la femme. Ce tiroir -là! (P.45)
Il est très difficile de garder la mémoire des morts. Un souvenir qui ne soit pas marqué par la complaisance envers son propre chagrin est presque impossible. Et on ne les retrouvera jamais indemnes de son deuil à soi, on ne pourra jamais penser à eux, ni les revoir avec un élan de sentiment pur, il y aura toujours cette affliction, cette douleur, cette impression égoïste d'abandon, où l'on passe avant eux. Marianne s'en voulait de pleurer sur elle-même parce qu'elle avait perdu Tony.
Le soir tomba avec une déroutante soudaineté, comme un rideau baissé en hâte sur la débâcle effarante d’une pièce de théâtre amateur. Puis l’homme s’aperçut que l’obscurité n’était pas due au coucher du soleil mais au fait que le train entrait dans une épaisse forêt, laissant derrière lui les vastes champs de neige traversés tout l’après-midi. Les sapins, hauts et denses, se massaient le long de la voie comme des enfants se pressant contre la fenêtre d’une classe pour mieux voir quelque horrible accident survenu dans la rue.
(incipit)
Un vrai soir survenait à présent, l'obscurité résultant de l'absence du soleil et non de son oblitération. Ils regardèrent la nuit se faire derrière la vitre. La femme effleura son reflet que l'obscurité du dehors venait de révéler.
Je l'ai suivi dans le long couloir que bordent d'un côté de grands bureaux avec fenêtres, et de l'autre de petits bureaux sans fenêtres. Je ne pourrais à aucun prix, je crois, travailler dans un cadre si outrageusement hiérarchisé. Je sais que nous ne sommes pas tous égaux en ce monde, mais j'ai du mal à supporter un environnement où cette vérité est à ce point flagrante. Situé à l'angle de la tour, le bureau de mon père a une vue fabuleuse, un Diebenkorn (grâce à John Webster), une table Knoll vintage, un canapé en cuir (signé Le Corbusier, bien entendu) et un aquarium d'eau salée, tandis que Myron Axel occupe un placard éclairé au néon de l'autre côté du couloir.