Pas de compétition ! La compétition est toujours nuisible […]. C'est le mot d'ordre que nous donnent le buisson, la forêt, la rivière, l'océan. Unissez-vous ! Pratiquez l'entraide ! C'est le moyen le plus sûr pour donner à chacun et à tous la plus grande sécurité, la meilleure garantie d'existence et de progrès physique, intellectuel et moral.
« Ne se courber devant aucune autorité, si respectée qu’elle soit ; n’accepter aucun principe, tant qu’il n’est pas établi par la raison. »
Nous sommes la foule immense, nous sommes l’océan qui peut tout engloutir. Dès que nous en aurons la volonté, un moment suffira pour que justice se fasse.
L’absorption de toutes les fonctions par l’État favorisa nécessairement le développement d’un individualisme effréné, et borné à la fois dans ses vues. A mesure que le nombre des obligations envers l’État allait croissant, les citoyens se sentaient dispensés de leurs obligations les uns envers les autres. Dans la guilde — et, au moyen âge, chacun appartenait à quelque guilde ou fraternité — deux « frères » étaient obligés de veiller chacun à leur tour un frère qui était tombé malade ; aujourd’hui on considère comme suffisant de donner à son voisin l’adresse de l’hôpital public le plus proche. Dans la société barbare, le seul fait d’assister à un combat entre deux hommes, survenu à la suite d’une querelle, et de ne pas empêcher qu’il ait une issue fatale, exposait à des poursuites comme meurtrier ; mais avec la théorie de l’État protecteur de tous, le spectateur n’a pas besoin de s’en mêler : c’est à l’agent de police d’intervenir, ou non. Et tandis qu’en pays sauvage, chez les Hottentots par exemple, il serait scandaleux de manger sans avoir appelé à haute voix trois fois pour demander s’il n’y a personne qui désire partager votre nourriture, tout ce qu’un citoyen respectable doit faire aujourd’hui est de payer l’impôt et de laisser les affamés s’arranger comme ils peuvent. Aussi la théorie, selon laquelle les hommes peuvent et doivent chercher leur propre bonheur dans le mépris des besoins des autres, triomphe-t-elle aujourd’hui sur toute la ligne — en droit, en science, en religion.
Par le régime parlementaire la bourgeoisie a simplement cherché à opposer une digue à la royauté, sans donner la liberté au peuple.
Nous ne demandons qu’une chose, c’est à éliminer tout ce qui, dans la société actuelle, empêche le libre développement de ces deux sentiments, tout ce qui fausse notre jugement : l’État, l’Église, l’Exploitation ; le juge, le prêtre, le gouvernant, l’exploiteur.
L’esprit de l’enfant est faible, il est si facile de le soumettre par la terreur ; c’est ce qu’ils font. Ils le rendent craintif, et alors ils lui parlent des tourments de l’enfer ; ils font miroiter devant lui les souffrances de l’âme damnée, la vengeance d’un dieu implacable. Un moment après, ils lui parleront des horreurs de la Révolution, ils exploiteront un excès des révolutionnaires pour faire de l’enfant « un ami de l’ordre ». Le religieux l’habituera à l’idée de loi pour le faire mieux obéir à ce qu’il appellera la loi divine, et l’avocat lui parlera de loi divine pour le faire mieux obéir à la loi du code. Et la pensée de la génération suivante prendra ce pli religieux, ce pli autoritaire et servile en même temps autorité et servilisme marchent toujours la main dans la main cette habitude de soumission que nous ne connaissons que trop chez nos contemporains.
La liberté de chacun ne se crée que parce qu’on la conquiert.
La fourmi, l’oiseau, la marmotte et le Tchouktche sauvage n’ont lu ni Kant ni les saints Pères, ni même Moïse. Et cependant, tous ont la même idée du bien et du mal. Et si vous réfléchissez un moment sur ce qu’il y a au fond de cette idée, vous verrez sur- le- champ que ce qui est réputé bon chez les fourmis, les marmottes et les moralistes chrétiens ou athées, c’est ce qui est utile pour la préservation de la race et ce qui est réputé mauvais , c’est ce qui lui est nuisible . Non pas pour l’individu, comme disaient Bentham et Mill, mais bel et bien pour la race entière.
Ce n'est pas l'amour de mon voisin - que souvent je ne connais pas du tout - qui me pousse à saisir un seau d'eau et à m'élancer vers sa demeure en flammes; c'est un sentiment bien plus large, quoique plus vague: un instinct de solidarité humaine. il en est de même pour les animaux. Ce n'est pas l'amour, ni même la sympathie (au sens strict du mot) qui pousse une troupe de ruminants ou de chevaux à former un cercle pour résister à une attaque de loups: ni l'amour qui pousse les loups à se mettre en bande pour chasser; ni l'amour qui pousse les petits chats ou les agneaux à jouer ensemble, ou une douzaine d'espèces de jeunes oiseaux à vivre ensemble en automne; et ce n'est ni l'amour, ni la sympathie personnelle qui pousse des milliers de chevreuils, disséminés sur un territoire aussi grand que la France, à constituer des ensembles de troupeaux, marchant tous vers le même endroit afin de traverser une rivière en un point donné.C'est un sentiment infiniment plus large que l'amour ou la sympathie personnelle, un instinct qui c'est peu à peu développé parmi les animaux et les hommes au cours d'un évolution extrêmement lente, et qui a appris aux animaux comme aux hommes la force qu'ils pouvaient trouver dans la pratique de l'entraide et du soutien mutuel, ainsi que les plaisirs que pouvait leur donner la vie sociale.
Extrait de "l'Entraide" de Pierre Kropotkine 1902