Citations de Philippe Arnaud (62)
Il ne résiste plus, laisse l’homme blanc le tirer jusqu’aux
limites du domaine, avant de repartir dans la nuit noire.
Resté à l’écart, le contremaître qui l’a tuée le regarde de
loin, main sur son revolver.
Il fuit, la tête vide. Son corps le porte, jusqu’à la forêt
qu’ils ont souvent contemplée du domaine, Rachel et lui.
Et puisque ce corps inutile s’obstine à vouloir vivre, il le
laisse courir toute la nuit, et tout le jour suivant dans la
forêt.
- Esclavage ?
- Le mot te choque ? Tu as perçu un salaire pour ce que tu as fait chez eux ? Privée de liberté, de papiers, mise à leur service jour et nuit. Tu appellerais ça comment ?
- Il y en a d’autres alors… des cas comme moi ?
- Oui. Sans doute beaucoup, et ça n’intéresse pas grand monde. On est dans le pays des Droits de l’Homme, circulez, y’a rien à voir.
Ne cherche pas ailleurs ce que tu peux trouver ici.
Se souvenir, à tout prix. Modeler dans sa mémoire un jour de la semaine par année, entre huit et douze ans. Elle se concentre dessus chaque soir, entre la toilette d’Elisabeth et le retour des adultes. Elle fouille chaque moment, en extrait la saveur, les parfums qui lui sont attachés, s’offre un voyage quotidien dans son pays natal.
Aujourd'hui, c'était le pompon : un type à l'hôpital, mais sans blouse blanche - pour tromper l'ennemi. Il m'a fait dessiner des maisons, après il a balancé des commentaires à mes parents sur les fenêtres avec des barreaux et qu'il n'y avait pas de fumée sortant de la cheminée.
Ça avait l'air grave, le truc de la cheminée.
Y avait pas de fumée parce que ton feutre marchait plus, connard !
Maîtriser la blessure. Mais nourrir la rage.
Face. Tu dois faire face. Connaître le visage de ce qui va te faire peur.
Imperceptiblement, ils s'habituent à vivre sous tension. À avoir toujours leurs papiers d'identité sur eux. Et à baisser les yeux quand un uniforme - policier ou militaire - les leur demande.
Mettez-moi au ban de l'humanité
Avec vos mensonges, vos calomnies,
Traînez-moi dans la boue, et cependant
Tête haute je me tiendrai.
(...)
Hors des poubelles de l'Histoire,
Tête haute.
Hors des souffrances du passé,
Tête haute.
Mer océane, immense et déchaînée,
Montante et roulant, je suis la marée.
Loin de moi l'effroi des anciennes nuits,
Tête haute,
À moi l'aurore splendide qui luit,
Tête haute,
Voici mes dons et tout mon héritage,
Ce qu'ont rêvé les miens, dans l'esclavage,
Tête haute je me tiendrai,
Tête haute,
Tête haute.
Maya Angelou, La tête haute, in La Tête haute, recueil traduit par Geneviève Brallion-Zeude et Robert Soulat, Belfond, 1980
« Nous passons notre temps à jouer avec les mots. Les plaisanteries sont un jeu de langage. Wittgenstein pensait que l'on pourrait écrire un texte philosophique sérieux constitué uniquement de plaisanteries, ce qui était une bonne plaisanterie. » (p. 165)
Taisant ce qu'il était inutile de mettre en mots; ce qu'ils ont pris soin, tous deux, de ne surtout pas dire (pour l'un) et de ne surtout pas entendre (pour l'autre) :
- Je ne veux pas que tu risques ta vie pour moi, je n'en vaux pas la peine.
Se respecter c'est aussi cela: ne pas tout se dire. Dès lors qu'on sait que l'autre sait.
Ce que lui a appris la vie, c'est à ne pas se projeter.
Elle ne sait plus. Elle se sent épuisée, après tous ces jours enfermée, sur le qui-vive, blessée par les mots, les indifférences, les agressions. Elle ne sait plus ce qu'elle veut, si elle veut, ce que c'est que vouloir.
Et d'ailleurs, arrête de l'embêter tous les jours, ta petite sœur.
C'est vrai, quoi.
Tu n'as pas honte ?
Un jour sur deux, c'est suffisant.
Évidemment qu'on avait la rage, tous les deux ! Quand tu es trop petit pour ton âge, ou trop moche, ou bizarre, il vaut mieux l'avoir, pour survivre à ce qu'on appelle "la récréation". Et à ce qui se passe avant comme après.
- « Esclavage ? »
- Le mot te choque ? Tu as perçu un salaire pour ce que tu as fait chez eux ? Privée de liberté, de papiers, mise à leur service jour et nuit. Tu appellerais ça comment ?
- Il y en a d’autres alors…des cas comme moi ?
- Oui. Sans doute beaucoup, et ça n’intéresse pas grand monde. On est dans le pays des Droits de l’Homme, circulez, y’a rien à voir.
Se souvenir, à tout prix. Modeler dans sa mémoire un jour de la semaine par année, entre huit et douze ans. Elle se concentre dessus chaque soir, entre la toilette d’Elisabeth et le retour des adultes. Elle fouille chaque moment, en extrait la saveur, les parfums qui lui sont attachés, s’offre un voyage quotidien dans son pays natal. C’est à double tranchant, bien sûr, car ensuite le gris de l’appartement, la dureté de ces gens avec qui elle vit, devient plus difficile encore à supporter… mais c’est vital.
Pour tenir, elle tente de se persuader qu’un retour chez elle, à ce stade, serait un échec, une honte pour ses parents aux yeux du village, des autres.
Il faut résister au gris qui recouvre cette famille, espérer un miracle.
tu n'es pour rien dans tout cela, tu m'entends? pour rien. Sois sur le qui-vive, saisis ta chance quand elle se présentera. Accroche-toi au souvenir des tiens. Ne les laisse pas gagner. Tu ne seras pas toujours aussi seule et abandonnée.
Le grand costaud s'appelait Romain. Dans un coup de sang, il avait planté un couteau de cuisine dans la main de son père, parce qu'il n'en pouvait plus de voir le paternel tabasser sa maman chaque fois qu'il buvait un peu trop.
Le courage, ce n'est pas l'absence de peur, c'est d'être capable de faire avec.