Citations de Philippe Brunel (56)
J’avais eu plusieurs vies, superposées, calquées l’une sur l’autre, qui me laissaient une sensation d’envasement. J’avais aimé Anna, pendant dix ans elle avait accaparé toutes mes pensées, maintenant qu’elle n’était plus là, son souvenir s’évaporait, sans plus d’imprégnation que l’empreinte d’un pas dans le sable.
Au centre de l’histoire, il y a une femme, elle souffre d’amnésie, la nuit, elle s’en va marcher seule dans Rome, se rend à des soirées privées à la recherche d’une autre femme qui pourrait très bien être son double… celle qu’elle était autrefois et qui se serait perdue en route.
Vous savez, l’Italie ce n’est pas toutes ces cartes postales idylliques qu’on vend aux touristes du monde entier, ce n’est pas ce que les gens croient, c’est aussi le juge Falcone, Aldo Moro, le général dalla Chiesa… et sous les soleils palermitains l’ombre régnante de la mafia.
D’après lui, ce n’était ni le sexe ni l’argent qui gouvernaient le monde mais la laideur, tous ces gens laids qui font payer aux autres leur rancœur, leur amertume, leur incapacité à s’inscrire dans des rapports harmonieux de séduction, en réaction ils s’acharnent à détruire tout ce qui est beau, envoûtant, attrayant, tout ce qui les renvoie à leur propre disgrâce. « Regardez combien de gens moches, très moches chez les juges, chez les tyrans, les dictateurs, avait-il ajouté, pour moi, ce n’est pas sans rapport. »
Il m’apprit l’existence de deux ou trois cahiers dans lesquels l’actrice aurait consigné ses mémoires. Greenberg souhaitait les récupérer. Il ignorait si c’était pour enrichir le scénario, pour les adapter à l’écran ou s’il s’agissait d’une requête personnelle. Seule certitude, autrefois, Greenberg en pinçait pour l’actrice. « En tout cas, il compte sur vous pour mettre la main dessus. »
C’était un de ces êtres nonchalants au teint hâlé qui donnent l’impression d’être toujours en vacances ou d’en revenir. Il avait débuté dans le milieu du cinéma par de la figuration quand la Rome artistique, chic et tapageuse se retrouvait le soir au Piper, une discothèque en vogue de la Roma bene. Le Piper.
Regardez-les, ils sont là du matin au soir à scruter la mer, ses moindres remous. Ils font tellement partie du paysage que personne ne les remarque et rien ne leur échappe, ça n’empêche pas les noyades…
Les gens n’entrent jamais par hasard dans nos vies, ils viennent combler un vide, une attente. Il y avait une intelligence dans tout ca. Un jour ou l’autre, et peu importe les voies qu’il emprunte, le passé se rappelle à vous, il faut savoir l’accueillir comme l’heureux présage d’un changement.
Je me revois gauche, silencieux, intimidé par sa beauté, craignant de les déranger. Ils sont assis côte à côte, face à moi, elle a retiré ses gants et posé sa main sur le genou de Thierry qui lui parle du pensionnat. « Ne t’inquiète pas, lui murmurait-elle à l’oreille, tout finit par passer. » Ils devaient se revoir, le temps d’un week-end, avec l’acteur français dans une villa des bords de Marne.
Elle avait vu son intimité piétinée, profanée, jetée en pâture à l’opinion. Depuis, elle traversait une sorte d’éclipse et refusait tout contact avec le monde extérieur. Elle demandait, comme Garbo avant elle, qu’on la laisse « être seule ».
Ils seraient allés à l’essentiel au plus près de son opacité, dans le nu de son intimité, là où je butais sur des impasses dans mon entêtement à vouloir saisir ce qu’au-delà de sa réclusion, dans son austère abandon et sa foi retrouvée, elle cherchait à nous dire. Je n’étais pas le mieux armé pour mener ce lent travail de reconstitution. Mais c’est là, dans ces zones grises, que j’avais le plus de chances de la rencontrer.
Avec le temps tout se dilue, se flétrit et s’efface, les êtres et les saisons et le pourquoi des choses comme sous l’effet d’une lente amnésie. J’ai beau fouiller ma mémoire, ordonner autant que se peut mes souvenirs, j’ignore encore ce qui a pu m’entraîner aussi loin dans cette histoire.
Moi, la seule chose que je n’avais pas mesurée, c’est l’emprise du moteur sur l’esprit, celui qui l’utilise une fois ne peut plus s’en passer, il devient dépendant… et il ne faut pas croire que le moteur est un substitut au dopage. Le coureur est obligé de prendre de l’EPO pour accompagner, amortir la force du moteur parce qu’il entraîne une grande consommation d’oxygène… Un moteur c’est quinze coups de pédale à la minute de plus que les autres… La pédalée s’accélère, la vitesse augmente, au début le cœur n’enregistre aucune perturbation puis le rythme cardiaque s’affole. Le moteur te lessive… Il faut être très entraîné pour soutenir le rythme, sous peine de se retrouver en situation anaérobique (au-delà du seuil de respiration) avec l’envie de mettre pied à terre… C’est évidemment plus facile pour les grimpeurs au gabarit léger, parce qu’ils offrent moins de résistance à l’air…
« Aucun homme n’est assez riche pour racheter son passé. »
Oscar WILDE.
La variété ne sera jamais pour eux un acte commercial, mais un moyen de transgression dont ils se serviront pour brocarder les bourgeois et les politiciens « qui cherchent à se faire entendre mais n’ont rien à dire » ou pour dénoncer une société conservatrice et puritaine, repliée sur elle-même.
"J'en arrive à me demander si nous n'écrivons pas tous un seul et même livre. Si nos histoires, dans leurs dissemblances, ne déclinent rien d'autre que le non-sens de l'existence, ses chimères et faux-semblants."
C’était un bon rouleur qui ne rechignait pas à l’effort, sur le plat il avait de l’abattage, ça se sentait quand il prenait des relais, derrière, les autres donnaient de la bande… Ses problèmes de poids n’empêchaient pas la qualité. Il avait d’ailleurs gagné des titres de champion de Hongrie sur piste avec ses propres jambes, sans se doper, et je sais que ce détail a eu par la suite de l’importance. Stefano c’est un type singulier, original.
On peut activer le moteur à distance avec une télécommande ou à l’aide d’une montre, ou le relier grâce à bluetooth au cardio-fréquence mètre que le coureur se plaque sur le torse, sous le maillot. Après, il suffit de programmer son niveau de seuil lactique, au-delà duquel le moteur se mettra tout seul en marche… À l’extrême limite, un coureur n’est pas obligé de savoir… Il peut très bien ignorer qu’il pédale sous assistance avec un moteur dans sa roue arrière…
Le mal était très étendu et tout finirait par se savoir. « Ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent pour masquer les choses, un jour ou l’autre, quelqu’un parlera. »
Cette histoire, je ne l’ai pas voulue, ni fabriquée, elle m’est tombée dessus, par effraction.