Philippe Marczewski

l'oubli de Cécile est bien plus lourd que son souvenir

leur conversation tenait en laisse une tristesse qui menaçait de mordre

Il faut survivre et raconter ; l'aventure n'en devient une que parce qu'on en fait le récit, sinon c'est la vie et ses péripéties, rien d'autre ; combattre l'alligator affamé ne vaut rien si l'on n'atteint pas la berge sain et sauf et qu'on ne trouve un public à qui narrer sa lutte...

Pourquoi diable se croit-on obligé de retourner sur les lieux de l'enfance ? Les maisons, les rues, les bois qui nous ont construits, nous les avons vidés à l'époque, en avons aspiré tout ce dont nous avions besoin. Même en existant encore, ils ne sont plus que des reconstitutions pour film historique. Tout ce qu'ils avaient de véritable, nous l'avons déjà pris et le reste, nous l'avons oublié.

on est toujours condamné à ne voir que la surface des existences

Un instant j'avais imaginé que le parc tropical pourrait déclarer son indépendance et quitter le monde, faire sécession, crac! il faudrait alors pour toujours vivre sous le dôme translucide qui pouvait, pourquoi pas? devenir un micro-État tropical, après tout il y avait, en Europe, bien des précédents, Saint-Marin, Andorre ou Monaco et même le Vatican, alors pourquoi pas le Parc Tropical? Ce ne serait pas plus bête, la nationalité serait offerte contre un prix d'entrée modique dans la limite des places disponibles, il ne faudrait pour vivre qu'un maillot, un peu d'eau fraiche et quelques fruits, les besoins seraient réduits dans cette plénitude, et les corps plongés dans le jacuzzi vite rassasiés. J'imaginais très bien ne plus jamais quitter cette terre promise, y vivre sous un faux nom, une nouvelle identité tropicale, Général Pedro de la Vega Hernández y Jamón, ou quelque chose comme ça, et lentement vieillir sous les bananiers en pot, la peau flétrie par les bains incessants, ne plus répondre enfin qu'au nom de Don Pepe, le Señor des transats, padre des jacuzzi.

Je plains les villes plates et sans relief, sans bosses, sans collines sur lesquelles monter, ou bien plantées de tours qui cachent l'horizon, ces villes ou jamais la vue ne s'ouvre sur le monde autour, où le regard est contraint de ne voir qu'un espace réduit, et la ville de ne voir qu'elle-même. Voir loin est un remede à la mélancolie.