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Citations de Philippe Marczewski (27)


Je me suis dit que j’étais au bord d’un continent, tout au bord, et qu’il n’y avait que quelques pas à faire, une bande de sable gris à franchir, cinq mètres à peine entre la route et la mer. La situation m’a semblé soudain bien plus simple, comme si, au bord du continent, les éléments encombrants de mon infortune se désagrégeaient dans le vent et retombaient en morceaux, au-delà du rivage, dans les grands fonds des fosses marines, me laissant dégrevé de leurs poids, débarrassé du solide, fluide à nouveau – entièrement fluide - , océanique en quelque sorte, et donc invincible et à l’abri des dangers.
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L’aventure n’existe qu’à travers le récit qu’on en fait, mais que faut-il de vanité pour juger que celui-ci est légitime…
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Je ne cherchais rien de particulier, seulement un peu de fluidité et une sensation de flottement. Et j’ai ajouté que je croyais que la forêt tropicale était pleine de vie, une vie différente, sans pression, mais on s’y griffe pareillement.
Le regard de Marta s’est vidé. Elle a dit la forêt, ce n’est pas la vie. Les gringos pensent que c’est la vie. Vous dites que c’est l’oxygène, le poumon de la planète, et alors vous croyez que c’est votre poumon, votre air, votre oxygène. Vous entendez les oiseaux et vous regardez la jungle et vous croyez que c’est la vie. Vous croyez que c’est votre vie, votre poumon, votre planète. Mais tout meurt ici. Tout brûle et tout meurt ici, a-t-elle dit. Tout se mord et se dévore. Tout pourrit et se désagrège, repousse et retombe. Tout n’est que gaz de décomposition, et c’est nous qui le respirons. On étouffe ici. La forêt tropicale, ça n’existe pas, a-t-elle dit. Les aras, les oiseaux de paradis : il n’y a rien de tel. L’odeur qui nous monte au nez empeste. C’est un relent de moisissure et d’ennui. Vicié et toxique. Tu ne pouvais rien trouver ; il n’y a rien pour toi ici.
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Le temps tropical est lent, me suis-je répété souvent pendant les journées qui ont suivi. Il est englué dans la terre boueuse des berges du fleuve, freiné dans sa progression par la densité de la végétation et la lourdeur de l’air. Le temps étouffe sous les tropiques, il a le souffle court. Le temps se dilate en zone humide et se gorge d’eau comme une éponge. Il n’a plus ni légèreté ni transparence ; ailleurs un souffle de vent le fait disparaitre, et emporte les heures mais là, dans la cabane ouverte sur la forêt chaude et humide, lesté par l’immobilité de notre condition, le temps gît au sol comme une serpillière.
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Il m’était venu à l’esprit que jamais encore je n’avais senti mon corps libre de toute pression, et que précisément, à la merci des vagues de la piscine du parc tropical, je ne sentais plus aucune pression sur aucune partie de mon corps, mes mains baignaient librement dans l’eau et aucune force ne s’exerçait sur les paumes, pas plus d’ailleurs que sur les plantes des pieds ou les cuisses, ou les bras, je ne faisais aucun effort pour me maintenir à flot, l’énergie des vagues suffisaient à me porter sans aucune violence : rien n’allait contre ma volonté alors même que je ne l’exerçais pas, et cette sensation m’avait troublé, le sentiment de flottaison et d’apesanteur tropicale avait vidé mon esprit comme le jacuzzi les pores de ma peau, alors pendant une fraction infime de temps j’ai eu le sentiment fugace de faire l’expérience de la liberté.
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 Liège est une île qui fit naître une île en son sein, Outremeuse, dont on disait qu'elle était si insulaire que même le wallon y était différent de celui qui se parlait de l'autre côté de la Meuse, et y avait fait naître son folklore et ses mythes populaires. Le cœur identitaire de Liège est une île sur une île isolée dans des mers hostiles. Comment s'étonner que s'entretienne un sentiment diffus d'être seuls, non pas contre tous, mais différents de tous, satisfaits de l'entre-soi, à jamais frustrés d'une puissance perdue, se sentant méprisés par Bruxelles, humiliés par Namur, usurpatrice de l'absurde titre-croupion de capitale wallonne, et gouvernés par des imbéciles, que pourtant on réélit sans cesse. Les Liégeois s'exportent mal. Vont-ils vivre ailleurs que se révèlent leur amertume et le mal du pays, ils se clament Liégeois partout où ils vont, peu enclins à trouver dans les villes voisines un quelconque intérêt, si peu curieux de ce qui se vit et se crée ailleurs si cet ailleurs ne vient pas à eux ; ils sont certains que leurs soirées sont plus douces, leurs fêtes plus festives, leurs bières meilleures. Qu'une convivialité surnaturelle relie les hommes et les femmes dans une chaleur humaine sans égale.
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" Mon visage lentement s'amazonisait, chaque fois que l'embarcation heurtait une vague, se couvrant des embruns soulevés du fleuve. "
p. 254
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Je me suis dit que c’était pourtant ce que j’étais venu chercher : le squelette de la vie tropicale. Sucre menait la sienne telle qu’elle devait être. Il travaillait, aimait sa famille et ses amis, jouait au rugby. Il avait une existence aussi morne et simple que la mienne, une existence ordinaire. Il avait fait ce qu’il avait pu pour m’intéresser à la forêt, pour me montrer l’endroit où sa chair est attachée à l’os. Et pourtant ça m’avait ennuyé. Ce n’était pas ce que je cherchais, finalement. La vie de Sucre ne m’intéressait pas, au fond. J’étais intéressé par la façon dont son corps se déplaçait, comment il évitait les obstacles. Ses mouvements fluides. J’étais intéressé par le corps tropical de Sucre. Sucre ne m’intéressait pas, mais son corps, oui. Je me suis senti colonial et ça m’a rendu honteux. Je me suis dit je cherche les corps tropicaux ; les gens, je m’en fous. Colonial comme Fitzcarraldo, ai-je pensé. Je n’étais finalement qu’un aventurier colonial d’agrément, voilà tout. Mais existe-t-il autre chose ?
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Il ne me resterait plus qu’à reprendre le chemin de la piscine du parc tropical pour m’immerger dans la chaleur du jacuzzi et dans l’entre-deux-eaux tiède des vagues artificielles. Une vie tropicale à ma portée, un élan de mon envergure dont j’aurais dû me contenter, et qui désormais me satisferait.
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Il dirait qu’il est comme moi, rien qu’un corps à la merci d’une volonté plus forte, poussé dans le dos vers la tropicalité de l’existence, celle des faux-semblants et des illusions, et des parcs tropicaux où des vagues artificielles suffisent à faire croire à des lieux qui n’existent pas.
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La cruauté et la violence sont des choses fascinantes et vous autres Européens, elles vous fascinent plus qu’aucun de vos frères humains, mais voyez le mal que provoquent vos rêves !
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J'ai pensé : l'aventure n'existe que qu'à travers le récit qu'on en fait, mais que faut-il de vanité pour juger que celui-ci est légitime...
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Je ne savais pas comment faire comprendre à Sucre que tout ce que je voulais des tropiques était un flottement sans pression et une fluidité, et que mon corps, depuis que j’avais mis les pieds au Pérou, avait subi tout le contraire.
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Je me suis remis à nager en direction de l’ouest, à la brasse, une mouvement pour chaque mesure. C’était facile : le vent me poussait dans le dos.
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Je me suis demandé comment on pouvait demeurer là, coincé entre la route et l’océan, ce qu’il fallait d’envie ou de besoin de rester, ou bien de quel poids le dénuement immobilisait les jambes pour ne pas s’enfuir par l’un ou l’autre bord, vers un ailleurs promis par la mer ou le tarmac, et ce qu’il fallait de certitude qu’on ne partirait jamais pour planter sur les murs de sa maison le projet d’un étage, son squelette narquois et déjà son fantôme.
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Voilà ce que j’aimais, je crois, sous le dôme du parc tropical, cela très précisément : le service minimum de flottaison. Il me semblait que j’aurais pu me satisfaire de vivre une vie ainsi faite, une vie où flotter suffirait, réduit à son expression la plus naturelle, une vie presque nue et dépourvue de volonté, de choix, de décision.
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Je me disais que peut-être ce toboggan symbolisait un trou noir, là où le corps, au-delà de l’horizon des événements, s’approchant dangereusement du centre, ne peut plus résister à la force gravitationnelle et s’y disloque, chacun de ses atomes étiré jusqu’à l’absurde en un fil infini de matière et débouchant peut-être dans un autre univers, à la fois semblable et différent, mais chaque fois pourtant je tombais dans la même piscine profonde où je manquais de suffoquer, et l’univers où je reprenais pied était toujours celui-ci.
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Penser, je ne savais que penser, je ne pensais plus, on ne pense pas quand le rhum rend la pensée liquide et insaisissable. Les mots d’Ernesto flottaient comme des papiers découpés à la surface de la conscience que les courants éloignent les uns des autres.
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Je me suis demandé si le poids de mon corps était suffisant pour déformer la surface de la planète, même à peine, imperceptiblement.
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Plus loin sur l'île on a construit un grand centre commercial, à quelques mètres du terrain d'où les gens du voyage ont été chassés, en sacrifiant une zone humide et une aire de nidification des oiseaux migrateurs. La promotion immobilière n'a que faire de la nature et du nomadisme.
Et d'ailleurs, qu'on inscrive au registre, je vous prie, que je réclame un cercle de l'enfer où architectes et ingénieurs civiles expieraient pour l'éternité leurs méfaits esthétiques [...] L'architecture, c'est comme la photographie de rue: un art beaucoup trop pratiqué par bien trop peu d'artistes. P.92
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