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Citations de Philippe Muray (532)


J’ai vu se délabrer si vite, dès mes premières années, la « fonction paternelle », que je n’arrive plus à me souvenir aujourd’hui qu’elle ait pu exister. Sa disparition a entraîné l’effondrement de toutes ces protections de l’individu que l’on regroupait encore sous le nom d’intimité ; tandis que, dans le cimetière des pères, s’organisait la ronde sans fin, désormais, des fils et des filles débarrassés de leur antique sujétion, ne se connaissait plus d’autre espoir de survie que dans cette entraide inconditionnelle qu’ils parent du nom de « solidarité », quand ce n’est pas de celui de « communication » ou d’ « interactivité », pour ne pas savoir qu’ils y ont déjà abdiqué toute liberté de pensée, toute possibilité de vie privée.
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Il devient de plus en plus difficile de trouver des motifs de satisfaction. Si je regarde en moi et autour de moi, je n’en vois pas beaucoup ; sauf celui d’avoir échappé, naguère, au devoir de reproduction, c’est-à-dire à l’ultime activité fédératrice que se connaisse encore une société auto-torpillée. Je n’ai pas attrapé cette maladie sexuelle, transmissible entre toutes. Sur ce point délicat, je me trouve en accord avec Cioran, qui écrivait en 1962 : « La seule chose que je me flatte d’avoir comprise très tôt, avant ma vingtième année, c’est qu’il ne fallait pas engendrer. » Jeune aussi, j’ai eu la chance d’abominer de bon cœur la vénération qui s’esquissait alors pour la jeunesse et ses prestiges sucrés. Il faut en finir jeune avec la jeunesse, sinon quel temps perdu. Il faut liquider en deux lignes les jeux de l’enfance, laquelle n’est tellement appréciée que parce qu’elle est l’instant où tout le monde se ressemble. Ce n’est même pas l’ « innocence » supposée de ce moment que l’on aime ; c’est la période de magma égalitaire et de similitude enragée que celui-ci représente.
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Ce monde a quelque chose de bon : il suffit de le considérer pour être aussitôt guéri de l’antique peur de le perdre.
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Surtout que de nouvelles tortures délectables sont en train de nous pendre au nez. De nouvelles torpilles nous visent. « Les outils de la communication mobile se multiplient ! » Réjouissance générale à Cordicopolis. « De nouvelles proximités se précisent ! » Tous les esclaves sautent de joie ! « Demain chacun de nous sera joignable, où qu’il se trouve, à tout moment ! » (...)
Quand je pense que les relations amoureuses de Flaubert et de Louise Colet ont commencé à se détériorer à cause du « progrès », déjà, des « communications » (l’ouverture de la ligne Paris-Rouen, en 1843, raccourcissant soudain désastreusement les distances) ! Ils ne connaissaient pas leur bonheur !
Être loin, où que ce loin soit, n’a plus aucun sens. Rendez-vous tout de suite, vous êtes cernés ! Plus d’excuses pour ne pas être joignables, plus aucun prétexte pour disparaître, plus aucun endroit, plus d’inconnu, plus d’ailleurs. Plus d’invisibilité. Plus d’extériorité subtile. Vous êtes dedans ou vous êtes mort ! Présent toujours ! Scouts 2001 ! S’absenter va devenir un exploit, une opération délicate qu’il faudra longuement, très férocement préméditer. On concevra des championnats clandestins de disparition. Ne pas répondre sera de l’ordre des sports les plus raffinés, réservés à une élite, une fête pour les mauvais esprits, une infidélité au rituel, un minicrime contre l’espèce, une exaction prodigieuse. Un de ces coups d’éclat mémorables que les générations suivantes se répéteront avec ferveur.
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Evolutionnisme réincarnatif, migrations sidérales, justice sociale zodiacale, progrès de sphère en sphère, réduction des inégalités et Karma, la confusion est apparemment à son comble, n’est-ce pas ? Mais non, il s’agit toujours d’assurer par tous les moyens la réhabilitation ici et maintenant de la créature trop longtemps assujettie par des dogmes humiliants. De lui offrir le grand projet dont elle était privée. Economico-spirituel. La métempsychose garantit le progrès, affirme carrément Lavater. Bien sûr, de nos jours, on ne parle plus comme cela. On est devenu plus rusé. Secret. Illusions de la magie ! Avenir sans religions !
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Que dit l’Illuminisme ? A l’origine de tout est l’unité. Nous ne pensons pas selon notre seule raison, mais par cette hypothèse intuitive, globalisante, cette spéculation du cœur où Dieu a sa demeure et d’où il darde ses rayons sur l’intellect qu’il illumine, ainsi que l’explique par exemple Dutoit-Membrini. Vérités du cœur, larmes du cœur… Pour mieux sentir ce qu’il n’y a pas à comprendre, détournons-nous de l’Europe ergoteuse et regardons vers l’Asie qui sait ce que sentir pour penser veut dire. Recherchons la tradition-mère dont les nôtres sont les déchets.
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L’illuminisme a parlé dans les Lumières de la même façon que, trois octaves plus haut, l’occultisme s’est exprimé dans le socialisme. Par lapsus, calembours, dénégations. Dans un rêve à lire de près pour essayer d’interpréter nos énigmes, la logique de nos obsessions.
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Se croire au 19e siècle alors qu’ils entrent dans un temps qui n’est que le rêve universel de l’Histoire. Le rêve qu’il y ait enfin une Histoire. Le 19e siècle n’a pas d’âge, il est aussi vieux que ce rêve. De l’Egypte à aujourd’hui. Avec cette différence tout de même qu’au 19e proprement dit les rêves enfin se concrétisent. On rassemble, on réunit. Satan est réconcilié, les damnés secouent leurs chaînes, les esprits vont se mettre à table, la fête va commencer.
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Ce sont en effet les nouveaux officiants sacerdotaux, Michelet brahmane, Hugo druide, Renan lama madré, qui tournent les moulins à prières, réinventent la liturgie, les danses sacrées, les fêtes de flagellants, tombent en transes et lévitent. Pontifes maximes, purificateurs astrologues, rédacteurs d’horoscopes versifiés. Pour une croyance différente, bien sûr, mais où le doute est moins permis encore que dans les anciennes. Et les interdits plus efficaces.
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Sous l’Empire encore il fallait pour venir de Calais à Paris acquitter trente-quatre droits différents. Péages, barrières douanières intérieures. Le libéralisme économique est encore loin de ses débuts. Les embryons des syndicats sont persécutés. On considère la limitation des heures de travail comme une atteinte à la liberté de ce même travail. Nuit des siècles… En 1848, on pensait encore qu’un journal était un véhicule de vérité. Avec la possibilité pour tous d’apprendre à lire, allaient s’effacer les malentendus entre les classes et la domination de l’homme sur l’homme. Ouvrez une école, vous fermez une prison. L’enseignement devait supprimer le crime comme la conscription généralisée devait rendre les guerres impossibles. En 1866, le premier congrès de l’Internationale socialiste vote unanimement en faveur de l’armement du peuple et de son instruction militaire. Un autre temps, vraiment où on pouvait imaginer avec simplicité que la véritable mère du malheur s’appelait l’ignorance.
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Il n’y a qu’un seul idéal de pensée progressiste. Dont l’autre nom si difficile à faire admettre, le seul et unique autre nom, est l’occultisme.
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Le fantasme de la passe hypnotique n’est plus fort que la mort qu’à condition de ne pas se réveiller. Le sommeil magique fait durer la mort, il peut lui donner une sorte d’apparence d’éternité torturée. Le réveil déclenche la destruction. La prétendue vie qui n’est qu’une aspiration à la mort, c’est-à-dire à la pleine conscience du réveil aussi absolu que mythique, ne se soutient provisoirement que de sa suspension dans le sommeil.
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Il n’y a pas d’autre collectivisme que magique, je vais essayer peu à peu de le démontrer. Otez la magie, les nécromancies, les nuits troublées par des coups au plafond, les meubles déplacés, l’infini qui craque, les extra-terrestres, les astro-flashes, les descentes présidentielles dans les cryptes, d’un seul coup vous n’avez plus de société. Plus rien. Plus d’ombres, plus de fantômes, plus d’espoir.
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Début de l’avenir. En s’appuyant sur les morts. Début de la futuration. De l’hallucination d’une vision d’avenir à partir du déchet, du cadavre arraché à sa mort provisoire (catholique) pour être figé dans le coma définitif.
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Il est intéressant aussi de se souvenir que c’est à la même époque qu’on se met en tête d’inventer le concept de musée. A l’occasion de la fête du 10 août 1793. Le Louvre, ancienne résidence des rois, devient cimetière à œuvres d’art. A cette occasion également, la Convention décrète l’ouverture du musée des Monuments français où va s’entasser ce qu’on a volé dans les églises.
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La magie comme maladie infantile de la politique en croissance ? Comme crise d’acné juvénile ?
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[A propos de Michelet]

Dans son œuvre d’historien qui n’est elle-même qu’un extraordinaire monument hyperfonctionnel élevé à la gloire de l’Empire de la Mort, cette description technique, méthodique et raffinée d’un appareil destiné à la fois à faire disparaître les cadavres et à entourer cette disparition d’une majesté toute moderne, m’apparaît comme une sorte de résumé, de condensé imagé de la méthode même de Michelet, de son travail et des raisons pour lesquelles il écrivait [...].
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Ce qui apparaît avec les Catacombes de Paris, 1786, c’est proprement une discipline nouvelle, inconnue jusque-là du moins en tant qu’organisation cohérente et officielle. L’art de sauver les corps, les phénomènes, les ombres vivantes, par leur dialogue avec les morts. Toute la littérature va en être infléchie du coup, ça crève les yeux et il semble qu’on ne l’a guère vu ni dit jusqu’ici. […]
Enfouir les morts. Que faire avec les morts ? Fours, chaux ? Crématoires ? Question unique du 19e siècle qui a fini par trouver ses réponses d’enfer au 20e. Une civilisation qui commence doit d’abord poser ses règles de conduite vis-à-vis des morts, sans quoi elle risque de patauger en ce qui concerne l’organisation sociale des vivants. Les Catacombes sont un premier essai original, la création d’un symbole inédit, positivation de la fosse commune par le tombeau collectif décoré et ornementé. Où on commence par enfouir le passé catholique et ses Catacombes chrétiennes. […] Tout le monde dans le même sac de tombeau, premier essai de destruction des privilèges. Suppression des différences chez les morts avant de les abolir chez les vivants.
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La vie… Ils diront tous la vie [en italique] au 19e siècle, presque tous, avec un tremblement sacré, la ferveur de ceux qui ne peuvent plus aller plus loin. Dans l’effondrement des valeurs, c’est là qu’ils croiront en reconnaître une pour reconstruire un monde.
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Au cimetière des Saints-Innocents, comme dans tous les autres « dortoirs » […] construits à partir de la logique, de l’esthétique et de la théorie théologiques, les morts étaient évidemment traités un peu par-dessus la jambe. Considérés comme des éléments, des accessoires provisoires, transitoires, de l’illusion elle-même comique de la vie. Le macabre chrétien ou catholique dont se plaignent tant les modernes n’est scandaleux que du point de vue où la mort serait respectable comme réalité finale de la vie et preuve que la collectivisation de l’individu est au moins là possible. Du point de vue catholique elle est nettement moins sérieuse, nettement plus métaphorique. La grande fugue baroque ne cessera de mettre ça en spectacle, comme le point aveugle de ses jeux de trompe-l’œil où la cible visée par ses statues-vrilles. La mort, les supplices des martyrs, les chairs bouillies et rôties ? Une vérité peut-être mais qui comme toutes les vérités passe et se transforme.
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