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Citations de Philippe Muray (532)


Philippe Muray
sur Paradis de Philippe Sollers

Tout est clair dans Paradis, il suffit de suivre chaque piste, chaque ressaut de l’énoncé annonçant une nouvelle position de sujet, une nouvelle énonciation, inépuisablement. Déplacez-vous par exemple dans un des couloirs sombres où Philippe Sollers promène en les exorcisant les fétiches de ce temps, femmes, profs, conférenciers, artistes, clients des divans, écoutez l’écho du « yapadom », « yorajamédom », qui résonne sur leur meute, revient de séquence en séquence, se ramifie de rime en rime. De quoi cette ritournelle est-elle le refrain ? D’une absence fondamentale autour de laquelle tournent des rondes orphelines d’autant plus enragées qu’elles ont voulu cette absence. Plus de Père ! C’est-à-dire, pour la tribu, une dette d’autant plus envahissante qu’impayable. D’où le cirque, la parade, la course en sacs de couchage des hommes et des femmes, leur kermesse féroce à couteaux tirés, leurs emboîtement, corps, sexes, fractions broyées d’artifices que Sollers entraîne, immerge dans des flashes intarissables d’humour : « a couche avec b qui couche avec c qui vient de coucher avec d qui va sans doute coucher avec e qui regrette de ne plus coucher avec f qui recouche maintenant avec g qui ne veut plus coucher avec h qui couche encore avec i qui couche avec la femme de j qui couche avec la régulière de k qui couche moins souvent avec l qui couche avec le mari de m qui couche avec le mec de n qui couche avec o p q r s non tu n’y penses pas t est homosexuel comme u et v d’ailleurs w je ne sais pas mais x y z sûrement le problème à présent c’est z va-t-il coucher avec a ». Il y a un ordre à ce monde de possédés, c’est la « spermogrammation », et une réponse à tout : na . La réponse du Tout aux questions de tous : Na : « le dernier mot fond des choses la formule des métempsychoses ». Il n’ y a pas de ponctuation dans ce livre pour faire sentir à quel point cet univers est diaboliquement surponctué par le na des créatures en train de se justifier ponctuellement sans cesse par leur procréation. Il n’y a pas de ponctuation parce que les points et les virgules sont abondamment fournis par l’enchaînement infini des générations dont la forme de ce livre est comme la sculpture négative, révulsive.



Suivez aussi la grande déchirure du sujet autobiographique : des prénoms de femmes, beaucoup de prénoms pris dans la « danse hébétée ratée » du mirage sexuel, l’Histoire, Front Populaire, guerre d’Espagne, Occupation, Bordeaux, Algérie, des maladies, des crises, une morgue, une fin d’après-midi à Barcelone avec Dominguin offrant un taureau à la foule, une danseuse de cabaret, des voyages, New York, le passage au crible quotidien des noms du passé et du présent, la culture, toute la culture, tous les livres secoués chaque matin pour les faire avouer, et aussi beaucoup de mouettes sur des rivages d’Atlantique, des rives de départs, de décentrements. C’est le réalisme lui-même : les concrétions du concret. Les phénomènes passent, Sollers nomme les lois qui font passer les phénomènes. Le réel, disait Baudelaire, c’est « ce qui n’est complètement vrai que dans un autre monde . » De cet autre monde, quelle figure ont les choses d’ici ? Déchets, erreurs, bals nocturnes dans des sépulcres... Ici ? Ici, la vie ne veut pas mourir, c’est la mort qui vit. Les vivants n’ont jamais été aussi malades qu’aujourd’hui parce que jamais ils n’ont si férocement refusé de mourir, jamais si tragiquement désespéré de la mort. Ce qui fait que la mort - l’ordre du monde, la jouissance du "diable" - est là, en nous comme dans les Etats, aveuglée sur elle-même.
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Philippe Muray
sur Paradis de Philippe Sollers


Regardez l’enchevêtrement des centaines de milliers de circuits d’un microprocesseur sur sa tranche de silicium. La planète en se planétarisant est devenue si étrangement minuscule dans son gigantisme dévoilé qu’on peut d’ores et déjà envisager de la traiter toute entière dans des systèmes électroniques à capacité d’intégration d’autant plus grande que leur surface sera petite.

Regardez aussi très loin en arrière de nous ces dallages d’église médiévales où étaient dessinés des parcours de labyrinthes figurant la Terre Sainte, et plus mystérieusement les chemins entremêlés du Paradis.

Mettez face à face avec leurs siècles de distance ces deux représentations de la complexité absolue : d’un côté le micmac transistorisé des données du monde réduit à ses abréviations, de l’autre l’inextricable entrelacs des routes qui s’égarent et mènent à l’illimité. Imaginez ce dialogue de dédales, la confrontation entre le miniaturisateur logique des données chiffrées du monde en chute, et le dessin de l’énigme dont la question comme la réponse se trouvent hors de ce monde. Vous aurez un peu du sens qui fulgure dans Paradis, un livre qui se dresse seul, tout seul, comme une butte-témoin dans un espace dévasté. Un roman qui paraît aujourd’hui, au milieu de la débandade accélérée de la littérature - retour en force des archaïsmes, nouveaux terrorismes commerciaux, nouvelles répressions de la langue, sinistres pressions de la "lisibilité" -, un roman dont on ne peut sans émotion aborder l’incontestable grandeur.



Puisqu’il paraît que tout le monde veut du vrai, de l’humain, du réaliste, disons les choses nettement : Paradis est actuellement le compte-rendu le plus réaliste, le plus rigoureux, le plus rationnel de nos comédies humaines versées à l’ordinateur. Pas pour y être rapetissées, tassées dans la rigolade subjective d’une langue prétendue naturelle (comme le fait notre nouvelle réaction classiciste, notre nouvelle "école romane") ni pour y être stockées dans une encyclopédie devenue folle (rêve des vieilles avant-gardes). Mais pour y être interprétées point par point afin de dégager le sens de chacune de nos catastrophes. Ni encyclopédie ni traité ni confession, ce roman est une Somme, le résumé chiffré dans une lumière de révélation de ces débris d’histoire, de ces déchets de bibliothèque calcinée que nous sommes. Avec un rire en plus, permanent. Mais qui sait si les inventeurs de Sommes ne savaient pas rire ? L’humour de Paradis veut dire : une complicité parfaite avec chaque sujet traité, une intimité secrète avec chaque énoncé. Ça veut dire : mon rire était là, sans moi, à chaque instant évoqué, au XIVe siècle avant J.-C. comme au Ve après, à la mort de Shakespeare, à celle de Freud, dans la familiarité et l’amitié de chaque évènement du monde, dans sa compréhension la plus aiguë. On pourrait démontrer que la quaestio , une unité de mesure des Sommes de jadis, y est mise en jeu sans cesse avec ces quatre temps logiques : objections des adversaires, autorité sur laquelle s’appuie la réponse aux objections, réponse, reprise des objections pour les réfuter. Le plan des Sommes théologiques n’était autre que le plan de la réalité en train de se communiquer à elle-même par ses créatures la perfection du Créateur. D’où vient que le plan de Paradis soit quelque peu embrouillé, ou même qu’une apparence de non-plan y soit délibéré ? Peut-être fallait-il ce non-plan pour démontrer le plan maléfique à l’oeuvre dans la réalité, ce sans-plan pour éclairer le semblant de l’imbroglio contemporain, cette distance pour le démêler de loin ?
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23 janvier 1993.
... mots de Céline à Henry Miller, en 34 (...) : "Sachez avoir tort - le monde est rempli de gens qui ont raison - c'est pour cela qu'il écoeure."
p. 388
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8 avril 1992.
Un spécialiste américain de l'histoire de la littérature donnait récemment les quatre raisons pour lesquelles celle-ci est en train de disparaître (...) 4. Les livres sont écrits pour appartenir au journalisme et non plus à la littérature. Il faudrait y ajouter, à mon avis, la nouvelle injonction, diffuse et en même temps implacable, d'approuver partout un monde qui se prétend idéal puisqu'il veut le bien de tous, et qui ne saurait tolérer le moindre manquement de respect à son égard. L'enfer des écrivains a toujours été pavé de médiateurs, mais jamais encore ceux-ci n'étaient apparus sous le masque inattaquable de la philanthropie.
p. 119
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30 janvier 1992.
Conclusions ?
...
4. L'Europe est désormais le plus court chemin d'une haine à une loi.
5. La restauration de l'éminente dignité de la censure peut être considérée comme quasi achevée.
...
7. Je n'écris plus, je produis du contrepoison. Fin de la "crise" de la littérature, qui se transforme en chimie indispensable.
p. 50
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1 janvier 1992.
Il faut se mettre en travers du siècle, ce n'est évidemment plus "innover". On peut abandonner cette manie avant-gardiste aux publicitaires, aux entrepreneurs, aux managers et aux derniers hommes politiques, enfin à tous ceux qui espèrent continuer éternellement à nous vendre des saloperies dont nous n'avons nul besoin. Se mettre en travers du siècle, c'est d'abord mettre en question "le siècle" lui-même, la chose, avec sa myriade de de subdivisions jamais pensées (générations, périodes, époques, années 70, 80, etc). Se mettre en travers du siècle, c'est commencer par dire qu'il n'y a pas de générations, qu'il n'y a pas de périodes, qu'il n'y a pas "d'esprit" des années 60 ou des années 80, qu'il n'y a pas d'années 60 et qu'il n'y a pas d'années 80.
Se mettre en travers du siècle, c'est casser les pattes à l'hystérie des découpages temporels.
Se mettre en travers du siècle, c'est démontrer, chaque fois que l'occasion s'en présente, le caractère commercial (il n'y a plus de générations parce qu'il n'y a plus de "fossé" entre les générations, mais c'est le secret-défense du business) et le caractère religieux (ce qui disparaît revient en culte) de la notion de génération.
Toute oeuvre ne ne se structure pas comme une conspiration est nulle et non avenue.
Mais toute oeuvre digne de ce nom est déjà, par elle-même, un acte de désobéissance envers un monde qui pense en avoir finir avec ce genre de fantasmagorie.
p. 11
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13 janvier 1992.
Le problème n'est plus de connaître beaucoup de gens, d'être aimé par beaucoup de gens, mais au contraire, à mes yeux, d'en connaître le moins possible. Deux ou trois suffisent désormais puisqu'ils se ressemblent tous.
p. 28
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Ce qu’il y a de fondant, à Cordicopolis, ce sont toutes ces âmes idylliques qui s’imaginent qu’on pourrait avoir le Bien sans le Mal, le tigre sans ses griffes, la langue française sans ses buissons d’épineuses incohérences, le soleil sans la pluie, des voitures sans pollution, une « bonne » télé sans ses pubs, la littérature sans son revers de crime par lequel elle s’immortalise, les loisirs de masse sans le béton, la chimie industrielle sans les pluies acides. Le beurre sans l’argent pour le payer. Midi à quatorze heures comme toujours. Autant rêver de Céline sans ses « Bagatelles ». Un « Céline qui penserait juste », ainsi que je l’ai lu quelque part. La réconciliation des contraires. La Paradis sans la Chute.
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Dans l’au-delà, je me souviendrai encore de ce bruit inusable de fond, de ce vacarme qui n’arrêtait plus jamais, de cette musique prisu persécutrice qui traînait le long de mes fenêtres, montait me chercher à gros bouillons, venait taper contre les murs, rebondissait dans mon bureau, s’effilochait sur les papiers, visait directement aux neurones sans même passer par les tympans. Comme si une seule maison de disques internationale, une seule Multinationale du Son, avait orwelliennement pris possession de la totalité du genre humain. Une seule boîte à rythmes géante battant elle-même maniaquement comme le cœur intuable et autonome de la nouvelle réalité.
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Cordicopolis s’est offert les écrivains qu’il méritait : auteurs de synthèse, romanciers de substitution, vidéologues industriels, poètes du troisième type, purs produits de manipulations génético-éditoriales destinés à correspondre aux nouveaux standards imposés par le Programme, et qui n’auraient jamais pu voir le jour si ce Programme n’existait pas. Mieux adaptés que ceux d’autrefois aux conditions de survie en milieu spectaculaire, ils sont chargés de se battre dans le monde du Spectacle avec les armes du Spectacle, et le temps de leur existence est indexé sur celui de leurs prestations.
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Écoutons un peu le marmonnement de la grande ferveur des bien-portants. Ils nous veulent tous concernés, sommés d’adhérer, responsabilisés, transformés en militants, en agents hospitaliers. Le projet thérapeutique a triomphé. Seul notre argent, il y a encore dix ans, intéressaient les vampires ; depuis les écrous se sont resserrés : maintenant c’est nous tout entiers, du bulbe aux tripes, qu’ils avalent, tout notre avenir, notre santé, aussi bien mentale que physique.
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Ainsi le Consensus mou est-il une violence inattaquable, un extrémisme du Juste Milieu, l’asexuation générale enfin réalisée, radicale, une sorte de transsexualisme absolu sans les paillettes ni le pathétique.
Alexis de Tocqueville encore :
« Des chaînes et des bourreaux, ce sont là les instruments grossiers qu’employait jadis la tyrannie ; mais de nos jours la civilisation a perfectionné jusqu’au despotisme lui-même, qui semblait pourtant n’avoir plus rien à apprendre. »
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L’intéressant, c’est que le lynchage prend maintenant des masques progressistes. Rejetés par la porte, les vieux réflexes de haine et d’exclusion rentrent aussitôt par la fenêtre pour s’exercer contre de nouveaux boucs émissaires toujours plus incontestables.
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Que tout cela se paye par beaucoup de lourdeur, énormément de mauvais goût, et surtout des lois, des lois nouvelles, des lois tout le temps, des lois pour tout, des lois inédites presque chaque jour, pour notre confort, pour notre bonheur, voilà qui n’a rien d’illogique. Et qui s’en plaindrait ? D’ailleurs nous les voulons, ces lois, nous n’arrêtons pas d’en demander d’autres. Ce sont tous les jours des suppliques, la même plainte quotidiennement, le même sanglot : « Des lois ! Des lois ! Encore ! De nouvelles lois ! Des décrets pour tout ! Des lois-cadres ! Une nouvelle législation ! Des punitions ! Des châtiments ! »
Le monde change, les mœurs évoluent, il faut répondre au coup par coup…
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Nous voilà donc atteints d’un Bien incurable. Ce millénaire finit dans le miel. Le genre humain est en vacances. C’est comme un vaste parc de loisirs que je voudrais essayer de peindre notre village planétaire. Un parc aux dimensions du territoire. De la France. De l’Europe. Du globe bientôt. Une grande foire spontanée, permanente, avec ses quartiers, ses longues avenues, ses défilés, ses séances organisées, ses crises d’amour, d’indignation….
Incipit
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Nous vivons l’âge du sucre sans sucre, des guerres sans guerre, du thé sans thé, des débats où tout le monde est d’accord pour que demain soit mieux qu’hier, et des procès où il faut réveiller les morts, de vrais coupables jugés depuis longtemps, pour avoir une chance de ne pas se tromper.
(page 29)
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Au nom de l’Intérêt Général, tout devient suspect, dénonçante.
L’exigence de la « vérité », la Transparence divinisée, la glastnost appliquée à la télévise quotidienne, voilà le truc mirobolant des Vertueux de profession en pleine trémulation, en pleine lévitation de Bienfaisance. « Pharisaïsme », aurait-on dit en des temps un peu plus cultivés…
(page 44)
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« Entre la droite et la gauche, il y a la différence qu'il y a entre ce qu'on dit de moi et ce que je dis de moi. L'homme de droite, en général, est dit de droite. On le parle. On l'accuse. On le définit. Être de droite, c'est être dans une attitude passive, une situation de défini. Masochisme. L'homme de gauche, en revanche, se dit de gauche. C'est de lui-même que vient sa propre définition. Quand il le dit, il manifeste en même temps une immense satisfaction de son être. Il faut entendre ce qu'il dit de lui-même comme un soupir de satisfaction. »

Philippe Muray, Ultima necat II, Les Belles Lettres, p. 15.
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Les neuf dixièmes des événements, en réalité, sont ressassés désormais si longtemps à l'avance, si rabâchés et recommentés, que lorsqu'ils ont lieu enfin, ils sont à peine présentables tellement ils ont servi avant d'exister. Le bicentenaire de 89, déjà, ressemblait à sa propre rediffusion.
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[…] les femmes qu’on a eues sont comme une guirlande de belles étoiles vaginales suspendues entre deux néants, cousues les unes aux autres, reliées par la queue qui les as enfilées.
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