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3.69/5 (sur 57 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Lyon , le 01/01/1953
Biographie :

Philippe Videlier, historien au CNRS responsable de l'unité de recherche "Sociétés en mouvement et représentation", membre de la mission de préfiguration du Centre de la Mémoire de Villeurbanne
et écrivain, a publié Le Jardin de Bakounine et autres nouvelles de l’Histoire (2001) et Nuit turque (2005). Dîner de gala est son troisième livre aux Éditions Gallimard.

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Quatre saisons à l'hôtel de l'univers


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Kazimir Malévitch se rendit à Vitebsk où se trouvait déjà Chagall, installé dans l’hôtel particulier déserté d’un banquier dont il avait fait une école de peinture à sa manière. Au faîte flottait son drapeau : un cavalier monté sur un cheval vert – À Vitebsk, de la part de Chagall. « Dans ce trou éclôt à présent un art révolutionnaire colossal », s’enthousiasmait le peintre (parce que Vitebsk était un petit pays provincial posé quelque part entre Smolensk et Minsk). Les artistes décoraient Vitebsk et Vitebsk attirait les artistes. « Les places publiques sont nos palettes », aimaient-ils à déclarer, au comble de l’allégresse. Les habitants du lieu étaient heureux de voir de telles gloires s’occuper de leurs affaires, de telles sommités se pencher sur leurs destinées. Tantôt ils se voyaient représentés par de petits cochons accompagnés au violon, d’aimables chevrettes agitant les pattes, des vaches incarnat ou des gallinacés évanescents sur un bleu profond, tantôt par des figures géométriques franches, orange, émeraude, indigo, brillantes et découpées. Les artistes se déplaçaient de loin pour voir de quoi il retournait. « La ville était encore illuminée du flamboiement des décors de Malévitch – cercles, carrés, points, lignes de toutes les couleurs – et des personnages volants de Chagall, se pâmait une adoratrice. J’avais l’impression d’être tombée dans une ville ensorcelée, mais, en même temps, tout cela était réel et merveilleux et les Vitebskois étaient devenus pour un temps suprématistes. » (« Cavalerie rouge »)
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Sur la pellicule , il retrouvait Mickey!Mickey en apprenti sorcier grimpant des escaliers ,Mickey vêtu d'une houppelande rouge ,coiffé d'un chapeau étoilé de magicien,Mickey commandant à un balai , à dix balais, à des dizaines de balais qui lui échappaient ..Et l'eau qui montait, montait.Ah ! Mickey!
En dépit de son affection pour Walt Disney ,Mussolini déclara la guerre aux Etats-Unis.
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À défaut désormais de pouvoir peser sur le cours des événements, de transformer le monde, il tentait plus que jamais de l’interpréter. Ce n’était pas exactement pareil. C’est vrai. Mais c’était sa façon de demeurer dans la vie. « Je m’intéresse aussi à ce qui advient dans le monde. »
(...)
Malgré l’adversité qui le contraignait, il se nourrissait de l’expérience des autres.
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À une certaine époque, celle que les livres d’histoire appellent la Belle Époque, Trotsky fut employé par la Kievskaya Mysl, important quotidien démocrate et de la ville de Kiev, en Ukraine. Trotsky possédait en effet une brillante plume. Il la conserva toute sa vie. Trotsky aurait pu être écrivain de métier et, de fait, il l’était quoiqu’il n’en fût pas récompensé et n’obtînt aucun prix littéraire (sans compter qu’il dut discuter âprement ses droits d’auteur).
Le premier article que Trotsky livra à la Kievskaya Mysl – La Pensée de Kiev – était consacré à une revue satirique de Munich, Simplicissimus, qui publiait les dessins acérés de Thomas Theodor Heine. Ça, on peut dire que c’était un artiste, Thomas Theodor Heine ! Peu nombreux sont ceux qui lui arrivent à la cheville. Trotsky était heureux de son travail. « Un quotidien de cette sorte, disait-il de la Kievskaya Mysl, ne peut exister qu’à Kiev. » C’était une manière de compliment. Trotsky connaissait parfaitement Kiev, pour y avoir résidé clandestinement en février-mars 1905, au moment de la première révolution contre le tsar Nicolas II. Sous le faux nom d’Abrouzov, « sous-lieutenant en retraite » (bien qu’il n’eût alors pas vingt-six ans), il y rédigeait des proclamations enfiévrées imprimées secrètement et prenait des bains de pieds dans une clinique où il se faisait passer pour un patient.
Kiev était une ville plutôt agréable, aux maisons roses ou blanches, aux toits verts, on y mangeait des fruits confits et les confitures de cassis, de reines-claudes ou de groseilles vertes de Balaboukha, on y savourait les chocolats de Poliakov, on y buvait la bière et l’hydromel de Kriakov. Il pouvait y avoir, et il y avait certainement, ici comme ailleurs dans le monde, de quoi rire et de quoi pleurer. Des cinémas pleins à craquer projetaient pour leur public ravi des films burlesques. À l’Express, au Corso, au Renaissance, au Monte-Carlo. Des films drôles produits à Paris ayant pour vedettes Rigadin, Rigadin et le chien de la baronne, Rigadin aux Balkans, ou André Deed, le comique qu’en Russie on appelait Gloupychkine et en Italie Cretinetti. Et puis les exploits prodigieux du détective Nat Pinkerton. On vit à Kiev Fantômas, et des drames à verser des larmes, Les Misérables avec la pauvre Cosette et l’infâme policier Javert, un type de mouchard commun dans l’Empire des tsars. Il y avait donc amplement matière à se distraire et réfléchir. Au tournant du siècle, Kiev s’était découvert une passion pour le jeu d’échecs. Un club avait pris Racine au café de Varsovie (ainsi nommé parce que le propriétaire était polonais). Un maître des échecs y fit ses classes, Fiodor Ivanovitch Douz-Khotimirski que les amateurs éclairés donnent pour inventeur de la variante du dragon, déplaçant le fou noir en case g7. Fiodor Ivanovitch Douz-Khotmirski fut arrêté quatre fois par la police du Tsar, non à cause de ses audaces échiquéennes mais des opinions politiques embarrassantes qu’il ne parvenait pas à dissimuler. Son partenaire de jeu Vladimir Nicolaievitch Yourevitch, moins chanceux, mourut à l’automne 1907 dans la prison de Kiev pour un mot de trop.
Kiev possédait une université majestueuse aux murs rouges devant laquelle se dressait un monument à Nicolas Ier, tsar et autocrate de toutes les Russies selon son titre exact mais raccourci. À l’origine les enseignements étaient dispensés par des moines ayant fait vœu de ne jamais manger de viande, mais dont nul n’ignorait qu’ils transgressaient cette règle sans vergogne. La ville s’enorgueillissait de sa cathédrale Sainte-Sophie aux coupoles d’or. Un pont suspendu de sept cent soixante-seize mètres enjambait le Dniepr, le pont Nicolas, gardé aux deux bouts par des soldats. Les voies, souvent, montaient, descendaient, car Kiev, « comme Rome » soulignait-on, occupait plusieurs collines, leurs flancs et leurs sommets. Il y avait à Kiev des rues animées, à commencer par le Khreshchatyk qui partageait la ville, en bas, mais aussi la Fundukleevskaya, la Mariinsko-Blagoveshchenskaya ou la Nikolaevskaya, et le square Nicolas agrémenté de bassins et d’un jet d’eau. Kiev possédait plusieurs théâtres fort courus et un opéra de haute qualité où se produisaient avec grand succès des divas étrangères dans Roméo et Juliette ou Rigoletto (les théâtres préféraient l’opérette viennoise). Kiev était sillonnée par des tramways électriques et l’on comptait dans la cité assez de lecteurs pour plusieurs quotidiens dont un, au moins, de progrès.
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Il fallait certainement du désespoir ou de l'âpreté pour demeurer plus de deux semaines dans la colonie isolée du sud de l'Arabie quand on n'y était tenu par le service de la reine Victoria et de la Compagnie des Indes. Sous les arcades de l'hôtel de l'univers d'Aden, transformées par extension en Grand Hôtel de l'univers, s'attarda, à ce qu'on sait, un citoyen mélancolique de Charleville, vêtu de clair. Il n'était pas heureux alors si tant est qu'il le fût jamais. (...) Etant muni d'une recommandation acquise dans un port de la mer Rouge, Rimbaud fut embauché chez un négociant lecteur de Jules Verne, fils de soyeux lyonnais. Son contrat définitif porte la date du 10 novembre 1880. Aden, noir. "Les mouches éclatantes qui bombinent autour des puanteurs cruelles." Il était jeune encore, Arthur Rimbaud quand, perdu pour la poésie il vint exercer là une activité de contremaître dans cette entreprise de tri du moka, déployant son autorité sur un atelier de femmes colorées que les Blancs appelaient " le Harem". La poésie n'a qu'un temps, c'est vrai, le reste est pour l'argent.
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À New York, Trotsky préparait fébrilement son retour. Le 25 mars, afin de régulariser son passeport, il se présenta au siège du consulat général de Russie, d’où avait été décroché le portrait de Nicolas II, puis il se rendit au consulat britannique pour obtenir un laissez-passer. Deux jours plus tard, il embarquait, avec femme et enfants, sur un navire en partance pour l’Europe, le Kristianiafjord de la Norvegian America Line, un paquebot aux deux cheminées jaunes. Mais le 3 avril à l’escale de Halifax, port canadien de Nouvelle-Écosse, la police de Sa Majesté britannique le pria, lui, sa famille et cinq autres réfugiés russes, de descendre à terre pour interrogatoires menés avec diligence, mais peu de tact, par les officiers McCann et Westwood. On le transféra sans plus de raisons à Amherst, dans un camp de prisonniers de guerre allemands commandé par un colonel de la Coloniale, vétéran de la guerre des Boers en Afrique du Sud. Là, il passa un mois dans de pénibles conditions. Le Novy Mir de New York fulminait : « Ceux que la révolution russe a libérés gémissent maintenant dans les prisons des bachibouzouks canadiens ! » Ne pouvant chasser le naturel, Trotsky s’employa à convaincre et convertir les Allemands prisonniers. Avec un succès certain. Lorsqu’il fut libéré, sur intervention des nouvelles autorités russes, les marins allemands captifs lui firent cortège jusqu’aux portes du camp en chantant L’Internationale.
Quand au terme de ses tribulations il atteignit la Suède, Léon Trotsky accorda une interview sur sa détention au Social-Demokraten, le journal des socialistes, qui donna quelque audience à ses protestations contre la perfide Albion. « Les bâtiments étaient fort exigus et il y régnait une grande saleté… » disait-il du camp canadien. Trotsky raconta comment il faisait aux prisonniers allemands des conférences sur Zimmerwald et sur la révolution russe, causeries qui furent bientôt interdites par le colonel de la Coloniale à la requête des officiers germaniques. Les prisonniers en colère signèrent contre cette mesure vexatoire une pétition qui recueillit cinq cent trente signatures. Malgré les vicissitudes, donc, « Trotsky déclara que son séjour forcé à Halifax restait néanmoins le meilleur souvenir de sa vie » (jusqu’alors, c’était son évasion de Sibérie en traîneau tiré par des rennes).
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C’est alors, pour le malheur de l’Europe, qu’en quelques semaines sombra la Belle Époque, c’est alors qu’éclata la guerre, la Grande Guerre meurtrière, dévastatrice, mettant aux prises les empires centraux, Allemagne, Autriche-Hongrie, et l’Entente anglo-franco-russe. Accompagnant Trotsky au Service des étrangers de Vienne pour savoir à quelle sauce l’exilé devait être mangé, le psychiatre Victor Adler eut ces mots : « La guerre donne du large à tous les instincts, à toutes les formes de démence. » La police viennoise accorda vingt-quatre heures à Trotsky, ressortissant russe, pour déguerpir et quitter l’Autriche. On lui signifia son expulsion le 3 août 1914 à 3 heures de l’après-midi, à 6 h 10 il prenait le train pour la Suisse avec sa femme et ses deux fils. Selon ses souvenirs, Léon Trotsky entra en France le 19 novembre avec des papiers remis par le consulat impérial russe de Genève qui le vieillissaient d’un an. « Paris était triste », constatait-il tristement. « Le soir, les rues s’emplissaient de tristesse. » Il faisait froid. – 5 °C la nuit. Pour maintenir le moral, Le Petit Parisien, journal quotidien, inaugurait son feuilleton littéraire L’Espionne de Guillaume, par Arthur Bernède, où l’on voyait « l’extraordinaire policier » Chantecoq affronter sa « redoutable ennemie », la Prussienne Emma Luckner. De sa plus belle plume et presque sans faute de français, Trotsky écrivit à Monsieur le Secrétaire du Syndicat de la Presse Étrangère : « M’étant installé à Paris comme correspondant attitré du journal russe Kievskaya Mysl, j’ai avec ceci l’honneur de poser ma candidature comme membre de votre honorable syndicat. Agréez, Monsieur, l’expression de mon estime très distinguée, Léon Trotsky (Antid Oto), rue de l’Amiral-Mouchez, n° 23. »
À Paris, l’exilé parvint à se lier à quelques Français, syndicalistes anarchisants qui broyaient du noir quai de Jemmapes, au n° 96, dans le local d’une librairie fermée, et à des sujets réfractaires de l’Empire russe comme lui exilés. En cette compagnie, il refaisait le monde qui, selon un avis partagé, tournait à la catastrophe. Parmi ceux avec qui il frayait, se trouvait un Ukrainien originaire de Tchernihiv, ancien officier du 40e régiment d’infanterie du Tsar, fils de capitaine, nommé Antonov-Ovseenko, efflanqué et portant des lorgnons. La femme de ce jeune homme, d’humeur grincheuse, regrettait parfois de l’avoir épousé, elle se plaignait de manger mal tous les jours que Dieu faisait. « Il a eu une enfance riche, lui, disait-elle de son mari, tandis que moi je n’ai jamais mangé que des harengs. » Les harengs, pourtant, en Ukraine, ce n’était pas si mauvais, préparés finement avec des pommes de terre, des oignons, des carottes, des betteraves, de la ciboulette, ce plat devenait si délectable qu’on l’appelait « harengs sous la fourrure » ou chouba.
Le fait est que l’exil russe de Paris vivait chichement. En attendant mieux, la femme de l’ex-officier Antonov-Ovseenko exerçait le métier de couturière à domicile, rue Gay-Lussac au n° 76 (« couturière expérimentée », précisait-elle). Trotsky subsistait en partie grâce au revenu de ses articles pour La Pensée de Kiev. À défaut d’être correspondant de guerre, comme naguère dans les Balkans, il se contentait, depuis le centre de la capitale française, du rôle d’analyste, traitant des domaines les plus variés de l’actualité : Les Volontaires bosniaques, L’épopée du 6e régiment d’infanterie en Belgique (en deux parties), Les mystères psychologiques de la guerre, Forteresses ou tranchées, La guerre et la technologie, La question japonaise (ou comment et à quelles conditions les Nippons pourraient venir en aide à l’armée française), Tous les chemins mènent à Rome (ou comment le pape fut courtisé par les belligérants de toutes obédiences), etc. Il allait puiser la matière de ses argumentaires jusque chez des adversaires, le lieutenant-colonel Driant, par exemple, gendre du général Boulanger et – suivant ses mots : « piqué de la tarentule d’écrire » – auteur sous le pseudonyme de « capitaine Danrit » de romans d’anticipation parus chez Flammarion : L’Invasion jaune, L’invasion noire, La Guerre de demain.
Au nombre des articles que Trotsky adressa, depuis Paris, à La Pensée de Kiev, figure un portrait généreux de Jean Jaurès, assassiné quelques jours avant le déclenchement des hostilités. Sur ce meurtre, il posait une interrogation : « Jaurès fut tué à la table d’un café par un infime et obscur réactionnaire du nom de Villain. Qui a armé le bras de Villain ? Les impérialistes français seulement ? Et ne pourrait-on, en cherchant bien, découvrir également derrière cet attentat la main de la diplomatie russe ? » Cela parut à Kiev en juillet 1915.
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Tout ça, c’était à cause de la viande. Cette pourriture grouillante de vers que le cuistot servit aux hommes d’équipage mais que le médecin du bord jugea du meilleur goût à travers son pince-nez. « Alors quoi ? Elle est très bonne cette viande » diagnostiqua en substance le docteur Smirnov, diplômé de la Faculté. La suite on la connaît. Remous, murmures, excitation, le commandant du navire, un gros un peu lâche, menace mollement : « Ceux qui veulent manger le bortsch, deux pas en avant. » (« Le dernier survivant »)
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Tout le monde se souvenait de Giacomo Matteotti, de la façon dont il avait disparu, un jour, sur le chemin du Parlement, enlevé par un groupe de Chemises noires, de squadristes. Tout le monde s’en souvenait, mais personne ne se risquait plus à en parler, ou seulement à voix basse. Il était établi que le député socialiste était sorti de chez lui aux alentours de seize heures trente, qu’il n’avait en poche que dix lires de monnaie mais qu’il était porteur d’un épais dossier à ne pas mettre entre toutes les mains. Il y eut peut-être trois témoins de la scène quand au moins cinq hommes se précipitèrent sur lui et le poussèrent dans une automobile qui fila à toute vitesse. Ce pauvre Matteotti, on l’avait retrouvé le visage écrasé dans la glaise, un matin, et il n’était pas beau à voir. C’était le chien du brigadier Caratelli, racontait-on, qui l’avait flairé sous la mousse. D’abord, Trapani, le chien, était tombé sur deux os, une omoplate et un fémur auquel restaient attachés des lambeaux de chair desséchée, puis il avait découvert la partie principale du corps en décomposition. Sans la dent en or de la mâchoire supérieure gauche, un spécialiste de médecine légale n’aurait pu dire qu’il s’agissait du député. Le cadavre avait une lime quadrangulaire fichée dans la poitrine. Certains, pour qui le dénigrement était une seconde nature, avaient bassement profité de la situation. « Voyez le fascisme assassin ! » criaient-ils sur tous les tons, à gauche, à droite, en Europe et à la Société des Nations. « Voyez le fascisme criminel ! » Il se trouvait des gens en assez grand nombre, ici et là, pour prêter l’oreille, pour froncer les sourcils, pour changer de trottoir quand ils croisaient une Chemise noire. Le Duce, Benito Mussolini, avait traversé des moments fort difficiles. Il était à plaindre, ses nuits, ses jours n’étaient que tracas, soucis et contrariétés. La presse, au début, lui tombait dessus, lui manquait de respect, le traitait comme un malfrat. Matteotti par-ci, Matteotti par-là, Frinche, frinche, frinche, Mamma mia, tralala lalala. Mais lui aussi connaissait la musique. Il avait repris du poil de la bête. Il avait muselé la presse, et la presse, courageuse mais pas téméraire, s’était peu à peu accoutumée à la laisse et à la muselière. Dans son immense cabinet romain donnant sur la place San Marco, Mussolini recevait aimablement les plus grands journalistes de l’étranger : « Comment allez-vous ? minaudait-il, quel bon vent vous amène ? »
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La boxe avait ses avantages, mais aussi ses limites lorsque se présentait un client récalcitrant. Ainsi, les incidents survenus à Bologne avaient de quoi rendre moroses les plus convaincus. Un chef d’orchestre mince comme un fil refusait de se rendre aux arguments contondants sous prétexte qu’il avait dirigé Aida à Buenos Aires et La Traviata à la Scala. Ce n’était pas la Lune, pourtant, Saturne ou Jupiter, qui lui était réclamé, mais juste quelques notes en ouverture de son concert, juste jouer les premières mesures de Giovinezza, l’hymne gai du Parti, pour faire plaisir à Son Excellence le comte Ciano, gendre du Duce et homme de goût, présent dans la salle. Giovinezza, giovinezza, primavera di belleza – Ah, « Jeunesse, jeunesse, printemps de beauté… », ce n’était pas trop demander, ce n’était pas la mer à boire, ni même un flacon d’huile de ricin. Mais Arturo Toscanini, pincé comme jamais, avait regardé de haut les solliciteurs inconscients, il les avait toisés avec un je-ne-sais-quoi de vexant dans la repartie : « Vous êtes fous, je ne joue que de la musique. » Ils avaient insisté, poussant la conciliation jusqu’à renoncer à Giovinezza, pourvu qu’au moins le musicien consente à accompagner la Marche royale. Rien n’y fit. Même la Marche royale, il n’en voulait pas. Toscanini n’admettait que Wagner ou Verdi. Aucune pression, aucune menace verbale ne le faisait plier. Ne restaient plus de l’avis général que les coups de poing dans la figure. Cela, contre toute attente, ne donna aucun résultat. Il n’était pas envisageable néanmoins de revenir aux méthodes anciennes, aux recettes primitives essayées sur le député socialiste Matteotti qui avaient coûté trop cher au Régime.
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