Pierre Assouline

Mais de qui est-on vraiment sûr quand on ne l'est pas de soi? Rémi ne l'était plus de sa propre femme.

Rien ne pouvait mieux illustrer une certaine idée du mariage:un absolu devenu arrangement.

Le tribut de sa double vie était parfois lourd à payer,mais n'est-ce pas par les passions que l'on tient à la vie,malgré leur pouvoir de destruction?

Cette indispensable machine à débiter des lieux communs lui permettait de s'accommoder de la société dans ce qu'elle a de plus futile en donnant l'illusion de s'y intégrer.

Tant qu'on ne connaît pas intimement les fantasmes de l'autre,on ne sait rien de lui.C'est comme si on ne l'avait jamais pénétré.

Toutes les figures de l'amour s'inscrivaient dans cette étreinte:elle avait la mémoire de celles qui l'avaient précédée.Ils s'étaient mangés,bus, et lapés.Quand leurs bouches se déprirent enfin,ils n'étaient plus qu'un seul et même souffle.

Echapper aux regards,se dérober aux jugements,s'absenter de la société,c'était cela qui,par moments,lui importait plus que tout.

Après tout,s'il est dangereux d'être rattrappé par son propre passé,comment peut-on forcer quiconque à affronter le sien,si lointain,si refoulé et enténébré fût-il?

La fonction métamorphose l'individu.

Un nom est déjà un monde,une histoire ou une géographie.Il annonce l'histoire intime d'un individu autant qu'il la dénonce.

Visualiser,décortiquer,analyser puis fragmenter pour mieux photographier mentalement,il ne pouvait s'en empêcher où qu'il fût,un scanner vissé dans la rétine,c'était plus fort que lui et tant pis si ses amis y moquaient une discipline de policier ou d'indicateur,comment leur faire admettre que lorsqu'on est sensible au mystère des gens on veut tout savoir.Surtout pas pour juger mais pour comprendre.Le démon de la curiosité dans l'acceptation première du mot.Avec le goût de l'observation et la passion de la conversation,c'était ce qui lui faisait accepter des invitations chez des inconnus.

Personne ne témoigne pour le témoin...Un jour quelqu'un l'avait écrit quelque part,sûrement pas en de telles circonstances,mais qu'importe, ça le poursuivait depuis d'être un témoin sans que nul ne témoigne pour lui ni ne transmette de message.

On n'en finira jamais avec cette histoire. Elle nous hante, elle nous obsède, impossible de nous en débarrasser. Plus d'un demi-siècle que la méduse nous colle à la peau. Quand certains meurent de leurs moeurs, d'autres etouffent encore de ce passé qui ne passe pas. après tout, à chacun ses insomnies. Les plus à plaindre ont la nostalgie de ce qu'ils n'ont même pas connu. Cette étrange spectre est l'astre noir de notre morale. Qui saura l'exorciser? qui....

Les musées sont peuplés de gens étranges. Le spectacle n'est pas toujours sur les murs. On n'imagine pas ce qu'un tableau peut voir et entendre dans une vie sous toutes les latitudes: "on croirait qu'elle va parler" est le lieu commun international que je subis avec une certaine patience depuis que l'on m'expose.

Parasite et compagnie, insista Marie-Do. Le reste n'est que verbiage. L'invité s'incruste, surtout s'il n'a pas été convié. Rappelez-vous le regroupement familial et voyez le résultat. On en a assez des victimes professionnelles et de tous ces gens qui parlent en pesant leurs morts. (p. 141)