Citations de Pierre Jean Jouve (163)
SONGE UN PEU au soleil de ta jeunesse
Celui qui brillait quand tu avais dix ans
Étonnement te souviens-tu du soleil de ta jeunesse
Si tu fixes bien tes yeux
Si tu les rétrécis
Tu peux encor l'apercevoir
Il était rose
Il occupait la moitié du ciel
Tu pouvais toi le regarder en face
Étonnement mais quoi c'était si naturel
Il avait une couleur
Il avait une danse il avait un désir
Il avait une chaleur
Une facilité extraordinaire
Il t'aimait
Tout cela que parfois au milieu de ton âge et courant dans le train le long des forêts au matin
Tu as cru imaginer
En toi-même
C'est dans le cœur que sont rangés les vieux soleils
(...)
Toujours …
Toujours la courbe en forme de vague
les hauts et les bas
Voilà c’est tout
Et l’ourlet de la mer la poussée du feuillage
la terrestre fanfare des montagnes
N’ayez pas peur de votre tristesse c’est la mienne
C’est la nôtre c’est la sienne
O grandeur
N’ayez pas peur voici la paix la vie
la vie est admirable
La vie est vaine
La vie est admirable
la vie est admirable
elle est vaine
AVEU
Épaule de la fenêtre ouverte. Exactement les gouttes de pluie. Une longue harpe humide dans l'air. J'ai obtenu, à la faveur de la pluie, ce rendez-vous mystérieux.
Piano de petite fille au loin, toutes ses notes joyeuses-tristes.
Horrible trouble.
Elle est assise clairement. Le beau regard regarde mes yeux, il y lit déjà la parole. Suspends, ah suspends la parole, pendant qu'il est temps encore !
«J'ose vous déclarer autre chose que de l'amitié.»
C'est fait, le rideau se déchire, les visages sont pourpres, tout est désormais nu, terrible, l'homme et la femme se contemplent, s'approchent. Une face pâle est effrayée, des souffles sont perdus dans une fête. L'avenir se déroule - j'accepte - j'accepte - déjà avec mes deux bras je lui fais une ceinture, c'est plus chaud que son regard.
[...] elle connaissait un nouveau sentiment terrible, c'était le besoin de l'homme absent.
NEF
Extrait 1
Dans un grand jour de royal bleu, aux langues de feu
De Pentecôte, aux langues de feu sur les arbres,
langues de flammes sur les pierres
Langues de feu gris sur les gris langues de flammes
vertes sur les verts
Langues sur les seins de la pierre et langue sur l'im-
mense droite nervée perpendiculaire
Langues des cloches langue blanche
Langues sur les monts construits en assises de cons-
truction
Langues aux fines prisons d'air roues géantes sans
tournement
Langues sur le sol de la mer
Langues sur le promontoire où la fugue a perfection
et sur une face inégale plus haute que le firmament
Langues de feu de Pentecôte et sur un géant de
l'amour à l'Étoile de la mer
Langues sur l'affouillement du Temple et sur le doux
Sein de la mère.
…
NEF
Extrait 2
Langues de feu sur le nombre pur
Langues de feu sur le bois de grange
Mais langues dans le vert violet le gris jaune et le
blanc tout rouge
Langues au million de figures des âmes toujours ins-
pirées
Langues de larmes des ardeurs sur tout le Peuple
d'aventure indiscernable et sacré
Qui souffrit une seule peine au cœur imputrescible
des verres
Qui souffrit un seul élan fou par le jet terrible de
pierre
Qui souffrit une seule passion à travers les eaux de la
terre à partir de ce grand sol plat bleu.
Derniers écrits 1974 – 1976
jour d’été…
jour d’été
quel tendre brouillard tremble
autour du fleuve temps
tant de soie déchirée
embue la soie du cœur
le cœur à vif au bout des doigts
tu sens ta perte avec les mains
tu promènes au grand jour
ce vide en toi comme un enfant
***
quel tendre brouillard tremble
autour du fleuve temps
ce monde est ce monde est
paix
la mort riant candide
La poésie est une âme inaugurant une forme.
Nous contenons tous des horreurs. L'art de vivre consiste à les oublier.
Il fallait obtenir de croire, de croire en soi-même et en sa propre vie et en, plus haut que sa vie, "la vision de quelque chose qui est au-delà".
La mère de Paulina ne tenait aucun rôle et n’en voulait tenir aucun, suivant l’usage en Italie ; elle avait produit dans les quinze premières années de son mariage sept enfants dont quatre étaient encore vivants ; les ayant voués à la Sainte Providence, elle les regardait s’éloigner tandis que sa vie à elle s’enfonçait toujours plus dans l’Eglise, comme si son mariage n’avait été qu’une parenthèse et si elle retrouvait à quarante-cinq ans son premier destin qui avait été de devenir nonne.
Pendant des heures, presque toute la journée qui suivit, Paulina émerveillée croyait sentir son amant demeuré en elle. […] Elle demeurait couchée autour de ce plaisir si singulier qu’elle éprouvait au centre de son corps, elle rentrait dans l’absolu bonheur près de la terre, du lac et des arbres. Je serai éternellement heureuse. L’effusion de douceur la baignait. Déesse calme et endormie, elle respirait.
Magie
Tu es ma douleur mon effroi mon amour
O imagination
Tu es mon bourreau ô livre où j'ai traduit
La montagne la rivière et l'oiseau
Tu es ma misère ô confession.
Ainsi parlait le poète déchu
Et il déchirait son livre imprimé au milieu des villes
humaines.
Mais son autre voix tout emplie d'un murmure de
saules
Répondait
Ô livre malgracieux ô poème manqué,
Erreur erreur toujours de celui qui n'a pas encor fait,
Oh tu es mon dernier lieu ma forteresse
Contre l'armée des infidèles
Ailleurs n'est plus que ruine et toi tu es l'endroit
sacré.
“Je vous aime.”
Pourquoi ai-je dit cela? Car je ne vous aime pas. Vous êtes l’objet de ce que j’éprouve. Ce que j’éprouve est infiniment fort et n’ existerait pas sans vous. Car mon émotion a besoin d’être déposée. Je la dépose sur vous.”
[...] elle songea qu'elle eût pu être une femme heureuse si tout n'avait pas commencé par le mensonge.
Paulina était nue.
Etre nue c'est être absolue enfin.
Ciel
Ciel vaste ciel sans ride poids ou souffle
Signe et demeure du remous ô temple unanime et bleu
Contemple énorme coupe aveugle néant heureux
Celui qui dans la pierre est ici-bas et souffre
De ses chagrins comme des sirènes de la mer
Séduit – voyant ton infini hautain inaccessible
Infini ou absurde auquel il est amer
Son angoisse visant le seul bleu d’une cible
Ciel matière de Dieu ! symbole plus qu’éther.
C’est en ignorant ce que nous faisons, et pourquoi nous le faisons, que nous avançons à pas sûrs vers celui que nous devons être. La nécessité de notre amour est aussi belle que sa qualité intérieure.
UNE SEULE FEMME ENDORMIE
Par un temps humide et profond tu étais plus belle
Par une pluie désespérée tu étais plus chaude
Par un jour de désert tu me semblais plus humide
Quand les arbres sont dans l’aquarium du temps
Quand la mauvaise colère du monde est dans les cœurs
Quand le malheur est las de tonner sur les feuilles
Tu étais douce
Douce comme les dents de l’ivoire des morts
Et pure comme le caillot de sang
Qui sortait en riant des lèvres de ton âme.
Par un temps humide et profond le monde est plus noir
Par un jour de désert le cœur est plus humide.
Je ne connais pas vos mains elles ne sont jamais les miennes
Je ne connais pas ces colonnes qui vous font séduisante au marché
L'orchidée blonde de votre ventre eut été bontés pour d'autres veines
Que celles de mon imagination nue et montrée sans majesté;
Non je n'ai point fréquenté le salon de votre beau corps décoré par la fureur de colombes et de vents d'orage
N'ayant su parler votre langue à votre bouche de flatterie
Je vous ai perdue en voyage
O Renommée ou fille implacable en un désordre de lingerie.