"Beau Regard" est l'histoire d'un amour, de deux êtres qui soudain se reconnaissent, se nouent et se dénouent. Nous sommes en 1927 et
Pierre-Jean Jouve a 40 ans. C'est un homme marié. Pourtant, un nouvel amour va le surprendre et l'emporter. Il s'agit d'une toute jeune fille. Pour le bleu de son beau regard, le poète va tout affronter, son épouse comme la bien-pensance de la société d'alors.
"Le regard
Qu'elle envoie parmi les campaniles les tours basses
Les toits le mur et la rose,
De ce lieu creux où l'humidité se fait si belle,
Et voici la villa
Où le violoniste et la princesse allemande s'aimèrent
Ce regard il est gris ou bleu
Plutôt pierre de lune
Et voici la balustrade où je tremble une première fois."
Ce poème, celui de l'émotion de la rencontre, ouvre le recueil.
Pierre-Jean Jouve écrira ensuite un poème pour chaque événement marquant de cette histoire, jusqu'à la douloureuse rupture. Ainsi le poète se souvient de la fraîcheur des aveux et de l'ivresse de ces après-midi secrets, blotti tout contre elle, quand son amour pour cette jeune fille confinait à la dévotion. Adorateur et mendiant, le poète vivait alors dans la terreur de la perdre. Mais il se souvient aussi du temps des empêchements et des reproches. Quand, de léger, leur amour était devenu lourd et triste.
"C'est le temps de souffrir pour rien. Cela nous prend comme si et comme çà" écrivait-il. "Car ma douce chérie, je suis marié. L'épouse attend. Comme elle attend. Elle a d'incroyables forces d'attendre".
La jeune fille se lassera peu à peu de cette relation clandestine, laissant le poète seul avec ses souvenirs et son chagrin, matière de ce livre.
C'est une histoire banale, me direz-vous, mais
Pierre-Jean Jouve nous la décrit avec une telle simplicité qu'elle en devient bouleversante.
"La pire tristesse est dans l'idée qu'on est devenu tristes." écrit-il.
"Je connais une plage secrète
Où vais me plaindre et endormir mes douleurs d'homme".
En toute dernière page, une petite note nous apprend que
Pierre-Jean Jouve s'était opposé à la réédition de cet ouvrage et ceci pour des raisons affectives. La famille est passée outre. A-t-elle eu raison? A-t-elle eu tort? La chronique de cet amour qui l'avait tant bouleversé et dont il avait voulu garder une trace n'était peut-être pas destinée à être lue. Pourtant, en refermant l'ouvrage, je me dis qu'il eut été dommage de ne pas la partager. D'abord parce que l'écriture de Jouve est une merveille mais aussi parce que la banalité de cet amour fragile, sa mort si prévisible, le rendent universel.
EXITUS
-Ainsi nous nous quittons.
-Nous nous quittons.
-A jamais.
-Certes.
-Vous ne m'écrirez plus.
-Ce serait impossible.
-Ne m'aimerez plus.
-C'est déjà fait.
- Je ne vous écrirai jamais moi non plus.
-Évidemment.
-C'est tout.
-C'est tout.
-Exitus.
-Partez par ici.
-Partez par là.
-Ne vous retournez pas.
-Tout de même adieu ?
-Tout de même adieu ?
-Exitus.