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Critiques de Pinar Selek (50)
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Parce qu'ils sont arméniens

Il m'a fallu un petit temps de "digestion" avant de rédiger cette critique, tant ce que Pinar Selek raconte est révoltant et totalement hallucinant.



Ce n'est plus un secret, sauf pour les aficionados d'Erdoğan, qu'il y a bel et bien eu un génocide des populations arméniennes d'Anatolie ordonné par le gouvernement des Jeunes Turcs. C'était il y a 100ans mais les farouches défenseurs d'une identité turque basée sur la religion, l'ethnie et la fidélité à la parole du dirigeant refusent toujours cette évidence.

La mort de tout un peuple est une chose difficile à cacher pourtant et le mensonge d'Etat et la propagande négationniste digne d'un Etat ultra-totalitaire et sans remord que décrit l'auteur a de quoi faire frémir.

C'est plus ou moins malgré elle que Pinar Selek analyse les mécanismes du processus négationniste et nous montre comment de "simples" paroles d'illuminés ultra-nationalistes se transforme en violence ; allant du simple dénigrement au mépris puis aux agressions physiques.



L'auteur livre tous ses souvenirs et ressentis comme le ferait une conteuse, mais avec une verve cynique et acerbe. Bien que sociologue de formation, ce livre est à mi-chemin entre la lettre ouverte et le témoignage plus qu'un essai. C'est un témoignage très sensible qui vient du coeur à n'en pas douter, seulement.. à force de déchaînement de passions, ce récit fini par être un peu fouillis lorsqu'elle nous parle de son engagement politique ou de son expérience en prison.



Malgré ce petit bémol, c'est une lecture que je conseillerai à l'approche des commémorations qui auront lieu à Erevan dans 12 jours - auxquelles Erdoğan n'assistera pas s'il campe sur ses positions et on voit mal ce qui pourrait le faire changer d'avis. Si ce n'est pour la question arménienne, il faut lire ce court récit pour l'écriture très poétique que Pinar Selek déploie lorsqu'elle fait une véritable déclaration d'amour à "son Istanbul : un Istanbul "underground" où l'on voit les cicatrices sous le fard du silence. Le même Istanbul qu'affectionne Orhan Pamuk : celui où plusieurs communautés culturellement opposées se sont côtoyées et que l'Histoire officielle voudrait oublier au profit des seules communautés musulmanes.
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Parce qu'ils sont arméniens

Ce petit livre d’une centaine de pages réussit le tour de force de nous raconter l’histoire de la Turquie contemporaine et la prise de conscience politique d’une petite fille puis d’une jeune femme. PinarSelek, née en 1971 à Istanbul, raconte par petites touches son enfance et son éducation dans une Turquie nationaliste très proche d’une dictature. Très tôt « l’insolente petite fille turque » se pose la question : « pourquoi les petites arméniennes de son écoles sont-elles si discrètes, si silencieuses, si invisibles ? »

Son engagement sera total auprès de cette communauté, auprès des oubliés et jusqu’en 2009, date de son arrivée en France, PinarSelek n’aura de cesse d’interpeller les dirigeants de son pays sur la reconnaissance du peuple arménien de Turquie et de son génocide. Elle fut l’amie de HrantDink, militant arménien rédacteur en chef du journal bilingue turc/arménien Agos, assassiné en 2007 par un nationaliste turc de dix-sept ans.



Emprisonnée, torturée, accusée à tort d’un attentat, elle sera contrainte à l’exil. En 2015 le génocide arménien aura cent ans, cette page noire de l’Histoire turque est toujours taboue.



Sociologue, militante féministe et pacifiste, PinarSelek nous livre un récit intime et poignant sur ses combats de femme engagée et citoyenne du monde. Ce livre formidable est nécessaire pour comprendre la Turquie d’aujourd’hui, il nous donne, en plus envie, de nous plonger dans « La maison du Bosphore » son premier roman paru en 2013.


Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Verte et les oiseaux

Pinar Selek est une sociologue turque, engagée pour la cause féministe, antimilitariste. Ce joli petit conte raconte l'histoire d'une amitié profonde entre une vieille dame,sa petite fille et le peuple des oiseaux . Au delà de cette amitié ,l'auteure parle de l'exil,de la souffrance d'être séparé de ceux qu'on aime mais plus encore de se sentir protégé alors qu'on a laissé derrière soi d'autres êtres soumis à l'injustice. C'est aussi un conte qui parle de la résilience et de la capacité qui est en chacun de ne plus avoir peur et d'oser la liberté.
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La maison du Bosphore

Du coup d'État de 1980 au séisme de 1999, deux décennies dans la vie des habitants de Yedikule, un quartier d'Istanbul.

Le roman suit notamment quatre jeunes, filles et garçons, et leurs voies vers la vie d'adulte.

C'est sous la dictature qu'ils grandissent : un père est prisonnier politique, une des filles choisira la clandestinité révolutionnaire…

Elle sait de quoi elle parle, Pinar Selek, dans son roman largement autobiographique : accusée à tort de terrorisme, elle a été emprisonnée, torturée, puis libérée ; elle a émigré en France où la justice turque la poursuit toujours. Son énième procès, après de multiples condamnations, acquittements, re-condamnations, aura lieu en juin 2024.

On sent qu'elle a souhaité, dans ce livre, illustrer les différentes prises de position dans la société turque.

Et en même temps, elle a voulu décrire la vie de quartier et la solidarité des habitants, face à la pauvreté et la précarité.

Et puis aussi s'interroger sur les choix que l'on fait et les renoncements.

Mais tout ça, ça fait beaucoup.

Elles sont touchantes, ces amitiés ; ils sont émouvants, ces liens qui se nouent et se dénouent.

Mais il m'a été difficile de suivre le parcours de tous les personnages, trop nombreux (j'en ai compté treize cités en une page et demie) et dont on finit par perdre le fil.

Et pour ma part, quand il faut revenir maintes fois en arrière pour me souvenir de qui est qui, et qui est la mère de celle-ci, et avec qui habite celui-là… eh bien j'ai du mal.



Traduit par Sibel Kerem.
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Parce qu'ils sont arméniens

A cause de cette phrase entendue dans sa jeunesse, l'autrice découvre peu à peu les victimes d'un génocide occulté en Turquie, où elle habite alors.

A la faveur de rencontres et de promenades dans Istanbul Pinar Selek, elle-même descendante d'une minorité, prend peu à peu conscience de tout ce qu'on lui a caché durant sa scolarité au sujet de l'histoire de son pays.

Elle, qui sa vie durant s'est sentie une révoltée, parvient à comprendre ( et à nous faire comprendre) pourquoi les Arméniens de Turquie ne le sont pas et s'efforcent au contraire de rester extrêmement discrets.

Nous découvrons aussi l'existence de l'autrice faite de rébellions contre l'absurdité, d'emprisonnements et pour finir d'exil.
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Parce qu'ils sont arméniens

J'ai lu ce livre parce que née en France, je suis arménienne néanmoins. Comme tous les arméniens nous attendons que la Turquie reconnaisse le génocide et que ce million cinq cent mille morts sur les routes de la déportation repose enfin en paix. Mais ce n'est pas le cas. En lisant le témoignage de Pinar, on découvre non seulement une femme faite de courage et de convictions mais aussi une turque qui refuse le déni et l'injustice. Née dans une famille d'intellectuels de gauche, elle développe très tôt un esprit critique et une témérité qui lui vaudra prison, torture et humiliation.Féministe, militante, elle va rencontrer des hommes et des femmes qui vont au fil de sa vie faire évoluer sa vision des arméniens. En effet, comme tous les turcs, elle est dès l'école gavée de préjugés et de fausses informations à l'égard des arméniens (violeurs, voleurs, assassins, traites à la nation, sournois etc...) elle va néanmoins essayer de percer la bulle de désinformation qui les entoure. Ce qu'elle dit sur les arméniens de Turquie est à la fois encourageant car la solution viendra des turcs eux-même mais aussi déprimant car les arméniens de Turquie vivent dans le silence, une discrétion frisant la peur, changeant de prénom, ne discutant de rien, ne participant à presque rien de la vie politique pour ne pas se faire repérer. Stigmatisés par les pouvoirs place ils érigent en principe de vie "se faire oublier". Pour Pinar c'est inacceptable et indigne d'une nation. Son cheminement politique et humain va la conduire à connaitre plus intimement des arméniens, elle va devenir l'amie d'Hrant Dink, journaliste assassiné, patron du journal bilingue - turc/arménien - Agos, et malgré sa volonté de changer la Turquie de l'intérieur, accusée et condamnée à des peines à perpétuité pour des délits imaginaires, elle va fuir vers l'Europe. Ce témoignage montre que le chemin est encore long pour espérer une reconnaissance du génocide mais il reste un message d'espoir et c'est suffisamment rare pour être apprécié à sa juste valeur.
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Le chaudron militaire turc : un exemple de ..

J'ai reçu cet ouvrage dans le cadre de la dernière Masse Critique et j'en remercie Babelio ainsi que les éditions "des femmes - Antoinette Fouque". J'avoue ne pas avoir très bien su à quoi m'attendre mais le titre m'avait bien appâtée : "Le chaudron militaire turc". Peut-être s'agit-il d'une incursion dans les rouages de l'armée et de son rapport avec le pouvoir d'Erdogan, me suis-je dit ?

Eh bien, pas du tout.

Il s'agit dans cet ouvrage du rôle de la masculinité dans l'organisation de la violence politique, ce qui passe par l'analyse du service militaire tel qu'il est pratiqué en Turquie, à savoir comment faire "d'un bébé un assassin". Et dans un pays fréquemment en guerre : guerre de Chypre en 1974, de Somalie en 1990 et conflits armés dans la région kurde en Turquie, la chose revêt toute son importance !



Service militaire obligatoire, bien sûr, seuls en sont écartés ceux qui ne sont pas considérés médicalement comme aptes, ainsi que les homosexuels ; ceux-là reçoivent une attestation d'invalidité indiquant que la personne est "pourrie" ! (sic).

Et l'auteur de nous conter par le détail comment faire d'un Mehmetçik, c'est à dire un bleu, un Mehmet, donc un homme, un vrai, un mâle alpha au sein de sa famille, mais surtout un homme au service du pouvoir, prêt à tout sur l'ordre d'un supérieur.

La recette éprouvée passe par les humiliations, la violence, les brimades de tout poil, la punition du groupe pour une défaillance commise par un seul, l'apprentissage de l'obéissance aveugle quelle que soit l'imbécillité de l'ordre donné, ... enfin tout un ensemble de procédés où, en se fondant dans "le chaudron de l'armée" on se met au service du nationalisme turc, au service de l'Etat, "le plus grand des papas", car infantilisation et militarisation vont de pair !



En toute fin de l'ouvrage seulement, Pinar Selek évoque la banalité du mal, telle que conçue par Hannah Arendt expliquant qu'il est aisé de transformer des individus ordinaires en assassins, en pointant "l'absence de pensée, la totale indifférence à autrui, la perte de l'autonomie de jugement chez les auteurs de violence", tous comportements favorisés par le formatage des jeunes appelés au service militaire en Turquie !

Ainsi en est-il des "Loups gris" cette organisation d'extrême droite turque, proche du pouvoir, dont les meneurs sont responsables des assassinats commis sur les intellectuels, journalistes, etc. et responsables également des atrocités commises contre les populations arménienne, grecque ou kurde.

Il est dommage que Pinar Selek n'ait pas développé plus longuement ces aspects et les conséquences sur la société turque actuelle de cette militarisation de la population mâle.



Pinar Selek, sociologue, conteuse, autrice et militante antimilitariste turque est victime dans son pays, où elle a passé plusieurs années en prison, d'un acharnement politico-judiciaire. Son travail d'enquête auprès de la diaspora politique kurde lui a valu d'être arrêtée en 1998, puis torturée afin d'obtenir le nom des personnes qu'elle avait contactées.

Libérée, elle continue pourtant à être inquiétée par une justice qui annule régulièrement son acquittement. Elle vit en France depuis 2011 et a obtenu la nationalité française en 2017.

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Azucena ou Les fourmis zinzines

Les fourmis zinzines appartiennent à la famille des lucioles. Insaisissables, libres, vagabondes, enfants de Poésie. Un soir ici, une nuit ailleurs. L'amour ne connaît que la raison du coeur. Carnet d'exils extérieurs ? Carnet de voyages intérieurs.... Les fourmis creusent une galaxie, elles tissent un réseau de solidarités. Connaît- on vraiment une ville lorsque l'on ignore les choeurs qui la traversent? D'un train, d'une place, d'un bord de mer, d'un cimetière, d'une carte postale....C'est un beau roman, qui vous entraîne, hors champs, hors cadre. Un rythme, une folie, de l'humain...de la poésie !



Astrid Shriqui Garain

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Parce qu'ils sont arméniens

C'est un livre témoignage que signe ici Pınar Selek, un livre où elle écrit la disparition et l'invisibilité arménienne en Turquie. Où sont les Arméniens? Ils ont été largement supprimés lors d'un génocide, ils ont été poussé à l'exil et ceux qui restent où sont-ils? Eh bien, on ne les voit pas, on ne les entend pas. Ils sont invisibles, sous silence. Dans un pays où il ne fait pas bon d'être arménien, ils s'enterrent, tout seul comme des grands. C'est ce qu'on leur demande: l'effacement, une autre façon de les supprimer.



En lisant ce livre, j'ai interrogé moi aussi. C'est vrai, où sont les arméniens? Dans mon entourage, il y en a, je l'ai appris il y a quelques années. le kirve (parrain chez les alévis) de mon frère que je pensais kurde comme nous est, en fait, un arménien. Sa femme, venue de Turquie, est elle aussi arménienne. Sa mère, que j'ai pu rencontrée, aujourd'hui décédée, était une rescapée du génocide qui portait, sur son corps, les marques de l'horreur. Je l'ai appris tardivement. Pourquoi? Pourquoi ce silence? Pourquoi, quand nous affirmions, nous, avec force, notre identité kurde, notre parrain et sa compagne, amis de la famille, ne disaient rien de la leur? Pourquoi je les prenais pour un kurde et une turque? Pourquoi est-ce au hasard d'une question posée à ma mère (au fait, maman, kirve O... est un kurde nan?) que j'ai découvert la vérité? Ils ne sont pas obligés d'affirmer à tout bout de champs leur identité me diriez-vous, oui bien sûre, mais ce silence pose forcément question quand on sait que chez nous - les gens qui viennent de l'officielle Turquie - on aime porter le drapeau du pays, de la ville, du village, du quartier. C'est ainsi, on crie haut et fort les lieux d'origines. Je savais ainsi les origines géographiques, territoriales de nos deux autres kirve qui sont turcs, alévis, de Yozgat pour l'un, d'Amasya pour l'autre. Ils étaient fiers de préciser. Et notre parrain arménien? le silence. Tout comme le silence se porte sur une "rumeur" qui circule au sein de ma famille. Ma grand-mère maternelle aurait des origines arméniennes. Info ou intox? Je dirais intox mais si c'était info? Je pense alors à ce que m'a dit un jour mon cousin qui vit toujours au Kurdistan quand je discutais avec lui de son rapport à l'identité kurde. "Que sait-on de notre identité dans ce pays? Est-on sûre d'être kurde? On peut être descendant d'arméniens." Que lui répondre?



Ce livre témoignage doit donc être lu pour la question qu'il pose. Pınar Selek a raison de rappeler. Où sont donc les arméniens s'il n'y avait pas eu génocide? Pourquoi se rendent-ils tous aussi invisibles si ce n'est pour cacher une identité qui leur a valu une mort assurée? Il faut interroger pour que la Turquie sorte de ses mensonges répétées, de ses négations éhontées. Seulement, j'aurais aimé que la question se pose avec plus de profondeurs. J'aurais aimé, en effet, que Pınar Selek aille au bout de son écriture, qu'elle aille fouiller davantage le sujet, qu'elle ne se contente pas d'un texte court, simple qui frise, parfois, le raccourci. Ainsi, lorsqu'elle critique à très forte raison la gauche révolutionnaire turque longtemps restée aveugle au sort des Kurdes et des Arméniens, est-il intellectuellement juste de crier au "déni de génocide" à quelques "élucubrations" (c'est son mot) qu'elle entend: "Ce sont des gens méfiants, ils ne se mêlent pas trop aux autres. Ils ne parlent même pas leur propre langue. le nationalisme est le plus grand obstacle à la science!" (p.55). Pourtant, c'est un constat, celui qu'elle fait en partie; un constat bien triste qui est la conséquence même du processus génocidaire et qui n'exprime pas, à mon sens en tout cas, un "déni de génocide". Ou alors, faut-il qu'elle nous l'explique. Plutôt qu'un déni de génocide, j'y vois moi, sur la fin de la phrase, une pure connerie; la connerie de toutes celles et ceux qui, dit de gauche, crient au nationalisme ou l'ultranationalisme quand ils entendent un kurde se dire "kurde" et un arménien se dire "arménien". On a envie de leur dire à ces génies qu'au nom de leur internationalisme mal gobé ils devaient, eux non plus, ne plus se présenter comme "turcs" au risque d'être présenté(e)s comme des nationalistes. Mais leur cul posé sur un siège dominant - en tant que Turc, ils n'ont pas le souci de la souffrance endurée en raison de l'identité - ils n'ont pas vu, ces gens de l'extrême gauche, qu'ils étaient eux-aussi atteint du nationalisme qu'ils dénonçaient tant. Ils n'ont pas vu qu'en criant au nationalisme kurde ou arménien lorsqu'il s'agissait simplement, pour eux, d'énoncer un droit à l'existence et la fin des injustes souffrances ils ont perdu un peu beaucoup, à nos yeux, de leur fameuse crédibilité. Voilà ce qu'aurait dû expliquer Pınar Selek. Voilà ce qu'elle aurait dû davantage explorer. J'aurais préféré, quitte à ne pas être d'accord, une analyse détaillée à un versement de bons sentiments même si, je le conçois, ils sont nécessaires pour le bien qu'ils nous font. J'aurai aimé que Pınar Selek aborde parfaitement son propos sans se perdre dans le malheur de sa vie qui est un tout autre sujet et qui mérite, à lui seul, un autre essai. J'aurais aimé ... mais j'ai aimé quand même pour le regard et la tendresse qu'elle porte à toutes les identités opprimées. Merci Pınar Selek.
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La maison du Bosphore

Quelle vie que celle de Pinar Selek ! Persécutée en Turquie, exilée en France, cette militaire acharnée des droits de l'homme, au sens le plus large, a écrit un premier roman qui n'a pourtant rien d'autobiographique. La maison du Bosphore, sur deux décennies, depuis le coup d'état militaire de 1980, s'attache à la destinée de deux hommes et de deux femmes, liés entre eux par l'amitié et/ou l'amour. Leur devise : "Il nous reste une demi-espoir." Entre répression féroce, privation des libertés et oppression des minorités, le tableau est accablant. Pinar Selek lui oppose la solidarité, l'humanité et les rêves d'ailleurs. La résistance, également, mais le désenchantement progressif d'Elih, sans doute le personnage le plus proche du coeur de la romancière, montre une perte de confiance dans une utopie inatteignable par la lutte clandestine. Le récit est porté par un style poétique et réaliste à la fois qui excelle dans la description minutieuse d'un quartier déshérité d'Istanbul, Yedikule, et de sa population disparate : kurdes, arméniens, turcs. Lorsqu'elle a présenté son livre dans les librairies françaises, Pinar Selek se faisait accompagner d'un instrument de musique, le doudouk, qui occupe une place importante dans son roman. Comme il unit plusieurs peuples, il représente le symbole d'une fraternité à laquelle s'efforce de croire l'auteure. L'art comme "arme" contre tous les asservissements. Tant qu'il reste un demi-espoir.
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Parce qu'ils sont arméniens

Un siècle depuis le génocide arménien. 100 ans de violences plus ou moins dissimulées, de déni, de silence. Un drame tabou qui marque les générations successives, en creux de l’histoire officielle. Pinar Selek retrace des étapes de son chemin de vie, des souvenirs qui se fondent dans une histoire nationale. Car comment se construire lorsque chaque jour des slogans prônant la supériorité nationale sont déclamés, lorsque chaque jour les noms arméniens sont tus, abattus ? L’incompréhension prend alors plusieurs visages : celle d’une enfant qui observe – juge – la soumission, l’humiliation ; celle d’une Turque qui apprend le silence, la violence ; celle d’une militante qui se heurte aux travers de l’engagement collectif ; celle d’une adulte qui apprend la souffrance et l’impuissance ; celle…



Le génocide arménien, on en a entendu parler, ou non. Il ne fait pas partie d’une connaissance qui serait « patrimoine mondial ». On connaît peut-être son nom, quand il a eu lieu (« merci » centenaire !), ses acteurs… Quoique. Les connait-on ? Quel autre nom que génocide saurions-nous adjoindre à l’adjectif arménien ? À part « abricot », je ne vois pas, et ça ne pèse pas bien lourd quand il s’agit de parler d’un peuple.



Parce qu’ils sont arméniens ne donne pas les billes pour répondre à ces questions, mais là n’est pas son intention. Témoignage personnel en regard d’une histoire collective, il marque par son autocritique et sa sensibilité.
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Azucena ou Les fourmis zinzines

L'auteure, Pinar Selek est une écrivaine turque dont j'ai beaucoup apprécié La maison du Bosphore et Loin de chez moi, jusqu'où?  



Pour ses études sur les minorités, arméniens et kurdes, elle a subi les persécutions du régime turc et a même fait l'objet de poursuites judiciaires dans son pays. Elle a donc fui la Turquie et réside maintenant en France et enseigne à Nice à l'Université côte d'Azur.



Le titre un peu bizarre et la figure de Nana de Niki de Saint Phalle m'ont bien plu :  Zinzine féminin de zinzin, Pinar Selek n'hésite pas à féminiser cette expression rigolote. Sûr que ce n'est pas un bouquin sérieux! Plutôt une aimable fantaisie féministe, militante et joyeuse qui se lit vite et bien. lecture facile, distrayante. 



Azucena nous entraîne dans Nice, loin des plages et de la Promenade des Anglais dans un quartier populaire occupé par des gens de bonne volonté. Azucena tient un stand de paniers de légume d'une coopérative maraîchère. Parmi ses amis Alex, le Prince des Poubelles est bulgare, Gouel, Chanteur des rues irlandais, les commerçants du quartier sont impliqués, et il y a aussi les cheminots syndiqués, un certain nombre de sans-papiers qu'on devine dans l'ombre. Sans parler des chiens, avec collier mais sans laisse. 



Une vie loin du conformisme : certains sont SDF, sans domicile fixe, oui mais pas du tout clochardisés. Gouel vit dans un bateau qu'on lui prête, Azucena passe ses nuits dans le Train Bleu, le train couchette Paris/Nice avec la bénédiction du chef de train. Quand d'autres possèdent des appartements ce n'est pas pour s'y installer mais plutôt pour les vendre....Ils sont loin de la société de consommation même posséder, être le maître d'un chien, est discutable. Les trésors d'Azucena : une carte postale deux vinyles. 



Si on voulait résumer en quelques mots le livre, le premier qui me vient serait solidarité. Et le second, amour, un amour sans possession, un amour qui inclut les chiens, le sentiment amoureux mais aussi la tendresse. Résumé ainsi, on se croirait presque chez les bisounours, ce serait oublier le tragique de la Guerre d'Espagne dont Azucena veut conserver la mémoire, celui du génocide arménien et tous les drames des exilés. 
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Algue et la sorcière

Un conte agréable à lire qui plaira aux jeunes et à ceux et celles qui le sont un peu moins. L'histoire entamée, je n'ai pu refermer le livre avant de l'achever, suivant Algue, une petite fille téméraire et déterminée dans son aventure. Rien n'arrête Algue, ni la surveillance accrue des parents, ni la peur et encore moins les préjugés. Quelle ténacité!



L'ouvrage lui-même est joliment illustré de linogravures.

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Parce qu'ils sont arméniens

Témoignage nécessaire que je conseille à tout le monde. Très court mais pourtant si compliqué à lire. Personnellement j'ai étouffé en lisant ce livre. A de nombreuses reprises je me suis arrêtée, pour respirer, digérer ce que je venais d'encaisser. On nous parle si peu du génocide des arméniens, et même du sort des arméniens actuellement, population encore discriminée en Turquie (ainsi que les kurdes). C'est pourquoi cette lecture est nécessaire, afin de nous ouvrir les yeux sur le sort de cette population, sur l'ampleur du génocide qu'elle a connu et la discrimination qu'elle continue de subir
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Loin de chez moi, mais jusqu'où ?

Merci à la maison d’éditions Ixe et à Babelio pour l'envoi de ce livre dans le cadre de la Masse critique du mois de juin 2018.

Pinar SELEK a fondé l’association féministe AMARGI avec d’autres femmes en 2001. Cette association est engagée contre les violences faites aux femmes, pour la paix et contre toutes les dominations. Elle sera à l’origine d’une revue en 2006. Celle-ci se vend à des milliers d’exemplaires dans toute la Turquie.

Dans ce petit livre, Pinar SELEK explique comment elle a pu se différencier, se déterritorialiser et repousser les frontières jusqu’où elle le voulait, prenant le risque de chuter et chutant quelquefois gravement pour, finalement, ne plus pouvoir retourner chez elle. Elle décrit d’ailleurs cet arrachement brutal qui l’a obligée de se séparer de tout et de tous à un moment qu’elle n’avait pas choisi, pour admettre ensuite qu’elle a appris des choses qu’elle n’aurait pas apprises si elle était restée chez elle.

Mais cela reste difficile de vivre toujours en exil. Elle soulève de nombreuses questions auxquelles elle ne donne pas de réponse, mais auxquelles elle a quelquefois sa propre réponse.

Ce petit livre constitue en quelque sorte l’essence du témoignage sur l’exil de cette écrivaine et sociologue turque, emprisonnée injustement, libérée et toujours pas blanchie et dont de nombreux écrits ne nous parviendront jamais, puisqu’ils sont tombés aux mains de ses geôliers. Mais de son lieu d’exil, Pinar SELEK continue de faire entendre sa voix…

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Parce qu'ils sont arméniens

« Témoigner, dire « J’ai vu, j’ai entendu, j’ai vécu » est une responsabilité. C’est avec responsabilité que j’écris aujourd’hui ».



Pinar Selek nous propose un petit livre qui raconte la prise de conscience, « J’étais prisonnière de l’image altérée… » dans un environnement de négation, de déni du génocide des arménien-ne-s. D’un devoir scolaire à une voisine, de la terreur de la dictature militaire à la prison, du silence à la parole, « Heureuse celle qui se dit… »



Madame Talin, une cicatrice, « Et ce n’est pas seulement le génocide vieux d’un siècle que j’y vis, mais l’anéantissement accablant notre présent », les « rebuts de l’épée », les stambouliotes, celles et ceux qui portent en eux « un peu des Balkans, un peu de Caucase et un peu d’Anatolie », Istanbul et la disparition des noms grecs ou arméniens des rues, les dissimulations, Nisan Amca, la critique de la gauche, « même les mouvements de gauche s’étaient habitués au déni du génocide », Agos (Le sillon)…



L’horreur, comment écrire après les massacres, « L’horreur peut rendre la poésie impossible. Ta bouche se tord d’effroi, ton cri se fige, ta langue se pétrifie. Les mots deviennent insignifiants. Reste le silence. Même les oiseaux peuvent avaler leur chant »…



Les arménien-ne-s islamisé-e-s de force, « Où sont les Arméniens ? ». Etre Arménien-ne en Turquie, c’est être réduit-e au silence, devenir invisible pour être toléré-e, « déambuler sans révolte sur des avenues baptisées des noms des gouvernants responsables du génocide »…



S’opposer au pouvoir « ne fait pas de vous de facto un défenseur des libertés », les rapports sociaux dans les mouvements contestataires, Hrant Dink, un homme assassiné et « pour la première fois dans l’histoire turque, les gens se rassemblaient pour un Arménien »…



Les identités, « nous avions adopté l’identité turque dominante », nous défaire de nos identités préconçues, les imaginaires nationaux, « La spécificité du régime répressif turc est inhérente à la définition constitutionnelle de la citoyenneté républicaine. Le monisme prévaut dans tous les domaines, celui de l’ethnicité, des modes de vie et des tenues vestimentaires, des relations entre les sexes. Quiconque s’écarte des normes établies est immédiatement perçu comme menaçant, voire ennemi », aujourd’hui la Turquie « qui m’a chassée » et « celle qui m’attend à l’embarcadère »



L’ouvrage d’une écrivaine, d’une féministe, d’une chercheuse, d’une courageuse qui se dit « Je ne peux mentir, j’ai porté cette armure », affronte le passé et le présent. « La passivité face à ce crime est globale. Et en les abandonnant,nous devenons complices ». Oui, il est nécessaire de franchir les lignes rouges…
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La maison du Bosphore

J'ai beaucoup aimé suivre les personnages de La Maison du Bosphore pendant vingt ans de 1980 à 2001. Les deux couples d'amoureux, Elif, l'étudiante, la révolutionnaire et Hasan le musicien, Sema qui cherche sa voie et et Salih, l'apprenti menuisier. Mais le" personnage" principal est le quartier de Yedikule, quartier d'Istanbul chargé d'histoire qui se transforme au cours de l'histoire et sait garder une véritable solidarité de quartier. Tous les personnages secondaires qui gravitent autour des 4 héros principaux sont aussi intéressants, sympathiques, et je ne saurais les qualifier de secondaire, tant l'auteur s'est attachée à leur donner une existence tangible.

C'est un livre militant qui commence avec la dénonciation du coup d'état de 1980 et qui décrit des personnages épris de liberté et de justice sociale, tentation du terrorisme ou exil?



Livre féministe où les femmes ont toutes l'initiative de leur destin, rarement passives toujours affirmées, il fait voler en éclat nos préjugés.



Cosmopolite Istanbul où les minorités kurdes, arméniennes et grecques sont bien visibles.



Utopiste peut être dans ces lieux de partages où les gens du quartier d'origine diverses se réunissent et s'entraident? Rêve ou réalité?


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Le chaudron militaire turc: Un exemple de p..

Rien ne se fera, mes ami·es, sans sonder les ténèbres qui font d’un bébé un assassin



2007, une enquête en Turquie, « Cette étude sur le rôle du service militaire dans la structuration de la violence masculine avait en effet fortement agacé l’appareil politico-militaire turc ».

J’invite à lire le beau texte introductif (à l’édition française) de Jules Falquet : Préface au livre de Pinar SELEK : Devenir homme en rampant



Une autrice emprisonnée, torturée, qui continue de subir un acharnement judiciaire (voir différents textes rappelés en fin de note).



Pinar Selek a continué à questionner « les mécanismes des violences structurelles qui façonnent l’ordre social et politique en Turquie. A savoir né du génocide des Arménien·nes de 1915 et des massacres de centaines de milliers de Grec·ques et de Kurdes ». Des enquêtes pour comprendre « l’articulation des mécanismes et techniques de nationalistes, sexistes et militaristes en même temps que les multiples formes de résistances ».

L’autrice souligne une longue liste de violences collectives « totalement masculines », elle interroge les mécanismes sociaux et politiques qui font que des enfants se transforment en « sujet de violence », saisit les articulations entre « militarisme, nationalisme et domination masculine » ou entre « la construction sociale des hommes et la production structurelle du pouvoir masculin et de la hiérarchie politique ».



Pinar Selek précise deux points de méthode, qu’il me paraît intéressant de faire ressortir :

* « Faire sociologie « avec », sans faire violence aux enquêtés, nécessitait non seulement de trouver une méthode appropriée, mais de s’appuyer sur un socle éthique,pour produire une connaissance avec eux en nous engageant dans la durée, ce qui a favorisé un climat de confiance »

* « Considérant que même le mensonge était une forme de raisonnement à prendre au sérieux, j’ai focalisé mon attention non pas sur ce qui a réellement été vécu, mais sur la nature du discours qui en découlait »



Des histoires, des appropriations du discours dominant pour décrire ses propres histoires. Et quinze ans après un élargissement de la problématique initiale, des questionnements « sur les mécanismes d’alignement et sur la banalisation de la violence et de la hiérarchie ». Comme l’autrice, il convient de continuer à sonder « les ténèbres ».



Il m’a semblé nécessaire de m’attarder sur la préface. Avant de continuer, je voudrais préciser que je fais partie d’une génération qui a subi le service militaire d’un an en France. Certes le degré de violence n’était pas comparable à ce que décrit Pinar Selek pour la Turquie, mais la structure même du contrôle et du façonnage de la masculinité relevait bien de la même problématique.



L’autrice écrit sans euphémisme, elle nomme précisément, la masculinité, le groupe social de sexe, le dressage individuel et collectif. Elle analyse en détail les six changements d’échelle dans la vie des hommes turcs « circoncision, première expérience sexuelle, service militaire, travail, mariage, paternité ». Elle aborde, entre autres, le détachement de l’univers des mères, l’apprentissage de la baise, « Leur pénis doit apprendre à baiser », le phallus, le passage au bordel, l’apprentissage de la soumission, les lieux d’enfermement, la production de la classe de sexe dominante, la légitimation de la hiérarchie, l’homo-sociabilité, la relation entre le pénis et le sang, l’imaginaire de la pénétration, « le penis marteau-piqueur », ce que les hommes apprennent justement au service militaire…



Je souligne les paragraphes sur le « chaudron militaire », la fierté masculine, la virilité, les Mehmetçik, les récits d’une grande misère sociale, la cuisson – « Cet acte de cuisson est multifonctionnel servant à fois l’ordre social et l’ordre militaro-politique » – dans le chaudron, la violence dans l’apprentissage, la reconstruction permanente de l’habitus masculin « sans aucune échappatoire subversive possible », la soumission à la matrice imposée « malgré l’absurdité », la solidarité masculine, le sentiment d’appartenance à un groupe, « Cuire ensemble est un processus de co-construction », la diminution de la vulnérabilité au profit du pouvoir, les sujets exécutants, « L’obéissance au non-sens tue la réflexion », les phénomènes d’intériorisation, la formation des hommes pour « qu’ils aient la capacité de contrôler, surveiller, tuer », le tissage des expériences de solidarité et de complicité entre hommes, l’inséparable alliance de l’apprentissage de tuer et de baiser, la survalorisation du pénis en érection, les bordels et la prostitution, la rationalité sexiste d’une sexualité comme champ de guerre, les conséquences de ces expériences sur les relations avec les femmes, les violences conjugales exercées par les hommes, la haine des homosexuels…



Si je partage la référence à Hannah Arendt sur la banalité du mal, il me semble important de dire que cette autrice s’est trompée dans le cas d’Adolf Eichmann, criminel génocidaire par choix idéologique, décisionnaire et non simple exécutant.



Pinar Selek aborde aussi le néolibéralisme, « la dérégulation économique, juridique, sociale et militaire », les interconnexions entre « la police, la mafia et le monde politique », la stratégie de chaos et de tension, l’armement des hommes, les pogroms, le raisonnable pour certains « Dans ce contexte, être raisonnable, c’est d’adapter à la raison d’Etat paramilitarisé. A la raison sexiste, nationaliste, militariste, génocidaire, arbitraire et irrationnelle », le renouvellement des dispositifs pour satisfaire les nouveaux besoins « d’une économie néolibérale et d’une idéologie néoconservatrice ».



La précision des analyses se combine avec l’expression permanente d’une profonde humanité, de formules propres au talent de l’écrivaine, « ils ne s’appellent plus Mehmetçik mais Mehmet : soldat pour la vie », les « ténèbres » ou la phrase de conclusion : « Car le mal enraciné n’est pas un rhume, on ne peut pas le soigner avec un peu de miel et de citron ».



Le titre de cette note est une phrase de Rakel Dink, citée par l’autrice dans sa préface.



Un livre à faire connaître largement. Sans oublier le soutien nécessaire à Pinar Selek pour que justice lui soit rendue et qu’elle soit définitivement acquittée.
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La maison du Bosphore

« La maison du Bosphore » Pinar Selek (319p, Liana Levi).

C’est, sur une vingtaine d’années après le coup d’état militaire sanglant de 1980 en Turquie, l’histoire de vie de quelques jeunes stambouliotes On suit Salih, l’apprenti-menuisier réservé, très lié à son maître-artisan ; Hasan, musicien qui rêve d’horizons nouveaux et lointains ; Elif, la fille d’un pharmacien progressiste qui a connu les geôles de la dictature, et qui, elle, choisit la voie la plus radicale de la clandestinité ; et Sema ; jeune fille qui déploie ses efforts pour entrer à l’Université. Autour d’eux, les familles, les voisins, liés ou déchirés, se débattent entre espoirs et pauvreté, rires et deuils, solidarités ou amitiés profondes et petites ou grandes bassesses, dans différents quartiers populaires d’Istanbul, en particulier à Yedikule.

Le début du roman est un peu une suite sans liens, des éclats de vie qu’on a du mal à rassembler, on peine à trouver le fil conducteur d’un scénario ; il faut donc un peu de temps pour s’habituer aux personnages et à ce rythme assez lent, toute la première partie du livre est très descriptive de la société et de ses soubresauts, ce qui en soi est quand même déjà très intéressant. Puis la dimension dramatique et romanesque s’étoffe, l’histoire de ces jeunes gens se déploie et nous emporte, on se lie à eux, à leurs amours, leurs révoltes, les désirs, leurs espérances. On partage la situation des femmes, si souvent humiliées, celle des Turcs les plus pauvres et des populations de différentes cultures (Arméniens, Juifs, Kurdes, Grecs…), qui parfois se serrent les coudes dans des climats de solidarité chaleureuse, ou parfois tombent dans la violence meurtrière des manipulations xénophobes. Et l’on voit Istanbul l’immense, l’autre personnage central du roman, une mégalopole morcelée et infinie qui bouge, parfois secouée de ses tremblements de terre, ses vielles et pauvres maisons, ses rues animées, ses petit métiers (et l’on pense à Ohran Pamuk, bien sûr). La vie y est d’autant plus dure que le « petit peuple » est assujetti à la dictature, que les aspirations à plus de justice et la soif d’ouverture sont la cible des exactions policières récurrentes.

Un livre généreux, réaliste et poignant, avec une chute délibérément assez optimiste (une utopie un peu « fleur bleue », et c’est peut-être l'autre limite de ce roman), et beaucoup de pudeur dans l’écriture : les émotions sont là mais sans voyeurisme ni excès démonstratifs. Un beau roman.

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Loin de chez moi, mais jusqu'où ?

Le collectif de solidarité avec Pinar Selek (http://www.pinarselek.fr/) présente, en début d’ouvrage l’auteure et son parcours. L’expression est très chaleureuse. Quelques extraits :



« Féministe, antimilitariste, sociologue, militante infatigable, Pinar Selek est une acrobate qui crée des ponts entre les luttes »



« Forcée de vivre où elle n’a pas choisi, elle rêve de diriger à nouveau son gouvernail vers chez elle et résiste aux vents qui la poussent au large »



« Puisque les contes créent un imaginaire riche d’utopies, Pinar Selek aime transmettre des histoires et en inventer d’autres, et en Turquie elle est également connue pour ses talents de conteuse »



Voici un texte sur la/les maison(s) « Je savais que ses portes s’ouvraient différemment vers l’intérieur ou vers l’extérieur… », sur l’ici et le là-bas, l’exil « Où se trouvait-il, le pays des sorcières ? Je l’ignorais. Je me suis retrouvée dans un espace dont je ne connaissais ni la langue ni les réflexes et dont les tempêtes me désorientaient », les tensions entre le souvenir/corps/émotion et le futur/présent ouvert de rencontres « Et bien que cette distance me laisse dans le vide, mon regard porte désormais plus loin et les horizons de mes frontières s’élargissent. Je n’aurais pas appris tout cela si j’étais restée chez moi ». Pinar Selek développe une remarquable analyse de cet entre deux qu’est l’exil, cette blessure en/de soi. Elle le fait avec une humanité rare et un vrai talent littéraire « j’ai étiré les frontières de mon espace qui m’apparaissait toujours plus étroit qu’il n’était ». C’est un récit en chaud et froid, chatoyant de mille couleurs. Conscience et conscience féministe « Parce que je suis une femme je ne voulais pas vivre dans une de ces maisons remplies de meubles identiques »



Un très beau petit ouvrage, à offrir à toutes et tous. « Exilée, je glisse entre des émotions multiples, des mondes innombrables »
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