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Citations de Polina Panassenko (144)


Ma mère m’explique à quel point cette materneltchik est nécessaire. Indispensable même. Sinon je n’apprendrai jamais le français. Qui a dit que je voulais l’apprendre ? Je ne suis même pas tout à fait sûre d’être au clair sur ce que c'est. Il semblerait que si je dis Sava?, l’autre va comprendre que je demande comment il se porte. Et si je dis Sava! on comprendra que je vais bien. Je ne sais pas pourquoi. À Moscou, "sava" veut dire "hibou". Je ne sais pas pourquoi ici il faut dire "hibou" pour se donner des nouvelles.
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Russe à l’intérieur, français à l’extérieur. C’est pas compliqué. Quand sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l’enlève. On peut même commencer à se déshabiller dans l’ascenseur. Sauf s’il y a des voisins. Sil y a des voisins on attend. Bonjour. Bonjour. Quel étage ? Bon appétit. Il faut bien séparer sinon on risqueRusse à l’intérieur, français à l’extérieur. C’est pas compliqué. Quand sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l’enlève. On peut même commencer à se déshabiller dans l’ascenseur. Sauf s’il y a des voisins. Sil y a des voisins on attend. Bonjour. Bonjour. Quel étage ? Bon appétit. Il faut bien séparer sinon on risque de se retrouver cul-nu à l’extérieur. Comme la vieille du cinquième qu’on a retrouvé à l’abribus la robe de chambre entrouverte sans rien dessous. Tout le monde l’a vue. On a dit « elle ne savait plus si elle était dedans ou dehors ». de se retrouver cul-nu à l’extérieur. Comme la vieille du cinquième qu’on a retrouvé à l’abribus la robe de chambre entrouverte sans rien dessous. Tout le monde l’a vue. On a dit « elle ne savait plus si elle était dedans ou dehors ».
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Un matin l’annonce tombe. « Polina demain tu vas à la maternelletchik ». Quand ma mère ajoute « tchik » à la fin des mots c’est qu’elle cherche à le radoucir. Si c’est un mot inconnu ça ne présage rien de bon. Ma mère m’explique à quel point cette maternelletchik est nécessaire. Indispensable même. Sinon je n’apprendrai jamais le français. Qui a dit que je voulais l’apprendre ? Je ne suis même pas tout à fait sûr d’être au clair sur ce que c’est. Il semblerait que si jeudi Sava ?, l’autre va comprendre que je demande comment il se porte. Et si je dis Sava ! On comprendra que je vais bien. Je ne sais pas pourquoi à Moscou « sava » va dire « hibou ». Je ne sais pas pourquoi ici il faut dire « hibou » pour se donner des nouvelles.
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Ma tante a le judaïsme clignotant. Chez elle « le peuple juif « oscille entre le « nous » et le « ils » . Elle est juive sans l’être. On dirait que c’est au cas où. Au cas où quoi, je ne sais pas mais si je pose une question sur le « nous », il faut y aller mollo sinon on a vite fait de rater l’embranchement et on se retrouve en plein « ils ».
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Depuis la veille ma grand-mère condamne l’expédition dans son ensemble par un mutisme ostentatoire. Au moment de notre départ assise sur le meuble à chaussures, elle fixe du regard la porte d’entrée. Une protestation silencieuse doit savoir se rendre visible
Au retour dans le deux pièces communautaire de l’avenue Lénine, le sachet de frites est froid et ma grand-mère n’est plus sur le meuble à chaussures. Ma mère envoie ma sœur annoncer que nous sommes rentrés. Ils l’ont entendu bien sûr depuis le bout du couloir mais l’annonce vaut aussi invitation.
Lentement mon grand-père saisit un bâtonnet ramolli sur le sommet de la pile, le soulève du bout des doigts et l’observe à la lumière filtrant par le rideau de tulle. Sur la phalange de son annulaire droit, la boule de chair mauve qui couvre l’éclat d’obus contraste avec la frite. En deux poussées, il enfourne le morceau de kartofel dans sa bouche et lentement se met à mâcher, expirant l’air de ses narines par petits coups secs. Éclaireurs du goût. La mastication ralentit, la frite désolée vaincue par le dentier de fabrication nationale finit de fondre dans sa bouche. Un coup de langue sur les canines en acrylique et c’est la dégustation finale. Alors dit ma sœur. Alors c’est une patate froide, dit mon grand-père.
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Oh, mais Marilla ,espérer des choses ,c'est déjà la moitié du plaisir qu'elle vous procureront s'exclama Anne .On ne les obtient peut-être pas mais rien ne nous empêche de prendre du plaisir à les attendre. Madame Lynde dit que celui qui n'attend rien est heureux, car il ne sera pas déçu. Mais moi je crois que c'est bien pire de ne rien attendre que d'être déçu.
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Quand t’as tes règles t’as pas le droit d’entrer dans l’église. T’as pas le droit parce que t’es sale et l’église c’est propre alors t’attends. T’attends d’être propre, et quand c’est bon tu y retournes avec ta jupe longue, tes cheveux couverts et ta phase lutéale.
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J’ai le choix. Soit je commence par l’église, soit je commence par le cimetière. De toute façon, l’église est sur le territoire du cimetière, ou bien c’est l’inverse, bref c’est au même endroit. Je décide de commencer par le cimetière.
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À la rentrée de quatrième, je reçois un courrier de Lionel Jospin. C’est le Premier ministre. Ma sœur dit que c’est pas lui qui a signé c’est une machine. N’empêche. Dans le courrier il écrit « française de plein droit par naturalisation du père. Autorisée officiellement à s’appeler Pauline ». Mon père dit C’est bien, ça te donne le choix. Maintenant c’est officiellement Polina dedans et Pauline dehors.
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Liza a un grand frère. On dit que Mitya a essayé de se suicider quand Kurt Cobain est mort. Quelque chose en lien avec Nirvana. On ne sait pas exactement qui est Kurt Cobain mais on sait qu’un monde intense et inconnu pour lequel on peut être prêt à mourir existe sans nous. Quelque part dans cette forêt, ce monde prend vie à la tombée du jour.
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On ne parle plus. On déroule encore des rubans de mots mais dans tout ce qu’on dit il y a surtout ce qu’on ne dit pas, celle dont on ne parle pas, celle que la langue évite. Quand il faut dire le nom, quand c’est inévitable, mon père a le visage qui se creuse. On croit qu’il faut du temps pour qu’un visage se creuse, que c’est le résultat d’un processus long mais non. Il peut se creuser en deux syllabes. Deux syllabes suffisent. Quand le nom est inévitable, mon père le murmure. Ça fait un trou d’air dans la phrase. Il inspire au lieu d’expirer. Comme s’il voulait le garder endedans. Comme si avec le nom risquait de filtrer autre chose.
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Moi je ne sens plus rien. J’ai la langue gelée. Pleine de mots immobiles.
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Français sans accent ça veut dire français accent TV personnage principal. Accent Laura Ingalls et Père Castor. Accent Jean-Pierre Pernaut et Claire Chazal. Prendre l’accent TV c’est renoncer à tous les autres. Pas de cumul possible avec l’accent TV. Une fois que tu parles comme au 20 heures tout autre accent devient un à-côté, un 5 à 7. Pour s’encanailler, comme au bon vieux temps mais rien de plus. Un accent qui revient sans qu’on l’appelle, c’est gênant comme Dom Juan qui tombe sur Done Elvire.
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Je ne vais pas adorer du tout vivre avec un prénom choisi par le tribunal de Bobigny parce qu’il trouve que je m’intègre mieux comme ça. Parce qu’il trouve que comme ça, de la maternelle au cimetière, on garde à l’esprit que s’intégrer est un work in progress.
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Je pense à la Grande Guerre patriotique. Aux fascistes qui torturaient les prisonniers sans insigne pour déterminer à leurs cris de douleur de quel pays ils venaient. Ça m’inquiète. En français je sais qu’on crie « aïe » mais le problème c’est qu’en russe on crie « aïe » aussi. Comment être sûre de crier « aïe » en russe et pas en français. Et si je crie « aïe » en russe mais qu’on croit que j’ai crié « aïe » en français, comment prouver ensuite que c’était bien un « aïe » russe.
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Il semblerait que si je dis Sava ?, l’autre va comprendre que je demande comment il se porte. Et si je dis Sava ! on comprendra que je vais bien. Je ne sais pas pourquoi. À Moscou, « sava » veut dire « hibou ». Je ne sais pas pourquoi ici il faut dire « hibou » pour se donner des nouvelles.
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A Sciences-Po, le premier jour de cours, on s'est retrouvés dans le même groupe d' "introduction à la sociologie". Je ne connaissais personne. Je me suis assise derrière une rangée de types de mon âge qui avaient déjà une cravate enfoncée dans la pomme d'Adam et un attaché-case en cuir. Je me suis dit qu'à part la calvitie ça ne leur laissait pas beaucoup de marge pour la suite.
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Quand j’ai obtenu la nationalité française, mon père a fait franciser mon prénom. Lui aussi voulait protéger. Faire pour sa fille ce que sa mère avait fait pour lui. Ce que je veux moi, c’est porter le prénom que j’ai reçu à la naissance. Sans le cacher, sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur. Faire en France ce que ma grand-mère n’a pas pu faire en Union soviétique.
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Je n’ai pas d’enfants mais je désire en avoir un jour. Sur l’acte de naissance, en face de « nom de la mère » je veux écrire « Polina ». C’est un héritage. Savoir que sa mère était libre de porter son prénom de naissance. C’est celui-là que je veux transmettre, pas celui de la peur. Je veux croire qu’en France je suis libre de porter mon prénom de naissance. Je veux prendre ce risque-là. Je m’appelle Polina.
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Ma tante a le judaïsme clignotant. Chez elle « le peuple juif » oscille entre le « nous » et le « ils ». Elle est juive sans l’être. On dirait que c’est au cas où. Au cas où quoi je ne sais pas mais si je pose une question sur le « nous », il faut y aller mollo sinon on a vite fait de rater l’embranchement et on se retrouve en plein « ils ».
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