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Citations de Polina Panassenko (138)


Ma tante a le judaïsme clignotant. Chez elle " le peuple juif " oscille entre le " nous" et le "ils ".Elle est juive sans l'être .On dirait que c'est au cas où. Au cas où quoi je ne sais pas mais si je pose une question sur le " nous ", il faut y aller mollo sinon on a vite fait de rater l'embranchement et on se retrouve en plein "ils ".
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Un matin, l'annonce tombe. Polina, demain tu vas à la materneltchik. […] Le lendemain, j'arrive avec ma mère devant un immense bloc de béton. Sur le côté, il y a un trou noir. Des adultes entrent à l'intérieur avec des enfants et ressortent seuls. À côté du bloc de béton, il y a un enclos avec des enfants qui hurlent et courent dans tous les sens. J’entre dans le trou noir avec ma mère. À l'intérieur ça sent le parapluie mal séché et la peau de lait bouilli. On monte un escalier, on longe un couloir, on s'arrête devant une porte ouverte. À l'intérieur : une grande salle éblouissante pleine d'enfants. J’attrape la cuisse de ma mère à travers son jean. Je l'attrape et je serre fort. Partout des enfants assis à de petites tables. Partout des enfants et aucun parent. Des orphelins ! je me dis. (p.60)
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Un photomontage avant/après. Avant : image 3D d'un fœtus qui demande à sa mère de le garder. Après : image d'un petit garçon joufflu en tenue de la marine de guerre. Elle, elle n'avorte pas pour que lui, il parte au front. C’est clairement win-win. Je me demande qui a eu cette idée. Je me demande qui s'est dit : Elles vont voir ça, elles vont se dire : je le garde ! (p.175)
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Janvier 1990. Le premier McDonald's d’URSS ouvre à Moscou. Trente mille personnes. Un kilomètre et demi de queue. Je suis dedans avec mes parents et ma sœur. Il fait froid mais ça vaut le coup. On piétine pour les buterbrods venus de l'Ouest et leurs emballages individuels. Une fois le contenu mangé, on ne les jette pas. On les lave et on les garde. C’est une preuve. Ma mère commande un sachet de frites supplémentaires pour mon grand-père. Lui seulement. Ma grand-mère s'est montrée claire sur son refus d'y toucher. Si elle veut une patate, elle se la prépare. Pas besoin d'Américains pour ça. Depuis la veille elle condamne l'expédition dans son ensemble par un mutisme ostentatoire. Au moment de notre départ, assise sur le meuble à chaussures, elle fixe du regard la porte d'entrée. Une protestation silencieuse doit savoir se rendre invisible. (p.20 21)
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Ma tante a le judaïsme clignotant. Chez elle "le peuple juif" oscille entre le "nous" et le "ils". Elles est juive sans l'être. On dirait que c'est au cas où. Au cas où quoi je ne sais pas mais si je pose une question sur le "nous", il faut y aller mollo sinon on a vite fait de rater l'embranchement et on se retrouve en plein "ils".
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C'est un triangle composé d'une base, d'un centre et d'une pointe. La base s'appuie sur le bloc de béton, la pointe se situe au niveau du portail. La base est la partie la plus large du triangle. On y trouve surtout des cris d'individus mâles et des activités de type jeu de ballon, jeu du loup, bagarre et exhibition des parties génitales. La base domine la partie centrale du triangle. La partie centrale est plus resserrée, on y trouve majoritairement des cris d'individus femelles et des activités telles que la marelle, le saut à l'élastique et une étrange déambulation groupée accompagnée d'une litanie monotone. Cette partie centrale est dominée par la base mais domine à son tour et la pointe du triangle. Dans l'angle le plus éloigné du bloc de béton, dans la pointe étriquée du triangle, se trouve le lumpenprolétariat de l'enclos : Philippe et moi. Le Bègue et la Russe. (p.67)
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Octobre 1993. À Moscou, ma mère fait les valises. Mon père nous attend à l'endroit qui s'appelle la France. On ne peut pas prendre tout ce qu’on veut, il faut choisir ce qu'on laisse et ce qu’on emporte. Ma mère passe en revue et sélectionne selon des critères qu’elle seule connaît. Moi je veux un chat en tissu jadis blanc devenu gris qui s’appelle Tobik. Lui et rien d'autre. Ma mère tranche. C’est non, il est trop gros. Si on a trop de bagages, on devra payer très cher. J'apporte Tobik dans la chambre avec balcon, là où sont les sacs. La TV est allumée en fond mais personne ne la regarde. Les grosses boîtes kaki à kaléidoscope sont réapparues. Maintenant, je sais que ce sont elles les «tanks» p. 46
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Polina Panassenko
Russe à l'intérieur, français à l'extérieur. C'est pas compliqué. Quand on sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l'enlève. On peut même commencer à se déshabiller dans l'ascenseur. Saur s'il y a des voisins. S'il y a des voisins on attend. Bonjour. Quel étage ? Bon appêtit.
Il faut bien séparer sinon on risque de se retrouver cul nu à l'extérieur.
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Ma mère veille sur mon russe comme sur le dernier oeuf du coucou migrateur. Ma langue est son nid. Ma bouche, la cavité qui l'abrite. Plusieurs fois par semaine, ma mère m'amène de nouveaux mots, vérifie l'état de ceux qui sont déjà là, s'assure qu'on n'en perd pas en route. Elle surveille l'équilibre de la population globale. Le flux migratoire : les entrées et sorties des mots russes et français. Gardienne d'un vaste territoire dont les frontières sont en pourparlers. Russe. Français. Russe. Français. Sentinelle de la langue, elle veille au poste-frontière. Pas de mélange. Elle traque les fugitifs français hébergés par mon russe. Ils passent dos courbé, tête dans les épaules, se glissent sous la barrière. Ils s'installent avec les russes, parfois même copulent, jusqu'à ce que ma mère les attrape.
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Je marche vers le métro, je me dis : surtout ne ressasse pas. Je m'assois dans la ligne cinq. De Bobigny à Oberkampf, je ressasse. De Oberkampf à Croix de Chavaux, je ressasse encore plus. Est-ce que c'est dans mon intérêt ? Est-ce que c'est dans mon intérêt ? P é t a s s e.
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Russe à l'intérieur, français à l'extérieur. C'est pas compliqué. Quand on sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l'enlève. On peut même commencer à se déshabiller dans l'ascenseur. Sauf s'il y a des voisins.
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J'ai dit [à mon père] : Mais c'est normal que du côté de ta mère personne ne porte son vrai nom ? (...) Et j'ai appelé sa soeur. (...)
La tiotia [tante] soupire. Et elle dit :
Comme ça, juste comme ça, elle n'aimait pas comment ça sonnait, Pessah. Elle ne trouvait pas ça joli. C'est tout. Elle a changé ses papiers en 1954 mais aussi loin que je me souvienne elle se faisait appeler Polina. Chez les juifs, il y en a beaucoup qui ont pris des noms russes.
(p. 39-40)
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Ma mère aussi veille sur mon russe comme sur le dernier œuf du coucou migrateur. Ma langue est son nid. Ma bouche, la cavité qui l'abrite. Plusieurs fois par semaine, ma mère m'amène de nouveaux mots, vérifie l'état de ceux qui sont déjà là, s'assure qu'on n'en perd pas en route. Elle surveille l'équilibre de la population globale. Le flux migratoire: les entrées et sorties des mots russes et français. Gardienne d'un vaste territoire dont les frontières sont en pourparlers. Russe. Français. Russe. Français. Sentinelle de la langue, elle veille au poste-frontière. Pas de mélange. Elle traque les fugitifs français hébergés par mon russe. Ils passent dos courbé, tête dans les épaules, se glissent sous la barrière. Ils s'installent avec les russes, parfois même copulent, jusqu'à ce que ma mère les attrape. En général, ils se piègent eux-mêmes. Il suffit que je convoque un mot russe et qu'un français accoure en même temps que lui. Vu!
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«  Ça l’écorche ? Ça lui fait une saignée ? . Ou alors elle a peur que je me glisse dans sa langue de procureure . Le prénom comme cheval de Troie. Et une fois à l’intérieur, shlick. Un jaune d’œuf qui coule. Poc. Une fusée dans l’œil . Elle a peur que je la féconde , ouais . Elle a peur que je lui mette ma langue dans la sienne et de ce que ça ferait . Elle a peur de ses propres enfants en fait . Franchement si on se léchait les langues , ça serait tellement mieux . Un bon baisodrome de langues , ça serait tellement mieux » .
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Ma tante a le judaïsme clignotant. Chez elle "le peuple juif" oscille entre le "nous" et le "ils". Elle est juive sans l'être. On dirait que c'est au cas où. Au cas où quoi je ne sais pas mais si je pose une question sur le "nous", il faut y aller mollo sinon on a vite fait de rater l'embranchement et on se retrouve en plein "ils".
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Polina Panassenko
Un matin, l'annonce tombe. Polina, demain tu vas à la materneltchik. Quand ma mère ajoute tchik à la fin d'un mot, c'est qu'elle cherche à le radoucir. Si c'est un mot inconnu ça ne présage rien de bon. J'en ai déjà fait l'expérience à la polyclinique. On me parle d'un oukoltchik dans le paltchik et on me plante une seringue dans le bras. Je n'ai plus confiance. Ma mère m'explique à quel point cette materneltchik est nécessaire. Indispensable même. Sinon je n'apprendrai jamais le français. Qui a dit que je voulais l'apprendre? Je ne suis même pas tout à fait sûre d'être au clair sur ce que c'est. Il semblerait que si je dis Sava?, l'autre va comprendre que je demande comment il se porte. Et si je dis Sava! on comprendra que je vais bien. Je ne sais pas pourquoi. A Moscour, "sava" veut dire "hibou". Je ne sais pas pourquoi ici il faut dire "hibou" pour se donner des nouvelles.
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Il semblerait que si je dis Sava ?, l’autre va comprendre que je demande comment il se porte. Et si je dis Sava ! on comprendra que je vais bien. Je ne sais pas pourquoi. À Moscou, « sava » veut dire « hibou ». Je ne sais pas pourquoi ici il faut dire « hibou » pour se donner des nouvelles.
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Mon audience a lieu au tribunal de Bobigny. Convocation à 9 heures. Je n'y suis jamais allée, je pars en avance. En descendant dans le métro, je tape Comment parler à un juge ? dans la barre de recherche de mon téléphone. Après trois stations, je me demande s'il va vraiment falloir commencer chaque phrase par votre honneur, monsieur le président ou madame la juge. Je me demande si au tribunal ils font comme certains parents. Si on leur répond juste oui, ils disent oui qui? Tant que tu n'as pas dit oui madame la juge, ils t'ignorent.
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Quand t'as tes règles t'as pas le droit d'entrer dans l'église. T'as pas le droit parce que t'es sale et l'église c'est propre alors t'attends. T'attends d'être propre, et quand c'est bon tu y retournes avec ta jupe longue, tes cheveux couverts et ta phase lutéale.
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A la rentrée de quatrième, je reçois un courrier de Lionel Jospin. C'est le Premier ministre.
Ma sœur dit C'est pas lui qui a signé c'est une machine.
N'empêche.
Dans le courrier il écrit « française de plein droit par naturalisation du père. Autorisée officiellement à s'appeler Pauline. » Mon père dit C'est bien, ça te donne le choix. Maintenant c'est officiellement Polina dedans et Pauline dehors.
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